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La Bourgogne, l’impasse et l’issue

Photo Fabrice Leseigneur

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Les amoureux du vin de Bourgogne ne le savent que trop, jamais depuis trois siècles la Bourgogne viticole n’a été aussi adulée, aussi prospère et aussi anxieuse d’un succès qui lui fait plus peur qu’il ne la réjouit. Le cours des vins des meilleurs terroirs s’envole, souvent vingt à trente fois plus cher que celui des beaux terroirs voisins, mais méconnus des riches marchands et spéculateurs. Les caprices aveugles et violents du climat, joints à une plus grande rigueur dans la culture de la vigne ont entraîné une baisse des rendements, revenus au niveau des siècles derniers, ce qui n’arrange pas les choses. Les allocations au commerce sont de plus en plus maigres, tandis que la valeur foncière du vignoble atteint des sommets stratosphériques qui font obstacle à la transmission des patrimoines familiaux. Il faut désormais cent récoltes ou plus pour rembourser l’achat d’une vigne de beau terroir, chose monstrueuse pour un produit agricole, et qui voue cette agriculture de luxe à servir de patrimoine supplémentaire aux plus grandes fortunes. Et, bien entendu, à remplir les caisses de l’état à chaque transmission en raison d’une fiscalité confiscatoire unique dans l’Europe vinicole. Comment en est-on arrivé là ? Comment les efforts magnifiques de deux générations de producteurs et les vins produits, tout aussi remarquables, ont-ils abouti à une impasse que nous souhaitons tous réversible ? Je vais essayer d’en tracer la grande et petite histoire, ayant eu la chance d’en être le témoin de première main depuis plus de quarante ans.

L’affadissement

Il y a cinquante ans, la Bourgogne imagine s’extirper de ses difficultés chroniques en transformant ses pratiques viticoles. Le résultat est dramatique : elle y perd son âme et banalise ses vins.

Revenons aux fondamentaux, à commencer par la viticulture de la fin des années 1970. La décennie avait été très difficile avec au moins une récolte entièrement ravagée par la pourriture grise (1975) et de nombreux millésimes dilués par la pluie ou issus de vendanges sans bonne maturité. Quand je faisais mes premiers parcours complets dans les vignes bourguignonnes, je voyais partout des sols désherbés chimiquement et, pour lutter contre les caprices de la météo (déjà, mais très différents d’aujourd’hui), largement nourris par des engrais potassés qui ne contribuaient pas particulièrement à garantir un bon état sanitaire du raisin. Les baies gonflées par les premières pluies éclataient et la pourriture pouvait se développer en quelques jours. Jacques d’Angerville m’avait donné quelques explications à ces mauvaises pratiques en m’avouant que lui aussi, pourtant un des meilleurs viticulteurs de sa génération, abusait de ces mêmes engrais. Il faisait faire par les laboratoires des analyses de sol qui montraient un taux de potasse bien plus élevé qu’il ne le fallait, mais les mêmes laboratoires conseillaient de continuer à en ajouter. Il est vrai qu’un viticulteur influent de l’époque, Lucien Audidier, propriétaire de beaux crus à Nuits-Saint-Georges, avait fait une longue carrière à la tête des potasses d’Alsace, et qu’une forme de patriotisme pro-potasse et pro-alsacien faisait perdre à la viticulture tout recul critique, d’autant plus qu’on lui demandait de produire davantage à chaque nouveau millésime. Les déséquilibres du raisin nés de ces abus, trop de jus dans les baies et acidité instable et insuffisante, semblaient faciles à corriger par la chaptalisation, la saignée des cuves et l’acidification, pratiquement partout conseillées et pratiquées. Même un vinificateur méticuleux comme Charles Rousseau à Gevrey avait adhéré à ces pratiques quand ses vins de 1977 et, en partie, de 1978 et 1979 avaient tourné, devenus vinaigre et troubles. Il faudra presque vingt ans pour qu’une prise de conscience des défauts analytiques de raisins issus de vignes trop nourries d’engrais conduise à plus de discipline. Hélas, les excès de potasse mettent longtemps à disparaître et, inversement, des sols insuffisamment rééquilibrés en matière organique affaiblissent la vigueur des vignes et, souvent, le potentiel aromatique du raisin. On ne percevait pas encore comme il aurait fallu les méfaits de l’abus du glyphosate et des produits systémiques, d’autant que l’un d’entre eux, permettant de protéger dès 1980 les vignes contre le botrytis, donnait des résultats spectaculaires, sauvant chez le même Charles Rousseau la vendange 1980, remarquable. Jeune journaliste et encore bien naïf, j’étais plus obsédé par la chaptalisation que par ces questions plus générales d’agronomie, mais j’ai eu la chance extraordinaire de rencontrer quelques personnalités qui m’ont permis de mieux comprendre les enjeux d’une évolution obligatoire des habitudes locales. Jacky et Bernadette Confuron, couple exemplaire et travailleur de Vosne-Romanée, montrait ce que pouvait donner le travail du sol et, plus encore, les gestes indispensables dans la conduite de la vigne comme une taille qui la maintenait dans son espace individuel et une pratique de l’évasivage que 80 % de leurs voisins avaient abandonné. Cela consiste à éclaircir les doubles bourres et à mieux aérer les grappes pour garantir un meilleur état sanitaire et une maturité plus complète du raisin. Le pépiniériste Guillaume à Charcenne, de son côté, m’éclairait sur l’importance capital du choix du matériel végétal. Le grand débat qui courait alors dans les deux côtes, mais particulièrement en côte de Nuits, concernait le pinot droit, comparé au pinot fin, dit tordu. Un vigneron astucieux de Flagey-échezeaux, Louis Gouroux, pépiniériste local, avait sélectionné un pinot qui poussait droit, ce qui économisait de façon sensible les gestes des viticulteurs, dans le palissage comme à la vendange. Lui-même viticulteur précis en avait limité la vigueur par un évasivage systématique et produisait des vins de grande finesse. Mais d’autres, plus paresseux, laissaient surproduire la vigne et affadissaient l’expression de leurs vins. Les deux camps entretenaient des ragots et dénonciations réciproques. Les uns fustigeaient le recours à ce pinot droit, les partisans de ce dernier dénonçaient les mauvaises sélections de leurs collègues avec des vignes qui crachaient encore plus de volume de vendange.
Ce débat cachait en fait une dérive bien plus grave. Guillaume m’avait alerté à ce propos avec une grande honnêteté morale et intellectuelle. Un terrible virus, appelé court-noué, transmis à la vigne depuis les profondeurs du sol par des micro-insectes appelés nématodes, menaçait d’anéantir la productivité des vignes. Il fallait donc régénérer les vignes infectées. Mais comme on ne pouvait détruire les vecteurs du virus, il aurait été vain de continuer à replanter un matériel lui-même plus ou moins infecté dans les pépinières locales ou dans les sélections des derniers viticulteurs capables de les faire. La science agronomique bourguignonne de l’époque, sous l’autorité du très influent et respecté professeur Raymond Bernard, avait eu recours à une révolution dans la sélection par le clonage. Il était possible de débarrasser le matériel végétal du virus par des procédés physiques et de le reproduire sain à l’identique. Conscient de la simplification que ce procédé révolutionnaire pouvait apporter à la population de cépages née du greffage postphylloxérique, particulièrement pour le plus touché d’entre eux, le chardonnay, Raymond Bernard avait fait sélectionner et planter sur les hauteurs du mont Battois, au-dessus de Beaune, une grande variété d’individus nés de cette population, pour en étudier le comportement. Mais dans l’urgence, seuls quelques rares individus avaient été jugés dignes d’être clonés et replantés. On avait pratiqué cette sélection sur des critères de microvinification et de dégustation très peu clairs et complètement subjectifs. Guillaume avait senti les dangers d’une simplification outrancière et surtout celui d’une réaction en chaîne des maladies possibles qui, sur des clones, toucheraient l’ensemble des plantations. D’autres vignerons, à la vue des premiers raisins plantés, en particulier le fameux clone de pinot noir 115 plébiscité par les meilleurs viticulteurs de l’époque, les Seysse, les Montille, et même Aubert de Villaine, se montraient dubitatifs. Sur des chardonnays, quelques viticulteurs pointus comme Jean-François Coche Dury ou René Lafon étaient encore plus rebelles à se soumettre à cette simplification. Guillaume vendait les clones, mais m’encourageait à me battre contre cette nouvelle mode. Avec un argument massue : une population aura certes des défauts, et des individus malades, mais une microdiversité de caractère, de maturité qui seule pourrait exprimer toute la noblesse et la complexité d’un bon terroir. Un univers de clones identiques pourrait dégénérer à l’identique, tout comme affadir la saveur finale du vin. Je suis assez fier d’avoir écrit dès 1983 un article dénonçant les dangers du clonage, naturellement vigoureusement combattu par de bien plus savants que moi. Mais encore plus fier d’avoir convaincu Olivier Leflaive et quelques autres viticulteurs familiaux de qualité d’organiser pour la petite association qu’ils venaient de créer un débat public sur la question. Il eut lieu à Bouilland au milieu des années 1980 et j’avais invité pour l’occasion Jean Delmas, directeur de Haut-Brion et mon ami Denis Dubourdieu, agronome émérite (on oublie sa formation à Montpellier) autant qu’œnologue rigoureux. Jean Delmas avait conduit une passionnante étude du matériel végétal de Haut-Brion montrant les avantages d’une population massale sélectionnée avec précision. C’est en analysant tous les individus de la propriété qu’il avait repéré des merlots étranges, à la peau délivrant de forts arômes fumés, qui auraient été interdits de plantation après dégustation en microvinification en raison de l’étrangeté même de leur saveur. Mais en très petite quantité, c’étaient bien eux qui donnaient à ce cru prestigieux tout son cachet. Je pensais qu’il pourrait apporter le fruit de son expérience à ses collègues bourguignons. Denis Dubourdieu de son côté avait regardé, sidéré, les protocoles des microvinifications, si délicates d’ailleurs à réussir, qui ne s’intéressaient qu’au sucre, à l’acidité ou à la grosseur ou au poids des baies sans s’interroger sur la qualité des peaux du raisin et donc des tannins des vins, élément capital pour un vin rouge dont nul n’avait alors conscience en Bourgogne. Ce fut un beau moment où éclata alors le chauvinisme et l’inculture de toute une génération de professionnels locaux. De la même façon, et encore sous la suggestion de Guillaume, j’étais intervenu en défendant l’idée de sélectionner dans chaque village les meilleurs individus et de créer, par des associations de vignerons, des vignes témoins pour conserver les petites mutations locales des cépages qui contribuaient à l’individualité des caractères des appellations. Il a fallu plus de vingt ans pour que ces idées se traduisent par une prise de conscience généralisée de tous ces enjeux.

Renaissance

Portée par quelques vignerons idéalistes ou plus simplement conscients de leurs responsabilités envers un terroir aussi prestigieux, l’idée d’un sol vivant finit par s’imposer dans les années quatre-vingt-dix.

Dans les années 1990, un petit groupe de viticulteurs progressistes a créé l’association G.E.S.T. (groupement d’étude et de suivi des terroirs) pour étudier enfin les sols bourguignons et la meilleure façon d’en respecter l’originalité et d’assurer leur pérennité. Malgré des querelles scientifiques amusantes tout autant que stimulantes entre des agronomes aussi différents que Claude Bourguignon et ses contradicteurs, ils ont fait considérablement avancer l’idée de sol vivant et les différents moyens adaptés aux ressources de chaque viticulteur pour entretenir cette vie. De la même façon, et en lien direct avec sa défense du patrimoine des « climats », Aubert de Villaine, qui a su complètement changer d’orientation, a fondé avec quelques collègues un conservatoire du pinot fin qui va certainement contribuer à préserver une continuité de saveur et d’expression bienvenue. En même temps, la sélection dite clonale avait quand même progressé, en offrant au viticulteur une collection plus complète d’individus, et pas forcément les plus productifs ou ceux dotés d’un goût plus marqué et plus facilement identifiable. Le travail de clonage lui-même et de traitement du matériel pour le rendre sain était devenu moins violent sur le plan thermique et respectait davantage dans le clone les qualités de l’individu de départ. De toute façon, l’expérience permettait de se rendre compte de l’impossibilité d’assurer la pleine santé des vignes dans un sol contaminé où persistent en profondeur, indélogeables sans recours à un arsenal chimique dangereux, et d’ailleurs interdit, les affreux nématodes porteurs du virus. Au même moment, une plus grande évolution se mettait en place et c’est sans doute elle qui prendra en charge toutes les inquiétudes actuelles concernant l’évolution générale du climat. Le concept de viticulture biologique et sa dimension plus étroite ou plus large, selon les convictions de chacun, de viticulture biodynamique, est devenu le moteur principal de la transformation du vignoble. J’ai eu la chance de bien connaître un des inspirateurs les plus influents de la biodynamie en viticulture dès le milieu des années 1980. François Bouchet était un viticulteur de Saumur qui, avec une modestie et une précision dignes de l’école de la Troisième République, essayait de faire appliquer les principes nés des écrits de Rudolf Steiner, que quelques avant-gardistes comme Jean Claude Rateau (dès 1979) ou Didier Montchovet (en 1984) avaient repris de plus anciens pionniers encore, champenois ou rhodaniens. La conversion la plus spectaculaire à la biodynamie fut celle de Lalou Bize Leroy, négociante perfectionniste, devenue vigneronne par l’achat en 1988 du domaine Charles Noëllat, et assumant jusqu’en 1991 la co-administration du domaine de la Romanée-Conti. Dans les années 1982 et 1983, elle m’avait éduqué avec son talent extraordinaire de dégustatrice à toutes les subtilités des grands terroirs bourguignons et ses dégustations d’Auvenay resteront autant d’instants magiques dans la mémoire de tous ceux qui y ont participé. Amoureuse de ses vignes et approfondissant sa vision de la viticulture par la lecture en allemand, dans leur langue d’origine, des écrits de Steiner, complice aussi de ce qui se passait dans la Loire chez Nicolas Joly, Noël Pinguet et bien d’autres, elle convertit rapidement ses vignes prestigieuses à une biodynamie très personnelle, stricte dans l’observance des principes de l’anthroposophe autrichien, mais très originale dans l’utilisation des plantes et dans la conduite de la vigne, avec des résultats spectaculaires sur le plan de la qualité des vins. Leur rareté, leur prix en font rapidement des légendes. Cela entretient une rivalité au fond très positive avec d’autres viticulteurs, prestigieux ou non, parfois de sa propre famille comme son neveu Henry-Frédéric Roch. On ne compte plus aujourd’hui le nombre et la surface des conversions à des pratiques de maintien de la nature et de la vie des sols ou de renforcement de l’immunité naturelle des vignes et de leur résilience. Avec des degrés différents d’interprétation des mêmes principes, respect des phases naturelles de la lune et même des astres, labours plus ou moins profonds, enherbement, augmentation de la surface foliaire, taille et palissage plus conformes à la circulation de la sève, réintroduction de la présence animale, préservation de la faune et de la flore locales. En espérant que la violence de plus en plus grande du microclimat – gels cruels du fait de la précocité de la maturation des vignes, elle-même née du considérable réchauffement climatique, grêles encore plus cruelles à répétition, échaudage des raisins en été trop chaud et, hélas, blocages d’étés trop secs – ne réduise pas à néant ces grands efforts, soutenus par des prix de vente permettant de les rentabiliser.

Rectification

Dans les chais, corriger les faiblesses naturelles du raisin et les erreurs de vinifications fut longtemps la règle. La prise de conscience d’un changement de cap nécessaire fut longue, parfois chaotique et au final toujours d’actualité.

Les vinifications, tellement maladroites dans les années 1970 et 1980, se devaient de suivre la même courbe perfectionniste. À la fin des années 1970, l’œnologie bourguignonne, malgré la présence d’une université à Dijon, se montrait trop chauvine pour suivre le grand mouvement de ce qui se construisait alors à Bordeaux ou à Montpellier. Elle vivait dans le souvenir de ses origines, à savoir la pharmacie. Les vieux commerciaux des maisons de négoce parlaient même avec émotion et conviction du travail de leurs « chimistes », ce qui avait le don de me faire sourire. Attention, la pharmacie et les études pour devenir pharmaciens étaient capables de faire faire aux vinifications de grands progrès, comme en Champagne dans les années 1930, dans des domaines pointus comme la sélection de levures performantes. Mais en Bourgogne, la routine dominait, partisane d’une œnologie corrective bien plus que préventive. Le raisin manquait de sucre naturel ? On en rajoutait, et pas à la petite cuillère. Jusqu’en 1988, j’ai vu des pinots noirs de grands crus vendangés en toute illégalité en dessous de 11,5 degrés, voire en dessous de 11, et remontés à 13 degrés ou plus avec du sucre de betterave ou, pour les snobs, de canne à sucre. La loi autorisait la chaptalisation, mais en donnant le choix au vigneron soit de rectifier les sucres en lui interdisant d’acidifier, soit d’acidifier un raisin plus mûr à condition de ne pas l’enrichir en sucre. Une grande majorité faisait tout le contraire et arguait que l’augmentation du volume de jus lié à l’enrichissement en sucre obligeait en retour à acidifier pour rétablir l’équilibre de départ. La répression des fraudes faisait de temps en temps des vérifications et dressait des amendes, mais le plus souvent, elle laissait faire. Le raisin manquait de tannin ? On en rajoutait sous forme de poudre et on considérait même que cela facilitait l’hygiène des fermentations en fixant mieux l’acidité et les matières colorantes. Il est vrai que beaucoup de cuviers ou de caves n’offraient pas une hygiène parfaite et que les accidents en cours d’élevage conduisaient à des interventions physiques ou chimiques peu conformes avec le respect de la matière première originale. Les recherches les plus poussées venaient d’ailleurs de l’université de Reims et concernaient la microbiologie plus que l’œnologie. On ne voyait pas les professeurs d’université conseiller les domaines viticoles comme à Bordeaux, où la faculté était fort présente dans les châteaux. Les œnologues salariés étaient mal payés. Jacques d’Angerville se battait encore dans les années 1990 pour que le vinificateur du domaine des Hospices de Beaune ait un salaire décent. Les laboratoires privés étaient payés chichement à l’analyse et se rattrapaient par la vente de produits œnologiques. Beaucoup de vignerons bien ancrés dans leur fierté bourguignonne considéraient que c’était déchoir que de confier à un prestataire de partager avec eux l’acte de vinifier, se moquant de leurs collègues qui commençaient à prendre des œnologues conseils. Souvent, ces œnologues ne se rendaient même pas compte à la dégustation de sérieux défauts analytiques. Des déviations pourtant évidentes et dues à la malignité de levures indésirables, comme la tristement célèbre Brettanomyces bruxellensis, étaient assimilées à des expressions naturelles et authentiques du terroir. En vin rouge, on partageait largement la religion du pH. Entendez que le seul élément que l’on contrôlait dans le vin fait était son pH, sans vraiment s’intéresser à la qualité de la maturité finale du raisin. Pour les vins blancs, des formes graves d’oxydation précoce, perceptibles dès la fin des élevages, étaient rattrapées in extremis par des acidifications assassines ou, inversement, quand on avait exagéré, par des désacidifications tout aussi dramatiques, avant que les consommateurs et les critiques internationaux ne s’aperçoivent du désastre. Des centaines de pages ont été écrites pour dénoncer ce défaut ou trouver des solutions pour l’éviter. On a accusé tantôt le bouchon, tantôt des excès de remuage des lies en barrique, tantôt un mauvais équilibre en azote des sols, entraînant un déséquilibre dans les moûts, tantôt (et sans doute avec plus de justesse) la médiocrité du matériel végétal clonal. Tout cela a certainement joué un rôle pour les milliers d’hectolitres qui ont très mal vieilli entre 1985 et 2005. Ce n’est que récemment qu’on a compris que les mises en bouteille manquaient de précision dans les domaines qui s’étaient équipé d’un matériel moins performant que celui des embouteilleurs professionnels. Chacun a fait depuis des efforts et on peut affirmer qu’aujourd’hui, les meilleurs vins blancs vieilliront mieux. Mais à quel prix ! On vendange de plus en plus tôt pour éviter des excès de maturité, on recherche le maximum de réduction dans la saveur avec l’approbation d’un public et de critiques qui boivent et jugent les vins de plus en plus tôt et n’ont que le mot tension ou minéralité en bouche. Le réchauffement climatique complique de plus en plus le choix d’une date idéale de vendange, mais quelques fortes personnalités résistent à la mode et arrivent à nous épater avec certainement les plus beaux blancs des quarante dernières années, en prenant le maximum de risques et en les assumant.
Mais les progrès les plus spectaculaires sont venus des vins rouges. Un premier changement de taille a eu lieu vers 1985 avec l’arrivée de nouveaux œnologues qui s’installaient dans les laboratoires privés. Manque de chance, ils n’étaient pas Bourguignons et excitaient la tendance trop naturelle des locaux à faire preuve de chauvinisme : deux Grecs se sont succédé dans le laboratoire créé à Beaune par la famille Meurgey, Athanase Fakorellis, puis Kyriakos Kynigopoulos. Admirateurs de l’école bordelaise, ils ont commencé par offrir une plus grande précision dans l’analyse des moûts et des vins et à faire remarquer des défauts analytiques qui passaient, comme on l’a dit, pour l’expression du terroir. Avec une sensibilité particulière sur la propreté aromatique des vins blancs et la maturité plus accomplie des raisins rouges. Ils ont formé dans leur laboratoire tous les meilleurs conseillers œnologiques d’aujourd’hui, comme Dimitri Bazas, Sylvain Pataille, Pierre Milleman, avec qui j’ai partagé jadis tant de dégustations de vins jeunes. À Nuits-Saint-Georges, le Libanais Guy Accad, avec sa double et remarquable formation à Montpellier d’agronome – disciple des grands Branas et Champagnol, trop oubliés de nos jours – et d’œnologue, faisait beaucoup parler de lui et de sa fameuse « méthode ». Pour l’avoir bien connu, je peux à la fois souligner les faiblesses de l’homme et du savant, mais aussi la fulgurance de certaines de ses intuitions. Sa spécialité était d’abord l’analyse des sols et le conseil pour les entretenir. Avec le souci de récolter un raisin vraiment mûr et sans avoir besoin d’en corriger son caractère. Il avait bien sûr repéré les méfaits de surproduction et de banalisation du goût des clones certifiés, tout comme les inexcusables déviations aromatiques des fermentations mal maîtrisées. En bon mathématicien, il s’intéressait surtout à la cinétique des fermentations qu’il conduisait du froid à la température idéale avec une grande virtuosité, malgré des instruments bien imparfaits. Certes, il avait tendance à surprotéger le raisin au départ par le S02. Il avait compris que les doses qu’il recommandait, aux alentours de deux litres de solution par tonne de raisin, entraînaient une bonne sélection des levures naturelles (il ne préconisait jamais les levures du commerce) et les protégeaient de l’action des terribles brettanomyces. Ce qui le conduisait à ne jamais conseiller l’acidification des moûts comme la plupart de ses collègues. Il y eut hélas ensuite, après 1988, des exagérations, particulièrement dans le refroidissement initial des raisins, à la limite de la congélation, pour mieux en extraire les anthocyanes et leurs précurseurs aromatiques, au prix d’une réduction aromatique qui venait masquer la vraie expression du terroir. Mais les bruits les plus farfelus et les plus faux circulaient sur des manipulations, courantes chez d’autres, que les jaloux n’étaient que trop heureux de lui reprocher. Lui-même, pour des raisons liées à sa vie privée, se laissait aller à des imprécisions dans le conseil qui lui ont fait perdre peu à peu sa clientèle. Mais son influence a marqué de jeunes viticulteurs. Parmi eux, les plus influents ont peut-être été les frères Jean-Pierre et Yves Confuron, le premier ayant formé une génération de jeunes ou moins jeunes professionnels au centre de formation des adultes de Beaune. Les pré-macérations fermentaires à froid l’ont emporté sur les stupides vinifications à chaud qui caramélisaient les vins pour les protéger des méfaits de la pourriture partielle des vendanges. La mode de la vendange entière, qui avait produit les plus grands vins du siècle, domaine de la Romanée-Conti en étendard, et qu’Accad préférait nettement à la vendange égrappée, au rebours de viticulteurs célèbres comme Henri Jayer, s’est élargie avec la meilleure maturité finale du raisin. Certes, il arrive que l’excès de soleil perturbe le style des vignerons les plus perfectionnistes avec des degrés alcooliques élevés et un caractère bien plus sudiste que dans la moyenne des vins de la fin du siècle dernier. C’est oublier que des vins de même style en 1947 et, nous pouvons l’affirmer désormais, en 2003 ont retrouvé avec l’âge le chemin de l’excellence exceptionnelle, exception voulant bien dire ici une excellence pas conforme à la tradition. Une autre tendance privilégie les vins qu’on surnomme affectueusement « glou glou ». Les vins dits nature en font certainement partie. Il y en a certes beaucoup de déviants, qui ont leurs amateurs et leur public. Mais il y en a aussi beaucoup de très agréables qui, pour les entrées de gamme comme les blancs aligotés ou les appellations régionales, au prix encore fort accessible, jouent leur rôle d’initiateurs au plaisir de boire. Ce n’est pas aussi facile que l’on croit de produire un vin pur, souple, équilibré, charmeur, dont le marché a pourtant besoin. De plus en plus de jeunes viticulteurs idéalistes y parviennent heureusement. En revanche, il faudrait se montrer parfois un peu plus exigeant envers les vins de grande origine, issus de vinifications exagérément assouplissantes, avec des matières séductrices mais un manque évident de densité. Cette densité, on la retrouve chez les meilleurs stylistes, provoquée par le réchauffement climatique et l’amélioration de la viticulture. Ils redonnent aux grands rouges toute leur complexité, leur charme et leur séduction. Mais les volumes produits diminuent de façon inquiétante, entraînant des augmentations parfois spectaculaires des prix, mais surtout une raréfaction de l’offre. Dans tous les cas, on assiste en conséquence à une réorganisation complète de la propriété vitivinicole et de la commercialisation, ce qui doit commencer à inquiéter.

Grands et petits, vignerons et négoce

Fruit d’une longue histoire bousculée par les crises et les guerres, le commerce des vins de Bourgogne n’a rien d’un long fleuve tranquille…

La commercialisation du vin de Bourgogne influe en effet considérablement sur l’évolution du style des vins car, à chaque génération, le public imprime ses désirs et ses préférences en matière de goût. Préférences que le marchand, qu’il soit producteur ou distributeur, cherche à satisfaire, dans la logique même de son métier. À la fin des années 1970, on vivait encore dans le souvenir du demi-siècle précédent. Je m’explique : c’est un fait historique que le vignoble bourguignon a depuis ses origines été constitué, puis dirigé par des grands propriétaires, dont le principal était naturellement l’église. Avec toutes les disputes entre différentes chapelles qui ont opposé des abbayes jalouses les unes des autres, et des ordres monastiques rivaux, qui font le sel de l’Histoire. La vente des biens de l’église n’a pas mis fin à l’emprise des riches et des puissants. Le banquier Ouvrard possédait tout le clos Vougeot, la Romanée-Conti et bien d’autres grands crus. Les familles Latour, Bouchard, Chanson développaient progressivement et leur vignoble en propre et leur activité de négoce, tandis que les Liger-Belair, Rebourseau, Pasquier-Desvignes, Marey-Monge, Duvault-Blochet et leurs héritiers Chambon, et bien d’autres, participaient à l’extraordinaire amélioration des vins qui a marqué les années 1850 jusqu’à l’arrivée du phylloxera. Les paysans possédaient bien sûr des vignes, car il fallait bien produire du vin dans une activité de polyculture pour se nourrir soi-même et sa famille (rappelons que le vin est alors une boisson aliment consommée jusqu’à plusieurs litres par jour), mais très rarement dans les bons terroirs. Le phylloxera a ruiné les riches et puissants, qui ne faisaient pas confiance aux porte-greffes américains, et les violences de l’histoire (guerres, crise économique de 1929) ont fait le reste. La terre agricole, même en grand terroir, ne valait plus grand-chose et toute une paysannerie et petite bourgeoisie a pu alors acheter des vignes, les cultiver et même vinifier leur produit. Ce qui ne l’enrichit pas pour autant. Dans les années 1960, le viticulteur travaillait dur, les récoltes étaient très inégales en volume et en qualité et le négoce lui payait souvent mal son raisin. Car le négoce distribuait et commercialisait encore au moins 80 % de la production bourguignonne. Avec trop souvent de mauvais principes, le premier étant celui de préférer la marque à la notion d’origine et cela malgré la révolution de la création des appellations contrôlées. À vrai dire, il fallait distinguer les négociants partisans de la marque, souvent situés à Nuits-Saint-Georges, de ceux qui dès le début ont joué la notion d’origine, davantage situés à Beaune, les deux tendances ayant eu en plus un comportement différent pendant l’Occupation, dont le souvenir était encore présent dans les mémoires locales. La marque, cela pouvait dire la création d’un goût spécifique, y compris par l’assemblage avec des vins d’origine différente et considérés comme « médecins », donc le coupage. Le coupage était d’ailleurs presque servi à domicile puisque dans les années 1970, à Morey-Saint-Denis, au bord de la route des crus, un négociant bien connu pouvait proposer à toute la viticulture un choix de vins améliorateurs de la couleur ou du goût. La répression des fraudes réagissait mollement à l’activité de cet établissement. Je me souviens encore des paroles certes sages, mais trop conciliantes, prononcées avec un délicieux accent bourguignon qui roulait les r à plaisir par Charles Quittanson, le tout puissant directeur nuiton de l’organisme d’état : « On ne va quand même pas embêter les bons à multiplier les descentes de cave pour empêcher quelques abrutis de faire leur tambouille ! ». De façon plus insidieuse, et peut-être au contraire plus intelligente, cela permettait de préférer pour les vins d’entrée de gamme ou pour les appellations communales des cuvées dites rondes, nées de l’assemblage de différentes expositions, mais dans le respect de la loi. On décidait ainsi de la typicité de chaque village. Un beaune doit ressembler à cela, pas un pommard ou un volnay. Avec hélas, deux effets pervers. La création de stéréotypes qui ne tenaient pas compte des différences entre les millésimes ou le caractère original du raisin, et les rectifications pour les unifier, mais aussi une hiérarchie commerciale entre ces mêmes appellations. Comme il fallait fournir des vins dans toutes les gammes de prix, le négoce mettait des prix planchers pour chaque appellation, qui créaient à côté de vignobles-marques prestigieux comme pommard, des auxey-duresses ou monthelie plus abordables. De la même façon, il n’était pas question de vendre un bourgogne, même issu de vignes centenaires et d’une saveur remarquable, au prix d’un vin de jeunes vignes diluées d’un village célèbre. Ni donc de payer au producteur la vraie qualité de son raisin ou de ses efforts qualitatifs. Aujourd’hui encore, le marché se ressent de ces hiérarchies et le public croit toujours qu’un grand cru est meilleur qu’un premier cru, qu’un premier cru est meilleur qu’un « village », etc. Dans les années 1980, il n’y avait pas que ce type d’ambigüité. On venait à peine de se débarrasser, en 1973, de la très mauvaise habitude de la cascade. Entendez que sur une même vigne de grand cru, on pouvait par exemple produire une proportion donnée de grand cru, puis une petite proportion de premier cru, puis une plus petite proportion de « village » ou même de bourgogne générique. Au choix du producteur. On imagine que beaucoup ne se gênaient pas pour dire, comme on l’a souvent dit au jeune journaliste que j’étais : « Achetez-moi ce beau bourgogne. Vous savez, c’est un chambertin déclassé ! ». Cela ajoutait encore à la confusion créée par le nom même des communes viticoles qui avaient ajouté à leur nom d’origine celui de leur meilleur grand cru. En 1979, je visitais avec mon mentor Michel Dovaz un fameux viticulteur de Vosne-Romanée qui avait été longtemps maire de son village mais qui, rebelle et ennemi de l’esprit républicain, déclassait toute sa production. On lui achetait bouteille nue, étiquette à coller soi-même et paiement comptant en espèces, sans trop de différence de prix, trois appellations : richebourg, clos-vougeot et vosne-romanée. Comme je savais qu’il avait aussi des vignes superbes en échezeaux et Grands échezeaux, je lui demandais pourquoi il n’en proposait pas à la vente. « Jeune homme, personne ne connaît le nom de ces crus, mais tout le monde croit qu’en achetant du vosne-romanée, on achète du romanée-conti, donc j’assemble tout et j’en vends plus », me répondit-il. Cela a bien changé depuis et il est passionnant de comprendre pourquoi. D’abord, qu’on le veuille ou non la création des appellations contrôlées et leur contrôle ont beaucoup aidé à communiquer sur le fait que les plus grands vins locaux provenaient de terroirs spécifiques, bien délimités, bien hiérarchisés, qu’on appelait tantôt lieux-dits, tantôt crus. Le mot « climat », qui réunit parfaitement dans son acception les deux précédents, n’était pas encore à la mode, mais la conviction des bons producteurs et la nature de leur vin ont progressivement convaincu le public, d’autant que la mise en bouteille à la propriété se renforçait.

L’homme et son modèle

La Bourgogne a su construire un idéal vinicole qui parle au monde entier, sans pour autant renier les faiblesses et calculs humains.

Il y avait toujours eu des tirages de la propriété, mais pour des raisons de place, d’équipement et tout simplement d’argent, la propriété vendait au négoce une importante partie de sa production. Avec toujours derrière la tête une volonté de « revanche » contre le diktat des acheteurs qui, évidemment, refusaient de payer au bon prix la bonne marchandise et profitaient de leur puissance d’achat. Or la crise de 1929 a déstabilisé le commerce et donc le négoce. Le vin du millésime, comme celui de 1928, était d’une qualité remarquable. Le négoce ne l’a pas acheté, sinon à des prix bradés. Une génération de producteurs, il faut le dire assez aisés, mais courageux, parmi lesquels les familles Gouges, Rousseau, D’Angerville, Leflaive, a alors décidé de garder l’essentiel de sa récolte le temps qu’il faudrait pour la vendre directement. Et ce temps sera long puisqu’il faudra attendre 1959 pour qu’elle commence à gagner son pari. Entretemps, des observateurs de premier plan comme Raymond Baudoin, fondateur de La Revue du vin de France, polémiste influent ayant soutenu la création des appellations d’origine, maître à penser de jeunes américains qui seront de grands importateurs comme Alexis Lichine ou Franck Schoonmaker, ont largement diffusé dans les meilleurs restaurants de France l’idée que le vin de propriété était plus authentique que le vin de négoce. La sommellerie est conquise et les vins de négoce, même les meilleurs, ont disparu de la carte des grands restaurants. Dans le prolongement des AOC, l’Académie du vin de France fondée par le marquis de Lur-Saluces et le baron Le Roy, avec le soutien du même Raymond Baudoin, a regroupé les meilleurs domaines viticoles du pays et partagé l’idée de l’authenticité supérieure des vins de domaine. On s’est mis alors à lire les livres qui expliquaient la complexité de l’univers des appellations et au fur et à mesure que s’internationalisait la diffusion des grands vins, les prescripteurs de chaque pays importateur allaient trouver dans l’exception bourguignonne le modèle historique et éthique de tout grand vin véritable. À commencer par les producteurs de vignobles tout aussi historiques comme ceux du Piémont italien ou ceux des vallées allemandes de Moselle ou du Rhin, sans oublier les précurseurs de tous, y compris les Bourguignons, dans la classification historique du terroir, les Hongrois de Tokay. Cela encourage peu à peu les Bourguignons à défendre leur modèle et à revendiquer la reconnaissance mondiale pour leurs « climats », qu’ils obtiendront le 4 juillet 2015 par leur inscription au patrimoine de l’Unesco. Cette reconnaissance implique l’acceptation de petits volumes de production, en raison de la taille réduite de la plupart de ces climats et leur division entre de nombreux producteurs différents – ce qui renforce encore la demande, rareté et sentiment d’exclusivité obligent, pour les vins des meilleurs ou des plus connus d’entre eux –, et la spéculation sur leur prix. Comme le meilleur est parfois l’ennemi du bien, la “climatomania” peut aussi bien désinformer qu’informer. On passe par exemple trop souvent sous silence la longue histoire des climats, de leur constitution, où certes la nature a joué son rôle mais aussi les disputes humaines, et la part des tribunaux dans leur délimitation. En général à coup d’agrandissement successifs. Les Gaudichots ont agrandi le cru La Tâche, la combe d’Orveau (en partie), celui de Musigny, et le lieu-dit Dent de Chien, les crus Montrachet. Peu à peu, l’espace qui séparait au départ les clos de la Roche et Saint-Denis est devenu grand cru, une partie des Combottes a rejoint Latricières. Quand aux échezeaux, on imagine l’habileté avec laquelle dès 1936 on assemblait des terroirs voisins, mais aux microclimats, hauteur de pente et exposition si peu homogènes. On s’amuse de la délimitation souvent irrationnelle des crus Corton et Corton-Charlemagne, mais même des climats qui semblent coulés d’une pièce montrent des différences considérables, entre sols blancs ou noir, parties marneuses et parties plus pierreuses qu’on retrouve dans les vins si l’on connaît l’emplacement des vignes. Y a-t-il un rapport entre les terres blanches ou rouges du climat Bonnes Mares, entre Bonnes Mares nord et Bonnes Mares Sud, entre le haut et le bas du climat Les Rugiens, entre le clos des Chênes côté Taillepieds et sa partie haute, et même en Montrachet, entre son expression du cœur de Puligny et sa partie sud de Chassagne ? On pourrait allonger la liste et rendre les amateurs encore plus confus en parlant d’âge des vignes, de choix du matériel végétal, porte-greffe compris, des choix esthétiques ou économiques de rendement différents, de dates de vendange différentes, de traitement du raisin différent, pressurage des blancs, extraction et température de fermentation pour les rouges, origine et saveur des barriques pour les deux, etc. Tout cela contribue tout autant que le lieu à la construction du goût spécifique de chaque cuvée. Mais aussi à la surprise et au charme renouvelés de toute dégustation, qui entretiennent la conversation et les débats entre sensibilités différentes qui font tout l’intérêt humain et culturel de la chose. On se consolera quand même de la culture du clan et des différences dans notre contexte actuel. Fort heureusement en effet, les anciennes oppositions et rancœurs n’ont vraiment plus lieu d’être et l’évolution du commerce tend à rapprocher négoce et propriété. D’une part se reconstituent, en raison des prix des terres agricoles, des propriétés appartenant aux plus riches français, comme au XIXe siècle. Les Arnault, Pinault, Bouygues s’offrent de beaux domaines et leur permettent de travailler dans les meilleures conditions, tout comme les assurances et les banques, qui ne se limitent d’ailleurs pas à la Bourgogne. Ensuite, et de façon encore plus déterminante, de nombreux viticulteurs voient à chaque transmission la part des domaines familiaux diminuer, tout comme le volume de vin commercialisable. Comme la demande n’a jamais été aussi forte, nationale et internationale, ils compensent le manque de vin en adoptant le statut de négociant, ce qui leur permet d’acheter de la vendange à leur propre famille, à leurs voisins de vigne ou à leurs autres collègues et de comprendre ce qui se passe de l’autre côté de la barrière. Bref, par pragmatisme, ils se rapprochent du concept international de winery où le producteur peut aussi assembler ses raisins avec ceux qu’il achète. Avec un savoir faire reconnu par les acheteurs qui font de moins en moins la différence entre les cuvées issues exclusivement de la propriété et celles du négoce. La loi, en revanche, continue à exiger qu’on soit clair sur la provenance et que dans un cas, on indique sur l’étiquette “mis en bouteille au domaine ou à la propriété”, et dans l’autre “mis en bouteille par untel” sans faire apparaître la notion de propriété. Quelques petits malins compensent cette obligation par des artifices de marketing qui font se ressembler étrangement la typographie et le style des étiquettes, mais c’est de bonne guerre ! En revanche, et c’est plus inquiétant, la dispersion des approvisionnements diminue encore plus les volumes individuels produits et ne contribue pas à la stabilité des prix.
Mais il y a des facteurs beaucoup plus importants encore que la nature et la forme du commerce actuel, plus anxiogènes aussi. Toutes les intelligences agronomiques et œnologiques d’aujourd’hui s’attellent à trouver les réponses les plus adaptées aux considérables changements climatiques que nous connaissons et qui menacent non seulement le caractère traditionnel et unanimement apprécié des vins, mais leur existence même. Plus personne ne met en doute la notion de réchauffement. En quarante ans, le climat a connu une hausse moyenne de près de deux degrés, ce qui le rapproche de celui qui existait mille kilomètres ou presque plus au sud. Ce réchauffement a surtout modifié la constitution des raisins rouges. On ne vendangeait pratiquement plus les pinots noirs au-dessus de 12 degrés naturels. Ils dépassent largement aujourd’hui 14 degrés en année solaire, avec inversement une acidité de plus en plus faible. Les chaptalisations courantes naguère de deux degrés ou plus font parfois place à l’espoir de légaliser le « mouillage », à savoir l’addition d’eau au moût pour rétablir un équilibre dans la buvabilité exigée, et on le comprend, par le public comme les pouvoirs publics. Heureusement, d’autres pistes sont étudiées. Certains voudraient que l’on accepte d’introduire des cépages plus adaptés au réchauffement, d’autres, qui nous apparaissent plus crédibles, préfèrent que l’on se concentre davantage sur l’aide à apporter aux cépages historiques pour les adapter à ces nouvelles conditions. Pour le pinot noir, seul semble envisageable le changement du palissage pour protéger davantage le raisin des grillures. On voit clairement les effets bénéfiques des premiers essais dans ce domaine. On peut aussi jouer sur la densité de plantation si jamais l’eau vient à manquer, ou sur le sens des plantations en revenant, quand la pente le permet, aux plantations parallèles aux courbes de niveau. Pour les vins blancs, on pourrait davantage jouer sur l’adoption de porte-greffes plus tardifs qui retarderaient un peu la maturation du raisin tout en le préservant des gels précoces qui amputent de plus en plus les récoltes. Ou, encore mieux, réhabiliter les frères du chardonnay, les trop oubliés aligotés, melon, sacy, loin d’être aussi médiocres qu’on ne le croit et tous cousins génétiques des vignobles voisins du Jura ou de la Champagne, à commencer par le savagnin, pour leur apport en acidité et parfois leur plus faible degré alcoolique. Dans tous les cas, on s’aperçoit aujourd’hui de l’importance encore plus grande à accorder à la vie des sols et à leur entretien, qui favorise évidemment la résilience déjà naturellement remarquable des cépages de la famille Vitis vinifera. La gestion de l’eau devra aussi conduire à mieux conserver les pluies d’hiver pour mieux gérer les stress hydriques d’été trop secs. Reste l’épineux problème de la violence de certains phénomènes. La vigne bien palissée ne craint pas trop le vent mais le gel, la grêle et le développement des maladies, qu’il provienne de virus ou de cryptogames. Pour le gel, on ne peut rien contre les gels tardifs, sauf à adopter des systèmes de protection infiniment coûteux et complexes. Mais on peut rendre les gels précoces à répétition que l’on connaît moins nocifs en retardant la précocité des vignes qu’on avait tant recherchée quand il ne faisait pas assez beau et chaud. La grêle se combat aussi plus facilement, mais il faut pour cela légaliser la pose de filets, ou généraliser la lutte globale des canons anti-grêles. Les maladies sont bien plus difficiles. On a échoué à vaincre le phylloxera, mais on a adapté la vigne à ses nuisances par le greffage. On a aussi échoué à vaincre les nématodes qui transmettent les virus, mais à vrai dire le principal d’entre eux, le court-noué, favorise parfois la qualité en diminuant la quantité et seule son évolution finale est vraiment dangereuse. La meilleure solution, une jachère de dix ans au plus, est la plus difficile à appliquer sur le plan économique et de toute façon la loi stupide actuelle l’interdit qui exige que l’on replante trop vite un sol infecté. Les autres maladies inquiètent davantage, mais on arrive à limiter de plus en plus leurs effets par le recours intelligent aux plantes protectrices, à la rapidité des traitements et à leur efficacité. Un vigneron ne vivra jamais tranquille ou pleinement heureux, comme beaucoup d’agriculteurs d’ailleurs, mais une intelligence en éveil permanent, reposant sur l’observation quotidienne de la vigne et une réponse adaptée à chaque difficulté reste l’honneur de la profession. Aux vieux observateurs, il semble que les viticulteurs bourguignons de la nouvelle génération sont bien plus armés que ceux des générations précédentes pour y faire face.

Chablis, le modèle à suivre

Photo Mathieu Garçon

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Un seul cépage
Depuis la naissance des appellations d’origine, les Français ne jurent que par le terroir. Sauf que les consommateurs du monde entier ne connaissent, eux, que le cépage. Et justement, le chardonnay à l’honneur dans tous les vins de Chablis est l’un des plus connus, si ce n’est le plus apprécié, avec le sauvignon. Miracle bourguignon, qui dit cépage unique ne dit pas standardisation du goût. À partir d’un même terroir sont produites chaque millésime des centaines d’expressions différentes du vin de Chablis. Certes, il faut prendre en compte le découpage parcellaire, mais d’autres critères entrent en jeu, comme le choix de la date de vendange, le type de vendange (manuelle ou machine), la vinification (cuve ou inox), la longueur des élevages, la capacité à se projeter dans le temps, etc. Sans parler du type de viticulture pratiqué, pourtant fondamental.

Une hiérarchie simple
Autre point fort, la hiérarchie des appellations et sa facilité de lecture pour l’amateur comme pour le néophyte. Dans une Bourgogne où plus de cent appellations cohabitent, source d’approximations même pour les professionnels aguerris, lire l’étiquette d’un vin de Chablis est un jeu d’enfants. Tous les vins portent en eux le même patronyme, aussi bien le petit-chablis que le chablis au niveau générique, premier ou grand cru. Et contrairement à la Côte-d’Or, où les trente-deux grands crus bénéficient chacun de leur propre appellation, il n’y a qu’une seule appellation grand cru à Chablis, déclinée elle-même en sept climats (Les Clos, Blanchot, Vaudésir, Grenouilles, etc.). Cette hiérarchie transparente joue indéniablement en faveur de la géante de l’Yonne.

Des marques fortes, des vignerons stars
Toutes les familles du vignoble bourguignon sont présentes à Chablis de façon équilibrée. Les vignerons bien sûr, avec des domaines stars (Raveneau ou Dauvissat pour les deux icônes) et d’autres qui le deviendront (château de Fleys, domaine Laroche, domaine William Fèvre, etc.). Un négoce fort qui connaît l’importance des vins de Chablis à l’export. Plutôt Beaunois à l’origine, ce négoce n’hésite d’ailleurs pas à s’enraciner en Chablisien pour y devenir vigneron (Louis Latour avec la maison Simonnet-Febvre, Albert Bichot et le château Long-Depaquit, etc.). Enfin, la bonne santé de l’appellation doit aussi beaucoup au rôle joué par La Chablisienne, cave coopérative solide et ambitieuse qui produit près du quart des volumes de la région. Qui ouvre une bouteille de chablis n’a pas cette grille de lecture en tête, mais cette organisation contribue à la réussite des blancs de Chablis en faisant se côtoyer des volumes importants dont les marchés ont besoin avec des petites productions de petits domaines aux ventes contingentées. Tout cela sous le même nom, au service d’une même marque.

De quoi rayonner (malgré une météo sans pitié)
Certes, tout n’est pas rose. Vignoble septentrional régulièrement affecté par le gel ou la grêle, le Chablisien subit comme les autres régions françaises le dérèglement du climat et les caprices de la météo. Pas plus tard que ce printemps, Chablis a subi successivement des inondations avec la crue du Serein (en mars), quelques gelées sur les première feuilles (fin avril) et un terrible orage de grêle dans la soirée du 1er mai qui a ravagé plusieurs milliers d’hectares, anéantissant les espoirs de récolte dans les secteurs touchés (Fontenay-près-Chablis, Villy ou La Chapelle-Vaupelteigne). Funeste millésime pour quelques domaines, certes, mais tout le vignoble n’a pas été impacté dans les mêmes proportions. Surtout, les caves sont pleines du généreux millésime 2023. Pas de pénurie à l’horizon.

Un goût intemporel
On l’a compris, avoir une offre claire, lisible et compréhensible est un atout incomparable. Pour autant, qu’est-ce qu’un vin de Chablis ? La réponse est sans équivoque : on dira presque toujours de lui que c’est un blanc et qu’il est sec. Pas de déclinaisons en rouge ou rosé, jamais de sucres dans les vins. D’autres régions comme l’Alsace, par exemple, n’ont pas cette clarté. Comment résumer efficacement la nature du vin d’Alsace sans être obligé de préciser le cépage, le type de sols, le niveau de sucrosité, la couleur (même orange désormais), etc. Le modèle le plus proche de Chablis est celui de Sancerre, même si blancs et rouges cohabitent dans l’appellation du Centre-Loire. Là-bas aussi, un seul cépage, un même type de sol. La comparaison est d’autant plus amusante que les deux régions sont seulement distantes d’une centaine de kilomètres, toutes deux soumises aux dernières influences du climat océanique, toutes deux assises sur un même socle de craie kimméridgienne, qui apporte dans les vins de Chablis quand ils vieillissent cette réduction si prisée, reconnaissable par ses saveurs iodées (coquille d’huîtres) et récapitulée (un peu sommairement) sous la notion de minéralité. Si le goût du vin est simple à définir, il est aussi facilement reproductible. La marque Chablis est sans doute celle de vins blancs la plus contrefaite au monde, en dehors du cas particulier du champagne. Difficile d’estimer l’ampleur de cette production illégale, mais il se murmurait au début de ce siècle que pour une authentique bouteille de Chablis, six fausses étaient en circulation dans le monde, contenant d’ailleurs un vin pas forcément sec ni même blanc ni même toujours issu de chardonnay. Comme s’en amusait Oscar Wilde, « l’imitation est la forme de flatterie la plus sincère ».

Gautier Capuçon : « Mon initiation au vin, je la dois à des musiciens »

Photo Mathieu Garçon

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Qui vous a initié au vin ?
Mon initiation, je la dois à des musiciens. Elle a commencé avec les vins du Bordelais. Saint-Émilion, Pomerol, Pauillac, j’y suis beaucoup allé dès mes 20 ans et c’est au chef d’orchestre Hans Graf et au pianiste Myung-Whun Chung que je dois mes premières dégustations. Après, j’ai découvert la Bourgogne avec deux autres grands parrains, toujours musiciens, le chef d’orchestre Charles Dutoit et le pianiste Jean-Yves Thibaudet. Sans oublier bien sûr Bernard Hervet, qui lui n’est pas musicien, mais qui est un grand homme du vin et notamment des vins de Bourgogne. J’étais dans de très bonnes mains.

Profitez-vous de votre festival Un été en France pour découvrir des vignobles ?
Je n’ai pas le temps d’aller me balader dans les vignes et de faire des dégustations dans les chais parce que nous voyageons le matin et donnons un concert le soir. Mais j’aime bien goûter les vins des régions que je traverse, comme j’aime goûter les spécialités culinaires et les produits du terroir.

Qu’est-ce qu’on trouve dans votre cave ?
La moitié des bouteilles viennent de Bordeaux. On trouve des pomerols, des pauillacs, des saint-émilion, dont quelques bouteilles de 1981 (son année de naissance, NDLR), même si ce n’est pas une très bonne année. J’ai des lynch-bages, des mouton-rothschild, quelques sauternes. Le dernier château dans lequel je suis allé, c’est à Figeac. C’est là que j’ai été intronisé au sein de l’académie des Grands vins de Bordeaux.

Et l’autre moitié ?
De Bourgogne. J’ai été intronisé chevalier du Tastevin. En rouge, j’ai des vosne-romanée du domaine Grivot, des clos-des-lambrays et des charmes-chambertin de Bichot. En blanc, des bouteilles du clos-des-mouches de Drouhin. J’ai aussi quelques grands vins du Rhône, comme des condrieux de chez Colombo ou des hermitages La Chapelle de chez Paul Jaboulet Ainé. Enfin, pas mal de champagnes et peu de vins étrangers. Pourtant j’ai goûté des vins assez formidables récemment en Californie et en Australie, à Margaret River. Et quand je suis en Allemagne, j’ai beaucoup de plaisir à boire leurs blancs.

Avec qui aimeriez-vous boire un verre ?
Tous les grands compositeurs, les grands violoncellistes que j’aurais adoré rencontrer et connaître. Si je devais n’en choisir qu’un, je dirais Antonín Dvorák, puisque je suis en pleine tournée et que je joue tous les soirs son concerto, le plus grand concerto pour violoncelle selon moi. J’adorerais un soir en sortant de scène déguster un grand vin avec lui.

Votre plus grand souvenir de dégustation ?
C’est en 2018, au domaine de la Romanée-Conti avec Aubert de Villaine. Il m’a fait goûter un bouleversant grands-échezeaux 1943. Puis il a sorti une bouteille, évidemment sans étiquette, et il m’a demandé de deviner ce que l’on était en train de boire. J’avais peur de dire une énorme bêtise. J’ai réussi à reconnaître que c’était un romanée saint-vivant. En revanche, je n’ai pas pu donner le millésime, c’était nettement trop complexe pour moi.

Votre définition d’un grand vin ?
Celui qui reste gravé dans notre mémoire sensorielle. Il est souvent lié à un moment, à des amis, à des gens qui comptent pour vous. 

Pavie, la route du géant

Photo Fabrice Leseigneur

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Lorsque Gérard Perse acquit en 1998 le château Pavie, le cru était depuis longtemps une légende de Saint-Émilion et le producteur faisait déjà partie des hommes qui étaient en train de réveiller une appellation longtemps endormie. On a raconté dans ces colonnes l’incroyable saga de cet entrepreneur devenu vigneron hors normes. Celle de Pavie mérite d’être rappelée. Le cru est indissociablement associé à la côte éponyme, dominant la vallée de la Dordogne et ouvrant, sur le flanc oriental du village de Saint-Émilion, une succession de coteaux viticoles qui courent jusqu’à Castillon. Pourtant, la propriété, qui a intégré aujourd’hui le vignoble de Pavie-Decesse, situé sur le plateau qui surplombe Pavie, compte une bonne part de son vignoble en deça et au dessus de la côte, retrouvant d’ailleurs peu ou prou une taille qui fut la sienne sous le Second Empire. Elle s’appuie de fait sur trois parties qui apportent chacune leur contribution au style du vin. Au plateau calcaire, on doit une finesse caractéristique qui complète l’exposition plein sud et les sols bruns et également calcaires de la côte. Le pied de côte, non calcaire mais sableux, joue quant à lui un rôle dans le velouté caractéristique des vins.
Le cru appartenait depuis plus d’un demi-siècle à la famille Valette qui le gérait de manière très traditionnelle. Dès son arrivée, Perse, qui avait fait sensation avec la plénitude et la profondeur atteinte par le vin du château Monbousquet, son premier investissement saint-émilionnais en 1993, transforma radicalement la philosophie de production de la propriété. Vignoble restructuré, vendanges vertes, recherche d’une maturité optimale du raisin, refonte totale du parc de barriques avec une utilisation de barriques neuves systématique et logique au vu de la constitution des vins (même si elle a été réduite dans les deux dernières décennies) et durée d’élevage bien supérieure à ce qui se pratique habituellement à Bordeaux. Perse est un condensé des bonnes pratiques viticoles et œnologiques de cette première partie de siècle. Contrairement à ce qui a été souvent avancé par des prescripteurs plus ou moins désintéressés, le pavie de Perse n’est pas le produit d’une époque, celle du « goût Parker », celle des blockbusters hyper boisés. Plus insidieusement, il n’est pas non plus (ou pas seulement) ce « monstre de puissance » que certains ont trop décrit dans les dégustations en primeur.
Au contraire, cette exceptionnelle dégustation verticale révèle à quel point Pavie exprime les nuances de son immense et complexe terroir dès lors qu’on lui donne le temps de s’exprimer. La fraîcheur, marqueur des grands bordeaux, est ici exceptionnelle. Elle dessine, avec les années de maturité, une trame racée et éclatante, qui apporte à la constitution ample, charpentée et profonde de ce cru solaire une dimension unique. Avec des notes florales et minérales qui s’associent au fruit éclatant de merlots mûrs (mais jamais surmûris, y compris dans le millésime de la canicule, 2003, qui déclencha une polémique restée fameuse et aujourd’hui ridicule), la palette aromatique diversifiée s’est enrichie de notes de fruits rouges frais au fur et à mesure de l’implantation de cabernet-sauvignon (10 % aujourd’hui) et cabernets francs (25 %). Enfin, l’élevage, ambitieux et long, permet avec le temps de garantir l’épanouissement optimal de chaque millésime. La plus importante leçon de cette « intégrale Perse » est de constater l’excellence de chaque millésimes produit. Pavie est au sommet depuis 1998 et il a continué à grimper.

1998
Le premier millésime de l’ère Gérard Perse a toujours impressionné lors des nombreuses dégustations que nous avons réalisées tout au long de son histoire. Un quart de siècle après sa naissance, le vin apparaît dans toute sa splendeur et sa pureté : un joli nez de truffe noire relevé par des nuances de fruits noirs frais, une attaque saline et somptueuse qui se prolonge avec une texture raffinée. Le niveau d’extraction du tannin est idéal et la fusion de la matière avec le bois exemplaire.
99/100

1999
Nez un peu plus léger et floral que le précédent, précis dans la salinité et la tension, délicat, profond et subtil. Le vin développe un style en délicatesse, personnel, dans un millésime moins intense que 1998. La propriété a eu la chance de ne pas subir de grêle comme certains de ses voisins et le vin possède le corps d’un joli millésime et beaucoup de raffinement de texture.
98/100

2000
Le millésime a été plus long à s’épanouir que les précédents, mais cela valait le coup d’attendre car le vin se révèle aujourd’hui à la fois profond et raffiné avec son inimitable parfum de truffe noire sensuel
et sa merveilleuse onctuosité. Cette combinaison de puissance et de fraîcheur, liée au calcaire du sol et
à une acidité surprenante cachée sous des nuances florales racées a produit un vin de grande sève, d’allonge musclée et juvénile. Bref, ce millésime dans sa maturité affiche un grand style complet.
99/100

2001
Sévère en attaque avec néanmoins de jolies notes de pivoine. La subtilité minérale s’impose ensuite, mentholée, développant une brillante fraîcheur. Après plus de deux décennies de garde, le millésime 2000 se révèle maintenant plus complet que ce 2001 pourtant si charmeur pendant les vingt premières années.
96/100

2002
Après une première bouteille marquée par un bouchon imparfait, la seconde retrouve la brillance et la profondeur habituelle. Avec ses notes de pivoine et de truffe noire, le vin séduit dès le premier coup de nez. En bouche, la longueur moelleuse et tendre séduit avec beaucoup de charme.
96/100

2003
Dans ce millésime si particulier en raison de la canicule d’été, ce vin prodigieux a été mal perçu à sa naissance par beaucoup d’experts peu éclairés mais très sûrs d’eux. De fait, sa matière imposante exigeait un long élevage en fûts que trop peu de propriétés ont osé faire, parfois pour des raisons de logistique, mais souvent par routine. Aujourd’hui le vin touche au sublime comme aucun autre vin de la rive droite n’y est parvenu, avec un extraordinaire retour de fraîcheur mentholée qui coiffe un corps au moelleux exceptionnel. Un chef d’œuvre, à apprécier à une température de service ne dépassant pas 18° pour le percevoir à sa vraie dimension.
99/100

2004
Vin complet et racé, au charme de texture évident. Fin, floral et brillant, de la souplesse et de la grandeur, très beau fruit frais. Soutenu par un boisé exemplaire, le tannin se fait extrêmement charmeur.
96/100

2005
Robe brillante et juvénile. Le bouquet, très complexe et riche, se développe dans le verre et idéalement après un carafage. Intense et énergique, le vin affiche une longueur svelte et minérale, pour dévoiler un profil sculptural, avec cette magique combinaison de maturité et fraîcheur qui rend ce terroir incomparable.
98/100

2006
Epoustouflante réussite : grande robe brillante opaque, truffe et minéral, grand fruit précis, longueur svelte, musclé et profond. Le millésime a favorisé l’ADN truffe du cru qui développe ce caractère avec une intensité sans rivale, tandis que commencent à s’épanouir les notes de fruits rouges du cabernet franc.
98/100

2007
Comme pour le 2004, le vin se développe avec un corps et une élégance de texture supérieurs à ce qu’on attend parfois du millésime, avec une touche saline et minérale en finale bienvenue. L’ensemble est velouté, floral et tendre, parfait pour accompagner un gibier à plumes.
96/100

2008
Puissant, d’un bloc, long, encore assez austère dans sa définition. À ce stade, pas dans sa présentation optimale, mais le potentiel paraît inentamé.
94/100

2009
Une jeunesse éternelle, toutes les nuances aromatiques d’un registre floral et fruité, la complexité en plus, signe d’une vendange d’une perfection de maturité encore supérieure à celle des grands millésimes précédents. Longueur généreuse et chair raffinée, grain de tannin subtil, complet et profond. Un nouveau 1929 avec tous les progrès de l’œnologie moderne.
100/100

2010
Un vin de très grand corps et de grand avenir, d’un caractère vraiment différent du précédent avec une minéralité calcaire et truffée impressionnante et une énergie encore un peu sauvage. Mais quelle qualité de boisé et de tension noble dans la fin de bouche !
99/100

2011
Fruité, floral, agréable et long. Beaucoup de nez avec les constantes du cru, truffe, pivoine et minéralité. Une jolie bouteille évidemment un ton en dessous des deux millésimes précédents.
94/100

2012
Avec ses notes de cassis mûr s’associant aux touches minérales et salines, le coup de nez est délicieux et original, le caractère du cabernet franc commençant à entrer en plus grande proportion dans l’assemblage. Beaucoup d’élégance qui le rend prêt à boire.
96/100

2013
Robe brillante et grenat, sveltesse musclée, grande finesse fruitée florale, longueur svelte. L’année fut tardive
et difficile, mais l’on ne s’en rend pas compte avec ce pavie raffiné dans ses notes florales et sa texture, sans évidemment la profondeur des plus grands millésimes.
95/100

2014
Un bouquet solaire avec ses notes de fruits noirs mûrs, une longueur onctueuse et profonde, pleine d’énergie,
une remarquable persistance. Il fera un pavie exemplaire avec désormais la touche un peu plus « intellectuelle »
d’un cabernet franc de maturité accomplie, mais donnant encore plus de droiture dans le soutien tannique.
97/100

2015
Riche, juteux, profond, expressif en bouquet avec ses notes florales, fruitées, ses épices, long et dense, volumineux. Un pavie idéal et sans doute le plus accompli depuis 2009. On adore cette merveille de corps
et de texture et son allonge déjà impressionnante. Mais il faudrait avoir le courage de l’attendre encore au moins dix ans pour un épanouissement absolu.
98/100

2016
Le vin, encore très jeune, impressionne par la précision de son fruit, à la fois mûr et très frais, relevé par des touches salines. En bouche, il affiche un profil intense et profond, développant une grande sève énergique, d’une persistance aromatique remarquable. Encore très loin de son apogée, mais assurément parmi les grands.
98/100

2017
Brillant dans un registre puissant et intense : grand caractère généreux et musclé, bouquet de fruits noirs relevé
par des nuances salines et minérales, profond et lumineux.
97/100

2018
Floral et finement poivré, raffinement de texture, généreux et intense. Corps un peu plus sévère que celui du 2015, moins avancé dans ses dimensions aromatiques, un rien plus simple. Mais quelle énergie !
98/100

2019
Juteux et profond, long et charnu, grande intensité subtile : plus de raffinement aromatique que dans le 2018, texture aristocratique, boisé idéalement fondu, tannin velouté sans égal. Un charmeur, encore dans son adolescence.
98/100

2020
Grande classe, séduction, précision et race, longueur veloutée. On retrouve l’élan, l’éclat et la séduction
des plus grands millésimes avec le même caractère de terroir et cette petite fraîcheur supplémentaire de cabernet. Très grand avenir pour ce monument contemporain.
100/100

Yves Leccia, l’appel du devoir

Photo Mathieu Garçon

Retrouver cet article dans En Magnum #36. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


par Valentine Sled

Yves Leccia est de ces éternels insatisfaits qui sont aussi de grands auteurs. Le bruit court qu’il serait le meilleur vinificateur de l’île de Beauté. Les autres savent, mais lui n’écoute pas, concentré sur son devoir : retranscrire en bouteille l’essence de son terroir. L’homme est à la tête de son domaine depuis 2005. Huit hectares aux débuts de l’aventure, dix-huit aujourd’hui et bientôt deux de plus qu’il faudra planter. En bon chauvin, Leccia affectionne le niellucciu, dont la personnalité affirmée donne une colonne vertébrale à ses rouges. Fraîcheur et acidité les premières années, profondeur et tannins les années suivantes. Il apprivoise le biancu gentile, un cépage autochtone identitaire délaissé par les générations précédentes, pour s’inscrire dans un style différent. Il ne renie pas le muscat, emblème de la région, en fait des merveilles en assemblage. Le plus noble reste le vermentinu, « le plus grand cépage de Corse » selon lui, à la palette aromatique florale, vecteur idéal de terroir. Celui que lui offrent ses vignes est atypique, plutôt sur le schiste que sur le calcaire ou le granit que l’on retrouve partout ailleurs en Corse. Au-delà du sol, il y a la situation exceptionnelle en plein cœur de l’appellation patrimonio. À deux kilomètres de la mer et à flan de montagne, elle est à la fois préservée des embruns et soumise à des écarts de température qui développent les arômes et les tannins. Issue de la plus belle parcelle, située à 100 mètres d’altitude, à « la croisée des chemins », la cuvée E Croce incarne cet ADN. Les sols variés rendent l’uniformisation difficile. Yves cultive cette diversité pour obtenir de la complexité et la réponse est différente d’une année sur l’autre. On cherche souvent à gommer l’effet millésime en visant la régularité, lui cherche au contraire à l’entretenir : « C’est en s’adaptant à la matière première qu’on apprend réellement à vinifier ». À la différence des cuisiniers qui reprennent aussitôt une recette imparfaite, le vigneron doit attendre un an, avec un jeu de cartes différent.
En quête de pureté
Yves Leccia a l’humilité de ceux qui sont toujours dans la recherche. « C’est mon moteur, et j’arrêterai le jour où je serai fier. » Sa quête ? Retrouver l’identité, la typicité du terroir corse avec les cépages qui la traduisent le mieux. Il a fait le choix de sortir de l’appellation en 2022 pour revenir aux cépages autochtones plus résistants, absents des cahiers des charges. « Une hérésie quand on cherche des solutions face au réchauffement climatique. » Il mise, entre autres, sur le genovese, qui garde son acidité et sa fraîcheur malgré les fortes chaleurs. La vinification, il ne l’envisage qu’en cuve inox, pour retranscrire au mieux l’expression de la vigne. Il veut avant tout produire une boisson plaisante, sans esbroufe ni pirouette stylistique. Et pourtant, l’émotion est là, grâce à un vieillissement habilement maîtrisé. Il assimile le travail des contenants à la chirurgie esthétique « qui modifie la beauté naturelle ». Sa femme Sandrine, avec laquelle il travaille, a plaidé en faveur de l’élevage en barrique. Yves a cédé depuis peu et la cuvée Era Ora est élevée en demi-muids. Il les essaie désormais sur les blancs. Sa bien-aimée alsacienne bouillonne d’idées et voudrait même planter du riesling. Elle n’a pas encore obtenu gain de cause, mais cela ne devrait tarder. « Je ne peux rien lui refuser », affirme Yves, l’œil rieur et amoureux. « Un vigneron est comme un artiste peintre, il lui faut une palette fournie. » Il faut dire qu’Yves Leccia se donne les moyens d’avoir une latitude de travail intéressante. Réaliste résolu et cartésien incontestable, il ne veut pas entendre parler de vin nature. S’il travaille en bio depuis longtemps, il n’est pas encore convaincu par la biodynamie. Il accepte cependant de se prêter à l’exercice pour évaluer sa plus-value. Ses convictions sont établies et difficilement modulables. « Pourtant, je m’arrondis en vieillissant ! », nuance-t-il avec humour. Sacré personnage. Bourru au premier abord, légèrement cynique à certains égards, de la timidité sûrement, l’homme est profondément attachant. Pour le comprendre, il faut se rendre sur place. Regarder, respirer, sentir l’ampleur de l’endroit. C’est l’unique moyen de saisir la beauté de son intention.

Les mystères de la malolactique


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La fermentation malolactique (FML) n’est pas une fermentation au sens où nous l’entendons couramment. Elle n’est pas due à des levures qui créent de l’alcool à partir de sucres, mais à des bactéries qui transforment un acide, l’acide malique, en un autre, l’acide lactique, qui est moins acide. C’est donc une désacidification biologique. On la connaît depuis finalement assez peu de temps grâce à la thèse d’Emile Peynaud en 1946, fondateur de l’œnologie moderne avec ces travaux. Si cette FML est obligatoire pour les vins rouges dans la mesure où elle garantit au vin d’être stable dans le temps, en particulier d’un point de vue microbiologique, en même temps qu’elle lui apporte davantage de rondeur en bouche, elle est cependant optionnelle pour les vins blancs. Pour résumer grossièrement la situation en France, en matière de vinification des blancs, on évite la FML dans les vignobles du sud alors qu’on la recherche dans les secteurs septentrionaux, où les acidités sont plus marquées.

Alternative au soufre ?
Le vignoble des Charentes constitue pourtant une exception remarquable à cette situation binaire. Il permet surtout de comprendre que la FML n’a pas pour seul rôle d’équilibrer l’acidité du vin. En Charentes, les vins de base qui serviront à la distillation sont vinifiés et conservés sans soufre. Ils peuvent donc s’oxyder et produire ainsi ce que l’on appelle de l’éthanal. En l’absence d’antioxydant (les sulfites sont des antioxydants), l’oxygène de l’air réagit avec l’alcool (l’éthanol) et forme de l’éthanal (qui apparaît aussi pendant la fermentation alcoolique). Au-delà des arômes de pomme blette que sa présence provoque, l’éthanal dans un vin empêche celui-ci d’être distillé sous peine d’enrichir les eaux-de-vie en acétal, ce qui leur confère une odeur d’alcool à brûler. Seule solution possible : « faire la malo ». Car après avoir consommé l’acide malique (puis l’acide citrique), les bactéries lactiques dégradent l’éthanal jusqu’à le faire disparaître et, donc, permettre la distillation. Ainsi, cette autre propriété sous-estimée (mais pourtant cruciale) de la FML permet-elle, dans tous les vins, de limiter la dose de sulfites à employer. Autrement formulé, laisser le temps aux bactéries lactiques de consommer l’éthanal, c’est réduire drastiquement les doses de soufre. Un milligramme par litre d’éthanal rend inopérant 1,5 mg/l de soufre, ce qui est considérable. Une FML bien gérée évite d’avoir à sulfiter de façon importante. Victoire de la microbiologie sur la chimie.

Bactéries double-face
D’autres aspects sensoriels systématiquement négatifs sont liés à l’action des bactéries lactiques et expliquent, en partie, une certaine défiance historique des vignerons envers ces microorganismes. Maladie de l’amertume, maladie de la tourne, maladie de la graisse, production d’amines biogènes et, bien sûr, goûts de souris, provoqués par les bactéries lactiques associées aux levures brettanomyces en l’absence de protection des vins (manque de sulfites). La FML fait pourtant partie intégrante du procédé de vinification et permet d’obtenir des résultats sensoriels très intéressants quand elle est maîtrisée. Encore faut-il savoir lesquels on veut obtenir d’elle en fonction des conditions spécifiques propres à chaque cépage, chaque terroir, chaque millésime. Si la FML profite au chardonnay en lui permettant de gagner en gras et en complexité aromatique, elle agira différemment avec du sauvignon blanc dont l’aromatique subit sous l’effet de la malo des transformations radicales et peu appréciées, comme une perte de fraîcheur et de typicité aromatique.

Étudier toujours plus
En matière d’arômes d’ailleurs, les notes beurrées, lactées, « pain de mie » sont à juste titre associées à la réalisation de la FML. Mais leur intensité dépendra du profil du vin, de la bactérie à l’œuvre et des conditions d’élevage. Beaucoup de réactions au cours de la FML sont d’ailleurs largement méconnues. Divers travaux sont en cours afin de qualifier et quantifier l’impact aromatique des bactéries lactiques, en particulier sur les notes fruitées. Aussi, comment expliquer que les vins blancs pour lesquels la FML s’est déroulée en barrique voient leurs arômes boisés immédiatement mieux fondus ? Alors, faire ou ne pas faire cette FML ? Récemment, une troisième voie s’est ouverte. Elle consiste à faire ce que l’on appelle improprement une FML partielle. Il ne s’agit pas de faire partiellement la FML, mais plutôt d’assembler certains vins ayant fait leur malo à d’autres qui ne l’ont pas faite. C’est une fois de plus l’art humain de l’assemblage qui permet l’harmonisation de ces proportions de vins, dicté par un choix sensoriel et technique qui permet de « paramétrer » l’acidité des vins avec la plus fine précision et de décider, au final, pour le futur vin, du gain en gras, suavité, complexité tout en préservant fraîcheur aromatique et tension en bouche. Certes, la FML des vins blancs n’est pas obligatoire. Mais elle participe à l’élaboration des vins blancs de qualité et au génie des plus grands d’entre eux. Et elle continuera probablement à y participer grâce à ses nombreux apports sensoriels et même si de nombreux vignerons commencent à la bloquer, au moins en partie, afin de conserver de l’acide malique et un surcroît de fraîcheur. Reconnaissons qu’il est plutôt bienvenu dans le contexte actuel.