Les 12 apôtres des vins de Savoie

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Le vignoble d'Arbin, sur le versant sud de la Combe de Savoie.

Circonscrite à ses pistes de ski, la Savoie regorge pourtant d’un phénoménal patrimoine de cépages t de crus. Une diversité explorée des curieux qui ont bien compris que la région renouvelait l’exotisme viticole avec panache.

Domaine Louis Magnin (Arbin)
Les Magnin réduisent la voilure, mais maintiennent le rang et le style avec une nouvelle cuvée de mondeuse en grappes entières, Fille d’Arbin, à découvrir absolument. Ce domaine conduit en biodynamie est un incontournable. La précision, la pureté de style et surtout la grande régularité affichée année après année forcent le respect. Entier et attachant, le couple fait partie de ces figures savoyardes qu’il faut rencontrer au moins une fois. Hélas pour nous, les Magnin ont décidé de raccrocher (en partie) les gants et de réduire le domaine à 2,5 hectares à partir de la récolte 2018 pour réaliser une gamme courte autour de trois mondeuses (dont une en raisins entiers), une roussette et un bergeron. Certifiés bio, les vins sont d’une grande régularité, bâtis pour la garde. Les blancs sont terriens, parfois confits dans leurs arômes, mais harmonieux. Les rouges traduisent une grande intelligence de l’élevage, comme la cuvée Tout Un Monde, une mondeuse de vignes centenaires, puissante et colorée, bâtie pour la garde. Ces vins d’attente, dédiés à tous les hédonistes que le temps ne presse pas, sont des savoyards au coeur fidèle. Il reste des vins à vendre, sachez-le !

Domaine des Ardoisières (Fréterive)
Originaire de la Champagne et ingénieur agricole, Brice Omont a débuté son aventure en 1999, choisissant la Savoie et s’associant dans la foulée avec Michel Grisard les premières années. Seul aux commandes depuis 2009, soutenu par dix associés amis et amateurs qui financent en partie son projet, il travaille en bio treize hectares sur deux coteaux. Il y a celui de Cevins, avec des schistes et des sables relativement légers, et celui de Saint-Pierre-de-Soucy, sur la rive gauche de l’Isère, avec des sols de schistes plus profonds et plus argileux. Il y a quarante ans, ces terroirs étaient à l’abandon, peu exploités du fait d’un mûrissement aléatoire. Aujourd’hui, la fraîcheur de ces coteaux se démarque, elle est même devenue un atout. Avec des rendements a minima, les blancs notamment tirent leur épingle du jeu. Les paysages préservés et encaissés, à l’entrée de la Tarentaise, valent absolument le coup d’oeil, le travail effectué y est dantesque et force le respect. Les vins sont pleins et mûrs, propulsés par des élevages savamment dosés où le bois transparaît peu et s’intègre parfaitement au vieillissement. Les blancs (à base de jacquère, chardonnay, roussanne, mondeuse blanche, altesse, pinot gris) offrent beaucoup d’ampleur, de la tension et de l’ambition. Des fûts Stockinger sont entrés pour le millésime 2016. Les rouges (à base de persan, mondeuse, gamay) ont du fond, de la densité, sans dureté ni rusticité aucune. Ce sont des vins complexes assez étonnants, à carafer et préparer, qui vieilliront bien une petite dizaine d’années.

Domaine Pascal et Annick Quénard (Chignin)

Installé au Villard, sur la commune de Chignin depuis 1987, Pascal Quénard cultive aujourd’hui 6,5 hectares. Même si la démarche et la réflexion ont fleuri dans son esprit il y a trente ans déjà, et ont été appliqués dans les faits, le passage officiel au bio n’est effectif que depuis 2016, premier millésime certifié. La gamme est aussi convaincante que complète, en progression année après année. Les blancs, malolactique faite, offrent un bon confort de bouche et beaucoup de gourmandise. Les deux mondeuses cherchent la finesse et le floral, avec réussite. Les 2016 dégustés cette année en bouteille confirment amplement le style du domaine et sa bonne tenue, avec toujours une mention spéciale pour la mondeuse L’Etoile de Gaspard et le chignin-bergeron Noé. Une adresse à découvrir et à visiter, un nouveau caveau d’accueil permet de déguster sereinement.

Domaine Partagé (Chignin)
Installé sur les coteaux abrupts de Chignin, entre calcaires, limons et argiles, Gilles Berlioz a troqué voilà près de trente ans ses habits de paysagiste pour ceux de vigneron, non sans réussite. Son exploitation à taille humaine, réduite à cinq hectares, lui permet de cultiver la vigne comme un jardin, en biodynamie depuis 2007. Il était parmi les premiers à l’aube des années 2000 à opter pour l’agriculture biologique, parce que « le vin est fait avant tout pour être bu » et qu’il peut ainsi, grâce à de petits rendements, obtenir des matières concentrées et mûres sans de gros degrés. À partir de 2016, le domaine s’appelle Partagé et fonctionne selon un modèle coopératif et solidaire. Les vins sont vinifiés selon le mode « un terroir, une cuvée ». Titrant peu de degré alcoolique, jamais chaptalisés, toujours mûrs à point, les blancs sont aboutis, purs, minéraux et délicats, même si on note çà et là quelques irrégularités d’une année sur l’autre. Les 2016 et 2017 ont donné de belles réussites, réunies dans une gamme raccourcie.

Domaine du Cellier des Cray (Chignin)
Cousin de Gilles Berlioz, Adrien Berlioz s’est installé en 2006 sur les coteaux de Chignin et d’Arbin. Intègre et pointilleux, le trentenaire va jusqu’au bout de sa démarche bio, jonglant avec les millésimes et les terroirs. Car d’une année sur l’autre, il ne vinifie pas forcément les mêmes parcelles, selon les fermages alloués. Porté à 6,5 hectares aujourd’hui, le domaine fait partie des références de Savoie, offrant des vins denses, sincères, hétérogènes selon les cuvées, mais toujours ancrés dans leur terroir. Les très nombreuses cuvées sont proposées dans des bouteilles lourdes de belle facture. Eclat et finesse pour les blancs, fraîcheur et profondeur pour les rouges caractérisent ces vins produits à petits volumes. Le millésime 2017, de belle facture, offre une gamme de dix-huit vins.

Le domaine J.F. Quénard, au pied des tours de l’ancienne forteresse de Chignin.

Domaine Jean-François Quénard (Chignin)
Jean-François Quénard a pris la suite de son père en 1987, après un diplôme d’oenologue à Dijon. Les cinq hectares d’origine ont été élargis par fermage pour arriver à dix-sept aujourd’hui. Avec son épouse Catherine, il gère le domaine en bon père de famille, en agriculture raisonnée. Mais chemin faisant, il réalise quelques essais en bio sur cinq hectares de jacquère, pratique les labours et les griffages, l’enherbement, etc. Les blancs sont effilés, minéraux, purs, d’une régularité réjouissante. Ils jouissent d’une maturité idéale, sans excès, et de beaucoup de finesse. Chaque année, les chignin-bergeron Au Pied des Tours et Comme Avant sortent du lot. Les rouges sont complets et généreux, il faut les carafer ou les attendre car ils en ont le potentiel et l’ambition. La mondeuse Élisa se distingue elle aussi. Le reste de la gamme est du même acabit, avec toujours un bon relief de bouche et de l’ampleur. La qualité est exemplaire et ne cesse de progresser. Le crémant nouvellement arrivé survole la catégorie. Une valeur sûre.

Cellier de la Baraterie (Cruet)
À tout juste 25 ans, Julien Viana n’a peur de rien. L’outsider de la Savoie confirme sa lancée et incarne le renouveau du vignoble savoyard. Il exploite depuis 2014 une quinzaine de parcelles à Cruet, Saint-Jean-de-la-Porte et Arbin, soit dix hectares. La coccinelle, mascotte des étiquettes, est le symbole de « vignes cultivées de façon naturelle, sans désherbant ni produit chimique », certifiées bio depuis le millésime 2017. Maniant tous les cépages jusqu’au gamay et à la malvoisie, le plus jeune vigneron de Savoie opère un travail méticuleux, conscient que chi va piano va sano. La production est très soignée, la gamme d’égale réussite, c’est un bonheur.

Vendanges au château de Mérande, c’est l’heure de ramasser la jacquère.

Château de Mérande (Arbin)
André et Daniel Genoux ont relancé l’exploitation familiale il y a dix ans. Ils ont alors racheté et entièrement rénové la splendide forteresse du XIIe siècle qui fait office de caveau. Souhaitant réserver la marque Domaine Genoux à la grande distribution, ils mettent en avant Château de Mérande, des vins bien calibrés et soignés, axés sur les mondeuses. Depuis 2008, Yann Pernuit (passé par la Bourgogne et vinificateur avisé) a rejoint l’aventure en tant qu’associé. Sous son impulsion, le vignoble de douze hectares a été converti à la biodynamie et les vins ont largement progressé et gagné en justesse et en profondeur. Ils séduisent d’abord par leur pureté de fruit et d’expression, notamment les mondeuses qui sont la marque de fabrique de la maison. Ce sont des vins droits, habilement vinifiés sous bois, aux élevages parfois un peu démonstratifs, mais qui s’apaisent à la garde et surtout qui progressent d’année en année. Les blancs sont généreux et toujours très mûrs, ronds et bien loin des standards des petits blancs de la Savoie. Ici, on veut faire du grand vin et on s’en donne les moyens, avec une régularité salutaire.

Domaine La Combe des Grand’Vignes (Chignin)
Les frères Berthollier ne ménagent pas leur peine à conquérir les coteaux abrupts de Chignin, privilégiant le bergeron et la jacquère, leurs cépages principaux. Le vignoble compte onze hectares, dont de vertigineuses parcelles plantées plein sud face au massif de la Chartreuse, sur des pentes atteignant au sommet 55 % de déclivité. Ces versants de roche dure et d’éboulis calcaires sont bien entendu assez chers à exploiter et surtout pénibles à la tâche. Les élevages avec bâtonnage généreux appartiennent désormais au passé. Avec moins de remise en suspension des lies, plus de garde et la mise au ban des sucres résiduels, les blancs ont atteint un superbe niveau de pureté. Les chignin-bergeron notamment sont magnifiques de confort et de tension, avec des élevages parfaitement ajustés. Les rouges sont souples et friands, avec une mention spéciale pour la mondeuse Les Granges Tissot, de totale plénitude. Depuis 2017, le domaine est en conversion bio. Une adresse devenue incontournable pour la précision et l’éclat des vins.

Domaine Fabien Trosset (Arbin)
Depuis 2011, Fabien Trosset et sa compagne Chloé incarnent avec panache la nouvelle garde. Les vignes familiales ont peu à peu été sorties de la cave coopérative au décès du père de Fabien. Le domaine s’est ensuite agrandi par opportunités, grignotant les belles terres du voisinage jusqu’à former aujourd’hui une superficie importante. Avec 17,5 hectares, dont 14 consacrés à la mondeuse d’Arbin, il est ainsi le plus gros propriétaire du cru, forgeant des vins de grand caractère, vinifiés en vendange entière, désormais dans une nouvelle cuverie. Les rouges du cru Arbin, sur les puissantes argiles rouges, reflètent parfaitement la puissance et l’équilibre de ce terroir réputé. La cuvée Malatret est d’un style avenant et plus immédiat, Avalanche constitue la grande cuvée, apte à vieillir plus longtemps, Les Éboulis marque l’entrée de gamme idéale. Une quatrième mondeuse, baptisée 1952, a fait son entrée en 2016, avec un élevage en fûts et demi-muids. Les blancs, minoritaires, lient fraîcheur et générosité dans une tension idéale. Le tout à des prix super doux.

Dominique Belluard (Ayse)
Il est le spécialiste mondial du gringet, une variété endémique dont il ne reste que vingt hectares dans le monde. Depuis 1988, il cultive dix hectares dans la vallée de l’Arve à Ayse (à trente kilomètres au sud-est de Genève), convertis à la biodynamie depuis 2001, sur trois terroirs de terrasses, abrités des vents du nord : des marnes jaunes, des argiles rouges au lieu-dit Le Feu et des éboulis calcaires, plantés de gringet, d’altesse (5 %) et de mondeuse (5 %), à une densité de 10 000 pieds à l’hectare, entre 425 et 550 mètres d’altitude. Tout est ici pensé pour préserver le fruit intact et le maximum de pureté, avec des élevages en amphore ou en oeuf béton, avec levures indigènes. Un domaine unique, aux vins étonnants, à voir de très près.

Domaine Jean Masson (Apremont)
Au pied du mont Granier, Jean-Claude Masson manie la jacquère comme personne. Autant dire que ça décoiffe car le maître des lieux est plutôt du genre loquace. Les neuf hectares sont cultivés en “viticulture Masson”, la plus respectueuse possible des sols, sans certification. Chaque coteau est vinifié à part, ce qui donne dix cuvées d’apremont aussi pures et fraîches les unes que les autres, et une roussette. Ici on fait « du vin avec des raisins », sans tralala ni fûts, du mieux possible. De l’autre côté de l’Atlantique, on boit du J.C. Masson (prononcez « Jessie Maïssonne »). Remettez vos palais à zéro car ces jacquères-là vont vous étonner. Jean-Claude Masson réussit sans doute les meilleures de la région, toujours ramassées très mûres, après tout le monde, et qui savent vieillir à merveille. Cela paraît un peu fou, et pourtant ces blancs ciselés, toujours tendus et droits à leurs débuts, gagnent en corpulence au fil des années, les vignes centenaires aidant. Le millésime 2016 s’inscrit dans la lignée de la Masson’s touch.

Cette sélection est issue du numéro #15 du magazine En Magnum

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