Jean-Christophe Granier, un roi dans la ruche
Disposer d’un domaine familial dans le Languedoc, même s’il remonte aux années 1870, ne suffit pas pour être vigneron. Dans les années 1980, après la série interminable de crises viticoles de la région, il ne restait plus à Jean-Christophe Granier que deux hectares de vignes à l’abandon, héritées du grand-père, et un chai tout aussi moribond. L’avenir lui a d’abord semblé ailleurs, à Paris, dans une revue viticole qui cherchait un commercial. Une douzaine d’années plus tard, le mirage parisien n’a plus gommé sa passion originelle et l’envie de faire son vin l’a ramené en 1999 dans son village de Vacquières, jolie commune de l’appellation pic saint-loup qui tire son nom du latin vacca, un lieu où l’on élève les vaches (aujourd’hui disparues).
Après une rapide formation viticole et œnologique à Montpellier, en plus de l’aide de la famille pour reconstruire le domaine, le projet est lancé. Il est alors porté par l’émergence d’une appellation inconnue dans les années 1980, même dans la région, mais qui commence à bâtir sa réputation grâce des vins complexes et frais, issus de terroirs situés à une altitude relativement élevée. Ainsi, le village de Vacquières, au nord de l’appellation, est établi vers 150 à 250 mètres d’altitude.
Jean-Christophe Granier y a trouvé des terres disponibles et à bon prix pour constituer un domaine d’une taille économiquement viable et élaborer des vins fins, frais, concentrés et élégants. Les sols, très adaptés à la vigne, sont composés de calcaires rouges durs, de calcaires gris plus tendres et de marnes brunes. On trouve dans ces paysages à la biodiversité remarquable des espèces comme le ciste, le pin d’Alep, le cade, le genévrier, le thym, la lavande, l’arbousier, le roncier de mûre, le laurier, le buis, la bruyère, l’asphodèle, etc. Toute une palette olfactive que l’on retrouve dans des vins issus d’un encépagement méditerranéen avec une prééminence de syrah, complétée par du grenache noir, du cinsault et du carignan. La fraîcheur des vins, caractéristique de l’appellation, doit beaucoup aux précipitations plutôt abondantes dans le secteur, liées à la proximité des reliefs cévenols, un avantage évident dans une région qui souffre du manque d’eau.
Vingt-cinq ans de travail plus tard, ce domaine de 20 hectares s’est hissé parmi les références de l’appellation pic saint-loup, offrant des vins d’une gourmandise affirmée, à l’image des cuvées Musardises ou Sarabande. Si Mas Canaille est un modèle de vin de soif, Jean-Christophe Granier a installé au sommet de sa gamme la cuvée La Ruche. Elle provient d’une parcelle sur un sol de « gravettes » situé dans la commune de Corconne, terroir dont il faut retenir le nom puisqu’il sera sans doute un jour un cru à part entière recherché par les amateurs tant son terroir est qualitatif, identitaire et reconnaissable. La Ruche 2022 en est une expression parfaitement aboutie.
Les rouges
Domaine Les Grandes Costes, Canaille Le Rouge 2024, IGP saint-guilhem-le-désert
Rouge de copains, facile à boire, pour deviser gaiement sans trop se poser de questions autour d’une bouteille simple mais goûteuse.
88/100 – 11 euros
Domaine Les Grandes Costes, Musardises 2023, languedoc
Belle réussite pour cette cuvée de plaisir avec des tannins arrondis, une bouche épicée et fraîche.
89/100 – 15 euros
Domaine Les Grandes Costes, La Sarabande 2022, languedoc
Cet assemblage de syrah et de grenache pour l’essentiel propose un vin dans un style rond, fruité et facile à apprécier dès aujourd’hui.
89/100 – 20,80 euros
Domaine Les Grandes Costes, La Ruche 2022, pic saint-loup
Le terroir de gravette argilo-calcaire est bien perceptible dans cette cuvée qui s’exprime clairement dans le vin et lui imprime un marqueur minéral clair.
92/100 – 24,85 euros
Domaine Les Grandes Costes, pic saint-loup 2020
Epicé et frais, ce 2020 nous montre des nuances aromatiques tertiaires qui commencent à apparaître, tout en conservant un joli fruit.
91/100 – 29,50 euros
Les blancs
Domaine Les Grandes Costes, L’Hort blanc 2023, IGP saint-guilhem-le-désert
Joli blanc, frais et précis, avec une bouche plutôt grasse et une allonge savoureuse et gourmande. Il est taillé pour la gastronomie.
88/100 – 12 euros
Domaine Les Grandes Costes, Le Blanc 2024, IGP saint-guilhem-le-désert
Blanc intense et ample sur les notes de fruits et de fleurs blanches avec une pointe mentholée fraîche en finale qui le dynamise.
90/100 – 17,80 euros
Les vins sont disponibles à l’année au caveau, partout en France et sur la boutique en ligne : https://www.grandes-costes.com/fr
EPC, la liberté comme feuille de route

Pas de blason doré, ni de nom de château. Encore moins de tradition centenaire à exhiber sur l’étiquette. Juste un projet à raconter, celui de trois trentenaires épicuriens qui, en 2019, ont décidé de prendre à rebours l’univers parfois un peu figé du champagne. Avec une idée et trois lettres, EPC. Six ans plus tard, l’ovni champenois continue à donner du sens à sa raison d’être avec le succès qu’on lui connaît aujourd’hui. Une présence commerciale dans 55 pays, un projet parallèle en Provence avec Aurose et, plus récemment, l’acquisition de la maison familiale Charles Mignon. L’histoire a pourtant commencé modestement avec Édouard Roy, actuel co-fondateur d’EPC, et son père Alain. Père et fils s’associent pour créer une cuvée de champagne qui prend le nom d’Alain-Édouard, union de leurs deux prénoms. « J’avais envie de monter quelque chose de plus grand. Devenir entrepreneur me démangeait », raconte Édouard. L’idée germe. Pourquoi ne pas créer une marque libre, moderne, transparente sur son statut de négociant et sur sa traçabilité ? Il en parle autour de lui, cherche des relais, rédige un message sur Linkedin qui le conduit à un échange avec Jérôme Queige, ex-directeur commercial des champagnes Jacquart, qui habite à cent mètres de chez lui. Les planètes s’alignent. Il ne manque au duo que des compétences innovantes en marketing et construction de marque. Voilà l’expertise de Camille Gilardi, ancienne de Procter. Le trio nouvellement formé s’entend sur un principe : « construire une méthode à impact ». Partir d’une page blanche permet d’imaginer l’histoire.
Recréer du lien social
EPC signifie EPiCurien. C’est écrit et assumé. La maison n’a pas d’ancrage dynastique, mais des partenariats pour créer chaque cuvée avec un vigneron dont les vins sont sélectionnés par le chef de cave Richard Dailly, qui les assemble sans trahir l’identité des lieux. La gamme se déploie en mettant en avant de manière lisible des mono-terroirs, avec des vins peu sulfités dont les origines sont mentionnées sur la contre-étiquette. EPC n’achète pas des raisins sur catalogue. La maison construit des relations de long terme avec les vignerons, à qui elle garantit un prix juste et une mise en valeur transparente. Sur ce dernier point, Édouard Roy précise : « Il y a une responsabilité nouvelle à porter. Celle d’un consommateur qui veut comprendre ce qu’il boit, sans culpabiliser ». Pour lui, c’est le seul moyen de lutter contre le désintérêt des nouvelles générations pour le vin. Et cette ambition est perceptible partout : une marque non patronymique, une étiquette asymétrique, une pastille thermosensible qui permet de savoir quand le champagne est à température de dégustation, des phrases cachées sur la coiffe et le bouchon pour créer la surprise, etc. « Le champagne n’est pas un objet de statut. C’est un vin de lien social. Un moment que l’on partage, pas un prix ou une marque que l’on affiche. » Loin du luxe tapageur et du marketing vu et revu, EPC milite pour une narration réinventée, capable de raconter le plaisir conscient, le beau moment entre amis. « On a tous besoin de recréer du lien social autour du vin. Cela commence par des détails comme une contre-étiquette qui parle vrai, une pastille qui rassure, une bouteille que l’on choisit pour l’histoire que l’on va raconter en la dégustant. »
Charles Mignon, tremplin pour l’avenir
En juin 2025, dans une perspective de développement désormais affirmée, la maison EPC annonçait le rachat des champagnes Charles Mignon à Épernay. « Cela faisait des mois que l’on cherchait une maison qui nous ressemble. Celle-ci avait tout, un outil de production ultraperformant et récent, un ancrage local et surtout une âme. » Cette acquisition doit permettre à EPC de doubler ses volumes de production, d’ouvrir un nouveau front à l’export et d’optimiser la production de son brut multimillésime. Pas question néanmoins d’absorber une maison pour la dissoudre. Guillaume et Manon Mignon, les enfants des fondateurs, restent à la tête de leur marque, gérée de façon indépendante. Et EPC garde son cap. « On est une maison libre, c’est notre ADN. On ne va pas la diluer pour produire plus », explique Édouard Roy. Cette année, pour la première fois, les volumes vendus à l’export dépasseront ceux du marché français. États-Unis, pays du Golfe, Afrique du Sud, Inde, la marque ouvre déjà des routes autrefois réputées fermées. « Il y a une vraie appétence pour un champagne lisible, incarné et sincère. Les acheteurs et les hôteliers se passent le mot et le succès appelle le succès. » Et après ? L’équipe d’EPC a aussi des ambitions pour Aurose, son projet de vins tranquilles produits en Provence, sur le terroir de Brignoles. Deux couleurs, trois cuvées (un blanc, deux rosés), même philosophie et même exigence. Pas de pétillants désalcoolisés ni de “bulles bien-être” au programme. « On croit au bon vin, pas au vin qui s’excuse d’être ce qu’il est », revendique Édouard Roy. Libre par son modèle, moderne par sa communication, exigeante par ses vins, EPC ne cherche pas à devenir la nouvelle grande maison de Champagne. Juste à faire les choses autrement, à son rythme, avec cohérence, afin de redonner aux curieux, aux épicuriens et aux amateurs l’envie de boire un verre de champagne sans avoir à se justifier. Un luxe rare et très persuasif.
La dégustation
EPC, brut
Assemblage : 65 % meunier, 20 % pinot noir, 15 % chardonnay. Base 2020 et vins de réserve (40 %).
Origines : Montagne de Reims. Terroir de Sermiers (premier cru).
Porté par une fine minéralité, c’est un champagne essentiellement construit autour du meunier. La bouche est élégante, apéritive, légèrement citronnée, onctueuse.On le voit volontiers à l’apéritif ou pour accompagner toute une soirée.
92/100. 42,90 euros
EPC, blanc de noirs
Assemblage : 100 % pinot noir. Base 2021 et vins de réserve (35 %).
Origines : Terroir de la côte des Bar.
Les marnes qui caractérisent ce terroir signent l’expression aromatique de ce blanc de noirs où 35 % de vins de réserve sont venus compléter ceux de 2021. Puissant, sur les notes de fruits rouges, doté d’une profondeur adaptée à la gastronomie (viandes blanches).
92/100. 47,90 euros
EPC, blanc de blancs
Assemblage : 100 % chardonnay. Base 2021 et vins de réserve (15 %).
Origines : Coteaux du Sézannais.
Évidemment, il n’aura pas le même usage que le blanc de noirs, mais sa vivacité en fait un vin apéritif qui pourra aussi accompagner des plats à table, notamment une cuisine de poissons. La finale florale (notes de fleurs blanches) s’achève de manière énergique.
92/100. 52,90 euros
EPC, blanc de blancs nature
Assemblage : 100 % chardonnay. Base 2021 et vins de réserve 2019 et 2020 (30 %).
Origines : Montagne de Reims.
Dans le même style que le précédent, ce blanc de blanc s’appuie sur des raisins d’une autre origine. L’absence de dosage augmente sa tension et la forte proportion de vins de réserve le complexifie. Il aura un usage plutôt apéritif, mais sera aussi à l’aise dans d’autres occasions grâce à sa persistance étonnante.
93/100. 55,90 euros
EPC, bBrut premier cru
Assemblage : 66 % chardonnay et 34 % pinot noir. Base 2015 et vins de réserve (60 %).
Origines : Montagne de Reims et vallée de la Marne. Terroir de la côte des Blancs.
Les origines « premier cru » de ce champagne sont perceptibles. La finale est d’une délicatesse aboutie et c’est un vin qui illustre aussi bien
les ambitions que le style EPC.
94/100. 57,90 euros
EPC, blanc de blancs premier cru nature 2014
Assemblage : 100 % chardonnay.
Origines : Parcelle des Monts Ferrés à Vertus (premier cru).
On retrouve l’élégance du premier cru non millésimé, mais le style est différent car il vient d’une seule parcelle dont il exprime la fine minéralité crayeuse. L’âge lui donne une patine avec des arômes de sous-bois, de feuilles sèches, qui gomme la sensation d’acidité que pourrait apporter l’absence
de dosage.
93/100. 72,90 euros
EPC, blanc de blancs grand cru
Assemblage : 100 % chardonnay. Base 2019 et vins de réserve de 2015 à 2018 (30 %).
Origines : Terroirs d’Avize et Oger.
L’enveloppe apportée par les raisins issus d’Avize, mais aussi par Oger, donne une réelle élégance à ce vin qui se remarque par sa plénitude de constitution. La base 2019 avec un apport de 30 % de vins de réserve fait la différence. Il accompagnera bien une belle volaille rôtie.
95/100. 62,90 euros
Asbel Morales, le gardien du rhum cubain
« À Cuba, il y a un style particulier du ron cubano », explique Asbel Morales, le Maestro Ronero de Havana Club. Ce style, protégé par une appellation d’origine, repose sur des règles strictes. La canne à sucre doit être cubaine, la distillation se fait en colonne et le vieillissement a lieu exclusivement sous l’atmosphère tropicale de l’île. « Le climat est fondamental. Un an de vieillissement à Cuba équivaut à trois ou quatre ans en Écosse », rappelle le Maestro, soulignant le rôle unique de la chaleur et de l’humidité dans le développement des arômes.
Le goût Havana
Si tous les rhums cubains partagent cette base commune, Havana Club se distingue par ses choix techniques et sensoriels. « Nous utilisons un type de mélasse sélectionné, plus riche en sucre, et une levure exclusive que nous gardons secrète », confie le Maestro. Ce couple mélasse–levure, associé à une colonne de distillation dessinée spécialement pour la marque, donne naissance à une aguardiente (l’eau-de-vie issue de la mélasse) au caractère unique qu’Asbel Morales aime rappeler : « fort et aromatique, avec le goût de la canne à sucre ».
L’art du Maestro Ronero commence là. Il sélectionne les fûts, souvent centenaires, qui accueilleront les eaux-de-vie pour un premier vieillissement. Puis vient le temps de l’assemblage : « Il est rare qu’un rhum Havana Club provienne d’une seule base. Nous travaillons souvent avec quatre, six, voire dix bases différentes », détaille-t-il. Ce travail d’équilibre et d’intuition donne aux rhums de la maison leur harmonie caractéristique. C’est-à-dire, un profil rond, équilibré, toujours fidèle à l’esprit cubain.
Un patrimoine immatériel
Le rôle du Maestro dépasse la technique. C’est aussi un passeur de culture. Le Movimiento de Maestros del Ron Cubano réunit aujourd’hui neuf maîtres sur toute l’île, dont quatre travaillent avec Havana Club. Chacun a pour mission de transmettre son savoir à un aspirante maestro. « Devenir Maestro peut prendre vingt ans », confie-t-il. « Il faut connaître la canne, la distillation, le climat, mais aussi l’histoire et la culture de notre pays. » Une fois reconnu, le nouveau Maestro Ronero rejoint ses pairs dont le titre est inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Une distinction rare dans le monde des spiritueux.
« Notre devoir, dit le Maestro, c’est de ne jamais trahir la tradition du rhum cubain. » À travers chaque bouteille de Havana Club, c’est tout un pan de la culture cubaine qui s’exprime : l’art de la patience, la rigueur du geste et la passion d’un peuple pour sa terre et sa canne à sucre. Car, comme le résume joliment Asbel Morales : « le rhum cubain, c’est la buena vida. Mais surtout, c’est Cuba dans un verre. »









