Lirac, le Rhône d’en face

Après Cairanne, En Magnum continue de s’intéresser aux crus du Rhône. Le potentiel de certains est encore sous-estimé. Sur ce long chemin vers la reconnaissance, l’appellation lirac a ce qu’il faut pour prendre de l’avance


Cet article est paru dans En Magnum #26. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici. Ou sur cafeyn.co.

On peut s’étonner qu’un système égalitaire de reconnaissance de la qualité des vins selon leur origine, tel qu’il existe depuis la création des appellations contrôlées, conduise, un demi-siècle plus tard, à une si forte hiérarchie entre les territoires viticoles de notre pays. Certes, rien de plus pratique pour le consommateur, mais rien de plus frustrant quand les territoires en question entretiennent des potentiels presque jumeaux. C’est là l’écueil du vignoble de Lirac. Dans la course à la popularité (et à la valorisation), cette vieille appellation berceau de la côte du Rhône, reconnue par l’Inao depuis 1947, bataille contre un poids lourd dont la réputation internationale est sans équivalent en France. Si l’appellation châteauneuf-du-pape attire les projecteurs, laissant pour compensation à ses petites sœurs du sud de la vallée le confort d’être dans son ombre, peu de choses la séparent de l’AOC lirac. Des similitudes dans le terroir, des ressemblances dans les vins, bref, il y a là un lien de gémellité évident que seul le cours du fleuve vient trancher.

Galets, sables, calcaires
Avec moins de 1 000 hectares en production, l’appellation lirac est suffisamment grande pour se faire un nom, notamment à l’étranger, mais bien trop petite pour espérer rivaliser avec la visibilité de l’appellation papale. Elle partage pourtant avec sa voisine une géologie commune. Terrasses villafranchiennes de galets roulés autour de la commune de Lirac et à Saint-Laurent-des-Arbres, sables plus ou moins graveleux dans le secteur de Saint-Geniès-de-Comolas et éboulis calcaires à l’extrémité ouest de la délimitation géographique. Le plus souvent, on assemble les vins issus de ces différents terroirs, privilégiant une vinification par cépage plutôt que par sol. Ce dernier, tantôt calcaire au pH élevé, tantôt sableux au pH bas, tolère un encépagement assez large dominé par le grenache. Syrah, mourvèdre, carignan ou encore cinsault viennent enrichir l’assemblage du lirac rouge. La couleur représente 85 % de la production. Quelques blancs, à hauteur de 10 % du volume, gagneraient chez certains producteurs à être plus connus, en particulier ceux chez qui la clairette est à l’honneur. Le consommateur s’en fera une idée aboutie en dégustant la cuvée Madame La Comtesse du château de Montfaucon, référence pour le cépage de ce côté du fleuve. On trouve aussi un peu de rosé, en complément de gamme et le plus souvent en rupture stylistique avec celui de Tavel, l’autre voisine.

Parlons de voisinage
C’est à la fois le problème et la chance de Lirac. Sans Châteauneuf-du-Pape à ses portes, la réputation de Lirac ne serait plus à faire. En plus d’être indiscutable, la qualité de ses terroirs lui laissait toutes les possibilités possibles en blanc comme en rouge. Un potentiel exceptionnel encadré par deux monstres sacrés du vignoble (Tavel à l’ouest, dans le prolongement du plateau de Vallongue, Châteauneuf à l’est, de l’autre côté du fleuve), cela peut être un complexe dur à surmonter, entre pudeur, méfiance et jalousie, mais aussi un atout tant les liens s’entremêlent. Nombreux sont les Tavelois qui produisent du lirac et on ne compte plus les producteurs châteauneuvois installés à Lirac, pour étoffer leur offre ou bien par défi. Bien présidée, l’appellation est aujourd’hui à la croisée des chemins, entre volonté d’afficher le rang qui doit être le sien et besoin de sortir rapidement d’une certaine forme d’immobilisme qui a fait du lirac l’éternel « autre châteauneuf-du-pape ». Lirac est capable de faire de grands vins, en rouge comme en blanc, à un prix sans commune mesure avec ceux pratiqués chez sa voisine vauclusienne. Ceci explique la forte présence des vins de Lirac chez les cavistes. Appréciés des professionnels, ils doivent désormais conquérir le cœur du grand public et des amateurs. Tout ça sans céder, pour certains, à la tentation de sortir de l’appellation. Bref, il y a de quoi faire. Les producteurs cités dans notre sélection, entre autres, ont déjà retroussé leurs manches.

Photo : Thomas O’Brien

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