Gérard Perse luttait depuis des années contre un tenace cancer qui a fini par l’emporter. Ce combat-là, qu’il savait perdu d’avance, il l’avait mené comme tous les autres avec les qualités qu’il avait toujours affichées : une volonté hors du commun, une franchise toute en simplicité, une force de conviction hors norme et surtout la confiance que lui apportait le couple fusionnel qu’il formait avec son épouse Chantal, rencontrée à la sortie d’une adolescence chaotique et avec qui il avait grimpé toutes les marches, parfois quatre à quatre, d’une existence extraordinaire. Il m’avait confié, déjà avec un sentiment d’urgence, les souvenirs, les victoires et les blessures d’une vie commencée au plus bas et menée jusqu’au sommet de la viticulture mondiale. On pourra ici se remémorer ce parcours incroyable. Celui, comme le souligne Michel Bettane, d’un entrepreneur formidable bousculant les habitudes pour amener ses vins de la rive droite bordelaise au plus haut niveau d’excellence et d’exigence.
L’œuvre de Gérard Perse caractérise avec une acuité impressionnante la période dorée des vins de Bordeaux de la fin du siècle dernier jusqu’au premier quart de celui-ci. Menée tambour battant, elle a suscité des incompréhensions, des jalousies et des caricatures. Ecorché vif et fort de ses convictions, Gérard Perse en avait souffert. Pourtant le bilan de ce travail de titan, en particulier celui réalisé à partir du millésime 1998 au château Pavie, joyau absolu du « vin de côte » à Saint-Emilion, parlera pour des décennies dans des vins d’un classicisme, d’une vigueur et d’une profondeur sans équivalent. Nous avons eu la chance il y a quelques mois de déguster chacun des millésimes du « Pavie de Perse » et l’impression de cohérence et de pureté d’un terroir d’exception se révélait avec autant de faste que de justesse. Loin d’être un vigneron marqué par les modes d’une époque, Gérard Perse se sera toujours attaché à révéler toutes les facettes des terroirs qu’il a servi, de ceux du château Monbousquet, première acquisition en 1992, à ceux de Pavie–Decesse, Bellevue–Mondotte et Pavie bien sûr, jusqu’à son méconnu mais remarquable Clos Lunelles à Castillon.
Gérard Perse, ses équipes d’une rare fidélité et sa famille (Chantal son épouse, Angélique leur fille et Henrique da Costa leur gendre) auront aussi été des pionniers et désormais des leaders de l’œnotourisme et la gastronomie à Saint-Emilion, marquant de plein pied une aventure entrepreneuriale qui s’ancre dans les enjeux de notre époque et des décennies futures.
A sa famille et à ses équipes, nous présentons nos plus sincères condoléances.
Thierry Desseauve
Michel Bettane, ami de longue date de Gérard Perse, tenait à lui adresser personnellement quelques derniers mots d’adieu.
Une des belles rencontres de ma vie de journaliste fut celle de Gérard Perse qui venait d’acheter à Saint-Emilion le château Monbousquet. Michel Rolland m’avait prévenu que ce nouveau venu ferait du bien à l’appellation. Je n’ai pas été déçu. Non seulement, moi qui venais de la fonction publique, j’ai rencontré un vrai et grand entrepreneur, mais aussi un homme d’une rare sensibilité et d’une incomparable générosité.
J’ai eu la chance d’être le témoin privilégié de la reconstitution de trois vignobles en perdition, y compris celui du château Pavie où l’état des lieux n’avait rien de compatible avec sa haute classification. Avec la complicité de son épouse Chantal qui l’a accompagné durant toute son ascension, Gérard Perse a brillamment élargi son domaine d’activité à la restauration et l’hôtellerie, pour le plus grand rayonnement de son magnifique village.
J’ai aussi été témoin de toutes les petites jalousies et mesquineries qui l’ont tellement fait souffrir, mais qui sont inhérentes hélas aux querelles de clocher de la campagne française. Loin de le mettre à genoux, elles l’ont grandi et fortifié dans ses convictions et dans son action. Une méchante et bien ingrate maladie a rendu ses dernières années très pénibles. Il a fait preuve du même courage et de la même détermination pour l’affronter mais elle a fini par avoir raison de lui.
C’est à ses enfants, la magnifique Angélique et Henrique son époux de continuer dignement son œuvre. Le fidèle Laurent Lusseau les y aidera à la vigne tout comme le grand Yannick Alleno en cuisine. Pour ses amis comme pour ses proche, sa disparition est une perte irremplaçable. Paix à ton âme, cher Gérard.
Michel Bettane