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Albéric Bichot : « Notre richesse, ce sont les gens »


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Dans les pas d’un nom bourguignon illustre, Albéric Bichot incarne la sixième génération à la tête de la maison Albert Bichot. Sa lignée a beau être ancrée à Beaune depuis 1831, l’actuel dirigeant refuse les postures figées. « On ne transmet pas un musée, on transmet une entreprise vivante », rappelle-t-il d’emblée. Avec lui, la tradition bourguignonne n’a rien d’un patrimoine poussiéreux, elle devient matière à action, à engagement et à évolution. La maison Bichot a su croître sans se diluer. Propriétaire de six domaines viticoles, aujourd’hui tous en bio, elle propose des vins dans les appellations les plus emblématiques de Bourgogne, mais aussi du Beaujolais, de Chablis à la côte de Nuits. Soit 105 hectares, complétés par environ 400 hectares exploités en négoce. Si la distribution reste largement internationale, avec 80 % de la production exportée, le lien à la terre de Bourgogne, lui, ne s’est jamais distendu. « Notre responsabilité, c’est d’abord vis-à-vis de nos terroirs. »

Aux États-Unis, Bichot a créé sa propre société de distribution il y a plus de dix ans. Une quinzaine de personnes y travaille et distribue aujourd’hui des vins du Languedoc et de la Loire, du champagne et même des vins de la Napa Valley. Dans un marché bousculé, où le vin doit se réinventer sans perdre son âme, Albéric Bichot veut tracer trace une ligne claire. Pas de virage opportuniste, mais des choix cohérents. La construction du nouveau chai, extrêmement vertueux, à quelques kilomètres de Beaune, illustre cette ambition discrète mais tangible. Ses 11 000 m² sont conçus pour conjuguer autonomie énergétique (3 000 m² de panneaux photovoltaïques, récupération des eaux, bilan carbone minime, etc.), flexibilité logistique et qualité œnologique. « On pourra vinifier et embouteiller avec une précision inédite, sans dépendre d’aucun prestataire », explique Albéric Bichot. L’outil, performant, vise aussi à soulager la pénibilité du travail des équipes tout en améliorant sa qualité. « Notre richesse, ce sont les gens. Il faut leur donner les moyens de bien faire leur métier. »

Le style Bichot
On pourrait définir ainsi la vision de la maison : de la modernité, mais avec raison. Pas de vin sans alcool au programme, mais une recherche constante de la durabilité de sa mission. Une refonte complète des étiquettes a été menée, avec l’adoption d’un papier en coton recyclé, apposé avec des colles naturelles. De la fin des caisses bois, sauf demande particulière, à l’allègement du poids des bouteilles, la démarche n’est pas engagée pour séduire une niche. « C’est notre devoir, tout simplement », affirme Albéric Bichot. La même logique prévaut dans le message auprès des jeunes générations. Pas de simplification à outrance, mais une volonté d’explication, de pédagogie. « Il faut parler aux nouvelles générations, oui. Mais avec honnêteté. Un vin accessible et sincère peut faire plus pour la Bourgogne qu’un discours trop léché. »

L’autre grand chantier, c’est celui de l’adaptation au changement climatique. « On en voit déjà les effets : des vendanges précoces, des maturités plus rapides, des équilibres à retravailler », observe-t-il. Pour y répondre, la maison explore la piste des sélections massales, élève différemment ses vins et implémente l’agroforesterie tout en suivant avec attention les travaux de recherche sur les cépages résistants menés par l’interprofession bourguignonne. « On ne veut pas changer notre identité, mais on doit rester capables de faire de grands vins dans trente ans. Ce que nous vivons aujourd’hui, ce n’est pas un aléa. C’est une nouvelle norme. On doit se préparer à des saisons plus sèches, plus chaudes, mais aussi plus imprévisibles. » Dans ce contexte, l’agriculture biologique, longtemps vue comme une contrainte, devient un levier d’anticipation. « C’est une viticulture plus résiliente, plus ancrée dans le vivant. »

Depuis plusieurs années, Albéric Bichot s’implique activement dans le projet Tara, initiative scientifique et environnementale consacrée à l’étude et à la protection des océans créée par Jean-Louis Etienne. Mécène engagé, il a passé plus de quinze jours à bord en Antarctique pour accompagner cette mission visant à mettre en avant les liens entre climat, biodiversité marine et pratiques viticoles durables. Cette approche respectueuse trouve même des applications dans la logistique. Ainsi, pour ses exportations vers les États-Unis, la maison Bichot expérimente désormais le transport maritime à la voile, réduisant drastiquement l’empreinte carbone de ses expéditions transatlantiques. « Ce sont des solutions encore marginales, mais symboliques. Elles montrent que d’autres voies sont possibles. » À l’heure où les figures tutélaires se font rares dans le monde du vin, Albéric Bichot incarne une voie discrète, mais bien définie. Celle d’un vigneron-négociant qui, au lieu de courir après son époque, choisit de l’accompagner.

Domaine Evenstad, le terroir pour réalité

Photo Mathieu Garçon

« Evenstad, c’est le rêve de deux Américains en Bourgogne », explique Pablo Bosch, œnologue du domaine créé en 2022. Fondateurs du domaine Serene dans la Willamette Valley en Oregon en 1989, Ken et Grace Evenstad ont acheté le château de la Crée à Santenay en 2015. Décédé en 2019, Ken nourrissait le rêve de devenir propriétaire en côte de Nuits. Pablo Bosch précise ainsi que si « Ken et Grace ont fondé un domaine en Oregon en plantant du pinot noir avec l’envie de produire des vins inspirés de la Bourgogne, tout en tenant compte du climat local, produire des vins en Bourgogne restait leur véritable objectif. »
Le domaine s’est construit à partir de l’acquisition d’une partie du vignoble du domaine Christian Confuron en 2021. « Ce rachat a permis d’implanter solidement la famille Evenstad en côte de Nuits », souligne l’œnologue. Il s’étend désormais sur six hectares répartis en appellation nuits-saint-georges et chambolle-musigny, avec des parcelles emblématiques qui traduisent l’ambition de ce projet. « Nous travaillons sur treize lieux-dits différents, mais nous produisons encore plus de cuvées, certaines parcelles donnant lieu à des vinifications séparées. » À Nuits-Saint-Georges, par exemple, les vieilles vignes plantées en 1929 du climat Longecourt sont isolées, tandis que d’autres parcelles offrent une version plus jeune du même terroir.


En tout, les deux domaines bourguignons de la famille représentent désormais près de 16 hectares cultivés, soit une trentaine d’appellations proposées, dont des chambolle-musigny premier cru, du bonnes-mares et du clos-de-vougeot en grand cru, sans oublier des bourgognes rouges et blancs.
Si les Evenstad sont Américains, leur approche de la Bourgogne n’est en rien une reproduction du modèle californien. « Ce serait une erreur », affirme le responsable des vinifications. « Aux États-Unis, la plus petite cuvée du domaine Serene représente déjà plusieurs milliers de bouteilles. En Bourgogne, certaines cuvées font à peine trois cents bouteilles. On travaille dans des conditions très différentes. » Sans oublier que le pinot noir et le chardonnay s’expriment différemment selon les pays. Le domaine Evenstad est également engagé dans une démarche de conversion à l’agriculture biologique, avec pour objectif d’obtenir une certification dans un avenir proche. Taille douce, rendements faibles (40 à 45 hectolitres par hectare en pinot noir, 45 à 50 en chardonnay), tout est mis en œuvre pour respecter la vigne et ses cycles naturels.

Rien que le terroir
L’esprit bourguignon se retrouve dans la philosophie de travail en cave, avec peu d’interventions pour une lecture fidèle du terroir et surtout une écoute patiente du vin. « On ne veut pas standardiser. Chaque climat, chaque parcelle a sa propre histoire à raconter. Il faut savoir être humble et accompagner le vin, pas le contraindre. Notre rôle, c’est d’être des gardiens et de laisser les terroirs parler, en surveillant attentivement les étapes clés de la vinification. Savoir quand ne pas agir est souvent le plus difficile. »
Côté élevage, la part de bois neuf est limitée (10 à 30 %), loin des usages américains où l’élevage sous bois peut être plus marqué. « Si l’on boisait trop en Bourgogne, ce serait imbuvable. Il faut accepter qu’un vin évolue. Il est parfois fermé, triste, puis en le goûtant de nouveau, il révèle autre chose et s’exprime pleinement. C’est ce qui est fascinant dans notre métier. »
Si certaines cuvées lui tiennent particulièrement à cœur, comme le chambolle-musigny du domaine Evenstad ou le saint-aubin premier cru Les Gravières Vieilles vignes du château de la Crée, l’œnologue aime aussi sublimer des parcelles plus modestes : « Travailler un bonnes-mares, c’est plus simple car tout est là, mais faire parler un climat plus discret, c’est un défi qui m’excite ». Avec un premier millésime en 2022, le domaine Evenstad est une aventure guidée par la patience, la recherche de l’émotion.


D’éventuelles nouvelles acquisitions ne sont pas exclues si une opportunité se présente, comme ce fut le cas récemment avec l’achat de petites parcelles à Meursault et Puligny-Montrachet, avec pour objectif de consolider la présence du domaine dans les appellations. Pablo Bosch souhaite se concentrer sur la qualité et continuer à faire des vins « qui font vibrer les amateurs ». Pouvoir proposer un peu plus de bouteilles de meursault, par exemple, est sa plus grande satisfaction.
Sans surprise, les États-Unis sont aujourd’hui le principal marché de ces vins, mais la famille travaille activement à leur donner une place sur les plus belles tables françaises, notamment à Paris. « Nous croyons que la gastronomie est une vitrine importante. Les clients veulent retrouver leur vin préféré au restaurant, c’est là que l’émotion se crée. »

La viticulture, la mère de toute culture

Photo Virginie de Fraville

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Je reste souvent étonné de la naïveté de nos agronomes devant leur conviction que l’on pourra compenser les effets pervers du réchauffement climatique et des exigences d’une agriculture écologiquement responsable par le recours à toutes les techniques d’hybridation ou même au génie génétique. Dans toute notre histoire, a-t-on gardé le souvenir et la trace, pour la production de vins de qualité, d’une autre variété de vigne que vitis vinifera ? Tous les essais d’hybridation récents faits en France, du Baco au Vidal, ou même à partir de deux vitis vinifera en Suisse, Autriche et Allemagne, n’ont jamais produit de vin mémorable. Le raisin de ces hybrides peut mûrir, mieux résister à certaines maladies (donc avoir moins besoin de traitement) et, avec l’aide d’une œnologie maîtrisée, arriver à donner un vin très buvable. Mais il n’a jamais atteint la finesse et la capacité d’exprimer les nuances d’un lieu de production d’un vitis vinifera pur ou même croisé, dans des conditions encore mystérieuses, comme le cabernet-sauvignon, le petit manseng ou le chardonnay. Quant au pinotage sud-africain, sans doute l’hybride le plus réussi de la planète, ou le mieux adapté aux conditions climatiques de sa production, il ne viendrait à l’esprit de personne de le préférer au pinot noir ou au cinsault à petits grains. Et pourtant on persiste, et pire, on conseille fortement. Il y a certainement une économie ou de l’argent à gagner derrière cet optimisme, mais surtout un déni. On ne veut pas se souvenir que pendant des dizaines de siècles les vitis vinifera ont voyagé et ont fini par s’adapter à leurs nouveaux lieux respectifs et à des changements climatiques considérables.
Nous savons désormais l’influence de certaines éruptions volcaniques ou d’autres causes de refroidissement ou de réchauffement sur la disparition de certains vignobles réputés, et plus encore sur l’histoire humaine, révolutions ou émigrations et colonisations massives. Sur les chartes de dates de vendanges européennes, dont certaines remontent à près de dix siècles, on voit des différences de deux mois ou plus. Or la création de nos appellations contrôlées a figé l’histoire et fait croire que le cépage est constitutif de l’originalité de nos appellations. On peut s’amuser. Que seraient nos vins méditerranéens si les Espagnols avaient interdit la migration de leurs grenaches, mourvèdres ou autres vedettes sudistes ? Et qui sait si ces mêmes grenaches ou mourvèdres ne sont pas nés sur les plateaux d’Anatolie ou de Géorgie avant d’émigrer vers le sud puis de remonter au gré des régimes politiques, comme le grenache en Sardaigne. Plus étonnantes encore, les glissades du savagnin du Jura à l’Espagne en passant par la Champagne et Jurançon. Et qui sait si le Médoc ou la Touraine seraient ce qu’ils sont devenus si leurs cépages n’avaient pas remonté du Piémont pyrénéen où ils sont nés ou re-nés. Quant à notre pinot noir, les moines bourguignons l’ont planté sur les bords du Rhin sans doute avant l’apparition des rieslings. Il est évident que le climat, au sens bourguignon, c’est-à-dire la conjonction entre le sol, la pluie, le vent, le soleil et la lumière, est le socle du goût et de la personnalité de tout vignoble. Cette personnalité, les hommes l’ont rendue plus homogène d’une année sur l’autre, plus régulière en quantité, par un ou plusieurs cépages mieux adaptés, sans jamais exclure de nouvelles expériences, mais parfois en suscitant polémique et injustice, comme pour notre pauvre gamay à petits grains à jamais considéré comme le fils dégénéré du pinot, ou le mépris d’une hiérarchie qui condamne les grands cépages classiques en dehors des lieux où une longue histoire a justifié leur présence.
Le chauvinisme agricole a bon dos. Aucun cépage n’appartient à une région particulière et le meilleur devrait toujours avoir le droit de gagner. Du temps où l’on savait moins de choses mais où l’on observait davantage, les vins n’étaient jamais désignés et encore moins vendus sous un nom de cépage. Le lieu, d’une parcelle et du nom de son propriétaire (ou du surnom que le paysan lui donnait) jusqu’à un village, un fleuve, une île, ou bien un nom générique de type de vigne, comme Malvoisie ou Pineau, suffisait amplement au commerce ou au buveur. Un même cépage a souvent porté des noms différents selon divers lieux, distants parfois de quelques kilomètres. Les Jurassiens qui se sentaient propriétaires exclusifs du trousseau ont appris avec stupéfaction que des milliers d’hectares étaient aussi plantés au Portugal. Quant aux Toscans, ils se perdent dans le dédale des sous-variétés du sangiovese, comme les Piémontais dans ceux de leur nebbiolo. Que dire du mataro et du mourvèdre, du zinfandel et du primitivo, etc. ? Par pitié, messieurs nos grands chercheurs, continuez à chercher et peut-être à trouver la ou les perles rares qui sauveront la viticulture. Mais seulement en cas de catastrophe proche et assurée. Pensez à notre bonheur de continuer à apprécier la diversité qu’une heureuse succession de traditions et de progrès – la tradition étant le progrès d’hier et celui d’aujourd’hui, la tradition de demain –, a maintenue au travers de la planète vitivinicole, sans croire que l’on peut, sans perte de qualité, épargner les efforts et la discipline qui font de l’agriculture, au premier rang de laquelle la viticulture, la mère de toute culture.

Bourgogne, peur sur la vigne

Pommard Les Charmots
Photo Fabrice Leseigneur

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Le vignoble bourguignon est fatigué. Ce constat n’est pas nouveau. En 2016, le regretté Louis-Fabrice Latour, lorsqu’il était président du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), tirait déjà la sonnette d’alarme en pointant du doigt un âge moyen des vignes proche de 50 ans et un taux de dépérissement important. Dix ans plus tard, Laurent Delaunay, son successeur, dirigeant de la maison de négoce Édouard Delaunay, ne peut que tirer les mêmes conclusions : « Entre 1982 et 2010, nous avons assisté à une progression importante de la production en volume, avec une relative régularité d’une année sur l’autre, exception faite de 2003, année de la première canicule. Depuis 2010, on constate une extrême variabilité des récoltes, dont les écarts ne cessent de se creuser. En moyenne, la production se maintient autour de 1,55 million d’hectolitres et ne progresse plus alors que la surface s’accroît de 1 % par an ».

Autrement dit, le vignoble bourguignon produit de moins en moins, le déficit de récolte conduisant à une flambée des prix. Une tendance lourde qui préoccupe la filière et qui peut s’expliquer par la conjonction de trois phénomènes : un matériel végétal inadapté, de mauvaises pratiques agricoles et le changement climatique. « Certains problèmes ne sont pas propres à la Bourgogne », souligne Frédéric Barnier, le directeur technique et winemaker de la maison Louis Jadot, également président de la commission technique et innovation du BIVB. « Nous devons d’abord faire face au court-noué, une maladie présente depuis cinquante ans transmise par des vers nématodes et qui provoque une dégénérescence des plants. La perte de récolte peut aller jusqu’à 40 %. » Le problème est d’autant plus aigu dans le Chablisien, en Côte-d’Or ou en Saône-et-Loire, où l’extrême morcellement du vignoble rend inutile l’arrachage des parcelles attaquées puisqu’une fois replantées, celles-ci sont à nouveau contaminées par les voisines. « On doit également faire face à la flavescence dorée qui provoque la jaunisse du feuillage et la perte de la totalité de la récolte. »

Un porte-greffe inadapté
La troisième plaie de la Bourgogne est le dépérissement lié à un porte-greffe massivement planté dans les années 1990. « Le 161-49 a longtemps été promu par les instances et les pépiniéristes en raison de ses qualités, à savoir sa capacité à limiter la vigueur de la vigne et à produire des vins fins », explique Frédéric Barnier. « On s’est aperçu il y a vingt-cinq ans qu’il ne poussait plus dans certains endroits. Son dépérissement est même très rapide : 20 % de perte l’année n, 80 % l’année n+1 et la totalité l’année n+2. La vigne est ainsi atteinte de thyllose, qui crée des bouchons dans la circulation de la sève et fait mourir les bois. » Le phénomène a surpris Justine Savoye, responsable du vignoble du domaine Chanson. « Ce porte-greffe est planté sur environ 70 % du vignoble. Des vignes de moins de 30 ans sont tellement atteintes qu’elles devraient être arrachées sans attendre. Le plus étonnant, c’est que cela ne se matérialise pas sur tous les sols. Au domaine Chanson, ce sont surtout sur nos terroirs les plus sableux que le problème est le plus aigu. » Les conséquences de ce dépérissement sont économiquement désastreuses.

« Des vignes de moins de 30 ans sont tellement atteintes qu’elles devraient être arrachées sans attendre. Le plus étonnant, c’est que cela ne se matérialise pas sur tous les sols » Justine Savoye, Domaine Chanson

En 2015, la perte de rendement était évaluée, au niveau national, à 4,6 hectolitres par hectare et par an (Source : Mission FAM-CNIV-BIPE 2015), mais Frédéric Barnier estime qu’en Bourgogne, elle est de l’ordre de 20 %. « La quantité de vin manquant chaque année pour que le prix des vins de Bourgogne retrouve un niveau normal », selon un fin connaisseur du marché. Pour l’heure, les raisons de ce phénomène ne sont pas clairement identifiées. Le réchauffement climatique ? La succession de sécheresses ? Un changement de pratique viticole ? Ou un plant tout simplement pas adapté à la Bourgogne ? Chacun y va de son explication, sans en être pour autant pleinement convaincu. « Ce dépérissement est pris en compte au niveau global dans le cadre du plan national Dépérissement de la vigne », tente de rassurer Laurent Delaunay. Chaque région viticole abonde à ce plan, la Bourgogne versant par exemple 100 000 euros par an. « Il n’existe pas de réel traitement », se désole Justine Savoye. « Nous avons testé l’ajout de potasse. Cela contribue à ralentir le dépérissement, mais cela n’inverse pas la tendance. »

Il semblerait que la seule solution efficace soit l’arrachage et la replantation des parcelles concernées. Mais le coût est énorme. « Le BIVB a estimé à 8 euros par plant le coût du remplacement des 161-49 par d’autres porte-greffes. » Soit 72 000 euros par hectare pour une vigne en appellation plantée à 9 000 pieds. « Et il faut garder en tête qu’il y a au moins quatre ans sans récolte après l’arrachage et qu’une pleine récolte n’arrivera qu’au bout de huit à dix ans », poursuit la technicienne. Un sacrifice financier que ne sont pas prêts à faire de nombreux vignerons. « Le modèle économique de la Bourgogne fonctionne si bien qu’il ne pousse pas au changement », constate ce même connaisseur. « Jusqu’au moment où cette belle mécanique se grippera, faute de raisins à récolter. » Laurent Delaunay regrette qu’on ne replante pas assez, « alors que les conditions de production et les éléments climatiques devraient nous obliger à accélérer ». Frédéric Barnier indique que « le rythme de replantation sur le bassin Bourgogne-Beaujolais-Savoie est d’à peine 1 % par an, alors qu’il devrait être d’au moins 2 % ». Mais pour planter quoi ? En 2021, un communiqué du BIVB signalait la sous-utilisation de la diversité des porte-greffes dans la région, seulement cinq d’entre eux (41B, SO4, 3309C, 161-49C, Fercal) couvrant 95 % du vignoble.

Favoriser la diversité
Certains ont pris conscience du fait qu’il fallait désormais chercher de nouvelles solutions. Thibault Liger-Belair, vigneron à Nuits-Saint-Georges, vient par exemple de planter à titre expérimental le 34 EM, un porte-greffe moins vigoureux et résistant à la sécheresse. « Avec le BIVB, nous avons initié le projet GreffBourgogne pour lequel nous testons une dizaine de porte-greffes sur des plateformes expérimentales », détaille Frédéric Barnier. « Jadot a d’ailleurs mis à disposition du projet une parcelle de 1,5 hectare située à Comblanchien sur laquelle nous réalisons des observations sur six porte-greffes. »

Idem chez Chanson où Justine Savoye a également intégré le programme GreffBourgogne. Elle multiplie sur ses nouvelles plantations les porte-greffes comme le 333 EM, le 1103 Paulsen, le 140 Ruggeri et le 110 Richter. « Heureusement que notre actionnaire, le groupe Bollinger, nous soutient. Cela nous permet d’investir et d’expérimenter. » Quant au BIVB, il a fait du sujet son cheval de bataille et sa priorité en consacrant 17 % de son budget à la partie technique et recherche et développement, soit environ trois millions d’euros par an. « Nous avons également lancé des expérimentations avec deux nouveaux porte-greffes, une première depuis longtemps », rappelle Laurent Delaunay.

La Bourgogne est également partenaire, avec la Champagne, le Beaujolais et le Jura, du projet Qanopée, une serre installée à Oger destinée à faire de la prémultiplication de plants dans un milieu « insect-proof » et bioclimatique afin de fournir un matériel végétal sain aux pépiniéristes. « Nous allons gagner 25 % de sécurité supplémentaire avec ces plants », assure Laurent Delaunay, qui prévient toutefois qu’ils coûteront un peu plus cher, de l’ordre de 2,5 euros l’unité. « Lorsque l’on plante de la vigne, c’est pour quatre-vingts ans. Mettre un euro de plus par plant ne devrait pas être un problème. » D’autres initiatives ont vu le jour comme celle portée conjointement par le Gest Bourgogne (groupement d’étude et de suivi des terroirs), actuellement présidé par Thibault Liger-Belair, et la Sicavac (service interprofessionnel de conseil agronomique, de vinification et d’analyses du Centre). « Nous avons établi un cahier des charges avec nos pépiniéristes partenaires pour qu’ils nous fournissent des plants développés selon nos demandes », explique le vigneron de Nuits-Saint-Georges.

« Lorsque l’on plante de la vigne, c’est pour quatre-vingts ans. Mettre un euro de plus par plant ne devrait pas être un problème » Laurent Delaunay, président du BIVB

Les pépinières Guillaume en font partie. « Nous avons dû adapter notre mode de production, par exemple en palissant nos plants et en supprimant l’usage d’herbicides », précise Vincent Delbos, le directeur technique de Guillaume. « Et depuis l’an dernier, nos plants sont traités à l’eau chaude, ce qui permet d’éradiquer les micro-organismes bactériens à l’origine de la flavescence et du bois noir. » Là encore, des spécificités qui renchérissent les coûts à environ 2,5 euros la pièce. Une paille, au final, au regard des gains que peut procurer une vigne saine et productive.

En Magnum 41, leçons de vie, leçons de vin

Deux grands vignerons nous ont quittés, à quelques jours de distance, au cœur de l’été. Deux amis, deux maîtres chacun à leur façon, toutes deux franches et directes. Frédéric Panaïotis, chef de cave de la maison de champagne Ruinart, disparu accidentellement en pratiquant un sport qu’il adorait, la plongée en apnée, et Gérard Perse, l’homme du château Pavie, à Saint-Émilion, vaincu par la maladie après une lutte acharnée. La peine est là, et pour longtemps, mais ces deux hommes du vin nous laissent aussi de nombreuses leçons. Parmi elles, je voudrais en citer deux qui me paraissent essentielles pour tous ceux qui pratiquent ce métier merveilleux.
La première est l’exigence, qualité pratiquée par ces deux grands hommes à la hauteur d’une philosophie de vie. Frédéric Panaïotis a orchestré l’extraordinaire montée en puissance d’une marque respectée, mais longtemps confidentielle, sans jamais transiger avec les valeurs stylistiques, techniques, humaines que la maison a toujours affichées. Gérard Perse, lui, a dompté ses crus avec une volonté de fer et une formidable capacité à faire partager à ses fidèles équipes la quête permanente de la qualité suprême. La seconde est l’accessibilité. Tous les visiteurs du Grand Tasting Paris1 se souviennent de la simplicité avec laquelle Frédéric Panaïotis transmettait sa passion intacte pour son métier et les secrets des cuvées qu’il composait. Et tous ceux qui connaissent Saint-Émilion savent que Gérard Perse y a réinventé en famille l’œnotourisme, tant dans la dimension luxueuse de l’hôtel de Pavie que dans la bonhommie gourmande et débonnaire du bistrot L’Envers du décor, emblématique du village.
Ces deux leçons de vie conviennent parfaitement aux femmes et aux hommes assemblés dans ce nouveau numéro d’En Magnum. On ne fait pas de grandes choses, dans ce métier et ces vignobles, sans la volonté de l’exigence et l’humilité de se rendre accessible à ses amateurs. L’oubli de ces règles simples mais fondamentales explique plus sûrement que tout autre raison le désamour qui surgit parfois entre les consommateurs et le marché du vin.

1. L’évènement fêtera son vingtième anniversaire les 28 et 29 novembre prochains au Carrousel du Louvre, avec un plateau formidable et un vaste programme de master class d’un niveau exceptionnel à découvrir dès à présent sur grandtasting.com


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Le guide Lebey 2026 est disponible

Photo : Fabrice Leseigneur

La parution du dernier guide papier Lebey remonte avant la COVID. Soit une éternité. Une période douloureuse pour les établissements et une remise en question pour de nombreux restaurateurs. Il était temps de renouer le fil qui existe depuis 1987, date de création du guide par Claude Lebey, entre les amateurs de cuisine sérieuse et les professionnels de la restauration. Cette sélection se montre plus réduite qu’à l’habitude, un concentré en fait des bonnes adresses du moment, celles ouvertes depuis seulement quelques mois ou, au contraire, juste incontournables. Heureusement le site lebey.com ou la newsletter Le Jour du Lebey complètent ce choix éditorial, réunissant plus de 2 000 restaurants ou bistrots que nous défendons avec autant de plaisir. Et réjouissons-nous de constater aujourd’hui la dynamique de la restauration, des ouvertures souvent réjouissantes et des bistrots méritant bien chaque année de se voir desservir le prix Lebey Palmer & Co du meilleur bistrot de l’année. Sans oublier le palmarès des meilleures créations qui signe le savoir-faire évident de la nouvelle génération de chefs.

Pierre-Yves Chupin

Le guide papier est disponible sur notre site : https://www.mybettanedesseauve.fr/produit/le-guide-lebey-2026/

Le guide bettane+desseauve 2026, un artisanat de la parole

Photo : Fabrice Leseigneur

Presque chaque fois que nous rencontrons l’un de nos lecteurs, la remarque finit par fuser : « Vraiment, vous faites un beau métier ! ». Comment vous donner tort ? Depuis trente et un ans que nous réalisons ce guide, jamais la moindre lassitude n’est survenue. Rencontrer des vigneronnes et des vignerons tous si différents et pourtant tous passionnés par leur travail et leur terre, déguster des vins si variés et vous aider à aiguiser vos choix d’achat et de dégustation, voici une mission que nous remplissons avec autant d’exigence que de bonheur. C’est une fierté chaque année renouvelée. Ouvrir une bouteille de vin est un voyage rare et précieux qui nous emmène dans une civilisation aussi ancienne qu’éternellement vivace, riche de paysages multiples, des sages croupes médocaines aux vieux ceps accrochés aux abruptes terrasses de schiste de la Côte Vermeille, jouant avec les cépages et les styles en créant un nombre infini de sensations gustatives, racontant à chaque fois une histoire singulière. Difficile de trouver plus symbolique, mais aussi plus essentiel aujourd’hui, que le vin, œuvre humaine de la rencontre entre la terre, le ciel et la plante. En ordonner le processus de création est un artisanat qui nous honore.
Michel Bettane et Thierry Desseauve

Le guide est disponible en librairie, à la Fnac ou sur notre site : https://www.mybettanedesseauve.fr/produit/le-guide-bettanedesseauve-2026/