Champagne, réponses aux idées reçues les plus sottes (2/2)

On entend les choses les plus stupides sur le champagne. Voici quelques vérités en face des préjugés les plus véhiculés.

Le champagne non dosé, c’est un snobisme de plus.

Une première mode des champagnes non dosés (sans sucre ajouté au moment du dosage, juste avant de recevoir son bouchon définitif), est née au milieu des années 1970. De grands cavistes comme Lucien Legrand ou Steven Spurrier avaient essayé d’y rallier une part importante de leur clientèle, avec quelques succès, du moins chez les amateurs. Mais le plus grand nombre trouvait ce type de vin trop dure, trop acide, trop amer, et les grandes marques, à l’exception de Laurent-Perrier, pionnière dans ce domaine avec l’Ultra-Brut, boudaient toutes ce qui était devenu une spécialité réservée à quelques récoltants branchés, comme Jean Vesselle à Bouzy ou Legras à Chouilly. Depuis, les raisins ont changé, sous l’effet conjugué du réchauffement climatique et de l’amélioration de la viticulture. Plus mûrs, plus riches en sucre naturel, moins acides, ils ont moins besoin de sucre ajouté pour arrondir leurs défauts. La multiplication actuelle des cuvées très peu ou pas dosées, étiquetées extra-brut ou brut non dosé, montrent que de plus en plus d’amateurs les trouvent plus apéritives et conformes au vin de départ, celui savamment vinifié ou assemblé par le vigneron ou le chef de cave. Quelques nostalgiques pensent qu’elles vieillissent moins bien ou que leur bouquet est moins complexe. Ce n’est pas notre expérience, sauf pour les vins médiocres, qui de toute façon le sont dès le départ. Tous les chefs de caves intelligents dosent moins un vin de dix ans qu’un vin de deux ans. Ils doivent avoir leurs raisons.

Le champagne, c’est que du marketing et des bulles

C’est un peu réducteur quand même. Le processus de prise de mousse, que l’on a commencé à maîtriser à partir du XVIIIe siècle, est une trouvaille géniale. On parlerait aujourd’hui d’innovation produit. Mais le champagne ne se résume pas à ça. C’est d’abord un grand vin avec une diversité de terroirs qui va donner toutes les particularités des champagnes. Un vin qui saura s’associer aussi bien à l’apéritif qu’aux produits de la mer et même aux viandes rosées dans sa variante de la même couleur, et que l’on pourra tester sur des fromages ou des desserts , si l’on accroît le dosage. Un vin qui vieillit avec bonheur, comme le montrent aujourd’hui des 1989 en pleine forme. Quand au reste, les éditions limitées pour les fêtes, les sponsorings, etc., il faut le mettre en perspective avec la taille économique critique en Champagne, qui avoisine le million de bouteilles vendues par an, là où un château bordelais se satisfait de dix fois moins et un vigneron bourguignon de cinquante fois moins. Tout s’explique.

J’ai amené une bouteille pour le dessert

« Oh ! Comme c’est génial ! Ah, mais c’est un brut ? Tu ne veux pas qu’on l’ouvre maintenant ? En plus, ton caviste te l’a vendue à bonne température… ». Sincèrement, ça vous est déjà arrivé, de devoir rectifier le tir, non ?
Le problème d’un champagne (brut) sur le dessert, c’est le choc entre l’acidité du vin faiblement dosé et la saveur sucrée prononcée du dessert. Tout cela parce que pendant longtemps, le champagne était servi uniquement en fin de repas, mais les champagnes d’alors étaient des demi-secs c’est à dire très sucrés. Les temps changent,
les pratiques demeurent. Est-il vraiment impossible se servir un champagne brut ou extra-brut sur un dessert ?
Le périlleux métier de dégustateur nous a prouvé que des desserts très faiblement sucrés, avec juste les sucres naturels du fruit, comme une tarte fine aux pommes et un champagne très vieux (allez, au hasard, un Bollinger 1928) vibraient à l’unisson. Encore faut-il avoir quelques vieilles pépites dans sa cave. Comment, vous n’en avez pas ?

Les champagnes sucrés, ça n’existe plus

C’est vrai que les catégories sucrées (prononcez « dosées », c’est tellement plus chic), comme le demi-sec, sont nettement moins populaires qu’au début du XXe siècle. La faute à une évolution des goûts, vers le moins riche,
le light, qui modifie tous les pans de la gastronomie. Cependant, quelques maisons se permettent de relancer des vins dans cette gamme, car certains consommateurs continuent d’afficher un « bec sucré » qui les fait grimacer à la dégustation d’un brut. Möet avait lancé le bal avec son Nectar, voici une quinzaine d’années, puis Veuve Clicquot a lancé son Rich Reserve, Pol Roger aussi d’ailleurs. Ces champagnes ne sont plus l’apanage des grands-mères qui aimaient y tremper leurs biscuits de Reims, ils sont désormais très branchés notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, car il savent glisser du repas jusqu’à tard dans la nuit.

Michel Bettane et Guillaume Puzo
Photo : Caves Philiponnat

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