L’exception brésilienne 1/2

Vale do Sao Francisco

Le Portugais Pero Vaz de Caminha n’avait pas tort quand il constata, en arrivant au Brésil pour la première fois en 1500, que « dans ces terres là, tout ce qu’on plante, pousse. ». Comment ne pas croire au caractère prémonitoire de ce postulat quand on regarde ces pieds de vignes plantés dans la région du Vale do Rio São
Francisco (la vallée du fleuve São Francisco), pas loin des cocotiers, entre les états de Bahia et de Pernambuco, dans le nord-est du pays, le fameux Nordeste ?

Cette zone, située entre les 8e et le 9e parallèles a été jusqu’à présent inimaginable pour la culture de la vigne. Le climat est caractérisé par une basse pluviométrie (550 mm par an) et un très fort ensoleillement toute l’année, avec des températures moyennes de 26° C. La topographie est plane et les sols de prédominance sableuse. Et pourtant, on y fait du vin.

Le projet a débuté en 1985 et le premier millésime a été commercialisé en 1986. Contrairement à son cousin européen, un pied de vigne dans la Vallée du Sao Francisco peut être vendangé à peine 10 mois après la plantation. Toutefois, la production reste encore modeste. Environ 500 hectares de vigne produisent à peu près 5 millions de litres de vin par an, dont 60% des vins effervescents, 35% des vins rouges et 5% de blancs secs.

Le cépage qui s’est mieux adapté à la région est le syrah, utilisé seul ou en assemblage dans l’élaboration des vins rouges et des effervescents rosé et blanc. Mais d’autres variétés sont en phase d’expérimentation par le laboratoire de l’Embrapa (’Entreprise Brésilienne de Recherche Agro-pastorale), comme l’espagnol tempranillo, l’italien barbera et le français petit verdot. Les vignerons y ont aussi introduit d’autres cépages, tels que le touriga nacional, l’aragonês, Le cabernet-sauvignon, l’alicante bouschet et le ruby cabernet, un cépage américain obtenu en croisant le carignan et le cabernet franc.

Pour les vins blancs secs, on y vinifie surtout le chenin blanc, le viognier et le muscat. Quant aux effervescents doux « Moscatel » , très prisés du public brésilien, ils sont produits avec les variétés de muscat canelli et italia, selon la méthode de vinification des asti italiens.


Irrigation des vignes à partir du fleuve São Francisco
Irrigation des vignes à partir du fleuve São Francisco

Irrigation

C’est grâce au fleuve São Francisco, troisième plus grand du Brésil et cinquième de l’Amérique Latine, que la culture de la vigne a été rendue possible dans cette région réputée être l’une des plus sèches au monde.

Les vignes sont ainsi irriguées toute l’année et leur cycle dépend plutôt de l’intervention de l’homme que de l’influence des saisons. Les vendanges se font deux fois par an, en hiver, entre mai et juillet, et en été, entre novembre et janvier. Cependant, les deux plus grands producteurs de la région, le domaine Santa Maria et la maison Miolo, ont réussi à échelonner la production de leurs parcelles pour pouvoir vendanger pratiquement tous les jours de l’année.

« Le cycle de la vigne est déterminé selon la taille et le moment de l’irrigation. Ce sont les vignerons qui vont définir quand vendanger, en fonction de la demande du marché et de l’état de leurs stocks », explique l’œnologue Giuliano Elias Pereira, de l’unité Vin et Raisin de l’Embrapa.

Cette préoccupation pour les lois du marché ressort clairement dans les mots du Portugais João Santos, directeur-président du vignoble Santa Maria, du groupe Global Wines/Dão Sul. « On élabore ici des vins fruités et légers, qui doivent être bus jeunes. Si je pouvais vendanger aujourd’hui et vendre le lendemain, ce serait l’idéal » affirme t-il sans rire.


Vignoble Santa Maria - Vallée du Sao Francisco
Vignoble Santa Maria – Vallée du São Francisco

Qualité

Compte-tenu de ces conditions si inhospitalières pour la vigne et d’une viticulture encore jeune, on ne peut pas affirmer que la vallée du Sao Francisco soit l’endroit idéal pour produire du vin. La qualité y reste encore très irrégulière et les notions de terroir sont très différentes de celles qui régissent les vins du vieux monde.

Les domaines qui s’entêtent à y faire du vin ne sélectionnent pas leurs parcelles en fonction des caractéristiques du sol — il n’y existe pas encore une cartographie détaillée de la région, mais plutôt en fonction des variations du climat. « Nous commençons à peine un travail d’identification des sols pour essayer de comprendre leur influence sur les cépages et le vin » explique l’œnologue de l’Embrapa.

Ainsi, un même millésime peut produire des vins de styles très différents, selon l’époque de la vendange. C’est donc le climat qui semble être, pour l’instant, la composante la plus suivie pour l’élaboration du vin. La maison Miolo, par exemple, a sélectionné pendant l’hiver ses parcelles récoltées en juillet pour faire le Testardi, un vin avec un plus grand potentiel de garde. Miolo est, d’ailleurs, l’un des seuls producteurs de la région qui semble s’intéresser au potentiel de vieillissement de leur vin.

« On a constaté que les raisins récoltés en hiver, quand les températures sont moins élevées et l’amplitude thermique plus marquée, donnaient des vins avec plus d’acidité et donc plus aptes à vieillir. Nos dernières dégustations nous laissent croire que ce vin pourra vivre environ dix ans en bouteille », affirme l’œnologue Flavio Durante, de la maison Miolo.

En 2012, le Testardi syrah de Miolo a remporté le prix du meilleur vin rouge national. Les vins « Paralelo 8 Super Premium » et « Rio Sol », de la propriété Santa Maria ont aussi reçu, ces dernières années, plusieurs prix nationaux et internationaux, dont la médaille d’or au Concours Mondial de Bruxelles en 2010 ( Rio Sol Brut Rosé) et la médaille d’Argent en 2009 avec le Rio Sol Reserva 2005, élaboré à base de cabernet sauvignon, syrah, alicante bouschet, touriga nacional et aragonês.

« Certes, la qualité reste encore irrégulière, mais quelques jolies bouteilles et la ténacité des producteurs installés dans la région laissent présager un futur prometteur pour les vins de la Vallée du Sao Francisco », parie Giuliano Pereira.

Ana Carolina Dani est une journaliste brésilienne, qui habite à Paris. Elle collabore régulièrement avec plusieurs titres de la presse au Brésil, notamment le journal Folha de Sao Paulo. En formation actuellement sur le vin à l’Ecole Cordon Bleu, elle a eu la bonne idée de s’arrêter chez Bettane+Desseauve.

Suite et fin de ce reportage ici.

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