#01 Le vin et le bois, du mariage de raison à l’histoire d’amour

La plupart des grands vins sont élevés sous bois mais le but ultime d’une barrique, d’un foudre est de ne pas marquer le vin, de devenir invisible après l’élevage. Un rôle ingrat pour ce produit noble venu du fond des temps et qui n’est destiné qu’à l’oubli.

 

Une histoire vieille de 3 000 ans
Rares sont les produits qui ont traversé l’histoire sans modifications majeures. Le tonneau en est pourtant un. On le fabrique encore artisanalement et si le tonnelier du XXIe siècle dispose d’outils plus perfectionnés que son confrère gaulois, les produits finaux qu’ils confectionnent ont une ressemblance évidente.

Avant le tonneau celte, l’amphore égyptienne
Les Égyptiens utilisaient l’amphore de terre cuite. On en retrouve des traces innombrables dans la plupart des fouilles archéologiques. Elle servait au stockage et au transport du vin, de l’huile d’olive, de la plupart des produits agricoles et même des poissons mais son inconvénient majeur, sa fragilité, va conduire à son abandon. Le cintrage du bois à chaud connu depuis l’Antiquité pour la fabrication des bateaux va permettre de réaliser les premiers tonneaux. Il n’est pas certain que cette invention soit gauloise. Elle serait celte ou en provenance d’Etrurie où l’on a retrouvé une représentation d’un tonneau datant du VIe siècle avant JC. La Gaule en fera un usage massif et développera des centres de tonnellerie qui rayonneront dans tout l’Empire romain. Le tonneau servait au transport et au stockage de la cervoise, du vin ou simplement de l’eau. Il donnait moins de goût que les outres en peau d’ovin ou de bovin. Plus solide que l’amphore grecque peu empilable, le tonneau à l’avantage de permettre la manutention de grosses quantités de liquide en le faisant rouler sur son arête. Apte à tous les types de transport, routier, maritime, fluvial, son usage se généralisera au IIIe siècle après JC.

La contenance des fûts, du cocasse à une certaine normalisation
S’il est un domaine qui a connu un développement totalement anarchique dans l’histoire, c’est bien la contenance des fûts de vin. Chaque région, chaque canton pouvait avoir ses types de tonneaux et chaque type de tonneau avait une contenance spécifique héritée des anciennes mesures médiévales. Une grande disparité jointe à un chevauchement des volumes sous des dénominations différentes qui n’a été rationalisée qu’au milieu du XIXe siècle. Les négociants en vin parisiens lancèrent une pétition à l’adresse de Napoléon III. « L’unité des mesures de jaugeage des vins varie d’une contrée viticole à l’autre et souvent dans un même département ». Les négociants ne s’y retrouvaient pas, s’estimaient lésés et finirent par obtenir cette rationalisation et l’instauration du système métrique pour les contenances. Jugez plutôt de ce qui existait avant cette rationalisation.

 

L’anée de 76 l en Rhône à 300 l dans le Mâconnais
Le baril de 26 l en Provence à 150 l en Corse
La barrique de 80 l en Provence à 402 l à Paris
La baste 25 l à Bordeaux
La busse 232 l en Mayenne
La charge de 40 l dans la Meurthe à 800 l à Bordeaux
La comporte de 43 l dans le midi mais de 94 l à Narbonne
La demie 106 l dans le Mâconnais
Le douil 400 l à Bordeaux
La feuillette 112 l dans le Mâconnais à 136 l dans l’Yonne
Le foudre de 91 l à Paris à 1 000 l en Moselle
Le fût de 228 l en Bourgogne à 350 l à Cognac
La manrée 40 l en Anjou
Le muid de 145 l à Laon à 685 l dans l’Hérault
Le demi-muid de 365 l en Languedoc à 600 l dans le bordelais
La pièce de 142 l dans le Mâconnais à 420 l dans le bordelais
La pipe de 480 l en Anjou à 533 l ou 650 l en Languedoc
Le poinçon de 228 l à Blois à 250 l dans le Cher
Le pot 40 l en Auvergne
Le quart 67 l à Paris
Le quartaut de 57 l en Bourgogne à 137 l en Auvergne
La queue de 457 l à Beaune à 894 l à Paris
La demie-queue de 175 l dans le Sud-Ouest à 275 l dans le Comtat Venaissin
La saumée 110 l en Provence
Le setier de 8 l en Vendômois à 11 l à Paris
La tiercerolle 230 l dans le Gard
Le tierçon 91 l en Champagne
Le tierçon 560 l à Bordeaux
Le tonneau de 773 l à 804 l à Paris, 900 l à Bordeaux
La velte 7,53 l à Bordeaux
La verge 7,53 l à Bordeaux

 

La normalisation
La plupart de ces contenants a disparu. Le standard aujourd’hui est de 225 litres pour les barriques bordelaises effilées et de 228 litres pour les pièces bourguignonnes plus courtes et plus ventrues. Les capacités plus importantes de 350 à 600 litres connaissent un développement important, sur les blancs et dans le sud de la France où l’on recherche un marquage bois plus discret et un élevage en milieu plus réducteur avec une interférence vin-oxygène limitée.
Mais le rapport de contact entre le vin et le bois n’évolue pas autant que certains vignerons semblent le croire quand on passe à des barriques de plus grande contenance. La surface d’échange bois-vin diminue de 11 % quand on passe d’une barrique de 225 litres à une de 300 litres, de 24 % si on passe à 400 litres et de 31 % à 500 litres.

La nature des échanges entre le bois et le vin
Moins de 3 % des vins mondiaux sont élevés sous bois mais ce sont les plus prestigieux. Car une barrique coûte cher, de l’ordre de 800 euros.
Créés initialement pour faciliter le transport des aliments, des liquides et du vin, on s’est vite aperçu que les tonneaux améliorent l’élevage du vin en permettant une oxygénation contrôlée. Le bois du tonneau apporte des tannins qui se combinent à ceux des vins, ce qui contribue à sa capacité de garde. Le bois apporte aussi des arômes secondaires qui peuvent donner plus de complexité. Les apports d’un fût neuf seront maximum mais ils peuvent aussi fortement marquer le vin. Ces apports diminuent avec des barriques d’un vin, deux vins… Généralement, au bout de quatre ou cinq ans, l’effet sur le vin est négligeable. Les arômes ont été dissous et les pores du bois sont bouchés par le bi-tartrate de potassium qui s’est déposé. Les barriques utilisées pour les eaux de vie peuvent être utilisées plusieurs décennies car, plus faibles en acide tartrique, elles ne bouchent pas les pores du bois. Après usage, il est indispensable d’entretenir et de nettoyer les barriques car la porosité du bois développe facilement toutes sortes de contaminations bactériennes et levuriennes.

Le choix du chêne
Le palmier des premiers tonneaux venus d’Orient qui se cintre mal a été remplacé par le bois de conifère puis par tous les types de bois disponibles localement. Le châtaignier n’a pas la robustesse du chêne et donne au vin des tannins âpres mais il a été beaucoup utilisé pour le transport du vin. Le robinier ou faux-acacia aromatise les vins blancs en leur conférant des goûts citronnés. Le vrai acacia a plutôt été utilisé pour stocker des viandes et du beurre car il est imputrescible. Le peuplier résiste au sel et a servi au transport des salaisons. Pour ses tonneaux, le monde viticole a privilégié le chêne. En France, les variétés utilisées sont le chêne rouvre ou sessile ou encore le chêne pédonculé, dont la fibre ne peut être sciée, et doit donc être fendue pour ne pas l’endommager et conserver son étanchéité. La vanilline des chênes européens apporte des arômes vanillés au vin qui sont appréciés, au moins à dose homéopathique.

Les forêts les plus célèbres sont celles de l’Allier (Tronçais), de la Nièvre (Bertranges) avec des bois au grain fin et serré, des Vosges, de Normandie, de Vaud en Suisse. Les forêts du Limousin et du sud-ouest aux grains moins fins et très aromatiques sont plutôt recherchés par les éleveurs d’eau de vie.

Le chêne blanc d’Amérique est utilisé traditionnellement pour le whisky ou le bourbon, mais également pour le vin. Il a l’avantage de pouvoir être scié ce qui minore considérablement le coût de fabrication d’une barrique. Cette opération fait éclater les cellules du bois et permet de faciliter la libération de précurseurs d’arômes, ce qui apporte des notes de noix de coco appréciées par les producteurs de whiskys. Il donne en plus aux vins une sucrosité qui ne fait pas l’unanimité en Europe.

Le vin et le bois, « Je t’aime, moi non plus »
Le vin suit les modes et les contraintes de l’époque. Avant les années 1990, les parcs à barriques d’âge antédiluvien (on en rencontre moins aujourd’hui) ont gâté nombre de millésimes en leur apportant des faux-goûts aisément reconnaissables.

Le « goût Parker »
Puis la tendance s’est brutalement inversée avec une mode du fortement boisé appelée un peu à tort le « goût américain » ou le « goût Parker ». On a entendu des vignerons expliquer qu’ils utilisaient 200 % de bois neuf en passant les vins dans deux barriques neuves au cours de leur élevage.
Le no-oak
À la mode du trop de bois a succédé par retour de balancier la mode du no-oak, le consommateur refusant tout vin dont l’élevage est perceptible. On peut le comprendre mais peu de très grands vins peuvent s’affranchir d’un élevage sous bois bien maîtrisé. En analysant l’élevage selon les cépages, on s’aperçoit que les cabernets, merlot, pinot noir et mourvèdre savent digérer leur élevage quand on ne le force pas. Il n’en va pas de même pour le grenache, notamment en année chaude quand l’alcool fait ressortir les arômes « coco-vanille » du fût. Une expression hélas trop répandue dans les vins du sud.

Plus de deux mille ans après son invention, la recherche sur le bon usage des fûts a beaucoup progressé mais n’est pas aboutie. À ce rythme, quelques siècles d’investigation semblent encore nécessaires, mais on progresse…

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