Château Kefraya, la dernière frontière

Le regretté Michel de Bustros, fondateur de Kefraya.
Le regretté Michel de Bustros, fondateur de Kefraya.

ous Nsommes au Liban. La belle histoire de Château Kefraya commence en 1946 dans le village du même nom, au pied du mont Barouk, à plus de mille mètres d’altitude, par la construction d’une grande demeure sur une colline artificielle édifiée par les Romains pour surveiller les mouvements de troupes sur la plaine de la Bekaa. En 1951 débute la plantation de vignes. Michel de Bustros, son fondateur et président-directeur général, est un visionnaire qui s’appuie sur une tradition vieille de quatre milles ans. Il dit : « Bacchus, dieu de la vigne et du vin, a un temple à Baalbek dans la plaine de la Bekaa. Jésus y a transformé l’eau en vin à Cana. Les Phéniciens, 4 000 ans avant Jésus-Christ, en ont produit et l’ont exporté à travers la Méditerranée. » Il connait très bien son terroir transmis de génération en génération. Ce n’est qu’en 1979, en pleine guerre du Liban et dans des conditions très difficiles, qu’il décide de produire son premier millésime avec les raisins issus de son vignoble et vinifiés dans sa cave.
Château Kefraya bénéficie d’un faisceau d’atouts qui le rendent unique : son emplacement, ses terroirs et une législation libanaise avantageuse. « Lorsque j’ai goûté pour la première fois un château-kefraya en 1998, j’ai tout de suite ressenti le potentiel de ce vin. En 2006, j’ai accepté la proposition de devenir l’œnologue de Kefraya et de participer à cette belle aventure » précise Fabrice Guiberteau. Le village de Kefraya n’a pas été choisi au hasard. C’est l’endroit idéal pour faire du bon vin. Une véritable mosaïque de terroirs argilo-calcaire, caillouteux, argilo-limoneux et sableux. Pour l’œnologue, «  c’est une chance d’avoir autant de terroirs différents sur un seul et même domaine. C’est aussi une véritable richesse. Il ne faut donc pas raisonner en terme de parcelles, mais en micro-terroirs intra-parcellaires. »
Cette diversité des sols est indispensable à l’épanouissement de cépages aussi différents que leurs origines sont diverses. Cabernet-sauvignon, syrah, chardonnay et viognier, mais aussi des variétés plus atypiques comme le carménère, le marselan, le muscat à petits grains et des cépages autochtones comme le obeidi. « Cette diversité des cépages plantés sur un domaine n’est pas possible en France », affirme l’œnologue. Il n’existe pas au Liban de décret d’appellation qui limite l’utilisation des cépages en fonction des régions. « Nous avons la possibilité de pouvoir expérimenter, d’affiner, d’innover et de donner une véritable identité à nos vins », précise Fabrice Guiberteau.
Les vignes sont en grande partie palissées et plantées en faible densité à 4 000 pieds par hectare. Elles bénéficient d’une belle exposition, n’ont pas besoin d’être irriguées et profitent d’importants écarts de températures entre le jour et la nuit qui favorisent une parfaite maturité des raisins. C’est une culture raisonnée de la vigne, respectueuse des sols, aucun produit chimique n’est utilisé. Le travail est soigné. Les vendanges sont manuelles pour ne pas abîmer le raisin et le tri sélectif des baies se fait avec une table de tri optique.
Pour faire un grand vin, il faut un bon terroir et un savoir-faire, mais aussi une discipline très stricte. Dans un pays où les règles sont pour l’essentiel absentes ou ignorées et accompagnées, parfois, d’une certaine forme d’anarchie, s’imposer des contraintes et de la rigueur est un défi et un gage de qualité important. C’est le cas ici. On a choisi de planter trois cents hectares de vignes sur un seul et même village reproduisant ainsi, en partie, la notion de terroir à la française alors qu’il n’existe pas non plus de principe d’appellation d’origine contrôlée dans le pays du Cèdre. « Le raisin produit provient uniquement de parcelles situées autour du village. C’est une garantie de qualité et d’identité », confirme Fabrice Guiberteau.
Cette belle histoire aurait pu être beaucoup plus paisible, mais elle est sans cesse confrontée à une situation géopolitique complexe. Ces difficultés et ces menaces accompagnent Kefraya depuis longtemps et sont toujours d’actualité avec une situation libanaise très instable et une guerre sanglante en Syrie. Édouard Kosremelli, directeur général, précise : « Nous étions au cœur du conflit libanais et nous sommes à quelques kilomètres de la frontière syrienne. Dans cet environnement, certains diront que notre quête obsessionnelle de la qualité et notre culte du terroir relèvent de la témérité, voire de l’inconscience. » La civilisation du vin est un bel exemple d’humanité, de réussite et d’excellence face à une culture de la violence aveugle et destructrice.

Un obus datant des années 1980 retrouvé récemment lors de travaux dans le vignoble.
Un obus datant des années 1980 retrouvé récemment lors de travaux dans le vignoble.

Malgré tout, le résultat est là. « Château-kefraya est incontestablement un grand vin méditerranéen », souligne Michel Bettane, critique de vin. C’est aussi « an amazing accomplishment in Lebanon » pour l’Américain Robert Parker. « Château-kefraya est apprécié par les amateurs de bons vins au Liban, mais surtout à l’étranger et plus particulièrement en France », précise Émile Majdalani, le directeur commercial. Cette reconnaissance des grands critiques est confirmée par le choix des amateurs.

 

LES NOTES DE MICHEL BETTANE
ET DE THIERRY DESSEAUVE

kefraya-bouteilleChâteau Kefraya, rouge 2012 16/20
Beau fruité, bouche en finesse et précision, élégance, délicatesse, harmonie. 24 euros

Château Kefraya, blanc 2015 15/20
De jolies notes minérales au nez, un fruité agrumes, bouche ciselée et fraîche. 19 euros

Château Kefraya, rosé 2015 16/20
Un rosé subtil et délicat, aux gourmands parfums de fruits rouges et noirs, désaltérant. 19 euros

 

PHOTOS BARBARA MASSAAD

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