Guéthary, Pays basque. L’écrivain s’y est installé il y a quelques années pour s’éloigner un peu de « certaines tentations ». Ayant récemment entamé une démarche de sobriété choisie après quatre décennies de consommation, Frédéric Beigbeder, qui vient de fêter ses 60 ans, nous rejoint au Café du Fronton pour évoquer ses souvenirs, son passage de l’ivresse des sens à celle des mots, ainsi que la vodka Le Philtre qu’il a lancée avec son frère Charles et leur ami Guillaume Rappeneau. Son initiation au vin a commencé avec le rituel bourgeois de son grand-père à Pau. « Il avait une très belle cave. Je voyais son personnel de maison carafer les vins et les servir dans de beaux verres. Tout ça me plaisait beaucoup, mais je dois dire que la première fois que j’ai goûté ce qui devait être un grand bordeaux, j’ai vraiment trouvé ça dégueulasse ! » Ensuite, il y a eu les soirées de la jeunesse dorée parisienne des années 1980. « Je me souviens des coupes de champagne, bien souvent tiède, que je buvais dans les rallyes quand j’avais 16 ou 17 ans. Je détestais ça, mais je me forçais un peu pour oser parler aux gens. Moi, je suis timide. Et puis j’y ai pris goût pendant quarante ans, avant de décider, un matin de janvier 2024, de vivre une sobriété choisie. » Frédéric Beigbeder a toujours été très classique en matière de vins. « Je n’achetais que des vins de Bourgogne et de Bordeaux, des vins sur lesquels on peut toujours compter. Je suis très old school dans mes goûts et je n’aime pas l’originalité. » D’ailleurs, quand il s’autorise désormais un écart, c’est pour boire quelque chose de très bon. Il goûte le vin en connaisseur et sans excès.« L’autre jour, j’étais chez Lapérouse avec Benjamin Patou (le directeur de l’établissement, ndlr) et nous sommes descendus dans la cave. On a bu quelques gorgées de vin du domaine de la Romanée-Conti, mais aussi des gevrey-chambertin et des chambolle-musigny. C’est un voyage gustatif et un plaisir olfactif. » Un plaisir qu’il avait failli gâcher le jour de la remise du prix littéraire Paulée de Meursault : « L’erreur que j’ai faite, c’est de ne pas recracher ce que l’on m’invitait à goûter. À 15 heures, j’étais complètement saoul et je me suis pris pour le DJ ».
L’alliance des contraires
Cette thématique de l’ivresse et du bon vin est au cœur des écrits des auteurs qu’il admire, de Francis Scott Fitzgerald à Hemingway en passant par Charles Baudelaire ou Françoise Sagan. La scène de déchéance grandiose qu’il retient est celle de la « cuite » dans Un singe en hiver. Elle prouve qu’« il n’y a pas de différence entre ces deux clochards complètement bourrés et… Marcel Proust. C’est de la beauté ! De la beauté perdue certes, mais de la beauté ! ». Aujourd’hui, il a trouvé d’autres paradis bien moins artificiels. « Je suis addict au crépuscule, addict à l’aube. Et que dire de la littérature ! C’’est peut-être la drogue la plus dure. » L’idée de sa vodka, Le Philtre, est née du désir de créer un alcool à l’image de son époque : « J’avais envie d’une vodka biologique et écoresponsable (les bouteilles sont en verre recyclé et il est possible de les re-remplir chez certains cavistes, ndlr), mais qui reste une initiative joyeuse. Pas cette écologie punitive et triste ». Lancée avec son frère et leur ami d’enfance Guillaume Rappeneau, c’est une vodka française et bio, distillée six fois avec un dernier passage dans un alambic charentais de Cognac. « C’est cette dernière passe qui lui donne ce goût mystérieux. » L’auteur la décrit comme une alliance des contraires, capable de provoquer « une chorégraphie cosaque » grâce à son côté russe, tout en gardant l’élégance et l’esprit de son côté français. Il adhère à l’idée poétique que l’on reconnaît une grande vodka au silence qu’elle laisse dans la bouche et ajoute, non sans malice : « Un shot glacé de Philtre c’est un moment de joie liquide ».
