« Je ne maudis jamais la pluie, cette petite soeur déshéritée du soleil. », c’est avec cette citation de Christian Bobin que Château Climens ouvre son journal des vendanges, passionnante lecture que nous reproduisons ci-dessous dans son intégralité.


Les contrastes de début de campagne
« L’hiver, de novembre 2015 à février 2016, a été très doux. Rares mêmes ont été les gelées matinales, dont le retour tardif au mois de mars écarte enfin le risque de débourrement précoce. En revanche, nous nous serions passés de celles d’avril. Le froid de la dernière semaine d’avril a entraîné un ralentissement de la croissance végétative, puis une gelée blanche le matin du 29 a fait des dégâts localisés mais non négligeables sur une zone d’une dizaine d’hectares, touchant jeunes et vieilles vignes. Un traitement de valériane est alors appliqué pour favoriser le démarrage des entre-coeurs. Nous n’insisterons pas sur le printemps notoirement diluvien de 2016, si ce n’est pour se féliciter de s’en être sorti avec honneur, les dégâts du mildiou se révélant limités malgré les difficultés à traiter sous la pluie. Heureusement, l’abus de prêle et d’osier n’a pas d’effets secondaires notoires. »

Enfin les conditions idéales
« Après la succession, ô combien contrastée de ce printemps pluvieux et d’un été tardif, chaud et sec (83 mm cumulés en juin, 12 mm en juillet-août), l’alternance de conditions humides et sèches a fonctionné beaucoup plus harmonieusement en début d’automne, offrant à la pourriture noble un terreau idéal : les pluies des 14 et 15 septembre (47mm) et les brouillards qui suivent libèrent enfin le botrytis. Suspectant une concentration rapide, nous sommes à l’affût et mobilisons nos troupes pour un début de vendanges le mercredi 28 septembre, évoquant l’image d’Epinal de circonstances : le brouillard est bien là, laissant à partir de 11 heures s’imposer un franc soleil. Nous commençons par cueillir essentiellement du confit, mais désirant éviter une concentration excessive, “élargissons” la coupe au vu des premières pressées, laissant une proportion de doré rejoindre les presses. En fonction des parcelles, le tri du raisin est soit plutôt aisé, notamment dans les vieilles vignes, soit rendu compliqué par de petites moisissures indésirables et bien cachées. Mais notre suivi impitoyable, formation et accompagnement permanents des vendangeurs, contrôle de chaque panier ne laissent aucune chance au moindre grain déficient de passer les portes du chai. »

« La chevauchée du botrytis est encouragée par la nuit pluvieuse (39 mm) qui clôture le mois de septembre et par le soleil radieux de la première semaine d’octobre. La douceur est au rendez-vous et les après-midi sont même franchement chaudes (jusqu’à 27° à l’ombre !). La diversité des parcelles nous permet d’adapter progressivement notre programme des vendanges (il s’agit d’être souples et réactifs), coupant plus ou moins large pour obtenir des moûts ne dépassant guère 22° de potentiel, gages d’équilibre et d’élégance. Le déroulé est si parfait qu’il nous accorde le luxe d’une pause le dimanche 2, puis le week-end des 8 et 9 octobre. Le froid a fait son apparition le matin, mais les mains des travailleurs se réchauffent vite car le soleil nous accompagne toujours fidèlement. Nous alternons la cueillette dans les vieilles vignes offrant un confit magnifique, avec quelques passages plus laborieux, notamment sur une parcelle plus sableuse où le raisin a réagi de façon beaucoup plus aléatoire. »

« La concentration, des vendangeurs cette fois, doit être maximale et notre contrôle sans faille afin de traquer la moindre trace de penicilium (la moisissure des fromages bleus, à qui nous en laissons l’exclusivité), de “bouïroc” (le nom local de la pourriture aigre), ou encore d’une nouvelle venue nommée aspergillus niger qui décolore le raisin et laisse une poudre noire pareille au marc de café. Nos chers vendangeurs sont donc conseillés et contrôlés de près par les “chefs”, Danièle (dont le retour cette année nous a réjoui) et l’inflexible Vitor et par la “patronne” qui ne les quitte pas non plus d’une semelle. Frédéric se consacre pleinement au chai en l’absence de Christophe, le jeune doyen du domaine qui se remet d’un accident de santé. Bien entendu, le contenu de chaque panier est scruté avec expertise et persévérance par les deux jeunes expertes du plateau de tri, Flora et Gaëlle. Les numéros des paniers déficients sont aussitôt répercutés à l’encadrement, lequel va prodiguer conseils et, il faut bien le dire, quelques coups de gueule lorsque les mêmes numéros reviennent régulièrement sur le tapis ! Il fallait bien ça pour pimenter des vendanges que l’on peut qualifier d’idéales. »

chateauclimens2016

Finalement, le soleil, jusqu’au bout
« Car si notre première trie se termine le mardi 11 octobre, nous pourrons reprendre huit jours après pour une deuxième (et dernière) trie dans des conditions pour le moins rêvées. Le botrytis s’est installé de façon très homogène et s’est doucement concentré au cours d’une semaine de temps nuageux mais sans ondée. Ces moments de suspense sont toujours délicats, mais en l’occurrence la chance nous sourit toujours : du mardi 18 au samedi 22 octobre, nous pouvons suivre la progression du confit de parcelle en parcelle, coupant à tire sur l’intégralité du domaine de façon toujours à coller à notre objectif de 22° de potentiel. Seul le dernier jour de vendanges dépassera les 23°, mais l’ensemble est parfaitement équilibré. Non seulement la cueillette, sous un soleil omniprésent, est la plupart du temps d’une facilité déconcertante, mais les moûts fermentent admirablement bien. »

« Les dernières journées sont joliment automnales, avec de petites gelées le matin, qui font d’autant mieux apprécier le café chaud de la pause de 10 heures, et rapidement compensées par un soleil éclatant, qui nous accompagne jusqu’aux derniers coups d’épinette, donnés le samedi 22 octobre, la veille d’une dégradation pluvieuse. Malgré les quelques passages un peu plus compliqués, nous nous sommes régalés à cueillir un confit parfait, les chais se sont bien remplis et les fermentations sont sans faille. Si ce millésime 2016 a commencé sa vie sous des auspices peu favorables, les bonnes fées Biodynamica, Météa et Botrytisnobila sont arrivées à temps pour nous offrir des conditions de vendanges exceptionnelles, permettant à notre expérience et notre travail assidu de transformer l’essai : nous nous réjouissons d’annoncer à l’avance la naissance d’un grand climens ! »

« Notre dernière dégustation au chai confirme la beauté de ce millésime. Les différents lots sont déjà bien posés, brillants et commencent à témoigner de leurs caractères respectifs : la finesse et la fraîcheur, une impression très printanière, dominent en début de première trie, où l’on trouve de jolis arômes de primevère, de poire ou encore de pamplemousse jaune. L’amplitude est plus présente à partir du milieu de vendanges, avec des sensations “rôties” et gourmandes, mais rendues aériennes par une belle minéralité et des arômes multiples et raffinés : de l’orange verte à la bergamote en passant par la tarte tatin, le citron vert et l’eucalyptus, avec çà et là la petite pointe de salinité qui donne encore plus de relief aux vins de Climens. Laissons-les hiberner avant de renaître plus magnifiques encore au printemps. »

Bérénice Lurton et Frédéric Nivelle