Jean-Luc Colombo, Cornas réinventé de 1987 à 2014

Nul ne songerait aujourd’hui à contester l’excellence du travail accompli à Cornas par Jean-Luc Colombo avec son épouse Anne, relayé depuis quelques années par sa fille Laure (photo). L’œnologue révolutionnaire et suspect des années 1980, qui aurait ruiné par ses conseils la typicité traditionnelle des vins du secteur a vite montré son courage et sa détermination, travaillant des parcelles très pentues, en défrichant d’autres et prouvant à toute la communauté locale de viticulteurs qu’il respectait davantage le terroir et son environnement que la plupart d’entre eux. On peut toujours contester son choix d’embouteiller ses vins en bouteille bordelaise, mais dans les années 1986-1987 ce type de bouteille permettait un bouchage plus précis. Ce qui n’empêche pas, comme on le verra, quelques accidents. Le domaine produit quatre cuvées de cornas, toutes sur granit. Une toute petite parcelle spectaculairement nichée donne le Vallon de l’Aigle. Une vingtaine d’autres parcelles donnent la cuvée Terres Brûlées. Exposée au soleil levant, Les Ruchets ont la chance d’être plantés en vieilles vignes et donnent un vin plus complet et parfois même plus élégant. Enfin La Louvée, exposée plein sud, possède un velouté de texture particulier qui justifie une mise séparée. Son vin conviendra encore plus que les autres au grand gibier. Principalement centrée sur les cornas les Ruchets et La Louvée, notre dégustation a eu lieu au restaurant Tan Dinh, chez les frères Vifian, dont on connaît l’amour pour les grands vins de la région et qui, dès ses débuts, ont cru au talent de Jean-Luc Colombo. Ils ont même conservé le premier vin qu’il ait vinifié et il s’est avéré vraiment émouvant de finesse et de naturel.

2014 Les Ruchets
Grand nez racé de caractère cassis framboise, magnifique pureté, long, complexe, abouti, un modèle d’expression nette et respectueuse du terroir de Cornas, avec un enrobé de tannin que ne renierait pas une grande cuvée d’hermitage. Vraiment un coup de cœur.

2014 La Louvée
Touche plus tendue, droite et minérale de caractère, mais on retrouve la framboise et l’élégance du tannin en bouche, intense, un rien plus solaire dans les sensations tactiles immédiates, une autre parfaite vinification et un élevage à citer en modèle du genre.

2013 Les Ruchets
Notes un peu plus végétales qu’en 2014, terrien, net, droit, ensemble encore un peu simple mais précis, terminant sur des tannins de millésime compliqué.

2013 La Louvée
Une touche de café moka vient adoucir le nez, des notes de cèdre enrichissent le bouquet et le sentiment global, malgré la relative sévérité du tannin, d’un raisin un peu plus mûr. Attendre encore trois à cinq ans.

2013 Vallon de l’Aigle
Cette mini-cuvée qui n’est pas produite à chaque millésime est issue d’une parcelle exceptionnelle par son site, son micro climat et la force de sa pente rendant la viticulture vraiment sportive. Le résultat vaut la chandelle en 2013 avec un raffinement et une puissance inimaginables pour le millésime et une persistance digne des plus grands côte-rôtie. Une splendeur que peu d’amateurs, hélas, pourront savourer.

2012 Terres Brûlées
Notes florales et épicées plutôt fines, tannin bien enveloppé. Petite sensations d’alcool et tannin encore un peu rugueux, mais grande netteté aromatique. Attendre trois à cinq ans.

2012 Les Ruchets
Une peu de brunissement dans la robe et des notes plus évoluées d’épices, de menthol, et de senteurs empyreumatiques donnant un sentiment de vieillissement supérieur à un an par rapport au 2013, intéressant et équilibré.

2012 La Louvée
Encore une touche caractéristique de moka, plus gourmand et arrondi que dans Les Ruchets. Vin sincère et fort agréable dès maintenant.

2011 Les Ruchets
Grand nez complexe de syrah de noble origine, fraîcheur, ampleur, velouté de texture, notes racées de violette, long, remarquable.

2010 Les Ruchets
Première bouteille imparfaite, oxydée par un bouchon fort coupable ! Seconde bouteille un peu plus nette, mais sans le cachet et la complexité du 2011. Oublier.

2009 Les Ruchets
Très belle robe grenat profond, nez puissant et complexe, allant vers le sud avec des nuances d’olive, de sang séché, d’épices pouvant rappeler Châteauneuf-du-Pape et un corps généreux, associant un grand velouté de texture et un soutien tannique qui porte parfaitement ce corps. Grand vin de soleil.

2008 Les Ruchets
Plus mentholé et minéral au nez que 2009, pas complètement net en fin de bouche.

2007 Les Ruchets
Nez bien dégagé et séduisant sur des notes café moka et chocolat très gourmandes. Corps strict et net, terroir de côte très souligné, vin terrien, correspondant bien à l’idée que l’amateur se fait de cette appellation.

2006 Les Ruchets
Ici, l’influence et le style recherché par Jean-Luc au départ de cette cuvée prend nettement le dessus sur les évolutions plus modernes, déterminées par sa fille. On trouve des notes florales (violette) au nez et un corps plus serré, mais avec beaucoup de caractère.

1987
Bouteille historique du premier millésime vinifié par Jean-Luc Colombo, qui n’avait produit que quelques pièces de vin. On peut imaginer l’émotion ressentie par les dégustateurs présents et par le vigneron lui-même, qui n’est même pas certain d’en avoir encore une bouteille. Le parfum de ce vin est réellement magique avec des nuances florales dignes des plus grands pinots noirs de la côte de Nuits et le côté moka qu’on avait déjà perçu à plusieurs reprises. Long, subtil, rarissime et, malgré les moyens techniques rudimentaires de ces débuts, magistral. Un vin qui rend vraiment hommage à la force du terroir de Cornas et qui devrait être re-goûté avec humilité par tous ceux qui ont pensé le contraire à sa naissance.

 

Article publié dans EN MAGNUM #08 mars-avril-mai 2017

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