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« Une gestion en bonne mère de famille », c’est ainsi que le quatuor à la tête du domaine Mugneret-Gibourg synthétise sa philosophie, non sans un certain sens de l’autodérision. Le destin de cette entreprise familiale s’est joué par deux fois à la suite de la disparition d’un homme. La première en 1988, avec le décès de Georges Mugneret qui laisse derrière lui sa femme Jacqueline et ses deux filles, Marie-Christine et Marie-Andrée. La seconde en 2016, lorsque le métayer de 4,5 hectares de vignes appartenant à la famille décide de rendre les clés. « Nos mères nous ont réunies autour d’une table », raconte Marion, la fille de Marie-Christine. « Elles nous ont demandé si cela nous intéressait de reprendre progressivement les rênes. »
Sur les quatre cousines, deux répondent par l’affirmative. Marion, issue du marketing agroalimentaire, et Lucie, ingénieure en production. Si elles avaient déjà en tête l’ambition d’un retour, elles disent n’avoir jamais subi une quelconque pression de la part de leurs mères respectives, même si la passation semble être vécue comme une forme de soulagement. « Nous souhaitons qu’elles puissent amener leur patte », affirment en chœur les deux aînées, dont l’une partira en retraite à la fin de l’année. « Mais pour la viticulture et la vinification, il est important de maintenir une certaine continuité, car nos clients sont habitués à un certain style de vin », s’empressent-elles de souligner.
Un style aux contours en dentelle, que les héritières se gardent volontiers de vouloir bousculer. « Lors de l’annonce de la reprise, tout le monde nous a demandé ce que nous allions changer », se souvient Lucie. « Il est hors de question de céder à une mode ou de chercher à marquer le coup. Nous aimons ces vins-là et le maintien de leur qualité représente déjà un défi immense. » Celui de conserver coûte que coûte la fraîcheur et la pureté d’un pinot noir dont elles n’ignorent pas la grande fragilité, avec pour ambition de rester fidèles à l’identité de chaque terroir, du bourgogne générique jusqu’au plus désirable des grands crus. « À la dégustation, nous tenons à ce que la structure tannique ne soit jamais agressive, via des extractions douces, un éraflage à 98 %, tout en ne nous interdisant pas de changer de technique en fonction du climat, tant que le résultat est harmonieux et séduisant. »
Fermé le mercredi
Plutôt qu’une révolution de façade, Marion et Lucie ont préféré agir en coulisses, optimisant la gestion des stocks et la traçabilité de bouteilles devenues en l’espace de quelques décennies de juteux objets de spéculation, adressant de nouveaux marchés, confiant leurs exportations à une plus jeune génération et s’autorisant à investir dans un nouveau groupe d’embouteillage afin de mieux soigner les finitions. Marie-Andrée l’admet : « Chaque génération aura eu ses priorités et ses objectifs. À notre époque, nous étions peu de femmes dans le milieu et nous avons décidé de rompre avec l’excès de technologie auquel avaient cédé nos parents pour revenir à des techniques viticoles plus proches de celles de notre grand-père. J’aime à dire que ce que nous faisons encore aujourd’hui s’apparente à du jardinage ».
Une modestie doublée d’une approche qui se veut à la fois humaine et sensible, n’en déplaise à leur comptable, qui ne manque jamais d’insister sur le poids conséquent que représente à ce jour la masse salariale en activité. « Lorsque nous avons repris, nous étions jeunes mères de famille », insiste Marie-Christine. « Nous fermions le mercredi car c’était le jour des enfants. La tradition a perduré avec Marion et Lucie, ce qui leur permet de concilier plusieurs rôles. En parallèle, nous nous efforçons de prendre soin de nos employés, condition sine qua non pour obtenir un travail de qualité. »
De leur côté, les deux autres sœurs ne sont en rien étrangères à la conduite des affaires. À Fanny revient la tâche de gérer la maison d’hôtes, flambant neuve et attenante au domaine, baptisée en hommage à leur grand-mère Jacqueline. À Clémence, avocate spécialisée en droit rural à Dijon, celle de prêter main forte aux équipes en période de vendanges. « Nous serons toujours là pour aider, mais le plus important, c’est qu’elles se sentent libres », résume Marie-Christine d’un air confiant. « Je me souviens de ces mots d’Étienne Grivot, ami vigneron à Vosne-Romanée, qui affirmait que de zéro à trente ans, on apprend, de trente à soixante, on fait. Au-delà, on accompagne ». Soit la parfaite définition d’un héritage précieux, celui de l’infinie douceur.