Accueil Blog

Chablis dans ses œuvres

Domaine Bessin-Tremblay,
La Pièce au Comte 2020,
chablis premier cru Fourchaume
Très vieille famille de Chablis, éclatée en plusieurs branches (et domaines), les Tremblay sont les plus importants propriétaires en Fourchaume. Au cœur de ce climat, la parcelle baptisée Pièce au Comte est idéalement située à mi-coteau, sur des sols peu profonds, orientée sud-ouest. Jean-Claude Bessin a isolé cette cuvée à partir du millésime 2002 et l’a étiquetée La Pièce au Comte en 2005, en référence à une ancienne famille noble propriétaire du lieu. Aujourd’hui ne sont retenus que 70 ares d’une vigne de 50 ans, puisque la très vieille vigne de 80 ans aux rendements faméliques qui la complétait autrefois a été arrachée en 2014. Limitée à 2 500 bouteilles, la cuvée n’est pas produite tous les ans – on ne trouvera pas de 2003, 2004, 2012, 2016, 2017 et 2021. Vinifié intégralement en vieux fûts, ce 2020 déploie un fruité bien mûr, une bouche ample avec un magnifique équilibre. Sa salinité se met déjà en place, étirée par une belle acidité finale. Il évoluera sur vingt ans et plus.
94/100
29 euros

Samuel Billaud,
chablis grand cru Vaudésir 2020
Difficile de mieux connaître les terroirs de Chablis que celui qui les a tous vinifiés durant de longues années, lorsqu’il officiait chez Billaud-Simon. À la suite du rachat de la maison par la famille Faiveley, Samuel a récupéré sa part de vignoble. Ses vignes dans le grand cru Vaudésir – dont l’orthographe est au singulier même si les Chablisiens en parlent au pluriel, comme c’est le cas pour Blanchot – s’étendent sur 22 ares, depuis le fond de la vallée éponyme, avec un secteur dans le prolongement de La Moutonne et un autre, en face, sur l’envers des Vaudésir, qui regarde vers l’ouest. Depuis 2014, Samuel assemble ces deux secteurs dont les vignes sont âgées de 35 à 45 ans. La vinification se déroule dans des fûts de 500 litres âgés de deux à cinq ans. Au bout d’un an, les vins sont soutirés et s’affinent six mois en cuve inox sur lies fines, pour une mise en bouteille au bout de dix-huit mois. Vaudésir est un chablis qui propose un registre à la fois solaire et floral, ce que confirme le nez de ce 2020 par ses nuances grillées fines et gourmandes (fruits secs, fruits jaunes confits, pêche, ananas), ses notes de fleurs jaunes et racinaires nobles (céleri, radis). Ample et généreuse, sa bouche de grand équilibre persiste sur cette sensation salée. Il est parti pour émouvoir vingt ans et plus.
96/100
85 euros

Domaine Billaud-Simon,
Tête d’Or 2021, chablis
Difficile de ne pas inclure dans notre sélection ce Tête d’Or, brillant chablis capable d’évoluer pour ses bons millésimes une quinzaine d’années sans rien perdre de sa fraîcheur et de son éclat. Créée en 1992 par Bernard Billaud et produite chaque année, la cuvée a toujours été issue des seules vignes du domaine, plantées dans le seul village de Chablis, majoritairement sur sa partie rive droite, avec une forte représentation des lieux-dits Les Bas de Chapelot et L’Araignée. Olivier Bailly, l’actuel régisseur, y incorpore parfois le vin issu du climat des Pargues, situé sur la rive gauche. Un assemblage sophistiqué et vinifié pour 20 à 30 % en fût, ce qui permet d’affranchir les pièces neuves, avant d’être mis en bouteille à 15 mois, comme les premiers et grands crus. Ce 2021 offre toujours un supplément de matière et de profondeur par rapport au chablis générique, avec une bouche épurée, ciselée et une finale tendue et citronnée. La vinification sous bois est quasi imperceptible, si ce n’est par la texture et la patine enrobante qu’elle donne au vin. Finale légèrement poivrée, très intéressante.
91/100
29 euros

Jean-Marc Brocard,
Gamme Julien Brocard,
chablis premier cru Côte de Léchet 2021
Difficile de ne pas voir la côte de Léchet quand on quitte Chablis en direction d’Auxerre, tellement ce climat domine le village. À cet endroit, la vallée est large et dégagée, ouverte sur le village. Même si les trois communes ont été regroupées, ce sont surtout les vignerons de Milly et de Poinchy qui y travaillent les vignes, plus que ceux de Chablis. Orientés sud-sud-est, les coteaux permettent aux raisins de bien prendre le soleil. Ils y mûrissent rapidement et sans excès de maturité, en préservant une identité chablisienne, avec un fruité fin et frais et une belle sensation pierreuse en bouche. Depuis longtemps, la famille Brocard propose ce terroir dans sa large gamme. Jean-Marc Brocard avait braqué un projecteur puissant sur ce cru en 2015 en en offrant une parcelle au domaine des Hospices de Beaune. Il s’agissait du premier vin de Chablis vendu lors de la prestigieuse vente aux enchères du même nom. La parcelle dont est issu ce 2021 jouxte celle léguée aux Hospices. Aujourd’hui en charge du domaine, Julien Brocard (le fils de Jean-Marc) la cultive en biodynamie et la commercialise au sein de sa gamme personnelle (Julien Brocard – Les 7 Lieux). Dense et complet en bouche, il évoluera harmonieusement pendant une quinzaine d’années. Sa finesse devrait s’affirmer progressivement, en faisant un premier cru accessible au plus grand nombre.
92/100
36 euros

La Chablisienne,
chablis premier cru Les Lys 2022
Le climat des Lys n’est pas le plus connu des premiers crus de Chablis. C’est pourtant un terroir de premier ordre qui brille surtout par sa grande régularité. Un petit nombre de producteurs l’interprète (William Fèvre, Long-Depaquit, les Defaix de Milly et la Chablisienne qui en exploite 52 ares). Intégré au plus large ensemble des Vaillons, la partie des Lys située au sommet du coteau en diffère cependant par son exposition nord et par sa topologie plane et très lumineuse, ouverte sur la côte de Léchet. Le vin qui en est issu signe un terroir froid, déployant un fruité toujours blanc et frais (quand un vaillons est souvent plus sur le registre des fruits jaunes), plein d’élégance et sans jamais d’opulence. Le cru ne parle jamais le plus fort dans une dégustation, mais il se distingue par sa justesse et son équilibre. Ce 2022 déploie un fruité très pur au nez, très blanc, très frais. En bouche, l’élan et la tension vont venir progressivement sous verre, mais déjà résonne une savoureuse persistance épicée. Attendre trois ans.
90/100
23 euros

Domaine Vincent Dauvissat,
chablis grand cru Les Preuses 2021
Derrière Les Clos, Preuses est le grand cru le plus coté, même si tout est affaire de style et de goût. Son terroir, né dans la vallée des Vaudésir, escalade la pente du coteau, monte sur le plateau, se découpe en deux parties à l’exposition distincte. Comme l’explique Vincent Dauvissat, « l’amphithéâtre des Vaudésir, orienté vers l’est et le sud-est, voit le soleil tôt le matin. C’est un endroit très protégé du vent, une vraie fournaise, il n’y a jamais d’air, mais la vigne s’y plaît. Dans les bas, le palissage est équipé de câbles chauffants pour protéger la vigne des risques de gel au printemps ». Les Dauvissat possèdent 80 ares dans le grand cru. Une vigne plantée en 1970 par René Dauvissat, le père de Vincent sur une parcelle qui était en friche depuis 1947, date de la dernière récolte faite par Robert, le grand-père de Vincent. René a dû labourer et remonter de la terre. Une partie des vignes était un fermage octroyé par Jean-Claude Simmonet (Simonnet-Febvre) qu’il a fallu rendre il y a quelques années. En 2023, 35 ares ont été arrachés car la vigne était trop vieille et court-nouée. Ils ne seront pas replantés avant sept années de repos du sol, au minimum. Le sol souple des Preuses est facile à travailler. « On y mettrait des germes de radis que ça pousserait », confie Vincent. La roche est située plus en profondeur. Elle donne du caractère aux vins et cette forme de « soyeux en bouche » apprécié par les amateurs du grand cru. On retrouve ces qualités dans ce 2021, où la puissance s’étale en largeur quand la tension du vin l’étire en longueur. Au nez, nuances racinaires (radis) et notes de poivre blanc. Chez Dauvissat, il est impératif d’attendre un grand cru au moins vingt ans pour se régaler au moins vingt ans de plus.
98/100
Prix non communiqué

Domaine Vincent Dauvissat,
chablis premier cru Séchet 2021
Raveneau a son butteaux et Dauvissat a son séchet. Le domaine a été le premier à le revendiquer sur ses étiquettes et cette petite mode a depuis gagné d’autres producteurs locaux. Ce cru est situé dans les Vaillons. La vigne de Vincent (40 ares) y est plantée au cœur, dans un endroit relativement érodé, fortement exposé aux vents du nord dominants, sur un sol de 30 cm au plus, posé sur une dalle de calcaire coquillier qui contraint à planter les vignes à la barre à mine. Vincent Dauvissat précise : « On l’a toujours appelé la vigne à Madeleine. C’est ma mère qui l’avait achetée avec l’aide de mes grands-parents. Benoît, mon neveu, en a hérité à la suite de partages familiaux. En 1972, on a replanté une parcelle de 40 ares également, située juste à côté. Je suis arrivé au domaine en 1976 et je n’ai cessé depuis de l’entretenir à la pioche. Elle n’a jamais été replantée et elle est toujours en pleine forme ». À la dégustation, un séchet est toujours plus pur, plus cristallin qu’un vaillons, avec moins d’épaisseur en bouche mais un fruité égal, plus jaune que blanc. Ce 2021 ne tombe pas dans l’excès des arômes trop mûrs et reste dans le registre de l’abricot frais, de la nectarine, la mangue. L’acidité et la fraîcheur permettent une évolution sur quinze ans et plus, avec toujours cette incroyable sensation de légèreté.
93/100
Prix non communiqué

Domaine Gérard Duplessis,
chablis premier cru Montmains 2020
Nom réputé de Chablis, les Duplessis, cousins des Raveneau et des Dauvissat, possèdent eux aussi un parcellaire dans les meilleurs secteurs de l’appellation. Lilian Duplessis, très fier de ses trois hectares dans le premier cru Montmains, les soigne particulièrement. Même s’il dispose de vignes en Montmains, en Butteaux et en Forêt, il en assemble les vins juste avant la mise pour ne produire qu’une seule cuvée, commercialisée en Montmains. Les deux fermentations (alcooliques et malolactiques) se font en cuve. Les vins y restent six mois avant de descendre en fût, pour une mise en bouteille au second printemps. Longuement élevé, ce 2020 développe un nez bien mûr et sans lourdeur (fruits frais jaunes, ananas). Amers salins en bouche, typés « kimméridgiens », c’est une juste expression du Montmains, premier cru solaire sans excès. Il évoluera pendant quinze ans.
94/100
27 euros

Domaine Nathalie et Gilles Fèvre,
chablis premier cru Vaulorent 2021
Jouxtant la colline des grands crus et le climat des Preuses, Vaulorent brille régulièrement chez les deux domaines Fèvre : Nathalie et Gilles d’un côté, William de l’autre. La famille est originaire de Fontenay-près-Chablis. Comme le précise Gilles Fèvre, « Vaulorent est sur le finage de Chablis, c’est donc une légende de dire qu’il n’est pas en grand cru parce que situé sur la commune de Fontenay ». Considéré comme un sous-climat du Fourchaume, Vaulorent en est pourtant séparé par la vallée de Fontenay et il est surtout orienté plein ouest contrairement au Fourchaume, qui regarde vers le sud-ouest. Gilles et Nathalie y exploitent avec soin 2,20 hectares. Les sols de marnes blanches, riches en craie kimméridgienne, fournissent beaucoup de densité et de profondeur au vin. Le poivre blanc est souvent un marqueur au nez, bien présent dans ce 2021 à la bouche tendue, droite et nette, saline et tranchante. Une main de fer dans un gant de velours. Apogée dans quinze ans et plus.
93/100
Prix non communiqué

William Fèvre, Côte de Bouguerots 2021,
chablis grand cru Bougros
Premier producteur dans le grand cru Bougros (avec 6,30 hectares sur un total de 15), William Fèvre isole depuis 1998 et l’arrivée de Didier Séguier à la direction du domaine les vins issus du plateau de ceux de la côte, c’est-à-dire la partie très pentue (45 %) qui descend vers les eaux du Serein et donne les vins avec le plus de caractère. Orthographiée Bouguerots par le cadastre dit « napoléonien », cette parcelle de 2,10 hectares profite d’une exposition plein sud. La proximité de la rivière préserve l’acidité du raisin et apporte des notes épicées et de la structure. Malgré son exposition, ce terroir solaire ne transmet jamais aucune lourdeur dans les vins qu’il produit. Des petits raisins très concentrés fermentent en cuve et donnent des vins entonnés pour un quart d’entre eux juste après la fermentation malolactique pour une durée de six à huit mois. Ils s’affinent au total dix-huit à vingt mois en élevage avant leur mise en bouteille. Comme toujours plus puissant et plus vertical que l’autre bougros du domaine, ce 2021 va s’affirmer en bouteille, déployant sa belle finale sur les agrumes frais (citron). Il est parti pour durer vingt-cinq ans au moins.
95/100
106 euros

Domaine William Fèvre,
chablis premier cru Montée de Tonnerre 2021
La montée de Tonnerre, qui désignait la colline où passait l’ancienne voie romaine entre Auxerre et Tonnerre, est la superstar des premiers crus de Chablis. Si de nombreuses familles de vignerons recommandables (Raveneau, Dauvissat depuis peu, Billaud-Simon, Samuel Billaud, Louis Michel, Duplessis, etc.) y possèdent une vigne, la « montée » de William Fèvre et son directeur Didier Séguier présente régulièrement un petit plus en termes d’expression minérale, de pureté et de tension. La colline est divisée en quatre sous-climats, globalement orientés sud avec quelques variances (Montée de Tonnerre plein sud, tout comme Chapelot mais plus bas dans le coteau, Pied d’Aloup légèrement vers l’est et Côte de Bréchain plutôt vers l’ouest). William Fèvre y exploite 2,24 hectares, répartis sur les secteurs de Pied d’Aloup (60 ares), Chapelot (un hectare) et Côte de Bréchain (60 ares). Régulièrement, deux à trois jours séparent le moment des vendanges entre les deux premiers et le dernier. William Fèvre a pourtant toujours assemblé les trois lors de l’élevage pour ne proposer qu’une seule cuvée. Pour le domaine, un montée-de-tonnerre réussi est une synthèse harmonieuse du fort caractère solaire de Chapelot, de la tension minérale de Pied d’Aloup et de la fraîcheur de Bréchain. Les vignes de 85 ans de cette dernière partie apportent d’ailleurs un supplément de concentration. Après 18 mois d’élevage, ce 2021 offre un nez pur et élancé, élégant malgré les conditions du millésime (qui présentait un peu de botrytis à la vendange). Son élan se prolonge en bouche, avec l’entame saline et la finale tranchante propre à ce terroir et tant aimée de ses amateurs. Une quinzaine d’années de garde sont nécessaires à libérer sa pleine expression et il se conserve bien plus longtemps encore.
93/100
65 euros

Château de Fleys, Vieilles Vignes 2021,
chablis premier cru Mont de Milieu
Ce domaine livre certainement l’une des expressions les plus abouties de ce premier cru de la rive droite de Chablis, moins médiatisé que celui de Montée de Tonnerre et pourtant tout aussi digne d’intérêt. La famille Philippon, deux frères et une sœur, y exploite 5,01 hectares répartis en plusieurs secteurs. Pour son vieilles-vignes, seules deux parcelles de 70 ares sont retenues, l’une plantée en 1935, l’autre en 1936. La cuvée est isolée depuis le millésime 2005. En récolte complète, environ 4 000 bouteilles sont produites, élevées pour 30 % en fût avec peu de bois neuf, pour une mise en bouteille après quinze mois. Ce premier cru capable d’évoluer sur vingt ans lors des bons millésimes révèle les subtilités racinaires et épicées (radis, céleri) propres aux chablis de rive droite, tout en préservant longtemps leur fruité jaune mûr et frais.
93/100
30 euros

Domaine Garnier et Fils,
Grains Dorés 2020, chablis
Il s’agit d’une sélection parcellaire issue de la côte de Charmois, située à Maligny, issue de vignes plantées entre 1988 et 1992, soit 120 ares sur un total de quatre hectares. Sur ce terrain très calcaire, constellé de petits cailloux blancs qui favorisent la réverbération, les deux frères Xavier et Jérôme Garnier ont eu l’idée en 1999 de réaliser une cuvée longuement élevée. Autrefois boisée et bâtonnée, au détriment de la fraîcheur, elle a connu une heureuse inflexion de style en 2011 dans le but de faire ressortir le caractère salin et calcaire du terroir chablisien. Vinifiés pour moitié en cuve inox et pour moitié en fût, les différents lots sont assemblés au bout d’un an puis remis en cuve inox pour un an et demi supplémentaire. Les raisins sont récoltés à juste maturité, ce qui permet à ce 2020 de déployer des parfums de fruits bien mûrs, avec une entame de bouche saline et salivante.
91/100
24 euros

Domaine Grossot,
Cuvée La Part des Anges 2021, chablis
La parcelle en appellation village qui donne cette cuvée se situe juste en face du domaine, au bout du climat Les Fourneaux, en face de la colline de Mont de Milieu, sur un sol très pentu qui donne beaucoup de caractère au vin. Comme Jean-Pierre Grossot vinifiait toutes ses vignes séparément, il a décidé de l’isoler à partir de 1996. Au début, la vinification se faisait sous bois, ce qui donnait de larges épaules au vin et lui permettait de bien vieillir, à l’image du 2005 dégusté à nouveau en 2023. Depuis une quinzaine d’années, la vinification se fait uniquement en cuve inox, pour garder la tension et la minéralité. Les mises en bouteilles interviennent toujours à la fin du second hiver. À l’exception de 2016 (en raison du mildiou), environ 5 000 bouteilles de la cuvée sont produites chaque année. Ce 2021 vinifié par Ève Grossot, la fille de Jean-Pierre, affiche un profil citronné et ciselé sur fond de notes de fruits très pures (poire, ananas, frais). Il vieillira une dizaine d’années.
92/100
21 euros

Le Domaine d’Henri,
Héritage 2020, chablis premier cru Fourchaume
Originaire de Maligny, Henri Laroche, le père de Michel et grand-père de Margaux, avait constitué un parcellaire conséquent en Fourchaume. Le domaine lui rend aujourd’hui hommage avec cette cuvée Héritage issue d’une vigne de 80 ares plantée en 1937. « Une vigne qu’on adore : elle produit des raisins avec une peau épaisse, n’est pas vraiment sensible à la pourriture et produit bien. C’est très caillouteux dans la partie haute, plus argileux dans la partie basse », explique Margaux Laroche. En année normale, 3 000 à 4 000 bouteilles sont produites. Dans ce 2020, l’intensité des vieilles vignes détonne à la dégustation. Moins en fruit que les autres fourchaumes du domaine, plutôt dans un registre aromatique épicé, avec une touche de miel, on apprécie sa densité, son toucher élégant et sa persistance pleine d’énergie. Un vin à attendre cinq ans minimum et qui évoluera ensuite sur quinze ans et plus.
94/100
60 euros

Domaine Laroche,
La Réserve de l’Obédience 2021, chablis grand cru Blanchot
Sans doute l’incarnation du Blanchot et de ses douze hectares. Le domaine Laroche a la chance d’y exploiter 4,30 hectares, répartis en huit parcelles posées sur les sols de marnes blanches qui ont d’ailleurs donné son nom au climat, situées entre le bas et le haut du coteau, dans sa partie plus large et non dans sa pointe qui regarde Chablis, profitant ainsi d’une orientation qui évite la brûlure du soleil en fin de journée. Les plus vieilles vignes ont été plantées dans les années 1950 et 1960 et les plus récentes dans la dernière décennie (2009, 2013, 2016 et 2018). L’idée de cette cuvée est née avec le millésime 1991, à l’initiative de Michel Laroche. Tous les millésimes en ont produit depuis – les volumes variant entre 1 500 et 3 000 bouteilles. Cette sélection pointue, isolée du blanchot « générique » par ailleurs proposé, ne retient que « les vins les plus équilibrés et les plus complets », explique Romain Chevrolat, œnologue du domaine. La cuvée exprime de la gourmandise (fruité blanc, poire William), un toucher poudré qui retranscrit la pureté calcaire du sous-sol et une énergie finale toujours longue et fraîche. La tension et la salinité s’installent avec le temps. Elles se mettront en place, pour ce 2021, d’ici cinq à six ans et avant de s’épanouir durant quinze ans supplémentaires. Ce blanchot est au sommet de la gamme, ce qui est assez rare parmi les domaines de Chablis, qui positionne souvent le grand cru Les Clos tout en haut de leur hiérarchie.
96/100
160 euros

Domaine Long-Depaquit,
La Moutonne 2021, chablis grand cru
La famille Bichot possède avec le domaine Long-Depaquit un joyau sans équivalent en Bourgogne. Sa parcelle phare de La Moutonne n’est pas un lieu-dit mais une marque. Comme l’a considéré l’Inao en 1951, « la Moutonne est un grand cru de Chablis situé dans les lieux-dits de Vaudésir et de Preuses, comprenant des parcelles identifiées au cadastre et d’une superficie de 2,352 hectares ». C’est donc un grand cru générique, étalé à 95 % dans le climat Vaudésir et à 5 % dans celui de Preuses. On observe à peu près cent mètres d’écart d’altitude entre le haut et le bas de la parcelle, particulièrement gélif. C’est d’ailleurs là que furent installés les premiers câbles chauffants à Chablis, en 2003, pour lutter contre les gels de printemps. Comme à chaque millésime, ce 2021 est le plus complet des grands crus du domaine, toujours plus compact et concentré. Il demande cinq à six avant de livrer toute son élégance, mais offre déjà des épices poivrées en finale. Vingt ans de garde assurée.
94/100
Prix non communiqué

Domaine de la Meulière,
Les Gougueys 2020, chablis premier cru
Mont de Milieu
Le nom de cette cuvée permet de comprendre les rivalités ancestrales qui opposent aujourd’hui encore les villages vignerons du Chablisien. Les gougueys, littéralement les mangeurs d’escargots, étaient le sobriquet donné par les anciens de Chablis à ceux de Fleys, avec qui ils partageaient le premier cru Mont de Milieu. Ce premier cru, très homogène par son exposition sud, est l’un des rares à ne pas abriter plusieurs climats. Au domaine de la Meulière, la famille Laroche (sans lien avec Michel Laroche) propose plusieurs cuvées de son premier cru fétiche, dont elle exploite 2,48 hectares. Produit de ses plus vieilles vignes (70 ans), celle-ci est issue d’une parcelle de 1,20 hectare sise sur la partie haute du coteau. Environ 7 000 bouteilles sont produites, lorsque le millésime le permet, suivant un schéma de vinification intégralement en cuve inox, pour une mise en bouteille à la fin du deuxième hiver. Ce 2021 évoluera sur une dizaine d’années, il exprime déjà les nuances racinaires du cru, avec un fruité plus froid qui trahit son origine « rive droite ».
93/100
25 euros

Domaine Louis Michel et Fils,
chablis grand cru Grenouilles 2020
Plus petit des grands crus de Chablis, Grenouilles est exploité par une poignée de producteurs. Le premier d’entre eux (La Chablisienne) y possède plus des trois-quarts de la surface. Louis Michel fit l’acquisition dans les années 1950 d’une parcelle de 50 ares située dans le haut du climat, partie un peu moins gélive que le bas, replantée à peu près à la même époque. « Grenouilles, c’est une vigne que j’aime particulièrement. Elle ne pose jamais de problème », confie Guillaume Michel, son petit-fils, aujourd’hui en charge. « Le sol assez argileux fait des vins entre puissance et finesse, moins dans la dimension monolithique comme on peut l’avoir parfois dans Les Clos. » Ce que confirme ce 2020, à la bouche bien proportionnée, de belle ampleur, avec pour les arômes une alliance élégante de fruit frais et de fleurs. Un grand cru bien équilibré, ni trop solaire ni trop salin, grenouilles dans le style.
94/100
65 euros

Domaine Christian Moreau Père et Fils, Cuvée Guy Moreau,
chablis premier cru Vaillon 2020
Cette cuvée est l’expression la plus dense et la plus intense du terroir de Vaillons, notamment grâce au soin avec lequel Fabien Moreau bichonne sa parcelle de vieilles vignes (92 ares), plantée en 1933 par son grand-père Guy Moreau. Il précise : « On est au cœur du Vaillon, un amphithéâtre entre Séchet et Chatains, le sol y est très calcaire, avec beaucoup de marnes blanches, ce qui donne plus de tonus dans le vin que sur le reste de nos vignes en Vaillons. Et c’est la plus belle vigne du domaine, sans dégénérescence aucune ». Le vin démarre sa fermentation en cuve avant d’être entonné pour 40 % pour huit mois avant assemblage puis remise en cuve pour passer le second hiver. Déjà très bon, ce 2020 évoluera sur deux décennies au moins, avec son nez légèrement grillé, fruits jaunes, blancs et secs, quelques nuances plus épicées aussi, une petite touche noble de céleri, des senteurs d’amande douce à l’aération. En bouche, l’entame pleine de sève et de charme offre un toucher soyeux avant une longue finale concentrée et resserrée.
96/100
33 euros

Domaine Moreau-Naudet,
chablis premier cru Forêts 2021
Pour longtemps encore, l’esprit de ce domaine sera incarné par Stéphane Moreau, disparu dans la fleur de l’âge en 2016. Depuis, son épouse Virginie a repris le flambeau et hisse encore le niveau des vins. Stéphane faisait des chablis à son image, authentiques, avec du goût et parfois quelques petites imperfections stylistiques (choix de la date de vendange, petits écarts en vinification, etc.) pour lesquelles la sympathie du bonhomme obtenait le pardon. Rigoureuse et méthodique en cave, Virginie profite des possibilités techniques supérieures que lui donne sa nouvelle cuverie, notamment dans la gestion des élevages longs qu’affectionne le domaine. En 2021, les senteurs de fruits mûrs (brugnon, ananas frais) précèdent une puissance sans lourdeur grâce à une entame de bouche tout de suite sur le grain calcaire du sous-sol. Ce vin sensuel offre fraîcheur et équilibre, porté par sa complexité aromatique (fruits frais, herbes fraîches) persistante. Il continuera à grandir pendant quinze ans et plus.
92/100
46 euros

Domaine Charly Nicolle,
Ante MCMLXXX, chablis premier cru Les Fourneaux 2020
Situé sur la commune de Fleys, le premier cru des Fourneaux évoque bien la fournaise dans laquelle mûrit le raisin. Charly Nicolle y exploite près de six hectares au sein desquels il sélectionne, depuis 2017, trois parcelles de vieilles vignes pour produire en moyenne 8 000 bouteilles lorsque le millésime est jugé digne (pas de 2021). Par vieilles vignes, il entend des vignes plus vieilles que lui, donc plantées avant 1980, d’où le nom de la cuvée et le jeu de mots en chiffres romains. On distingue deux secteurs dans cette côte des Fournaux, l’un vraiment argileux au centre, l’autre plus caillouteux vers l’est. La vinification comprend une partie en fût (environ 12 %) avec des bois d’âges différents, entre fûts neufs et fûts de plusieurs vins. Le vin des Fourneaux se reconnaît à sa texture caressante en bouche et à ses senteurs de pâte de fruits rouges et de réglisse, savoureuses et fraîches, comme dans ce 2020 qui évoluera bien pendant plus d’une dizaine d’années.
92/100
20 euros

Domaine Gilbert Picq,
Dessus la Carrière 2021, chablis
L’essence du chablis ne réside pas seulement dans ses crus reconnus, premiers ou grands, et s’exprime parfois dans des climats plus modestes, de niveau village, où la matrice calcaire du sous-sol s’exprime avec évidence une fois le vin en bouche. Ces crus donnent des vins purs, effilés et aptes à un bon vieillissement en bouteille. C’est le cas avec cette cuvée au nom évocateur, proposée par ce discret domaine situé à Chichée, référence pour de nombreux vignerons de Chablis. Les deux frères qui le dirigent, Didier et Pascal Picq, ont toujours pratiqué une viticulture rigoureuse suivie de vinifications intégralement en cuve inox. « Il y avait autrefois une carrière sous la parcelle. Nous sommes sur le plateau de Champs Boisons, le plus pierreux de la commune de Chichée. La parcelle a été plantée entre 1970 et 1973, avec des vignes issues de sélection massale, directement sur la roche-mère », précise Didier Picq. Cette sélection de deux hectares, isolée depuis 2002, est généralement la dernière à être mise en bouteille, au bout de vingt mois d’élevage. Les belles années, elle peut produire jusqu’à 55 hectolitres à l’hectare. Ce 2021, grâce à une belle maturité de fruit, propose une bouche ciselée et pure et une finale tout en droiture qui révèle le goût de la craie en bouche. On le garde dix ans.
92/100
25 euros

Domaine Pinson,
Cuvée Mademoiselle 2020, chablis
Vieille famille de Chablis, les Pinson sont d’importants exploitants du premier cru Mont de Milieu et du grand cru Les Clos. Nous avons pourtant choisi de retenir ce mademoiselle 2020, cuvée lancée à l’initiative de Charlène, la fille de Laurent. Un chablis village macéré 24 heures dans le pressoir puis vinifié dans de vieux fûts de 228 litres avant un élevage en cuve inox pour une mise en bouteille à la fin du printemps. Une technique originale, mais aussi une approche forte du terroir puisque les raisins viennent d’une même parcelle de 30 ares, sur un terroir d’altitude froid et très venteux, au sol caillouteux, situé dans la vallée de Vauvilien, entre Montée de Tonnerre et Mont de Milieu. L’idée de faire macérer des raisins est venue à Charlène lors d’un stage chez Yves Cuilleron. Pour ses premières vendanges au domaine familial en 2008, elle a convaincu son père Laurent de faire défoncer cinq fûts par un tonnelier et de les remplir. La méthode s’est affinée depuis. Ce 2020 offre une belle expression du terroir de Chablis avec un nez sur la coquille d’huîtres, un toucher élégant et soyeux, un équilibre final sur la gourmandise. La vinification en fût apporte de la structure sans arômes de bois.
92/100
25 euros

Domaine Isabelle et Denis Pommier,
Hautérivien 2022, petit-chablis
Isabelle et Denis produisent depuis 1990 un petit chablis exceptionnel, issu d’un terroir très particulier, le Hauterivien (ou Hautérivien). La carte des terroirs de Chablis peut se lire ainsi : à l’échelle des temps géologiques, le Portlandien (145 à 152 millions d’années) succède au Kimméridgien (152 à 157 millions d’années) au Jurassique inférieur, quand le Hauterivien (129 à 132 millions d’années) se situe au Crétacé inférieur. L’essentiel de l’appellation petit-chablis est produit sur des plateaux de cailloutis du Portlandien qui confèrent aux vin une acidité toujours plus pointue que celle provenant des sols du Kimméridgien avec leurs calcaires coquilliers qui donnent plus d’assise et d’épaisseur en bouche aux appellations chablis, premiers et grands crus. Les Pommier exploitent six hectares de vignes dans les rares secteurs de Hauterivien, situés dans les communes de Villy, Maligny et Beines. Leurs argiles jaune orangé donnent de la souplesse aux vins. Le nez de ce 2022 propose de savoureux parfums de fruits mûrs (pêche jaune, ananas, mirabelle), relayés par des nuances plus racinaires en bouche et une finale serrée et tendue, moins large qu’un chablis en finale. Il évoluera bien pendant une dizaine d’années.
91/100
14 euros

Domaine Raveneau,
chablis premier cru Butteaux 2021
Difficile de dissocier le domaine de ce climat tant des générations d’amateurs ont recherché les butteaux de Raveneau sur les cartes des vins de la belle restauration française. François Raveneau (le grand-père de Maxime et d’Isabelle, aujourd’hui en charge du domaine) a certainement été le premier à isoler sa vigne de la parcelle des Butteaux au sein du climat Montmains, ce qui a créé depuis une petite mode au sein du village. Si l’essentiel (1,5 hectare au total) a été planté dans les années 1980, 35 ares de très vieilles vignes plantées en 1953 forment un ensemble encadré d’un côté par le climat Forêts et de l’autre par un petit bosquet situé au sommet du coteau. Presque plane, la partie haute est bien aérée et la vigne y est d’ailleurs plantée dans le sens opposé au reste de la parcelle. Le sol du Butteaux est assez gras, composé d’argiles très blanches qui confèrent beaucoup d’épaisseur et de moelleux au vin lorsqu’il atteint son apogée. Le millésime 2021 propose aussi ce supplément de finesse et de densité, qualités toujours supérieures à celles proposées par les vins issus de Montmains. Le butteaux du domaine se mérite : compter au moins quinze ans en cave avant qu’il n’exprime son plein potentiel. Lors des grands millésimes, sa longévité peut largement dépasser les trente années de garde.
95/100
Prix non communiqué

Photos : Charlotte Enfer

Climat, le monde de demain


Retrouver cet article en intégralité dans En Magnum #35. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Jamais le vignoble de France n’avait donné d’aussi bons vins. Jamais autant de bons millésimes ne s’étaient enchaînés. « à force, le public finira par ne plus nous croire », s’amuse presque Vincent Priou, directeur des châteaux Beauregard et Petit-Village, en appellation pomerol. « 2015, 2016, 2018, 2019, 2020, 2022 et 2023 sont de très grands millésimes grâce à de très belles arrière-saisons. On est plutôt content, c’est mûr, sans une trace de botrytis. » En Alsace, Jean-Frédéric Hugel jubile aussi : « Ces changements sont une bénédiction. Les grands millésimes alsaciens de l’œnothèque ont systématiquement été les plus chauds et les plus secs. Pendant longtemps, la maturité maximum était le critère qualitatif. Nous priions pour avoir des sucres. Certains vins de l’époque seraient considérés imbuvables aujourd’hui. En cinquante ans, la date de vendange a été avancée d’un mois et les poids de moût ont grimpé de deux ou trois degrés. » Frédéric Drouhin, directeur de la maison Joseph Drouhin qui couvre 100 hectares de Chablis à Saint-Véran, dans 60 appellations, 14 grands crus, 25 premiers crus et bon nombre de villages confirme qu’en Bourgogne « les rouges ont plus de couleur, plus de chair ». Il rappelle aussi qu’il y a dix ou quinze ans, on disait d’un vin “il faut l’attendre avant qu’il soit aimable” : « Aujourd’hui, on peut se faire plaisir avec un grand cru, même jeune. Il sera certes sur le fruit, sans le bouquet donné par l’âge, mais plus homogène, offrant ce côté charmeur et gourmand. » à Bordeaux, en Bourgogne, dans la Loire, dans la moitié nord du pays, les vignerons français font moins de vin, mais la qualité est excellente. Même à Châteauneuf-du-Pape, plus au sud et touché de plein fouet par le réchauffement climatique, le fait est là. « En vingt ans, de cinq bons millésimes par décade, on est passé à huit », relève ainsi Pierre Fabre, au château Montredon, la plus grande propriété de l’appellation. « C’est grâce à l’état sanitaire. Quelle que soit la composition des raisins, quand il n’y pas de pourriture, c’est toujours meilleur. Pour les vendanges 2023, on a eu cinq semaines de beau temps. Forcément, ça donne de bons vins. » Aux châteaux Montus et Bouscassé, à Madiran, le constat est le même. « On a la maturité tous les ans. Il y a vingt ans, on faisait des vins concentrés avec des raisins pas mûrs, il fallait les attendre trente ans. Il n’y a plus ce problème aujourd’hui », souligne Antoine Veiry, qui dirige les deux domaines.

Un compte à rebours
Le dérèglement climatique n’a pas que du bon. Cela fait un moment qu’on le sait. Le premier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) remonte à 1990. Dans son sixième rapport sorti en mars 2023, l’organisme stipule que la température de la surface du globe s’est élevée d’1,1°C par rapport à la période pré-industrielle et estime que le réchauffement de la planète atteindra 1,5°C dès le début des années 2030.
Des congrès, des initiatives, des groupements, des études n’ont cessé de voir le jour, dans le vignoble comme ailleurs. Rien de tel, cependant, que la vision d’un vinificateur de terrain. Cela fait plus de trente ans que Xavier Vignon chevauche les deux hémisphères. Ce consultant international a pris conscience du bouleversement en 1996, de retour d’Australie : « Beaucoup de pays avaient déjà ces problématiques et tentaient d’y remédier tant bien que mal ». Puis il précise : « Ce qui nous attend n’est pas joli ». À la même époque, il s’installe dans le sud de la vallée du Rhône pour y être vigneron, négociant et consultant. Il suit 500 domaines autour d’Orange et d’Avignon et tient un laboratoire qui fait 80 000 analyses par an dans tout le sud de la vallée. De quoi se faire une idée concrète des évolutions. « J’avais un historique sur certaines caves et j’ai observé les statistiques. En 1998, on sort clairement du monde ancien en termes de maturité, de dates de vendanges, d’équilibre sucre et acidité. Je regarde en Champagne, puis en Bourgogne et je me rends compte que le monde entier est touché de plein fouet. Partout, c’est pareil. Je pensais que 1998 était un aberrant (une donnée hors norme, NDLR). Mais non, ont suivi les millésimes 1999, 2000, 2003, 2007, 2009, 2011, 2012, 2015, 2016, 2017, 2019, 2020, 2022 et 2023 ! »

Les vignerons sont face à un dérèglement climatique plus qu’à un réchauffement. Ici, des inondations à Bordeaux.

La monde a changé
Quand Xavier Vignon a commencé à travailler, il y a plus de trente ans, la Champagne était en limite nord. Cette limite s’est totalement décalée : « Au sud de la Suède à Malmö ou au nord de l’Allemagne, les vins élaborés sont déjà magnifiques. L’Ontario peut être fier de ses excellents chardonnays et pinots noirs ». C’est là où son équilibre naturel existe que la vigne devrait être plantée, estime-t-il encore. En altitude, sur les pentes nord plutôt que les parcelles orientées sud recherchées jusqu’ici, partout où elle trouve encore de la viabilité « naturelle », de l’eau et un minimum de fraîcheur pour survivre. « Dans vingt ans, le vignoble de la vallée du Rhône sera dans la même situation que le Roussillon aujourd’hui. La mouvance vers le nord est désormais visible. Elle est irrémédiable, rien ne pourra l’inverser. Un degré de réchauffement, ce qui est déjà largement acquis, équivaut à un décalage de 200 kilomètres plus au nord. » Pendant ce temps, le sud de l’Espagne devient semi-désertique. C’est en train de s’amplifier. On a du mal à imaginer que la France soit touchée, un jour, dans son ensemble. « On a encore le Rhône qui alimente en eau, certes on voit encore des inondations, mais la disparition des glaciers et la fonte des neiges nous touchent ici aussi. »

2003, le choc climatique
Tout le monde se souvient de cette année exceptionnellement chaude qui a fait couler de l’encre. « Vues les conditions, on a pensé au départ qu’il allait être le millésime du siècle », se souvient Jean-Frédéric Hugel. « à notre grande surprise, les vins étaient complètement déséquilibrés. Nous avons eu des problèmes de chaleur et de sécheresse jamais rencontrés auparavant, 40°C, c’était fou ! Le manque d’acidité, voire son absence, était terrible. Les dérogations pour acidifier sont tombées très tard. En Alsace, acidifier était inconcevable, c’était un truc des gens du Sud, nous n’avions pas d’expérience. Acidifier un fût ? On ne savait même pas comment faire ! » Puis, il y a eu une série de millésimes fabuleux. Seul 2006 a été difficile. « Avant, dans une décennie, nous avions deux grands millésimes et deux mauvais car ils étaient trop tardifs, les raisins ne mûrissaient tout simplement pas. Cette situation n’arrive plus jamais. » Les profils des vins changent, ils sont plus chaleureux, leurs acidités sont plus tendres, leurs niveaux d’alcool sont plus élevés. « Les rieslings étaient à 9,5 % d’alcool avec un degré de chaptalisation. Nous atteignions alors un 10,5 % sur l’étiquette. Aujourd’hui, les vins affichent des 14,5 % pour un cépage tardif. » Ces changements sont-ils heureux ? « Certes, un millésime 1939 n’arrivera plus jamais. Il ne serait même pas marchand aujourd’hui tant il était catastrophique. Les vins sont plus amples, plus gras, avec de la fraîcheur – on reste une région “nordique” – mais ils n’ont plus les équilibres qu’ils avaient à l’époque. Reverra-t-on un jour des 1961 ou des 1964 ? Sans doute pas », regrette le viticulteur et négociant de Riquewihr. Et avec leur disparition, celle du cycle végétatif très long aux vendanges qui s’étalent, offrant des vins complexes sur la durée.

La Bourgogne et ses climats, le plus grand terroir diversifié du monde, que l’on croyait intouchable, voit aussi le ciel s’assombrir.

La prise de conscience
Face au changement climatique, chacun son déclic. à Bordeaux, ce fut le gel de 2017, vingt-six ans après le mémorable 1991. Un vrai marqueur, extrêmement violent selon Ludovic Decoster, propriétaire du château Fleur Cardinal depuis 2001 : « Nous avons récolté 60 ares de raisin sur les 28 hectares. Soit mille magnums et deux cents bouteilles. Le reste, on l’a vendu en vrac. Depuis, on a l’impression d’être sans cesse balloté ». Car le gel s’invite tous les ans, année après année, et vient s’ajouter aux autres phénomènes (sécheresse, grêle, très fortes pluies) de plus en plus fréquents. La Loire aussi est mordue par ces gels répétitifs inquiétants. « Cela fait dix ans que l’on parle du réchauffement climatique dans les instances officielles », reconnaît Jean-Martin Dutour de la maison Baudry-Dutour, qui préside le syndicat des vins de Chinon. Avant cela, ce n’était pas un sujet. Qu’il fasse un peu plus chaud était plutôt une bonne affaire. « Or s’il fait chaud en hiver, voilà du réchauffement, du vrai réchauffement. Nous sommes face à trois défis : la date de débourrement, la période de maturation avec la date des vendanges, qui en est le point d’orgue, et le régime de précipitations pendant la période de croissance. Autant les deux derniers sont importants, autant le premier est vital », explique ce propriétaire de six domaines couvrant 200 hectares, dont le château de La Grille, acheté en 2009, et le domaine Nau, un superbe terroir de cabernet franc acquis en 2021. « S’il pleut ou pas, les vins sont différents. Si mes vignes gèlent, je meurs. Pour jouer aux deux autres défis, il faut survivre au premier. »