Le prix du vin, un avis différent



Parmi les séismes qui secouent le mondovino à intervalles réguliers, le prix du vin est celui qui enregistre l’amplitude la plus importante. Grosso modo, tout le monde trouve le vin trop cher, sauf les riches bien sûr. On sait pourtant que cette affaire de prix n’est pas d’une extrême simplicité et ne peut pas se réduire au simple goût de lucre qui animerait les tenants de l’affaire, à en croire l’essentiel des commentaires lus sur les réseaux sociaux.
Pour ajouter une voix au débat, j’ai déniché cette pépite. Elle est extraite du plus important forum français, La passion du vin (LPV), le seul qui rassemble chaque jour des milliers d’internautes, le seul qui soit intéressant. C’est Jean-Yves Bizot, vigneron bourguignon, qui donne son avis sur le prix du vin. À lire séance tenante. Ça nous change du gloubi-boulga indigné qu’on peut lire d’habitude et c’est frappé au coin du bon sens.

« La question du prix est certes délicate. Quel est le prix d’une bouteille de vin ? Qu’est-ce qui le fixe ? De plus, elle est perçue de deux côtés parfaitement inconciliables : c’est toujours trop cher d’un côté, et pas assez de l’autre. Enfin ça devrait être comme ça. Car en réalité, certains domaines, cités de nombreuses fois et présentés comme des modèles d’intégrité par les consommateurs, commercialisent vraiment en se plaçant du côté du consommateur : les prix restent bas. Eux sont honnêtes, raisonnables, bien paysans, quoi. Mais regardons le prix de leurs bouteilles quelques années plus tard, ou sur internet, ou chez leurs revendeurs, et là, la donne est complètement différente : les prix sont très élevés. Les vins qu’ils font ne sont plus des produits agricoles, mais des produits comme la Mode sait en faire et sait les vendre.

Si on analyse autrement, c’est assez simple : pour “respecter”, ou une image, ou une habitude, ou une culture, je ne sais pas trop, ou quelques clients particuliers dont certains dotés d’ailleurs de bonnes allocations qu’ils revendent en partie (épiphénomène, est-il écrit dans un post), ils se privent de récupérer une marge importante de leur travail. C’est d’autant plus regrettable, qu’il y a des clients en face, prêts à payer. D’autant plus regrettable que ce sont seulement les réseaux commerciaux ou non commerciaux (épiphénomène, mais qui a eu un impact important) qui en profitent. Notons d’ailleurs, puisque cela a été évoqué, que ce sont ces mêmes domaines jugés honnêtes dont les vins font le plus volontiers l’objet de placements spéculatifs. Etrange, non ? Et ce sont ces valeurs spéculatives qui “fixent” le prix des terres, par des mécanismes que je ne saisis pas encore très bien (bulles ? cercle vicieux ? aspiration ?) : en tout état de cause, il est impossible pour les structures de racheter le foncier. Donc, ils et elles tombent dans les pattes de grands financiers. Et là, pas de cadeaux : le prix du vin sera celui qu’ils décideront.

Il n’y a donc pas 50 possibilités, seulement une alternative : soit nous continuons à vendre pépère au même prix à des clients qui s’érodent, et de toute façon dans 10 – 15 ans, ils ne pourront plus nous acheter de vin : nous aurons disparu. Soit nous changeons de gamme tarifaire et de pratiques commerciales. Les clients particuliers ne nous achèteront peut-être plus de vin (quoique), mais probablement nous serons encore là. En tant qu’exploitant, donc chef d’entreprise, je n’hésite pas longtemps. Je choisis la vie.
Par quel mécanisme de gestion est-il possible de choisir de vendre 50 quand on peut vendre 100, 20 quand on peut vendre 40, 10 quand on peut vendre 20 ? Je n’ai pas la réponse. Mais pour un entrepreneur, c’est une aberration. Sûr. Collectivement, cela mène à la paupérisation. Mais pas d’erreurs : je ne milite pas pour des vins chers pour le plaisir, mais seulement pour faire vivre un système, poursuivre une quête partagée aussi par l’acheteur, prolonger un rêve commencé il y a à peu près mille ans.

Pour toutes ces questions d’économie, je recommande vivement le livre de Louis Latour, Essai d’œnologie historique, publié aux éditions de l’Armançon. »

Nicolas de Rouyn

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