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Vins d’Exception est destiné à vendre les vins de quatre domaines, Yquem, Cheval Blanc, le domaine des Lambrays et Colgin Cellars. Ce sont des vins qui se vendent tout seuls, non ?
Il y a des mises en marché plus ou moins réussies, indépendamment de la qualité des vins eux-mêmes. L’idées est d’optimiser leur distribution. Nous nous associons au savoir-faire viticole des propriétés, qui par ailleurs restent dirigées de façon autonome, en leur apportant un savoir-faire commercial. Il ne s’agit pas d’être un intermédiaire supplémentaire, mais de prolonger ce travail d’excellence jusque dans les mains du client.
Ce sont pourtant quatre propriétés aux identités fortes et distinctes.
C’est justement ce qui leur donne leur place au sein de cette entité. Chacune jouit d’une stratégie affutée, sur-mesure et indépendante, contrairement à une logique de portefeuille. Être distribué à travers la place de Bordeaux (Yquem, Cheval Blanc), un réseau d’importateurs (Domaine des Lambrays) ou en vente directe (Colgin Cellars) n’a rien à voir. C’est là que nous apportons des solutions.
Tout se joue donc sur le prix de vente ?
Nous ne sommes pas un véhicule de spéculation. Bien sûr, défendre notre position au sein des plus grands vins du monde passe par le prix. Cependant, il y a une ligne de crête à ne pas franchir et à surveiller en permanence. J’ai grandi avec des vignerons et ce sont des personnes envers qui j’ai le plus grand des respects. La spéculation, c’est le risque que les vins ne soient plus bus. Or un vin qui n’est pas bu est un vin qui n’existe pas.
Concrètement, comment y parvient-on ?
En créant des conditions d’appréciation sur le second marché et en concentrant tous nos efforts sur la consommation, modérée mais éclairée. Si nos efforts mènent à une non-consommation des vins, c’est un contresens total. Nos vins sont faits pour être bus et chaque mise en marché est un nouveau challenge.
Une grande partie de votre carrière s’est faite à Londres. En matière de distribution, les Anglais sont de bons professeurs ?
Ils m’ont appris le business et le pragmatisme. Lorsque je suis arrivé au Royaume-Uni, il y a vingt ans, je pensais, avec l’arrogance de la jeunesse, apprendre le vin aux Anglais. Je me suis pris un tel mur de connaissances que j’ai rapidement décidé de me taire et d’écouter, au point de me présenter comme un Français élevé par les Anglais lors de mon retour en France.
Les fluctuations du marché sont-elles inquiétantes pour les vins que vous vendez ?
Nous sommes l’émetteur du signal. Si nous envoyons le bon message, à chacun de nos intermédiaires d’abord et jusqu’au client final ensuite, nous n’avons pas à avoir peur. Je passe mes semaines à me rendre dans nos propriétés, à échanger avec nos équipes et à rencontrer nos partenaires. L’écrin que nous avons créé leur est destiné, ce sur-mesure fait la différence. Peu sont capables de faire de tels investissements pour le souci du détail, c’est évidemment une grande force.
Quelle est l’ambition de Vins d’Exception ?
Ce serait d’apparaître comme l’écrin où les plus grandes propriétés du monde réalisent leur potentiel. Qu’une famille qui ne puisse plus assumer ses responsabilités au sein d’un domaine majeur se tourne vers nous en pensant faire le meilleur choix, ce serait la reconnaissance de notre profond respect du métier de vigneron et de la singularité de chaque propriété. C’est mon graal.
Et vous seriez prêt à accueillir de nouveaux noms ?
Bien sûr, mais sans en faire un objectif à atteindre. Les propriétés d’excellence sont peu nombreuses, il faut que ce soit cohérent et naturel. On est attentifs. L’idée est d’être prêts si une opportunité se présente. C’est bien plus puissant d’être approché que de déclencher une acquisition, mais il faut faire ses preuves. La confiance ne se décrète pas et se mérite avec des actes. Le job ne fait que commencer.
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Plombée par un contexte de déconsommation, de repli des marchés historiques (États-Unis et Asie) et par une conjoncture bancaire extrêmement défavorable, la campagne des primeurs destinée à promouvoir et mettre en marché le millésime 2022 a connu de graves difficultés commerciales malgré l’immense qualité du millésime. Inquiétant et collectif, cet échec a plongé le marché des vins de Bordeaux dans une nouvelle crise existentielle. Et dans le camp des propriétés comme dans celui des négociants, on refuse d’en assumer la responsabilité, à un point tel qu’il y aura « un avant et un après 2023 », comme nous le confie anonymement un propriétaire de cru classé à Saint-Émilion. En bref, jamais le système de vente en primeur, historique, n’a semblé aussi proche de l’implosion. Résumons.
La plupart des acteurs concernés par la campagnes des primeurs que nous avons interrogés dans le cadre de notre enquête partagent le même constat d’échec. « Il y a un problème dans le système », résume sous couvert d’anonymat le directeur d’une propriété du Médoc. « La méforme de la campagne pointe du doigt plusieurs anomalies dans la manière dont nous fonctionnons. On nous a reproché, à nous propriétés, une certaine forme de snobisme alors que nous faisons notre possible pour maintenir le lien avec les professionnels qui sont le relais de notre discours. On nous reproche de ne pas nous engager suffisamment vers la voie d’une viticulture plus vertueuse alors que beaucoup de crus ont déjà changé et changeront encore sur ce sujet. Tout cela a un coût. Pour vendre, une propriété doit désormais remplir ces critères, en plus de faire du bon vin, reconnu comme tel par la critique internationale. Le problème, c’est que les négociants qui nous achètent nos vins n’acceptent pas la moindre hausse de prix, même quand elle est légitime au regard des efforts fournis. »
Loi du silence
Sur le papier, la force du système de la place de Bordeaux tient dans le cercle vertueux qu’elle fait naître : un bon vin est acheté au bon prix par le négoce, ce qui doit permettre de dégager des résultats pour le producteur comme pour le négociant qui l’achète et le revend à un distributeur qui l’achète et le revend, etc., jusqu’au consommateur final, heureux de faire une bonne affaire. Ce « ruissellement » repose sur la relation de confiance, contractualisée plus ou moins officiellement, entre les propriétés et les différentes maisons marchandes de la Place. Au cours de la dernière campagne, certains négociants ont reproché aux propriétés les plus prestigieuses une hausse de prix soudaine, abrupte, dans un contexte de taux d’intérêt élevé qui les incitaient à ne pas emprunter auprès des banques pour financer les immobilisations liées au stockage des vins. Le directeur d’une grande maison de négoce précise : « Le prix de sortie d’un vin en primeur est rarement une surprise. Le travail auprès des propriétés se fait toute l’année. Cela consiste à connaître leurs ambitions quant aux vins qu’elles veulent produire au cours des cinq ou dix prochaines années. On est bien conscients que cette ambition concerne aussi le prix ».
Chacun pour soi
Le problème de communication, père de tous les maux selon de nombreuses propriétés au sujet du faible démarrage de la campagne 2023, expose la situation d’une filière commerciale bordelaise où « les non-dits sont nombreux » et où le mimétisme commercial, logique dans un environnement concurrentiel, engendre des effets boule de neige incontrôlables. « On passe du temps à instaurer une relation de confiance et, au dernier moment, le prix annoncé par le vendeur est bien au-dessus de ce à quoi nous nous attendions. Forcément, ça refroidit », insiste le même directeur. À partir de ce premier moment de tension, crus et négoces craignent que l’incendie ne s’étende. « Si un cru très célèbre sort en premier à un prix qui n’était pas attendu, les autres propriétés se sentent obligés de remonter leur prix. Sinon, elles ont l’impression de perdre de l’argent. Et celles qui ne le font pas se sentent lésées », précise un autre directeur dans un cru classé médocain.
En bref, la relation tacite qui vise à gagner de l’argent sur la force des marques et la qualité de distribution de la place de Bordeaux peut exploser à la moindre étincelle. C’est l’autre problème du système actuel. Peu de marques, finalement, ont ce que l’on appelle un vrai marché en primeur. Pour elles, l’opération commerciale est plutôt une opportunité de communication qui permet à leurs vins d’être sous les feux des projecteurs de cette énorme machine de promotion, unique au monde dans le secteurs des vins et des spiritueux. Combien de crus, parmi ceux qui présentent leurs vins aux jugements des critiques et des acheteurs internationaux lors de la « semaine des primeurs » sont-ils réellement distribués par la Place et vendus en primeur à un prix vraiment avantageux ? « Aujourd’hui, il n’y a pas plus de trente marques qui performent. Ce sont celles qui ont réussi par leur propres moyens, avec beaucoup de travail, à développer leur propre notoriété et à créer une vraie désirabilité. Le consommateur veut boire leurs vins et le collectionneur veut y placer son argent. Autrement dit, les marques qui font tourner le système des primeurs sont au fond celles qui en ont le moins besoin. »
D’autres font un constat plus mesuré : « Pour ceux qui ont réussi à entretenir une très forte relation de confiance et qui ne font pas de soubresauts soudains en matière de prix, le système reste un bon outil. En particulier pour les marques dites liquides ». Importante pour décrypter la situation, cette notion de marque liquide concerne des vins peu ou pas spéculatifs pour lesquels la demande est constante, aussi bien pour les vins jeunes que plus vieux et prêts à livrer. « Avec ces marques, les négociants savent qu’ils vont gagner de l’argent et ne pas se retrouver avec du stock sur les bras. » Mais ces marques liquides, dépendantes du contexte macroéconomique, impliquent d’être « travaillées » par la Place sur les marchés historiques, où l’ensemble des crus cherchent à consolider et développer leurs parts, mais aussi sur les marchés de niche captés spécifiquement par chaque négociant. Face à ces complexités, les crus en difficulté reprochent à la place de Bordeaux le développement de son activité de distribution de vins étrangers, même si cette dernière témoigne de la confiance des domaines internationaux, dont quelques-uns parmi les plus cultes, dans le rayonnement et l’efficacité du système bordelais. « C’est une vitrine, certes, mais l’important, c’est de vendre », martèle un propriétaire excédé.
Crise de confiance
Les négociants, dont tout dépend, se retrouvent sur le banc des accusés. On leur reproche d’accepter « le petit jeu » des propriétés dont les vins se vendent « tout seuls » et de ne pas encourager les efforts d’une partie des crus qui veulent simplement que leurs vins soit reconnus à leur juste valeur. Pour la place de Bordeaux, cela implique de refuser une hausse de prix parfois insignifiante – moins d’un euro pour certains vins. Après tout, pourquoi un acheter un vin qui ne va pas se vendre ? Pour les propriétés, quelles sont les alternatives ? Mettre en place un système de vente direct, « sortir des primeurs », mettre en place son propre réseau de distribution ?
La réussite de certaines marques plébiscitées par les consommateurs a montré que d’autres voies étaient possibles. Cela implique de se priver de la force de promotion propre au système. « On aurait pu faire une campagne incroyable avec le millésime 2022. Au lieu de cela, chacun a joué son propre jeu. Le système perd de son intérêt puisque le vin ne prend pas plus de valeur entre le moment où il est acheté en primeur et le moment où il est vendu en bouteille. » Parfois, il en perd. Malgré tout, beaucoup de crus croient toujours que le système des primeurs reste capable de faire rayonner les vins de Bordeaux et de donner aux consommateurs la possibilité de faire des affaires, sa première vocation. Mais le phénomène de défiance semble tout de même atteindre un point de non-retour : « En moyenne, pour les grands crus de Saint-Émilion, ce qui a été vendu en primeur lors de la campagne représente 20 % des volumes ». Dans le camp du négoce, on ne se réjouit évidemment pas de la situation. Un tiers des maisons historiques de la Place sont confrontées à des difficultés structurelles. Pour certaines, la liquidation semble inévitable. Pour d’autres, la solution réside dans la diversification des activités et la reprise en main de la filière en aval, ce qui passe par une maîtrise de la distribution, chez les cavistes par exemple. Enfin, pour les plus solides financièrement et les plus prestigieuses, l’avenir repose sur une sélectivité encore plus resserrée des marques « à porter ».
Portes de sortie
Accepter que l’on puisse baisser ou monter son prix, d’une année sur l’autre, en fonction de la qualité du produit rappelle à tous que le vin n’est pas une valeur marchande comme les autres. Son prix suit un cours qui n’est pas défini seulement par l’offre et la demande. Un propriétaire précise, lucide : « Les prix auraient dû baisser en 2021. Au contraire, certaines propriétés sont restées dans la lignée des 2019 et des 2020 alors que le millésime n’était pas la hauteur. Comment faire en 2022 quand le millésime est encore plus grand ? ». Les investissements consacrés à l’élaboration de vins de lieux ont un coût que les propriétés répercutent légitimement sur le prix de vente, plus dans un souci de positionnement susceptible de traduire leurs ambitions que dans une volonté de s’enrichir sur le dos des négociants qui achèteront « quoi qu’il arrive leur vin, parce c’est comme ça que cela marche ».
Sur ce point, le fossé s’est creusé entre les propriétés. Certaines ne partagent plus les mêmes attentes vis-à-vis d’une partie de la Place qui voit dans les supers crus des valeurs marchandes s’échanger et se revendre sans rien faire. « Millésime chaise longue » pour tout le monde. Sauf que la situation s’enlise pour les crus dits intermédiaires. Par idéologie, par attentisme parfois, par humilité surtout, ces crus veulent « jouer le jeu » des primeurs et vendre un vin accessible, bonne affaire pour le revendeur, bonne affaire pour le consommateur. Une éthique qui ne rapporte pas suffisamment, mais lie certaines marques avec les particuliers qui ont en ont pour leur argent.
Lancée officiellement par Philippe de Rothschild en avril 1983, pour la présentation d’un millésime 1982 devenu mythique depuis, la semaine des dégustations en primeur est rapidement devenue incontournable. Mais le système mis en place depuis des siècles par les marchands de Bordeaux est aujourd’hui le symbole d’un vignoble divisé quant à ses perspectives commerciales et à la voie à suivre en matière de positionnement. Le vin de Bordeaux est fondamentalement protéiforme. « Ensemble, tous singuliers », promet ainsi la nouvelle campagne de communication de son interprofession. Cette identité réaffirmée s’accompagnera, sans doute, de plus de diversité dans son système de commercialisation et de distribution, aussi historique soit-il. Cette révolution ne se fera pas sans fracas.
propos recueillis par Julia Molkhou, photo Mathieu Garçon
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On buvait quoi chez vous quand vous étiez enfant ?
Des vins de Bordeaux, mais aussi des vins du Beaujolais puisque le meilleur copain de mon père était Bernard Pivot. Pour lui, c’était du beaujolais ou rien. Dans la cuisine de mes parents, il y avait une banquette sous laquelle il y avait les bouteilles de bordeaux. Dès que Pivot quittait la table, on rangeait les beaujolais et on sortait les bordeaux.
Votre premier verre de vin ?
Louis Sayer, le propriétaire de Clos des Lambrays, était le père d’un copain de lycée. Un jour, vers la fin des années 1970, il a ouvert un clos-des-lambrays 1917. C’était fascinant et incroyable de voir cette bouteille qui avait traversé deux guerres. C’est vraiment lui qui m’a expliqué comment on faisait du vin, qui m’a appris à le goûter. Et puis chez mes parents, il y avait tellement de dîners. Dès que les adultes avaient le dos tourné, je sifflais les fonds de verres.
Vous vivez aux États-Unis. Aimez-vous les vins américains ?
Sur ce sujet, je suis assez chauvin. Je ne bois que des vins français. Heureusement, on trouve tout aux États-Unis. Certes, ils sont plus chers, mais c’est déjà un bonheur de pouvoir y accéder. On peut dénicher des vins introuvables. Certains systèmes de bases de données vous donnent l’endroit où vous pouvez les commander. À une époque, j’étais fou d’un vin qu’on ne trouve presque plus, Zédé de Labégorce, en appellation margaux. Une toute petite production. Un jour, j’ai trouvé un caviste qui en avait quelques bouteilles. Je me demande encore comment elles sont arrivées là.
Et dans votre cave à New York, que trouve-t-on ?
Des vins de Bordeaux, des saint-estèphe, des saint-julien comme celui du château Gruaud Larose. J’ai longtemps été fier d’avoir des 2010 alors qu’on n’en trouvait plus nulle part. Quelques bourgognes rouges aussi, mais c’est plus difficile de trouver un bon bourgogne qu’un bon bordeaux aux États-Unis. J’ai une maison dans le Connecticut dans laquelle j’adore passer du temps, située à côté d’un charmant village qui s’appelle New Canaan. Il y a là-bas un caviste incroyable. Mais il a beau avoir des bouteilles formidables, il a peu de bourgognes.
Pas de vin du « nouveau monde » ?
Non. C’est idiot parce que je passe mes journées à prêcher l’ouverture d’esprit. Quand un gourmand regarde un plateau de fromages, il se dit qu’il peut manger vingt fromages différents. On ne peut pas envisager le vin de cette façon, alors je bois ce que j’aime le plus.
C’est quoi, pour vous, un grand vin ?
Le vin qui me touche, à la manière d’un grand livre, c’est ma définition du grand vin.
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Le château Pichon-Longueville Baron est un joyau parmi les propriétés vitivinicoles de la compagnie AXA Millésimes, acquis en 1987 auprès de la famille Bouteiller qui l’avait elle-même porté au plus haut niveau du Médoc. Le cru naît au milieu du XVIIe siècle puis subit en 1850 une division en deux moitiés, toutes deux classées second cru de la Gironde en 1855. La moitié héritée par le fils aîné, le baron Raoul, se situe sur l’ancien hameau de Saint-Lambert, aujourd’hui intégré à la commune de Pauillac, dans sa limite sud. Le sol est constitué de graves profondes, sablo-caillouteuses avec de nombreuses poches argileuses comme chez ses plus proches voisins, les châteaux Latour de l’autre côté de la route départementale, Léoville Las Cases sur les deux côtés de la route, et Léoville Poyferré sur son côté. Ce vaste secteur a toujours donné des grands vins, très réguliers, dotés d’une complexité aromatique unique, en raison du microclimat de l’estuaire qui régule les températures entre jour et nuit.
La propriété couvre 75 hectares avec comme encépagement actuel 68 % de cabernet-sauvignon, 28 % de merlot, 5 % de cabernet franc et 1 % de petit verdot. Elle produit aujourd’hui trois vins. Le grand vin, actuellement très marqué par le cabernet-sauvignon (85 % ou davantage), est issu des vieilles vignes du cœur de terroir, qui regardent les enclos de Latour et Léoville Las Cases. Les deux autres vins sont Les Tourelles de Longueville, à dominante de merlot, et Les Griffons de Pichon Baron, depuis 2012, où cabernets et merlots s’équilibrent.
Dans son histoire récente, le château a connu trois vinificateurs. Daniel Llose, à partir de 1987, choisi par Jean-Michel Cazes, vinifiait aussi Lynch-Bages. Il aimait les vins virils, généreux, issus de beaux rendements, mais impeccablement construits. Ses successeurs Jean-René Matignon et, depuis trois ans, Pierre Montégut, en plein accord avec leur directeur Christian Seely, ont fait évoluer le vin vers plus de classicisme médocain, en relation avec une viticulture encore plus respectueuse et un outil de travail permettant des vinifications parcellaires plus précises. Ils ont aussi bénéficié de l’évolution du climat qui conduit les raisins à une maturité plus accomplie. Je tiens ici à saluer la mémoire de Jean Bouteiller, l’ancien propriétaire, qui fut au début des années 1950 le premier à faire appel aux conseils d’Émile Peynaud et, donc, à l’œnologie moderne. Ses meilleurs millésimes comme 1953, 1959 et 1962 (son dernier, je crois) nous éblouissent comme les plus formellement parfaits de l’appellation pauillac. Les 2018, 2019, 2020 et 2022 seront de la même lignée.
La dégustation
2021
Grande fraîcheur aromatique, corps équilibré et boisé intégré, son étonnante élégance tactile confirme les progrès continus de la propriété dans la recherche du fondu immédiat du tannin.
96/100
2020
Nez classique sur le tabac, haute maturité du raisin, corps complet, pureté d’expression exemplaire, grand vin de grand avenir.
97/100
2019
À ce stade, c’est le vin le plus harmonieux et le plus complexe jamais produit par le château, avec une suavité sans mollesse dans la texture, une fraîcheur de cabernet-sauvignon mûr, un boisé harmonieux, donnant au terroir
sa force et son originalité.
98/100
2018
Le soleil du millésime se sent immédiatement avec des nuances un peu plus brutales de tabac que dans le 2019 et un caractère moins domestiqué par l’élevage. Grande matière, mais il faudra que l’âge le dompte.
96/100
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Avec son allure élancée et svelte, son sourire charmeur, sa politesse de ton dont on devine rapidement qu’elle ne saurait masquer une volonté et une force de conviction jamais prises en défaut, Bruno Paillard représente à lui seul une certaine idée du champagne. Disert, spirituel, travailleur acharné doté d’une ambition certaine, il a créé sa maison en 1981, à l’âge ou d’autres commencent à peine à réfléchir à leur orientation professionnelle. Il a aussi bâti, dix ans plus tard, un groupe qui n’a cessé de grandir pour être aujourd’hui – avec Lanson, Boizel, Philipponnat, De Venoge, Besserat de Bellefon, Alexandre Bonnet et autre Chanoine Frères – l’un des plus diversifiés et dynamiques de la région. Peu d’acteurs peuvent témoigner avec autant d’implication et d’acuité du développement spectaculaire d’un vin aussi majeur que le champagne.
Si l’histoire de la maison Bruno Paillard a commencé il y a 43 ans, celle de l’homme s’est enracinée bien avant sa naissance sur la terre de Champagne. « Nous sommes une famille de vignerons depuis 1704. Nous avons toujours été essentiellement des vignerons, accessoirement des courtiers. Le grand homme de la famille, c’était mon arrière-grand-père Ulysse, qui était installé à Bouzy. Il y était propriétaire de 45 hectares, sans compter les propriétés qu’il possédait aussi dans la montagne de Reims et jusque dans le secteur des Riceys (dans le département de l’Aube, à 150 kilomètres au sud de Bouzy, NDLR). Il était l’un des rares en ce début de XXe siècle à posséder deux voitures et le téléphone ! » Cet empire part en dot chez chacune des huit filles d’Ulysse. Le grand-père de Bruno fait de même en attribuant une part essentielle du vignoble de Bouzy au fils aîné, qui fonde la maison Pierre Paillard, toujours active.
De vente en succession, le père de Bruno Paillard n’a plus de vignes et a opté pour l’autre métier traditionnel de la dynastie. « J’ai cinq frères et sœurs et je travaille dans l’affaire de courtage familiale fondée par mon père. Ma première vendange de courtier, c’est en 1972, une année pourrie. J’étais apprenti à l’époque. Ça m’a montré des choses qui me déplaisait, j’ai vu de mauvais raisins être achetés trop cher et ne pas aller au bon endroit. J’ai compris plus tard que lorsque vous êtes engagé dans un contrat longue durée, vous êtes obligés d’acheter, même si c’est mauvais. J’ai travaillé avec mon père de janvier 1975 à décembre 1980. Après ces six années complètes, j’ai souhaité faire des vins assez différents de ce qui se faisait à l’époque. »
Bien que sans vignes et sans maison, Bruno Paillard est du sérail. « Je suis né à Reims en 1953. Pendant mon enfance, presque toutes les maisons de Champagne étaient familiales, même si quelques-unes étaient déjà cotées en bourse comme Moët & Chandon ou Piper-Heidsieck. J’ai connu ces familles, dès le lycée, j’ai vu cette période où le champagne était une espèce de capitalisme familial de tradition, période pendant laquelle ces maisons étaient fières de leurs vins, où on en buvait beaucoup à la maison, lors des réceptions, etc. C’était aussi une époque où l’on était trop nombreux à vivre de cette activité. Cette structure capitalistique est difficile parce que le champagne demande des immobilisations considérables. L’entreprise est obligée d’avoir des fonds propres. Elle acquiert une valeur importante du fait de ces fonds propres, mais la rentabilité ne suffit pas à payer autant de monde. Les familles s’éparpillaient pour réussir à payer des actionnaires et des sleeping partners. Le problème était aussi lié au mode d’imposition qui existait à ce moment-là et au coût des transmissions. Ce que j’ai vu m’a un peu traumatisé. J’ai vu beaucoup de ces familles se déchirer entre ceux qui vivaient de l’activité et ceux qui avaient des actions qui ne leur rapportaient rien. Souvent, la solution était de vendre. »
Les racines
Le jeune Bruno Paillard décide vite son destin. Il comprend les limites de son métier de courtier et celles, plus subtiles, des maisons traditionnelles de l’époque. Avec ses premiers salaires, il s’est acheté une voiture de collection. Il la revend pour créer sa propre marque, sans vigne ni approvisionnements en raisin, qui sont alors régis par un contrat malthusien qui n’autorise quasiment pas les créations de maison. Paillard connaît tous les arcanes de cet univers et son ambition est celle d’un artisan. Il réussit à acheter les raisins dont il a envie pour créer un champagne qui va radicalement à l’inverse des tendances du moment : c’est le premier, et à ce jour le seul, à ne produire que des extra bruts. Cette philosophie exigeante va porter ses fruits et le champagne Bruno Paillard va progressivement atteindre une belle réputation auprès des professionnels et des amateurs. D’autant qu’il ne déroge pas à ses principes et limite volontairement les volumes produits tout en allongeant le vieillissement sur lattes. Peu à peu, il acquiert des parcelles de vignes.
Alice Paillard est la directrice de la maison Bruno Paillard depuis 2018.
La maison dirigée aujourd’hui par sa fille Alice peut s’enorgueillir de 26 hectares de vignes situées sur des crus ultra représentatifs du cœur de la Champagne. Entre autres, Oger, Mesnil-sur-Oger, Avize, Cramant pour les chardonnays, Verzy, Verzenay, Mailly, Bouzy, Ambonnay pour les pinots noirs, Damery ou Festigny pour les meuniers. Les Riceys, au nom des racines familiales, complète un patrimoine brillant. Bruno Paillard satisfait ainsi une facette de sa personnalité : son sens aigu de l’esthétisme, sa volonté de créer un champagne artiste. Il perçoit bien qu’il n’assouvit pas l’autre dimension qui l’habite intérieurement. C’est un entrepreneur. Et dans cette Champagne de la fin des années 1980, les cartes sont en train d’être redistribuées. À coups de fusion et d’acquisitions, mais aussi de ventes, la Champagne moderne est en train de se construire. Dans sa petite citadelle, Bruno Paillard assiste au rapprochement de Moët et Clicquot, pour ce qui va devenir une part du géant du luxe LVMH, mais aussi au rachat par ce même groupe de Pommery et Lanson, suivi de la revente presque immédiate de cette dernière (délestée de ses 200 hectares de vignoble qui restent dans le giron de LVMH) au groupe Marne et Champagne, jusqu’alors spécialisé dans les champagnes anonymes de grande distribution.
L’un des meilleurs amis de Bruno Paillard, Philippe Baijot, travaille précisément dans ce groupe qui, après la disparition de son fondateur Gaston Burtin, a été repris par une héritière et son mari avec lesquels Baijot est en désaccord complet. Paillard se souvient : « Nous partons en vacances avec nos familles respectives et Philippe m’explique qu’il ne va pas pouvoir travailler avec eux. Je cherche des solutions avec lui. Je ne lui dis pas de venir avec moi, chez Bruno Paillard, parce que ce n’est pas son métier, mais de l’artisanat, avec des champagnes plutôt destinés à la grande restauration. Je ne le vois pas dans ce secteur, il est fait pour être dans le dur, dans l’univers de la grande distribution, dans le monde réel ! » L’idée naît rapidement de créer ensemble une nouvelle entreprise. « Philippe avait des compétences, beaucoup de réseau et d’amitiés dans le vignoble. C’est un type adorable, tout le monde l’aime. Donc, on se débrouille, on met un peu d’argent, je lui donne un petit coup de main pour créer une petite boîte avec moi dont il s’occupera. On avait besoin d’une marque et d’une société de négoce. »
Au début des années 1990, l’organisation de la Champagne a pris un tour plus libéral. On achète du raisin à qui l’on veut, quand on veut. « Évidemment, les prix flambent. Mais ce n’était pas plus mal pour nous de commencer en période de crise, parce il y a du vin sur le marché. Bref, il faut acheter une marque. Le hasard des choses fait que je rachète une boîte qui s’appelle Victor Canard. Elle appartenait à Jean-Pierre Canard, un héritier de Canard-Duchêne, qui avait pris le nom de son grand-père. Cela ne plaisait pas trop à Canard-Duchêne, qui appartenait à l’époque à Veuve Clicquot. Je l’achète. La société fait des pertes et il faut la remettre au carré et régler le procès qui s’engage avec Clicquot, dirigée alors par Joseph Henriot. » Paillard regarde de près le patrimoine de marques détenu par Clicquot. Au fil des décennies, puis des siècles, les grandes maisons ont acquis nombre de marques parfois tombées dans l’oubli.
L’aventure
Il en repère ainsi une, Chanoine Frères, qu’il va proposer d’échanger contre celle qu’il a acquise et qui fait du tort à Canard-Duchêne (aujourd’hui propriété du groupe Thiénot, NDLR). Joseph Henriot récupère et fait disparaître aussitôt Victor Canard tandis que Baijot et Paillard peuvent construire le début de leur aventure entrepreneuriale avec Chanoine Frères. « Chanoine était complètement endormie alors que c’est la plus ancienne marque d’Épernay, fondée en 1730. Elle avait de superbes caves, aujourd’hui intégrées à celles de Moët & Chandon. Il y avait des vins sur le marché, on a trouvé des raisins et on a commencé à faire du champagne. » Peu de temps plus tard, il récupère, pour mille francs, une autre marque oubliée : Tsarine. Baijot en fera, avec un flacon spécifique et beaucoup d’énergie, l’une des success stories des marques qui s’installent sur le secteur très compétitif de la grande distribution.
La crise économique provoquée par la première guerre du Golfe permet à des francs-tireurs comme Paillard et Baijot de tirer leur épingle du jeu. Elle en fragilise beaucoup d’autres. Bruno Paillard, gestionnaire avisé, a la confiance des banques et connaît parfaitement le terrain. Il reçoit beaucoup de dossiers. Celui des champagnes Boizel l’interpelle. Détenue par la famille Roques-Boizel, la maison possède beaucoup de contrats d’approvisionnement, mais pas de vignes, et s’enorgueillit de vendre en direct à des consommateurs fidèles, un savoir-faire que ne maîtrisent pas encore les deux hommes. Plutôt que de racheter purement et simplement Boizel, Paillard propose à sa propriétaire, Evelyne Roques-Boizel, de devenir actionnaire du nouveau groupe ainsi créé. Boizel-Chanoine-Champagne, plus couramment nommé BCC, naît ainsi en 1994. Le respect de l’ADN de la marque, la reprise en main commerciale sur ses marchés, la rigueur de la gestion : les trois principes du groupe vont permettre le redressement de Boizel et marquer le départ d’une saga entrepreneuriale qui ne va pas s’arrêter là.
Le succès
En dix ans, de l’intégration de Boizel au rachat de Lanson, le groupe BCC va passer du championnat régional à la coupe du monde. Sans jamais trahir son principe de respecter d’abord les valeurs des maisons. Quand Philipponnat est acquise en 1997, Paillard propose à Charles Philipponnat de prendre en main la destinée de la maison. Fils d’un chef de cave emblématique – quarante ans durant – de Moët & Chandon, lui-même à l’époque honorable représentant de la « grande maison », Charles accepte cette mission sur la terre de ses ancêtres, présents à Aÿ depuis 1522. Avec talent et exigence, il va s’efforcer de placer Philipponnat au plus haut des grands spécialistes du pinot noir et de ses terroirs magiques de Mareuil et Aÿ. Il en ira de même avec les autres maisons du groupe, acquises avec la maestria d’un fin négociateur, mais gérées en respectant d’abord la créativité et l’indépendance. Il y a dans cet esprit de conquête l’envie non exprimée de reconstituer un empire comparable – mais bien différent – à celui de son arrière-grand-père.
Ainsi, le terroir des Riceys, temple des pinots noirs de l’Aube, ne lui a jamais été indifférent. « Aujourd’hui, je suis présent aux Riceys, d’abord avec la maison Bruno Paillard et désormais avec le groupe Lanson-BCC. Cette acquisition a été une bagarre musclée. À l’époque, Alexandre Bonnet, c’était 45 hectares de vignoble en propriété et 200 hectares de vignes en contrats de raisin. Tous repartaient chez LVMH. Je connaissais Serge Bonnet. Avant que nous ne rachetions Boizel, la maison était en difficulté financière. Bonnet avait un contrat avec eux et il avait refusé de livrer à cause de la situation. Je l’avais rencontré en lui donnant ma caution personnelle qu’il serait payé pour les raisins qu’il livrait. On s’étaient quittés en se serrant la main et je pense qu’il avait été assez impressionné par mon attitude. Il a finalement continué à livrer Boizel jusqu’à l’échéance des contrats, pendant deux ou trois ans. Et à la fin de son contrat, il n’a pas renouvelé. Il souhaitait reprendre la main sur tous les contrats parce qu’il voulait vendre la maison. Et il estimait de façon très intelligente qu’il en tirerait un meilleur prix si les contrats étaient libres. Il avait refait un contrat court avec Moët & Chandon en attendant que cette vente se fasse. Evidemment, cette opportunité nous intéressait. Je suis allé le voir, on a discuté ensemble de ce que valaient les vignes, les stocks, etc. Et je lui ai dit qu’au prix qu’il en demandait, on était acheteur. On a laissé le jeu des enchères se faire. Je ne voulais pas entrer dans le jeu des banques parce que je savais bien ce qui allait se passer. Je me souviens qu’il avait pris rendez-vous le dernier jour du mois pour que personne ne puisse passer derrière moi. Bonnet avait ma parole et j’ai eu une caution bancaire dans la journée. Avec l’acquisition d’Alexandre Bonnet, on a triplé notre surface de vignes. On avait déjà 18 hectares de vignes avec Philipponnat. Et d’un coup, on en avait 45 de plus, qui sont devenus 60 au fur et à mesure que nous avons repris quelques hectares en fermage ici et là. Aujourd’hui, j’ai un grand projet pour Alexandre Bonnet. On a pris la décision de séparer la maison de négoce et le domaine, qui était un récoltant-manipulant avec des vignes. C’est un retour aux sources, Alexandre Bonnet est redevenu l’un des plus importants récoltant-manipulant de Champagne, avec un programme important d’investissement. »
Cette croissance spectaculaire trouve son apogée avec l’acquisition de Lanson, douce revanche pour Philippe Baijot. « En 2003, il nous manquait une grande marque mondiale. Après l’avoir acquise, on y a énormément investi. C’est aujourd’hui une très belle maison à visiter. On a fait des cuveries parcellaires, un chai à foudres et à barriques, renouvelé tout le matériel et réaménagé les locaux. On a racheté des vignes parce que Lanson n’en avait quasiment plus. Aujourd’hui, la maison est propriétaire du plus gros vignoble bio de champagne, certifié Demeter. »
Les combats
Paillard demeure avant tout un amoureux de la Champagne et de sa diversité. Pendant dix-huit ans, il s’est occupé du Comité interprofessionnel de la défense de l’appellation. Quand il y arrive, Saint-Laurent vient d’annoncer en grandes pompes le lancement d’un parfum nommé Champagne. « Certains collègues disaient : “Ce n’est pas grave, c’est prestigieux, c’est français, et puis, il n’y a pas de confusion possible”. Il y avait une sorte de consensus mou. Je me souviens que j’ai été le dernier à parler. J’étais le plus jeune et j’étais scandalisé. Je suis parti dans une plaidoirie en disant qu’il s’agissait de notre identité, que nous devions la défendre, qu’il s’agissait de notre bien commun. Nous en étions dépositaires. Il n’est pas à nous, il appartient à nos enfants et à nos ancêtres. On ne peut pas les laisser prendre ce nom, parce rien ne nous garantit que ça restera français et prestigieux. »
Avec le juriste et à l’époque directeur de l’interprofession Jean-Luc Barbier, Paillard va aller beaucoup plus loin. « Partout sur la planète, c’était du grand n’importe quoi. Tous les pays produisaient des vins mousseux étiquetés champagne. Ce combat a été une espèce de chevauchée fantastique. On a gagné dans quasiment 99 % des cas. On a rétabli la propriété du mot champagne, il est aujourd’hui protégé sur quasiment toute la planète, en dehors des États-Unis, partiellement, et de la Russie. »
Aujourd’hui, Paillard le combattant a enfourché d’autres causes, telle celle de l’agrandissement maintes fois évoqué de l’aire d’appellation, ou plutôt son retour à la situation historique, sans cesse repoussé par un vignoble évidemment peu partageur. Il sait bien que la Champagne du XXIe siècle va continuer à se transformer en profondeur. « D’abord, le climat a beaucoup changé. Je me rappelle qu’on vendangeait le plus souvent en octobre. Certaines années, les vendanges se terminaient à la Toussaint. Aujourd’hui, on n’est même plus étonné de commencer les vendanges au mois d’août. Ensuite, le profil des vins a changé, à cause du climat, mais aussi parce que les vins sont aujourd’hui peu dosés. Dieu sait si j’ai été précurseur. C’est presque devenu la règle. Il n’y a pas une seule maison qui n’ait pas au moins une cuvée extra brut ou une cuvée zéro dosage. C’est une conséquence de l’évolution du goût et du climat. Le climat a rendu cela plus facile. Enfin, les marchés ne sont plus les mêmes. On est passé de 30 % à l’export à 60 ou 65 % désormais. Une maison comme Bruno Paillard, c’est 80 %. D’autres font encore plus. Les acteurs du marché ont eux aussi changé. Et ce n’est pas fini. Il y a des mastodontes qui veulent absolument entrer en Champagne. » Ces mastodontes, il les côtoie sans mal : « Objectivement, LVMH est un grand groupe. Il peut faire peur par la taille, mais c’est bénéfique pour la région. »
Son admiration va plutôt à ceux qu’il appelle « les grands résistants ». Jean-Claude Rouzaud, chez Roederer, et Bernard de Nonancourt, pour Laurent-Perrier, ont fait plus que maintenir la flamme des grandes familles de Champagne. Ils l’ont rallumée et ont transmis le flambeau à leurs enfants.
Comme eux avant lui, il est serein sur l’idée de transmission : « Le groupe ne sera jamais cédé parce que je ne vends pas, je donne. J’ai déjà donné la maison Bruno Paillard à Alice et à ses frères et sœurs. Et ce que je détiens du groupe Lanson-BCC leur est aussi transmis. Chacun a une petite holding familiale en plus de notre holding commune. Les Baijot ont fait pareil et les Boizel sont en train de finir de faire la même chose. Aujourd’hui, c’est la deuxième génération qui détient le groupe. BCC a encore des progrès à faire en matière d’économies, il faut tendre vers un équilibre, mais il peut rester familial. Ce groupe n’aura réussi que s’il dure. J’ai vu tellement de familles se déchirer sur ces sujets. En Champagne, la rentabilité par rapport à la valeur n’est pas terrible. C’est une activité où l’on est obligé d’avoir énormément de capitaux propres. Cela représente de grosses sommes excessivement compliquées à transmettre. »
Son avenir
Bien sûr, le développement du groupe n’est pas terminé et il confie que « s’il y a un dossier avec des grands crus, on est intéressé, comme tout le monde. » Reste aussi tant de choses à faire dans un groupe qui est fier de n’être présent qu’en Champagne. « Je suis heureux de voir la nouvelle génération plus investie que nous ne l’étions sur le sujet de l’écologie du vignoble. Mais on change aussi les choses en termes de bilan carbone. Quand j’ai créé la cave dans laquelle nous sommes, j’ai beaucoup réfléchi à l’isolation afin d’avoir une consommation électrique quasiment nulle. Actuellement, nous sommes en train de créer un nouveau bâtiment pour notre vignoble de la côte des Blancs. On souhaitait qu’il soit à énergie positive, en particulier grâce à son orientation. Il intégrera aussi une centrale productrice d’électricité. »
Au cours des quatre heures de notre entretien, la verve du fringant Bruno Paillard ne s’est pas éteinte. Elle n’a même pas faibli. L’homme a su réunir, dans sa passion pour le champagne, toutes les faces de sa personnalité. Il évoque aujourd’hui son travail sans vanité, mais sans fausse modestie non plus. « Quand je regarde la maison Bruno Paillard plus de quarante ans après sa création, ça reste tout petit. On parle de 400 000 bouteilles, ce n’est rien pour le monde entier. En revanche, c’est 500 étoilés Michelin comme clients et je ne suis pas sûr qu’un autre champagne puisse dire ça. Et c’est un vignoble exceptionnel. Pas tant par sa surface, mais par ses origines. Et nous sommes partis de rien ! » En un demi-siècle, la Champagne a évolué drastiquement. Sans autres moyens que sa vision et son expertise, Bruno Paillard a su s’y tailler une place majeure dans ses deux univers, celui de l’artisanat d’art comme celui du business. Mais avec le recul d’une vie de travail et d’entreprise, il confie qu’il ne croit pas que tout cela l’ait beaucoup transformé. « Au début de cette aventure, je fonçais. J’ai toujours fait les choses un peu à l’ancienne, en donnant ma parole. J’ai réussi beaucoup de choses en serrant la main. J’ai senti que le monde était à portée de main. Bien sûr, on s’est développé rapidement. D’où la nécessité d’aller chercher des financements, de réintégrer les bénéfices et d’être bénéficiaire. Il faut être bénéficiaire. Le profit, ce n’est rien d’autre que le droit de continuer. Ce qui est sûr, c’est qu’on a toujours réinvesti. »
Cet homme, qui a « l’amour de la Champagne au plus profond de [lui] », place la connaissance de ce milieu et le respect des hommes comme principes de travail. Celui qui rechigne à parler de luxe – « qu’on peut vite confondre avec luxure » – situe ailleurs son idée du champagne. « J’ai une vision esthétique de la Champagne. Dans la vie, la beauté des choses a toujours été mon guide. »
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