Axel Heinz : « C’est l’amateur qui décide »

Il a tout appris des grands vins chez Ornellaia en Toscane. De l’icône italienne, il rapporte une exigence sans commune mesure et des ambitions neuves. Tant mieux pour le château Lascombes dont il prend les commandes


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Axel, vous voilà de retour à Bordeaux après une expérience en Italie dans un domaine mythique de Toscane, Ornellaia. Pourquoi avoir dit oui à Lascombes ?
Ce n’est pas de gaieté de cœur que l’on quitte la Toscane. Le projet à Lascombes était ambitieux et attirant et cela avait du sens dans mon parcours. Une carrière se compose de plusieurs chapitres, en voici un nouveau pour la mienne qui coïncide avec un nouvel épisode dans l’histoire du château. Et puis je reviens chez moi, j’ai vite retrouvé mes repères.

Le rachat de la propriété par le groupe Lawrence Wine Estates a beaucoup fait parler. Quelle feuille de route vous attend ?
C’est important de souligner que cet investissement est familial. C’est un concept qui est loin d’être abstrait. La famille est souvent sur place et active dans les décisions à prendre. Je me suis engagé sur l’excellence à long terme. Il n’y a pas de feuille de route stricte, mais la confiance et l’autonomie sont clés dans mon travail. Je suis libre de toutes tentatives tant que celles-ci ont du sens. Et le but est d’aller dans une direction à laquelle je crois, faire de Lascombes une des têtes d’affiches de l’appellation margaux.

L’objectif est de taille.
En effet, il faut tout repenser. Mais cela ne me fait pas peur. Déjà, je suis heureux d’arriver après le chantier de la nouvelle cuverie et de pouvoir disposer d’un matériel de pointe. L’équipe en place a montré une grande ouverture d’esprit malgré le fait que nous ayons tout de suite tranché avec certaines habitudes. Je suis dans de bonnes conditions. Tout sera guidé par le souci du détail et de la qualité. C’est d’ailleurs déjà le cas avec cette vendange 2023 que nous avons choisi de travailler en ce sens.

Et côté vignes, quels sont les chantiers ?
Il suffit de se promener dans le vignoble de Lascombes pour saisir son potentiel, notamment grâce au rare patrimoine de vieilles vignes à notre disposition. Un premier travail de restructuration doit être fait. Sans trahir le lien historique entre la propriété et le merlot, l’idée est de favoriser le cabernet-sauvignon et le cabernet franc. Je suis particulièrement attaché à ce dernier et je pense qu’il apporte une touche flamboyante aux vins lorsqu’il est bien maîtrisé. De façon complémentaire, et fort de mon expérience toscane, nous avons aussi envie de développer une biodiversité plus forte dans nos vignes.

Tout ceci se traduira comment dans les vins ?
Nous serons très attentifs à la question des assemblages en engageant un travail de recherche en interne. Ce souci de justesse passera par l’isolement de certains rangs et par le recours à des micro-vinifications pour sublimer la diversité intra-parcellaire. La précision, c’est ce qui fera la différence, notamment pour le grand vin que l’on souhaite très margalais et inscrit dans le classicisme.

Un style « très margalais » suffit-il à rendre désirable un cru classé de Margaux ?
Le margaux, c’est le charme. Un vin au caractère médocain, avec une forme de sérieux, mais aussi une signature incarnée par le soyeux. Ce style rejoint ma conception des grands vins, ceux qui arrivent à être lisible dans leur jeunesse – à ne pas confondre avec une forme de facilité – tout en affichant une capacité évidente de vieillissement. Le vin de Margaux est attirant par cette faculté à évoluer et à assumer une certaine forme de classicisme qui n’intimide pas.

Ces ambitions nouvelles portent aussi sur le marché ?
En matière de vin, les consommateurs ont de plus en plus de mal à se projeter sur le long terme. À nous d’être capables d’offrir des vins à maturité. En mettant, pourquoi pas, différents millésimes en même temps sur le marché. Lascombes n’a conservé que peu de vieux millésimes par le passé. Nous mettrons en place une politique d’archivage. Quant à notre positionnement, notre message devra être cohérent avec la qualité des vins, de façon raisonnable et raisonnée. Au final, c’est l’amateur qui décidera.

On imagine que l’idée est de mettre en place ces projets rapidement.
Nous avons à cœur de montrer que le changement se fait. Pour nous, la première étape sera d’être satisfaits des vins que nous proposons. On verra ensuite pour le reste et le succès de ces objectifs. Prendre notre temps est nécessaire, mais il ne faut pas confondre « avoir le temps » et « aller lentement ». Nous irons vite. D’une référence solide à Margaux, nous voulons être une évidence.

Photo : Mathieu Garçon

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