Réaffirmer nos territoires et nos terroirs
Le terroir, c’est la providence appliquée à la géologie et à la nature. Le territoire, en revanche, est façonné par les humains. La dimension territoriale, c’est avant tout le vivre-ensemble. Quand on regarde les grandes régions françaises du vin, leur réussite vient toujours des femmes et des hommes qui les ont portées. Pourtant, hormis durant les crises et les moments de désespoir, les vignerons ne sont pas entendus ou en tout cas pas assez. Le métier de vigneron est d’abord un métier d’humilité, profondément connecté à la nature, qui implique d’apprendre à vivre avec elle. Il n’existe pas, à ma connaissance, d’autre activité agricole, ni même d’autre métier, où le temps qui passe façonne autant le résultat final. Chaque année, c’est une occasion de raconter une histoire différente.
Trouver des réponses face aux défis de l’eau
85 % des vignobles dans le monde sont irrigués. En France, traditionnellement, l’irrigation était limitée. Cela va devenir une priorité, mais c’est quelque chose qui se gère. Concrètement, il s’agit d’apporter un peu d’eau entre le 1er juin et le 15 août pour anticiper les grandes périodes de stress hydrique. Les vagues de chaleur sont prévisibles. Dix à vingt millimètres avant les périodes de chaleur extrême permettent d’améliorer la qualité du raisin. Cela permet aussi de garantir que les baies ne soient pas trop concentrées et que leur maturité s’achève de manière normale. En résumé, ce pilotage de l’irrigation demande plus de précision. Les pluies du 14 juillet ou du 15 août, qu’on avait autrefois, n’existent plus et nous n’avions pas connu des températures supérieures à 40 degrés plusieurs jours d’affilée. Au-delà de cette limite, la vigne lutte pour sa survie. Quelles sont nos options ? Être pessimiste ? Ou mettre en place des dispositifs pour stocker l’eau et approvisionner les vignes pendant les périodes de grande sécheresse, qui seront de plus en plus fréquentes ?
Expliquer l’écologie des paysans
Un paysan ne se contente pas seulement de produire : il entretient des paysages, prend soin des haies, des ruisseaux, plante et protège les arbres. Aujourd’hui, beaucoup cherchent à redonner vie aux sols ; leur culture, même pour ceux qui ne sont pas en bio, est redevenue centrale. Ce travail discret, longtemps invisible, mobilise désormais de nombreux vignerons. Notre profession s’est parfois éloignée de ces fondamentaux, mais la prise de conscience est là. Le temps du tout-chimique est derrière nous. Chacun comprend qu’il faut revenir à des pratiques plus naturelles, fondées sur le bon sens. Avec le changement climatique et des étés à plus de 40 degrés, si le sol n’est pas vivant, la vigne ne résiste pas.
S’organiser pour faire front ensemble
Le monde du vin est complexe, fragmenté, avec des acteurs de toutes tailles. En France comme ailleurs, il est difficile d’émerger et de réussir en défendant une seule région viticole : c’est collectivement que nous devons porter nos couleurs, avec fierté et exigence. Nous avons tout à gagner à créer des moments de partage autour de nos produits et de nos savoir-faire, qui sont uniques au monde. Il suffit de regarder l’aura internationale de nos chefs, pâtissiers, boulangers, et de nos maisons de luxe, capables d’imaginer des expériences inoubliables. Certaines possèdent d’ailleurs des vignobles.
Être à l’écoute de ceux qui boivent nos vins
Pour avancer, nous, vignerons français, devons d’abord écouter celles et ceux qui boivent nos vins. À force de trop diviser nos offres, nous avons parfois perdu en lisibilité et en proximité avec le consommateur. Celui-ci nous montre le chemin : il veut de la sincérité, du goût, des styles qu’il comprend et reconnaît. Et il veut vivre des expériences. Regardons ce qui fonctionne et n’ayons pas peur des mots : certaines appellations, même si elles restent très rares, ont réussi à percer parce qu’elles sont devenues de vraies marques, des repères. Sancerre aux États-Unis en est un bel exemple. Plutôt que nous disperser, apprenons à unir nos forces pour porter ensemble l’image des vins français. Notre mission n’est pas d’inciter à consommer davantage, mais de continuer à susciter le désir de nous découvrir en faisant rayonner nos terroirs, nos savoir-faire et l’émotion du vin, avec vérité et générosité.
Faire du vin une expérience
Je suis avant tout vigneron, mais aussi « metteur en fête » ! Le vin n’est pas seulement une boisson : c’est un moment à vivre pleinement. Il s’exprime dans les meilleures conditions quand il est partagé avec les bonnes personnes, les bons verres, à la bonne température, avec un plat qui l’accompagne, et en ressentant cette sensation simple : « Oui, là, on est au bon endroit et c’est un vrai plaisir ». Longtemps en France, cette dimension est restée discrète. Nos grands vins se savouraient entre connaisseurs, presque à l’abri des regards. Ailleurs, on a compris plus tôt que le vin pouvait se raconter, se mettre en scène, se médiatiser, pour devenir une véritable expérience culturelle. Aujourd’hui, célébrer le vin, le rendre vivant et accessible, c’est prolonger ce qu’il est : du plaisir, du partage et une part de notre art de vivre.
Embrasser les métiers de l’œnotourisme
L’œnotourisme est essentiel pour vivre les expériences autour de la vigne et du vin que désirent de nombreux touristes du monde entier. C’est aussi une activité qui apporte une marge nette au vigneron. Mais pour franchir un cap, il faut des agences spécialisées et des pure players du secteur, capables de proposer un voyage complet à la carte : visites de vignobles, monuments historiques, restaurants régionaux de différents niveaux, hébergements variés, etc. Le monde du vin doit créer véritablement cette destination France. Et accepter d’apprendre et d’exercer ce nouveau métier, passionnant, de l’hospitalité, où tout est pensé pour l’expérience complète et qualitative.
Rester fidèle à notre culture et nos savoir-faire
Beaucoup de savoir-faire français sont atomisés. Il faut réunir nos forces, tout en restant fidèles à notre culture. Nous devons remettre en valeur l’exception culturelle du vin, montrer que l’on peut consommer du vin avec modération, expliquer comment cette production française n’a pas d’équivalent dans le monde, la faire briller aux côtés de nos métiers de bouche. Et nous unir, au fond, autour d’un message puissant et construit.
