Comment se porte aujourd’hui le marché du cognac et plus particulièrement celui de Camus ?
Le marché reste difficile. Nous sortons de dix-huit mois de grande incertitude avec l’enquête anti-dumping lancée par la Chine, en réaction aux mesures de l’Europe sur les véhicules électriques. Des droits provisoires de 35 % avaient été imposés sur le cognac, suspendant notamment les ventes en duty-free. Notre boutique de 600 m² sur l’île de Hainan, par exemple, est restée ouverte neuf mois avec l’interdiction de vendre nos cognacs. Aujourd’hui, un accord a été trouvé. Nous travaillons de nouveau sur des bases saines, mais le marché chinois reste fragile. Côté États-Unis, la situation est tout aussi tendue. Le cognac a été menacé de surtaxes à 200 %. Le compromis actuel impose 15 % de droits supplémentaires, auxquels s’ajoute la faiblesse du dollar, qui renchérit nos produits de 15 % supplémentaires. Cela pèse lourdement dans un pays qui représentait encore 45 % des volumes mondiaux il y a deux ans.
La crise du cognac reflète-t-elle une tendance de fond dans la consommation mondiale ?
Oui, la conjoncture économique pèse sur les alcools haut de gamme. Nos cognacs, coûteux à produire, souffrent de la concurrence d’alcools bruns moins chers comme le whisky, le rhum ou la tequila. Recruter de nouveaux consommateurs est, pour nous, un défi récurrent depuis un siècle. Le cognac a toujours su séduire et il le fait différemment aujourd’hui. La génération Z consomme moins souvent, mais mieux : recherche de goût, de qualité, d’expériences en bar ou en cocktails. Sur ce point, notre ADN reste en phase avec leurs attentes.
Comment la maison s’adapte-t-elle à cette nouvelle donne ?
Nous avons dû réapprendre à travailler comme le faisait mon grand-père, à une époque où chaque pays avait ses propres règles douanières et fiscales. C’est une complexité nouvelle, mais surmontable. Nous restons fidèles à notre stratégie, repousser les limites qualitatives du cognac, innover, surprendre. Nos « ateliers » sont au cœur de cette démarche. Ce sont des laboratoires créatifs où nous explorons des techniques inédites, souvent inspirées de mondes très éloignés du cognac. Cela a donné naissance à des créations uniques comme Hommage à la Nature, où nous avons testé la micro-oxygénation pour réduire naturellement le degré alcoolique sans dilution, ou encore Sous les Mers, issu d’une expérience extraordinaire d’assemblage et de vieillissement sous-marin au large de l’île de Ré, qui en est à son deuxième opus.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette dernière édition ?
C’est l’un de nos projets les plus audacieux. Julie Landreau, notre maître de chai, a assemblé quatre cognacs de l’île de Ré dans une barrique de trente-cinq litres immergée ensuite dans l’océan Atlantique. La barrique a alterné entre immersion à marée haute et exposition au soleil à marée basse, créant des variations extrêmes de température et de pression. En six semaines, nous avons observé une baisse de cinq degrés d’alcool, une concentration des arômes et une fusion accélérée des eaux-de-vie, ce qui prendrait des années en chai. Nous avons répété l’expérience en hiver, puis ajouté une eau-de-vie de 1972 et enfin une borderie centenaire, en hommage à Jules Verne. Le résultat est un cognac aux notes iodées et fruitées d’une rondeur et d’une intensité aromatique inédites. Pour prolonger l’histoire, nous avons collaboré avec la cristallerie Daum, qui a créé cinq pièces uniques représentant une pieuvre protégeant la barrique.
Ces créations sont pensées comme des éditions de luxe. Est-ce un pari risqué ?
C’est un modèle différent, plus proche de l’artisanat d’art que de la production de masse. C’est aussi une libération créative. Ce que nous expérimentons dans le très haut de gamme rejaillit ensuite sur nos gammes principales, comme nos VSOP ou XO. Ce pari du luxe nous permet d’affirmer notre identité, d’accentuer notre différence et, surtout, de prendre le parti de l’innovation. Mon seul regret est de ne pas avoir donné libre cours à cette créativité plus tôt.
En parallèle, vous avez aussi réinvesti le marché français. Quel est le résultat de ce retour aux sources ?
Le marché français reste important alors qu’il ne représente que 3 à 4 % des ventes mondiales de cognac. Nous y sommes présents depuis une quinzaine d’années, notamment avec notre gamme Île de Ré. C’est aujourd’hui le cognac le plus vendu en ligne en France et nous enregistrons une croissance constante. Il y a deux ans, nous avons ouvert une résidence à Paris, un lieu d’expériences autour du cognac.
Vous évoquez souvent l’expérimentation. Cela va au-delà du cognac ?
Nous avons construit en Chine une distillerie de whisky, avec l’ambition de créer le premier whisky véritablement chinois, en associant notre savoir-faire en distillation et la fermentation en phase solide, une technique millénaire locale. C’est un projet mené par mon fils, qui a grandi en Chine et en connaît la culture. Nous développons aussi un whiskey sur l’île de Lambay, en Irlande, où nous avons installé la première micro-distillerie totalement autonome, off-grid, dans un environnement naturel exceptionnel. L’idée n’est pas de faire « un whisky de plus », mais de créer des spiritueux uniques, porteurs d’un terroir et d’une histoire comme celle de nos cognacs.

