Le Bon Pasteur vu par Thierry Desseauve

Nous vous annoncions hier l’acquisition de la majorité des parts de Bon Pasteur, propriété familiale de Michel Rolland, par Pan Sutong, un financier hongkongais, client de Michel Rolland pour sa propriété de la Napa Valley. Les Rolland ont opté pour cette solution afin de mettre un terme à l’indivision entre Michel Rolland et sa famille.
Les équipes restent en place.
Voici ce que Thierry Desseauve disait de Château Le Bon Pasteur en 2010.

“Propriété pomerolaise de la famille Rolland, le Bon Pasteur vit dans une certaine discrétion, certainement due au fait que l’immense notoriété de Michel Rolland en tant que consultant international a occulté son travail dans ses propres crus, réalisé là aussi avec la complicité très active de son épouse Dany. Michel vinifie pourtant Bon Pasteur depuis 1978 et ces trois décennies à la tête du cru justifiait amplement ce regard rétrospectif, d’autant qu’il éclaire nécessairement aussi les convictions de l’œnologue conseil qu’il a été tout au long de la période.
Dans le terroir très limité en surface de Pomerol, Le Bon Pasteur apparait dans une situation excentrée : il se situe dans le secteur de Maillet, c’est-à-dire au sud-est de l’appellation, à la fois proche de la Barbanne, ce ruisseau qui limite l’appellation Pomerol de celle de Lalande de Pomerol, des secteurs du plateau de Saint-Emilion (Corbin) mais aussi de crus célèbres de Pomerol tel Gazin. Son terroir reflète cette position : une partie sur un sol de graves et d’argile, une seconde sur des terroirs plus légers.
Si le cru porte en lui, tout au long des millésimes dégustés, tout autant la « patte » de Michel Rolland que celle de son terroir, c’est-à-dire un caractère charnu, généreux, rond et aromatique, il n’en a pas moins beaucoup évolué. La dégustation verticale réalisée à Paris au printemps dernier montre ainsi les fruits des améliorations tant au vignoble qu’au chai apportées par les Rolland au fur et à mesure. Globalement, on pourrait distinguer trois époques qui sont autant de pierres de touche pour le cru :

De 1978 à 1985, c’est un vin encore paysan mais fichtrement séduisant : s’il ne possède pas l’éclat aromatique et la fraîcheur des aristocrates de Bordeaux, il garde, dans la maturité actuelle de ces millésimes, une rondeur, une gourmandise et souvent un caractère presque rôti immédiatement séducteur.
De 1986 à 1997, on perçoit parfaitement que le cru et ses propriétaires veulent grimper dans la hiérarchie de l’époque : le tanin s’affine, l’éclat aromatique émerge, le cru s’émancipe de sa rusticité originelle.
De 1998 à 2008, le cru a clairement défini sa personnalité contemporaine : celle d’un vin plus musclé que gras, assurément moderne dans sa conception (maturité du fruit, suavité des tanins, soutien joliment intégré de l’élevage en barriques), intégrant avec une réelle sagesse les forces et les limites du terroir comme du millésime.
Ce parcours passionnant d’un cru bien dans son terroir et dans son époque décrit aussi, on l’a dit, l’œuvre d’un des grands hommes du vin contemporain. Sur ce registre, le Bon Pasteur apparait en total accord avec les principes de Michel Rolland, sans jamais verser dans la caricature.”

Thierry Desseauve

1978
Robe sombre aux reflets ambrés. Nez classique sous-bois, champignons, écorce d’orange, bouche ample, gourmande, tanins assez secs mais l’ensemble est plaisant et gourmand. 15

1979
Robe sombre et vive, nez plus métallique que le 1978 mais la bouche est tendre et fraîche, caractère un rien pointu en finale. 14

1980
Vin un peu fatigué. La robe, sombre, a des reflets bruns et le tanin est plus sec. Reste toujours la rondeur du cru et de la fraîcheur. 13,5

1981
La bouteille n’est pas parfaite et limite le potentiel aromatique d’un vin par ailleurs charnu. Finale végétale. 12

1982
Belle robe profonde aux reflets ambrés brillants, nez épanoui, truffé et roti, charnu, gourmand, hédoniste. La trame n’est pas serrée, encore moins rigide, mais le vin est long, gras, persistant : l’un des milestones du style Rolland. 17

1983
Plus ferme que le 1982, moins charmeur aromatiquement, mais d’une structure enrobée harmonieuse. Belle longueur. 16

1984
Robe moins profonde que les millésimes voisins mais encore juvénile, nez plus métallique, moins fruit et plus oxydé que les autres, bouche plus mince aussi : pourtant l’ensemble n’est pas désagréable car il y a de la fraîcheur et un équilibre sympathique. 13

1985
Robe profonde, nez de prunes et de confiture de prunes, charmeur en bouche, rond, finale moyenne cependant. 15

1986
Un grand velouté de tanin donne au cru une dimension supplémentaire, plus fraîche, plus élancé. Au charme rôti et truffé du cru s’ajoutent une vraie persistance et une allonge brillante. 17,5

1987
La robe est peu fatiguée et le nez associe des petites notes végétales à la truffe blanche ; mais l’ensemble possède une fraîcheur finement épicée et des tanins également fins. 14,5

1988
Robe sombre, bouquet moins épanoui qu’en 1986, moins noble aussi ; l’ensemble est charnu, structuré, mais sans le charme qu’on est habitué à rencontrer avec le Bon Pasteur. 14,5

1989
Robe très profonde et d’une jeunesse rubis étonnante. Bouquet très fin, sur les petits fruits rouges d’un Evangile ou un Gazin des grands jours. Le cru dépasse largement son rang habituel, pour s’affirmer avec une racé finement épicée et un éclat aromatique brillantissime comme un vin de référence. 18

1990
Robe élégante, brillante, rubis aux reflets ambrés. Nez truffé, vin corsé, mais profond et d’une grande richesse de sève. Très « Rolland », générosité, charme et tanins suaves. 17,5

1992
De la fluidité certes, mais aussi de la rondeur et une réelle fraîcheur aromatique. Les tanins sont fins et sans le moindre caractère végétal. 15,5

1993
Robe sombre, plus terne que les millésimes précédents et suivants. Cette impression austère se confirme au nez associant la prune à des notes végétales. La bouche est solide. 13

1994
Robe brillante, bouquet associant le bois, le fruit confituré et le végétal, charnu, large mais manquant sérieusement d’éclat. 14

1995
Style svelte, fruits rouges, allonge sur le cuir, tanin solide mais non dénué de finesse. Pourtant, l’ensemble manque actuellement un peu de classe (on penche vers Lalande plus que vers les grands terroirs). 15

1996
Robe brillante, nez de fruits rouges, intensité et fraîcheur. Plus solide que raffiné, mais incontestablement profond. 15,5

1997
Brillante couleur, caractère ferme, charnu et long, d’une fraîcheur limitée mais volume sérieux. 15

1998
Robe très profonde et juvénile, nez de fruits murs mais frais, havane, allonge profonde, chair, grands tanins fins, caractère épicé qui est celui du cru dans les grands millésimes, allonge et potentiel certain. 18

1999
Registre séducteur, gourmand et velouté : pas de dureté, profondeur suave, pruneau, allonge fruitée et fraîche. Grand charme. 16,5

2000
Robe très jeune et profonde, boisé encore présent, enserrant encore une bouche charnue, tannique, profonde et épicée. Sur la réserve encore mais potentiel incontestable. 17

2001
Robe sombre, fruits noirs confits et prune, bouche ample, pleine de sève et de muscle, intensité, volume, en devenir. 17

2002
Très jeune ! Robe grenat brillante, nez truffé, ample et séveux, longueur épicé. Belle réussite. 16,5

2003
Robe profonde et juvénile. Si le vin n’est pas très expansif aromatiquement, sa tension (caractère assez rare à Bon Pasteur), sa profondeur, les tanins serrés et veloutés, la longueur en font un vin étonnant et brillant, de très grand potentiel. 17

2004
Robe juvénile mais peu profonde, nez gentiment poivronné, souple et flatteur mais limité. 14

2005
Grande robe juvénile, fruit noir et chocolat fin, gras, ample, raffinement de la structure tannique, allonge brillante et fraîcheur. 18

2006
Coloré, boisé truffé, solide et ferme, belle allonge avec un fruit moins pur qu’en 2005. Profond, assez sévère. 16

2007
Confiture de mûres, gras et suave, tanin souple, générosité, dans le style du millésime, retour au charme hédoniste des jeunes années du cru. 16

2008
Coloré et profond, dimension aromatique séduisante sur la mûre et le chocolat avec une touche de menthol, gras et plutôt intense, bon volume suave. 16,5

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