Une année dans les vignes


A dix jours de la 157e édition de la célèbre vente en primeur et aux enchères des vins du domaine de l’hôpital-vigneron de Beaune, dont une nouvelle cuvée Bernard Clerc (Domaine Henry Clerc) issue de la donation d’une parcelle d’une vingtaine d’ares en appellation puligny-montrachet, nous reproduisons ici l’histoire détaillée, racontée Ludivine Griveau, régisseuse du domaine des Hospices, de ce millésime 2017 qu’elle a baptisé “L’équilibriste”.

La climatologie (octobre 2016-septembre 2017)

« Après un automne très ensoleillé, notamment en octobre qui est presque estival, voilà bien longtemps que nous n’avions pas eu un véritable hiver. Certes le soleil brille en décembre et janvier (+ 121 heures de soleil en plus), mais il fait très froid ! Nous comptons ainsi sept jours sans dégel en décembre et vingt en janvier. La pluviométrie aussi est changeante par rapport à ces dernières années car le déficit de pluies hivernales est en net recul de cet hiver. Tout s’inverse en février et mars qui sont des mois chauds (+ 2°C au-delà des normales de saison) et très lumineux. On s’attend à un démarrage rapide de la végétation. L’ensoleillement de début avril est largement excédentaire et les pluies sont faibles, c’est l’opposé de 2016. La fin du mois est plus chaotique, tout le monde scrute les prévisions météo qui annoncent des risques importants de gelées. Mais il fait sec et le vent diminue les risques. On se rassure, les bourgeons résistent normalement à – 3°C. Pourtant le contexte plus humide des 27 au 29 avril donne des sueurs froides et des nuits blanches. En effet, deux nuits durant, les vignerons des villages des côtes et hautes-côtes se mobilisent tant bien que mal pour assurer une couverture nuageuse aux levers de ces deux jours là. Au final, les dégâts sont très localisés et contenus. Nous avons une pensée pour des vignobles voisins qui ont parfois presque tout perdu. »

« La fraîcheur perdure début mai, puis l’été arrive avant l’heure avec des températures autour de 33°C et un ensoleillement exceptionnel jusqu’à la fin du mois. Les pluies sont régulières, la vigne les accueille avec soulagement. Au demeurant, la chambre d’Agriculture nous alerte : « le déficit est notable » et comparable à 2016 où, à l’inverse, l’excédent de pluies battait des records. En juin, les périodes de forte chaleur continuent, mais sont entrecoupées d’épisodes pluvio-orageux qui aboutissent à des cumuls très variables selon les secteurs (20 à 50 mm en 7 jours). La dernière semaine de juin est caniculaire avec des journées à 38°C à l’ombre. Les plantations ont particulièrement soif. Les orages continuent en juillet, mais sont entrecoupés de périodes beaucoup plus fraîches montrant de grandes amplitudes thermiques d’un jour à l’autre. Le déficit d’eau ne se comble pas, et au final, l’ensoleillement est déficitaire de 30 heures sur ce mois (l’équivalent d’un mois de mai selon la chambre d’Agriculture). Le mois d’août sera plus régulier, malgré une semaine autour du 15 août où il fait frais et gris. Le vent, présent depuis le début du millésime, continue d’assainir les vignes et de bien ressuyer chaque pluie. À la toute fin du mois, les vignes sont vertes et les raisins bien visibles. Les premiers raisins du domaine, à Chaintré, sont coupés sous un soleil de plomb les 26 et 27 août. »

Le cycle végétatif

« Suite au printemps plus que clément en février et mars, la vigne est dans les starting-blocks et montre une reprise de son activité végétative déjà autour du 20 mars. On observe en effet des stades de bourgeons gonflés dans le coton à cette date. C’est plus rapide que prévu et la fraîcheur revenant, les choses se calment un peu jusqu’à début avril. Le 28 mars, on trouve deci delà des pointes vertes dans les secteurs les plus précoces. Dès lors, on perçoit que ce millésime se lance dans la course à la précocité avec ses voisins 2014 et 2011. C’est quinze jours plus tôt que 2016. Tout le long du mois d’avril, la végétation ne fait qu’accélérer son développement et les travaux d’attachage se finissent à la hâte. Le rythme est intense, les feuilles s’étalent les unes après les autres : on peut observer entre trois et cinq feuilles au 20 avril, c’est assez hétérogène au sein des parcelles du domaine et il est difficile d’établir une tendance au sein des jeunes vignes d’une part, et des plus âgées, d’autre part. Les sourires se crispent à la fin du mois à l’annonce des risques de gel. Un an après, jour pour jour, encore en ce 27 avril, la Bourgogne retient son souffle, déploie une action collective inédite pour tout faire pour sauver la récolte. Au petit matin, le verdict tombe : les jeunes poussent sont saines et sauves dans la plupart des parcelles. Durant cette période, le travail du sol est suspendu afin de ne pas engendrer de remontée d’humidité. Il ne reprendra que début mai, alors que la pousse stagne pendant plus de quinze jours. »

« Les vignes sont vert pâle, elles se remettent doucement de la vague de froid et de sec. Nous voyons cependant que la sortie des bourgeons est importante, donc nous entamons un long et précis travail d’ébourgeonnage au sein de toutes les parcelles. A partir de mi mai, la vigne pousse à une allure effrénée. On note l’apparition de trois à quatre feuilles par semaine. Pourtant les températures remontent tout doucement, mais on voit bien que les vignes n’attendaient que ce petit coup de redoux pour se lancer. Fin mai est très chaud, le rythme de pousse est intense et l’on s’attend à voir les premières fleurs assez tôt. Gagné ! En chardonnay, la pleine floraison est atteinte la semaine du 30 mai et celle du pinot noir dans la semaine d’après. Nous choisissons de limiter les risques de coulure en attendant 50 à 75 % de floraison avant d’écimer. Parfois les branches sont longues, mais il faut favoriser les afflux de sèves vers les fruits plutôt que vers les apex des rameaux. L’avance est conservée, les maladies et ravageurs n’exercent pas une trop forte pression. Cela nous laisse donc le temps des opérations en vert en pleine pousse active. Il faut tenir la cadence car les alternances pluies-chaleur sont très favorables à la vigne. Par choix, aux Hospices de Beaune, nous confions une surface de 2,5 hectare par salarié viticole, ce qui, même dans cette configuration de pousse intense, laisse tout le temps à un travail de précision primordial dans les opérations de relevage, d’accolage et de labour. »

« Les baies de certaines parcelles de chardonnay ont déjà atteint 2 à 3 mm à la mi-juin, 2017 entre donc parmi les trois millésimes les plus précoces de ces dix dernières années. Ce rythme restera soutenu durant juin et juillet avec un développement homogène en pinot noir et une pression phytosanitaire très limitée sur l’ensemble des secteurs. Nous décelons toutefois des phénomènes de coulure sur les chardonnays, parfois assez conséquents (débourrements rapides + averses importantes. + fortes chaleur). Pour les pinots, on reste dans la moyenne physiologique (nouaison moyenne environ de 70 %). Jusqu’au 28 juin, les chaleurs sont écrasantes, les vignes se bloquent parfois dans leur développement et montrent même des signes de sécheresse. Les effeuillages ayant été menés de bonne heure en pinot noir (courant juin), les fruits se sont acclimatés à la chaleur et au soleil. Les dégâts des plus importants s’observent ainsi sur des raisins pour qui l’exposition est plus brutale. Autour du 10 juillet, les grappes ont parfois atteint le stade de fermeture : on reparle de 2007 et 2009 en termes de comparaison de précocité et déjà la date de fin août-début septembre se dessine pour la récolte. Un épisode de grêle en côte de Nuits nous fera encore frémir, mais c’est ce sera la dernière grosse alerte climatique de l’année. »

La récolte

« Les pluies d’averses sont parfois à l’origine de cumuls importants, très hétérogène : Vosne affiche 90 mm quand Pommard n’en reçoit “que” 50. Le 15 -20 juillet, les premières grumes se teintent en rouge car la fermeture de grappe ne s’est pas faite attendre. L’avance de 3 semaines sur 2016 se confirme, nous débutons la préparation de la cuverie et du matériel de réception de la vendange. Tout début août, les vignes sont au stade mi-véraison. Cette dernière sera un peu plus étalée que ce à quoi l’on s’attendait car la deuxième décade d’août est plus fraîche et surtout moins lumineuse (temps nuageux mais chaud). Elle s’achèvera autour du 21-25 août. L’état sanitaire est très bon et nous avons le sentiment qu’il faudra plus gérer le tri de raisins hétérogènes en maturité que de raisins abîmés par du botrytis quasi absent à ce stade. Dans les derniers jours d’août, le pinot noir se gorge de sucre et le chardonnay se goûte de plus en plus équilibré. Une fois encore, les contrôles de maturité et la dégustation des baies sont indispensables. Nous avons fait le choix de les mener de nouveau sur l’intégralité du domaine, soit 117 parcelles. Le 21 août, nous débutons nos contrôles de maturité, la récolte est saine, les chardonnays semblent un peu en avance sur le pinot noir. Décidément, rien à voir avec 2016 ! »

« L’état sanitaire est vraiment superbe, la météo annoncée plus que clémente, nous avons le temps de récolter des raisins à parfaite maturité. Ce sont les 26 et 27 août pour notre pouilly-fuissé et le 1er septembre en côte de Beaune, que nous avons récolté nos premiers raisins de chardonnay. Dans le même temps, les contrôles de maturité sur les pinots sont unanimes : il faut commencer ! Les tous premiers arriveront en cuverie le 2 septembre. Tous les raisins, ont bien entendu été passés sur table de tri. Nous avons pu constater que la récolte était assez abondante, comme prévu, mais nos choix de méthodes culturales portent leurs fruits et nous avons des rendements parfaitement maîtrisés comme à notre habitude. Cette année, la dégustation des baies de pinot noir et des pellicules nous laissaient entrevoir des tannins et des couleurs qu’il va falloir aller extraire et qui vont exiger une certaine “technicité”. Cela tombe bien, nous sommes prêts à mener ce travail d’équilibriste que le pinot noir demande parfois. Les chardonnays sont denses, les pressoirs se règlent au cas par cas. C’est donc bien pour un millésime “d’équilibriste” pour des vins équilibrés que nos énergies vont se mobiliser pendant plusieurs semaines. »