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Cattier, l’histoire du Clos du Moulin


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« Mon grand-père Jean Cattier a signé l’acte d’achat du clos lors du Noël 1950. C’est une vigne qui apparaît dans les registres dès le XVIIIe siècle, quand Allard de Maisonneuve, un officier militaire du roi Louis XV, se voit remettre la parcelle en récompense de ses services », explique Alexandre Cattier à propos de l’acquisition par sa famille du clos du Moulin. De cette parcelle unique, située dans la commune de Ludes, la maison Cattier a fait sa cuvée de prestige. Inutile de chercher un moulin, maintes fois détruit, maintes fois rebâti. Seules de vieilles cartes postales attestent de son existence. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés bombardent les positions allemandes, notamment les stocks de munitions entreposés non loin du clos. Il ne reste de celui-ci que les fondations et quelques mètres de murs encore debout, depuis fort bien restaurés par la famille d’Alexandre qui lui redonné son lustre originel. Situé au sommet d’une butte, entouré de cyprès, le lieu offre un panorama sur la face nord de la montagne de Reims.

Trois millésimes
Pour la Champagne, la parcelle est grande (2,2 hectares). Vingt centimètres de terre recouvrent superficiellement le sous-sol de craie. Depuis toujours, chardonnays et pinots noirs plantés en 1981, 1983 et 2019, se partagent à parts égales cette surface délimitée. Comme pour tous les vignobles dont la famille est propriétaire, la viticulture du clos est raisonnée. Pour éviter de le tasser, un cheval effectue les travaux du sol. En cave, les raisins du clos ont toujours été isolés, suivant le même itinéraire technique que ceux issus des approvisionnements de la maison. Vinification en cuve béton (parfois en cuve inox), fermentation malolactique faite. Seules les premières cuvées sont retenues pour élaborer le champagne Clos du Moulin, afin d’éviter d’introduire des éléments amers qui accompagnent la fin du pressurage. Lancée vers la fin des années 1950, cette cuvée fut l’un des tout premiers champagnes à revendiquer un clos. À l’époque, le vin était tiré dans une bouteille champenoise standard, avant que ne soit adoptée l’actuelle bouteille spéciale. Les grands principes de son assemblage, eux, n’ont pas changé. Toujours une courte majorité de pinot noir complété par du chardonnay et toujours un assemblage de trois millésimes. Un même millésime se retrouve généralement dans trois tirages successifs de la cuvée, constituant 60 % du premier assemblage, puis 25 % et enfin 15 %, dès lors que ce millésime, conservé en cuve inox comme un vin de réserve, a atteint sa pleine puissance.
Quand elle est produite, la cuvée s’appuie sur l’intégralité des raisins du clos, sinon ces derniers sont utilisés pour les champagnes de la gamme Premier Cru. S’ensuit alors un long vieillissement sur lattes – moins long aujourd’hui (entre sept et huit ans) qu’à l’époque de Jean-Jacques Cattier, le père d’Alexandre, où il durait une dizaine d’années – qui permet de donner plus de fraîcheur au vin. Les dosages ont également baissé, passant de dix à six grammes par litre, mais s’appuient toujours sur des liqueurs d’expédition à base de chardonnay. En moyenne, cinq à six éditions de la cuvée Clos du Moulin sont produites par décennie (entre 10 et 15 000 bouteilles). Les Cattier ont cessé de tirer des magnums pour se concentrer sur les seules bouteilles, toujours dégorgées à la main et désormais habillées d’une étiquette en étain et en relief qui a pris la place de l’ancienne, sérigraphiée. Depuis le millésime 2006, la maison propose aussi une version rosée de Clos du Moulin, produite en quantités confidentielles (neuf éditions disponibles, 2 000 bouteilles à chaque tirage). Dans les deux couleurs, cet excellent champagne ne s’impose jamais par sa puissance ou sa vinosité, mais par son élégance, son équilibre et la justesse de chacune de ses différentes expressions. Cette verticale illustre aussi sa capacité à se bonifier en vieillissant.

Clos du Moulin – Millésimes 2016, 2015, 2014
Le tirage en cours de commercialisation propose une entame de bouche saline, qui laisse place à des parfums gourmands de fruits et de fleurs. La finale épicée est agréable
par son équilibre et sa persistance. Il affiche déjà la droiture des millésimes plus anciens et évoluera dans leur direction pendant vingt ans, voire plus.
Dosage : 6 g/l.
94/100

Clos du Moulin – Millésimes 2008, 2007, 2006
« Entre 2002 et 2009, on a eu une série de beaux millésimes », précise Alexandre Cattier, admiratif. Année parfaite en Champagne, 2008 donne à cette édition un équilibre accompli entre finesse, fraîcheur, élégance et persistance. Encore jeune, cette cuvée va bien évoluer dans le temps.
Dosage : 6 g/l.
95/100

Clos du Moulin – Millésimes 2004, 2003, 2002
« 2004 est une année généreuse », rappelle Alexandre Cattier. Depuis sa naissance, le profil aromatique de cet assemblage propose un fruité exotique (ananas, fruit de la passion) qui lui donne un caractère un peu moins aérien que les autres. Il répondra
aux attentes des amateurs de champagnes puissants.
Dosage : 8 g/l.
91/100

Clos du Moulin – Millésimes 1999, 1998, 1996
De la puissance et des amers en bouche. À l’époque, le dosage était un peu plus marqué, mais deux décennies passées en bouteille lui ont donné de la rondeur et de la texture. Aujourd’hui bien en place, avec une tension salivante en finale. Le fruité reste frais et jeune, donc ce vin ne manifeste aucun signe de déclin.
93/100

Clos du Moulin – Millésimes 1998, 1996, 1995
Plein et généreux, on devine un dosage ici aussi plus marqué, notamment au niveau de la rondeur et de la texture. Il offre une étonnante acidité pour un vin aussi âgé, avec des notes d’agrumes confits et une finale épicée. Grande énergie.
95/100

Clos du Moulin – Millésimes 1983, 1982, 1980
« 1983 est un grand millésime qui succède aux récoltes des années 1978, 1980 et 1981, les plus petites jamais vues. » L’effervescence est encore perceptible. On entre dans l’univers aromatique des vieux champagnes, entre notes de fruits confits, arômes racinaires (truffe blanche) et presque métalliques (limaille de fer). Un champagne à maturité, avec
une belle énergie et une acidité encore tonique.
95/100

Christophe Baudry et Jean-Martin Dutour, une même vision

Jean-Martin Dutour. Photos Charlotte Enfer

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Christophe Baudry.

Ils n’avaient rien en commun. Pourtant, leur vision similaire de la vigne et du futur de Chinon les a unis. Christophe est la cinquième génération à reprendre le domaine familial de la Perrière à Cravant-les-Coteaux, dont il est maire depuis seize ans. Jean-Martin est arrivé en 1996, fraîchement diplômé, pour reprendre la direction du domaine du Roncée. En 2003, ils s’associent pour mutualiser leurs ressources et équipements. « L’ambition initiale était seulement d’être plus performants, mieux organisés et stabilisés », confie Christophe. Lui a la fibre commerciale. Jean-Martin a la technique. Ils savent que leur force est d’allier leurs atouts. Leur projet est de fabriquer de grands vins. Les graves argilo-silicieuses de la Perrière et du Roncée leur permettaient déjà, avant les autres, d’obtenir des cabernets francs fruités tout en préservant la structure typique de Chinon. En 2007, ils reprennent le château de Saint-Louans, puy calcaire caractéristique du chinonais qui produit aujourd’hui leurs cuvées les plus qualitatives, dont un chenin élevé dans trois types de fûts différents avant assemblage. En 2009, ils acquièrent le château de La Grille, son flacon historique et ses vieilles vignes de cabernet franc sur 34 hectares. Ils y font aujourd’hui un rouge équilibré et un surprenant blanc de noirs pétillant naturel.
« Jean-Martin a beaucoup apporté à Chinon en tant qu’ancien président d’Interloire, et actuel président de l’appellation, avec sa vision de la viticulture », estime Christophe, admiratif. Le technicien a notamment initié l’arrêt du labour afin de préserver le carbone et l’azote dans les sols et permettre à la vigne de puiser plus profondément au cœur de ce terroir si particulier. Parallèlement, la famille de Christophe Baudry a servi de locomotive dans son évolution et son rayonnement. Depuis, l’appellation est reconnue, « elle a de l’avance par rapport aux autres rouges de Loire, sans aucun chauvinisme », affirme Christophe, facétieux. L’avenir de Chinon reste pourtant un sujet de préoccupation pour Jean-Martin Dutour. « Si l’on décide de conserver le cahier des charges tel quel, le style va forcément changer avec le réchauffement climatique. Il va falloir adapter les techniques et le discours. On pourrait aussi intégrer de nouveaux cépages comme l’artaban, le vidoc ou le floréal, pour tenter de reproduire l’identité chinonaise. »

Nouveau challenge
Après La Chapinière, terre consacrée au sauvignon acquise en 2020, l’éventail des domaines Baudry & Dutour s’est encore agrandi avec le vignoble de la famille Nau en appellation bourgueil. « On ne cherchait pas à se développer davantage, mais on ne pouvait pas passer à côté de cette opportunité », explique Jean-Martin. Les deux associés ont immédiatement réalisé que les sols du domaine étaient exceptionnels et étrangement semblables aux calcaires légèrement argileux de Saint-Louans. Si l’appellation soufre d’une mauvaise réputation, l’AOC saint-nicolas-de-bourgueil ayant pris l’ascendant, surtout à l’étranger, grâce à sa particule et sa référence christique qui lui ont servi de gage de qualité, les terroirs de Bourgueil ont un potentiel énorme. D’autant plus dans ce domaine qui déploie quatre de ses dix-huit hectares sur des coteaux. À la richesse du sol et de la pente, le duo a ajouté une approche parcellaire pour obtenir deux cuvées aux profils aromatiques bien distincts, l’un plus tannique, l’autre plus fruité. Au chai, du béton uniquement, le bois est laissé aux autres domaines, pour préserver leurs personnalités, leur identités respectives. Les deux amis cherchent à inscrire leur démarche dans la même logique qu’à Chinon. Il s’agit de devenir une référence, pour changer l’image de l’appellation. Ils peuvent désormais montrer leur savoir-faire à l’échelle de la Touraine tout entière. Le binôme est beau à regarder, l’un ne prend pas la parole sans l’approbation de l’autre. L’association paraissait improbable à l’époque. Ils ont depuis longtemps mis fin aux doutes.

Isabel Ferrando, l’obsession de la finesse

Photo : Mathieu Garçon

Rien ne destinait Isabel Ferrando à devenir un jour vigneronne. Encore moins à s’imposer plus de vingt après ses débuts comme l’une des signatures incontournables de Châteauneuf-du-Pape. En 1997, à la naissance de Guillemette, sa fille unique, cette enfant du Ventoux décida que l’heure était venue pour elle de céder à l’appel de la terre et de renoncer à une vie dans la finance dont elle avait fini par se lasser. La jeune femme voulait créer quelque chose de ses mains, faire quelque chose de concret. Retour à Carpentras, d’où elle vient, pour suivre une formation et apprendre les rudiments du métier, le travail à la vigne et en cave. Apprendre aussi à se débrouiller seule. Rien n’est facile, le monde paysan a ses codes. Être une femme, évidemment, ne l’avantage pas. Mais Isabel a du tempérament. Elle s’accroche et rencontre Henri Bonneau à Châteauneuf-du-Pape. Ce vigneron de légende, disparu en 2016, la prend sous son aile. Elle découvre avec lui la diversité des terroirs de l’appellation, l’approche parcellaire, la magie de l’assemblage et surtout l’importance d’une viticulture respectueuse du vivant. À l’automne 2002, après de long mois de recherche, elle finit par trouver un endroit où elle se sent bien. Le domaine Saint-Préfert est alors loin d’être ce qu’il est devenu aujourd’hui, même si le vignoble avait de quoi séduire avec ses très vieilles vignes qualitatives, dont quelques clairettes roses et blanches plantées en 1940 et des cinsaults prodigieux de 1928 (cuvée F601). Elle le convertit d’abord au bio, puis à la biodynamie, tout en prenant le temps d’apprivoiser ses terroirs et d’en traduire les subtilités. Dans une logique « bourguignonne », elle isole et vinifie à part chacun d’entre eux dans sa cuverie, qui est aujourd’hui complètement rénovée. Acclamée par la critique américaine, le travail de l’ex-néo-vigneronne trouve au début des années 2010 une consécration encore plus grande avec la naissance de la cuvée Colombis qui réunit les vignes du domaine situées dans les secteurs de Colombis, du Cristia, du Rayas et des Roues. Autre succès avec ses vins blancs, merveilleux de finesse et toujours étonnants de longévité, notamment la cuvée spéciale Vieilles Clairettes. L’observation de ses terroirs et un sens du vin presque inné ont conduit Isabel Ferrando à repenser sa gamme et à proposer finalement un grand vin d’assemblage, issu d’une sélection parcellaire extrêmement rigoureuse, mêlant tous les terroirs dont elle dispose, entre galets, argile bleue, graviers et sables. Lié à sa personnalité et à son nom, le domaine Saint-Préfert a d’ailleurs changé récemment d’identité au profit de « Famille Isabel Ferrando ». Pas par excès de zèle, mais plutôt pour préparer l’avenir de la famille. Guillemette a décidé de rejoindre sa mère dans cette aventure. Toutes deux pourront compter sur une équipe pleinement concernée et inspirée par le parcours unique d’Isabel. On comprend cette admiration, plus de vingt ans de travail au service du grand vin, ce n’est pas rien.

Fabien Jouves, au lendemain du grand soir

Mas Del Périé, c’est d’abord une histoire de famille. Lorsque cette petite ferme était tenue par les grands-parents de Fabien Jouves, l’endroit vivait de la polyculture. Des vignes, des céréales, du tabac, un peu d’élevage. Les temps sont durs quand les parents de Fabien prennent la relève. La douzaine d’hectares de vignes produit alors des vins vendus en vrac à la cave coopérative locale. Le domaine frôle le dépôt de bilan en 2006. « Pour ne pas que ça crève », Fabien Jouves, diplôme d’œnologue en poche, décide de relever le défi, même si ce n’était pas sa vocation. Fini le vrac. Le jeune homme veut faire des vins de qualité, le plus naturellement possible. Il crée alors Mas Del Périé. En 2009, le domaine est certifié en agriculture biologique avant d’obtenir, deux ans plus tard, le label Demeter pour la biodynamie. Ses 25 hectares sont situés sur les plus hauts coteaux de Cahors, à 350 mètres d’altitude, sur des sols de marnes et de calcaires ferrugineux, à la jonction des appellations cahors et coteaux-du-quercy. L’encépagement, que le malbec domine presque exclusivement, est complété par quelques hectares de chenin. Le vigneron est admiratif du malbec et de ses expressions selon les terroirs, ce qui l’a convaincu de suivre une approche parcellaire pour ses vins, Les Acacias, Les Escures, B763 (le numéro cadastral de la parcelle, ndlr). Même passion pour le chenin. Le cépage ligérien est adapté au calcaire. Il le ramasse sans chercher une maturité trop poussée pour garder de la fraîcheur, avec pour ambition de faire un grand vin blanc. Fabien Jouves a aussi réintroduit de vieux cépages régionaux dans ses parcelles, comme le jurançon noir, le gibert, le valdiguié ou encore le noual, avec lesquels il produit la cuvée Autochtones, en vin de France, réglementation oblige. Les jeunes vignes produisent des vins légers et de grands vins de terroir quand elles vieillissent — « les cahors d’avant », dit Fabien. Devenu plus paysan grâce à la biodynamie, il explique essayer seulement de ramasser des beaux raisins, sans chercher la concentration et la puissance. Depuis 2019, un nouveau chai de vinification gravitaire lui permet d’être plus précis pour vinifier de manière « naturelle » et sans intrants. L’élevage, très long chez lui, se déroule en cuves béton, en amphores, en fûts ou en foudres selon les cuvées. Reconnaissables entre mille, les vins sont ceux d’un esthète et faits pour être bus. Ils sont purs, expressifs, délicats, frais et avec des degrés d’alcool très bas, ce qui les rend digestes sans diminuer leur aptitude à la garde. En parallèle, Fabien Jouves a monté une activité de négoce de vins bio pour proposer des vins de soif, en dénomination vin de France, aux noms dans l’air du temps. Histoire de boucler la boucle, il a aussi planté des arbres truffiers et fruitiers, installé des ruches et il élève des cochons noirs, bien gascons. Certes, il s’inquiète de la crise économique qui sévit à Bordeaux et va se propager aux vins de Cahors. Mais son enthousiasme, son attachement à la région, sa créativité et la complicité qu’il entretient avec son épouse devraient lui permettre, pendant de longues années encore, de continuer à produire les grands vins qu’il sait faire comme nul autre.

Les batailles des Lorgeril

Dans le petit monde du vin languedocien, où l’on n’aime rien tant que les délices du small is beautiful, les Lorgeril partaient avec de fichus inconvénients. Un lointain ancêtre fut intendant des États du Languedoc. Il se fit bâtir le superbe château de Pennautier, à quelques lieues de Carcassonne, que les générations suivantes se chargèrent d’embellir pour en faire un « Versailles du Languedoc ». Douze générations plus tard, Nicolas et son épouse Miren s’enthousiasmèrent pour ce lieu et son vignoble et affinèrent la production d’un vin à mi-chemin entre climats océanique (merlot) et méditerranéen (syrah et grenache). Le couple est entreprenant, développe une gamme de négoce et surtout acquiert deux autres crus, le domaine de la Borie Blanche en Minervois et le très intéressant château de Ciffre, présent tant sur les schistes de Saint-Chinian que sur les calcaires de Faugères. Miren et Nicolas ont ainsi construit une vie d’entrepreneurs vignerons et auraient pu s’en contenter, mais la volonté de progresser ne les a jamais lâchés et s’est même sacrément accélérée au cours de ces dernières années.
Prisonniers du caractère aimable mais convenu du merlot en Cabardès et de la personnalité généreuse, mais également prévisible, de la syrah en Minervois, les Lorgeril ne parvenaient pas à démontrer le génie de terroirs pourtant très diversifiés et aux atouts géologiques et d’exposition remarquables. C’est désormais le cas avec l’appui du précis et talentueux Simon Blanchard, l’un des piliers de la société de consulting créée par Stéphane Derenoncourt. Parcourant l’ensemble des vignobles, explorant sols et sous-sols de chaque parcelle, Simon Blanchard a commencé à définir une nouvelle cartographie des crus et des parcelles qu’il propose d’isoler. Ce travail exigeant et nécessaire commence à donner des résultats passionnants à partir du millésime 2022, tant à Ciffre qu’à Pennautier. Spécialistes de terroirs méditerranéens installés sur les flancs sud du vieux Massif Central, les Lorgeril sont en train de donner un nouveau souffle, plus précis et pertinent, au concept de Terroirs d’altitude qu’ils affichent sur les étiquettes de leur cru.
Parallèlement, le couple a développé un rosé très apéritif, Ô de rosé, dont la version Prestige apporte une véritable singularité dans le large paysage des rosés languedociens. Une ambition multiple pour une maison qui a fait aussi de l’œnotourisme son cheval de bataille avec le restaurant de son superbe château de Pennautier, l’un des sites les plus visité de la région.

Pierre Mignon, le champagne en famille

En 1970, la maison est reprise par Pierre Mignon et son épouse, Yveline, et devient alors le champagne Pierre Mignon. Aujourd’hui, la maison est dirigée avec brio par les deux enfants de Pierre. Céline est responsable de l’export et des relations commerciales, tandis que Jean-Charles est en charge du vignoble et des vins. Cette synergie familiale assure la pérennité du savoir-faire transmis de génération en génération.

Ensemble, ils veillent sur un vignoble de 20 hectares, répartis sur des terroirs prestigieux tels que la vallée de la Marne, la côte des Blancs et la région d’Épernay. L’encépagement est dominé par le pinot meunier (50 %), complété par le chardonnay (40 %) et le pinot noir (10 %). Le vignoble de la maison est enrichi par un approvisionnement qualitatif de plus de 90 hectares, que la famille a su constituer en fidélisant ses viticulteurs partenaires au fil du temps et des générations. Cette diversité permet d’élaborer des champagnes aux caractères variés et équilibrés. La Maison Pierre Mignon attache une importance particulière à la viticulture durable. Le vignoble a obtenu la certification Haute valeur environnementale (HVE) de niveau 3, attestant de son engagement en faveur de la biodiversité et de la protection de l’environnement.

« Le style des champagnes reflète la typicité de ses cépages et de ses terroirs », explique Jean-Yves. Le pinot meunier confère aux vins des arômes fruités, tandis que le chardonnay apporte finesse et élégance. Le pinot noir, bien que minoritaire, ajoute structure et profondeur. Cette harmonie se traduit par des cuvées équilibrées, alliant fraîcheur et complexité, à l’image du brut prestige, de la cuvée Pure (non dosée), du rosé de saignée ou encore du grand vintage (blanc et rosé), sans oublier les éditions spéciales comme la cuvée année de madame rosé ou l’incontournable ésprit de Noël.

Tout en haut de la gamme, la cuvée clos des Graviers a tout d’un grand champagne. « Elle est issue d’une parcelle unique que mon grand-père Alex a plantée. En retournant le sol chargé en pierres crayeuses, il a bâti, avec celles-ci, le muret de ce clos. Il a ainsi créé, en 1950, le clos des Graviers », précise Céline. Exposé plein sud et surplombant le village du Breuil, ce clos abrite aujourd’hui les plus anciennes vignes de la maison, plantées sur un sol crayeux avec 40 % de chardonnay, 40 % de pinot meunier et 20 % de pinot noir. Cette cuvée parcellaire, tirée à moins de 2 000 flacons, est assurément un champagne de gastronomie. Sa bulle vive et généreuse, son nez délicat aux notes de cacao et d’épices, sa bouche intense et gourmande et sa finale délicate en font un vin d’exception. Il est conseillé de le carafer pour profiter pleinement de son expression.

Depuis 2019, la maison propose également des expériences œnologiques uniques, avec des dégustations orchestrées par leur chef sommelier dans un espace aussi chic que moderne, au cœur d’Épernay. Créé sur deux niveaux, l’établissement comprend une boutique et un espace de restauration au rez-de-chaussée, tandis que le premier étage accueille un magnifique espace de dégustation.

Laurent Macle touché par la grâce

Photo : Gilles Durand-Daguin

Le glissement de terrain qui a endommagé la D51 en juillet 2021 continue de tromper notre GPS qui nous égare. Il faut slalomer pour monter jusqu’au village perché de Château-Chalon, extrêmement tranquille en cette fin d’hiver. Dans une ruelle, le domaine Macle est discret, fidèle à lui-même. Le Wine Advocate de Robert Parker se vantait d’avoir assisté à la toute première dégustation en dehors du domaine, à Santander, en 2013. Laurent et Christelle, représentants de la cinquième génération des Macle, sont bien chez eux. La famille, d’origine italienne, est établie là depuis le milieu du XIXe siècle. Auguste, le grand-père, a commencé à faire de la bouteille. Jean, le père, a arrêté l’activité d’élevage pour se consacrer à la vigne en 1966, année de naissance du domaine tel qu’on le connaît. Laurent en a repris les rênes en 2003, après une dizaine d’années passées avec Jean. Il a réduit à dix hectares la taille du vignoble parce qu’il voulait passer en bio et se consacrer à l’essentiel. On sent ici le poids de l’histoire et de la tradition. Datées du XVIIe siècle, les caves du domaine sont un sympathique dédale sombre et humide où sont entreposés quantité de vieux fûts et de foudres. Les Macle possèdent trois hectares de savagnin, tous en appellation château-chalon. Si le vin jaune est le prestige du Jura et le château-chalon, le prestige du vin jaune, Macle est le prestige du château-chalon. Pourtant, pas un mot plus haut que l’autre, pas de voitures de luxe garées dans la cour. Ce n’est pas la Côte-d’Or.
Laurent respecte le savoir-faire des aïeux. « Tout est égrappé. On fait les fermentations alcooliques et malolactiques en cuves. J’entonne en juillet ou en août, quand les caves sont chaudes, pour que les levures travaillent bien. C’est la mode des vins jaunes de grenier parce que ça va plus vite (les vins jaunes sont élevés soit en caves, soit dans des greniers ; ces derniers, plus chauds, donnent souvent des vins plus puissants, ndlr). Mais il y a moins de complexité. Ici, il n’y a jamais eu de fûts neufs. Et pendant longtemps, pas de pipette, pour ne pas trouer le voile. » Mais il est aussi plus aventureux. Il fait un côtes-du-jura dit Tradition, où seulement 20 % de savagnin a connu un élevage oxydatif. Il fait même un côtes-du-jura ouillé, parfaitement sec. Son père n’aimait pas ça, sa sœur toujours pas non plus d’ailleurs. Du coup, le domaine le met peu en avant et le vend surtout à l’export. Il est pourtant très bon, comme tout le reste. Mais l’orgueil de la famille, qui va s’étendre avec l’arrivée de Carmen, la deuxième fille de Laurent, reste le château-chalon. Une dégustation chez les Macle n’en est pas une si l’on ne goûte pas quelques vieux millésimes, parfois même très vieux. L’avantage du château-chalon est qu’il est quasiment immortel, récompensant ceux qui parviennent à domestiquer ses déconcertants arômes qui évoquent le champignon, la noix, le curry. Le jeu en vaut la chandelle. Qui y prend goût ne peut plus s’en passer. Chez les Macle, loyaux envers leurs clients fidèles, il n’est pas si cher que ça. Même si, comme chacun sait, le vin jaune perd 6 % de son volume chaque année lors de l’élevage, ce qui explique sa bouteille unique, le clavelin, qui ne contient que 62 centilitres. Après tout, quand on aime, on ne compte pas.

Le chef-d’œuvre de Telmo Rodriguez

Photo : Jason Orton

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Driving winemaker, c’est le surnom dont a hérité Telmo Rodriguez à force de parcourir en voiture les vignobles d’Espagne depuis trente ans et veiller sur les 355 parcelles et 43 cépages autochtones dont il s’occupe, répartis sur 80 hectares. Coup du sort, c’est pourtant à seulement quinze minutes de marche de chez lui qu’il a trouvé l’endroit idéal pour son grand vin de lieu, Yjar. Sa génération de winemakers est celle qui a voyagé et appris à comprendre sur le terrain ce qui faisait les meilleurs vins du monde, les dégustant avec les personnes souvent extraordinaires qui les élaboraient. Au début des années 1980, Telmo et son père sont persuadés que le vignoble espagnol de l’époque n’est pas encore prêt à accueillir le concept de grand vin. L’heure est plutôt à la production en grande quantité de vins bon marché. « Je n’étais ni au bon endroit, ni au bon moment », explique-t-il. « J’ai pris ma voiture et je suis allé visiter des vignobles en France, pour étudier les vins rouges de Bordeaux, du Rhône et de Bourgogne. » À son retour en Espagne, la Rioja s’est fait une place dans l’univers des grands vins fins. En se promenant dans le nord de la péninsule ibérique, il découvre alors de grands vignobles abandonnés. « Le potentiel de ces terroirs était sans doute meilleur que celui de certains en Rioja. J’ai acheté mon premier petit vignoble en 1994 et j’ai commencé à faire du vin. À l’époque, la mode était d’arracher les vieilles vignes pour planter du cabernet-sauvignon et du merlot. J’étais contre et je voulais produire des vins espagnols de qualité. » Telmo Rodriguez se rend compte de la complexité du vignoble ibérique et de son formidable potentiel, encore largement méconnu. Lui veut faire des grands vins avec les meilleurs raisins donnés par de vieilles vignes. Et s’occuper de petites propriétés à taille humaine, dix à quinze hectares, jamais plus de vingt. « J’ai continué à rouler et j’ai acheté en 1999 des vieilles vignes de garnacha plantées à mille mètres d’altitude dans la Sierra de Gredos. Ensuite, vingt autres hectares à Valdeorras que nous avons commencé à travailler en 2011. »

Villages de Rioja
La famille de Telmo, originaire du Pays basque francophile, avait acheté Remelluri, la plus ancienne propriété de la Rioja issue du monastère de Toloño, après être tombée amoureuse de l’endroit. « Mes parents ont été bien inspirés et ont commencé à y faire du vin. » À partir de 2010, Telmo commence à étudier et à comprendre les grandes caractéristiques de son terroir. « Des historiens sont venus faire des recherches. Les moines avaient quitté la propriété en 1420. Ce territoire important était dirigé par le duc de Hijar. À l’époque, c’était déjà le premier vin moderne d’Espagne et les 94 hectares de l’époque avaient été divisés en 220 parcelles. » Dans ce vaste ensemble, Telmo a distingué 3,8 hectares spectaculaires, situés au centre de la montagne Toloño dans un amphithéâtre naturel au sol de craie. Le joyau de Remelluri. « Yjar est plus qu’une cuvée ou un nom. C’est un vin espagnol avec un lieu, une histoire. Ce n’est même pas un vin de la Rioja, c’est plus ancien. Il a le goût pur qui exprime l’un des terroirs les plus étonnants de ce secteur. » C’est sans doute cette différence qui a séduit la place de Bordeaux et l’a poussée à distribuer ce grand vin parmi ses pairs internationaux, toujours plus nombreux. « La Place travaille avec des vins de classe mondiale. C’est difficile pour un cru espagnol de s’y faire une place avec une bouteille disponible à 300 euros. Il n’y a pas beaucoup d’histoires comme ça, à part Vega Sicilia ou Pingus. »