Elle était la vie même. Vibrionnante, haute en voix et en couleur, tour à tour charmeuse ou excédée, attentive aux uns et aux autres et consciente de ce que sa simple présence imposait. Philippine de Rothschild est restée jusqu’à son dernier souffle dans la nuit du vendredi au samedi 23 août une comédienne passionnée de théâtre, le métier qui fut le sien à la Comédie Française puis au sein de la Compagnie Renaud-Barrault jusqu’à la succession de son père Philippe à Mouton en 1988. Mais en endossant ce nouveau rôle, elle a livré une interprétation unique et sensible qui a fait de Mouton-Rothschild la plus belle scène du vin de ces deux dernières décennies.
Succéder à ce père démiurge qui avait fait du Mouton un mythe presqu’autant qu’un vin n’était pas aisé. D’autant que le cru, devenu premier, ne constituait que la tête de pont d’un groupe qu’elle rebaptisa Philippe de Rothschild SA, produisant et commercialisant également l’un des plus célèbres vins de marque de la planète, Mouton-Cadet, nouant des partenariats prestigieux avec d’autres grands producteurs de tous les continents, le plus illustre demeurant le californien Opus One, fruit de la vision commune de Philippe de Rothschild et de Robert Mondavi.
Pour avoir, au milieu des années 90, signalé dans notre guide que le mouton des millésimes de la période 90/95 n’était pas au niveau de ce que nous attendions d’un tel cru, nous nous sommes rendu compte de la force et de la capacité de réaction de Philippine de Rothschild. Au lieu de nier tout problème (comme, hélas, le font nombre de vignerons) elle demanda aussitôt à son conseil de spécialistes techniques, commerciaux, financiers qui dirigeait avec elle le cru de remettre à plat l’ensemble du processus de production, de la vigne à la bouteille. A partir de 1997, Mouton Rothschild repart sur les rails de l’excellence. Sans jamais plus s’arrêter.
Mais l’essence de son œuvre est ailleurs. Comme son père, Philippine de Rothschild avait la ferme conviction de la dimension artistique du vin. Elle a toujours su et voulu démontrer que les crus qu’elle menait et, au-delà, l’ensemble de cette filière constituaient depuis toujours une part significative de notre civilisation. Elle aura inlassablement affirmé cette dimension fondamentale, du Musée de Mouton au choix des artistes qui illustrent les étiquettes de chaque millésime, de ses paroles comme de ses actes.
À Jean-Pierre de Beaumarchais, son mari, à ses trois enfants – dont Philippe et Julien qui participent déjà à la direction du groupe – nous transmettons nos plus sincères condoléances.
Michel Bettane et Thierry Desseauve