L’appellation Saumur-Champigny forme un triangle géographique délimité au nord par la rive gauche de la Loire, à l’ouest par son affluent le Thouet et à l’est par la forêt de Fontevraud. Ces frontières claires et précises renferment les localités de Chacé, Dampierre, Montsoreau, Parnay, Saint-Cyr-en-Bourg, Souzay-Champigny, Turquant, Varrains et Saumur, formant ainsi les 1 500 hectares de l’appellation.
D’un point de vue géologique, Saumur-Champigny appartient au Bassin Parisien (contrairement à l’Anjou situé dans le Massif Armoricain). La richesse argilo-calcaire du sol est marquée par la présence bénéfique en sous-sol d’une craie particulière appelée tuffeau qui joue un rôle de régulateur. En effet, cette roche de type calcaire du crétacé supérieur (ère géologique située entre -100 et -65 millions d’années) permet d’absorber les précipitations hivernales et de les restituer durant les périodes de sécheresse estivale, la vigne obtenant ainsi son quota d’eau régulier pour un développement harmonieux. Les débris variés qui recouvrent ce tuffeau transmettent aux vins des caractères différents. Les sables et les graviers donnent des vins plus fins tandis que les argiles favorisent une structure plus imposante qui permet une bonne garde.
Les cépages
Si le cabernet-sauvignon, le pineau d’Aunis et le cabernet franc sont les cépages autorisés, le cabernet franc s’impose comme le roi absolu du vignoble, tant au niveau cultural qu’organoleptique. Il règne ici sans partage.
La vigne est présente sur le Saumurois depuis le Moyen-Âge, avec la plantation de cabernet franc autour de l’abbaye de Fontevraud. Ce cépage convient le mieux aux terroirs de tuffeau, il apporte à la fois distinction et structure. On en apprécie les flaveurs de fruits rouges, de petites baies noires et de violette lorsqu’il arrive à bonne maturité. Lorsqu’il n’est pas suffisamment mûr, il prend des accents de poivron vert qui rappelle bon nombre de vins des années 1980-1990. Deux autres cépages sont autorisés dans le décret d’appellation de 1957, le cabernet-sauvignon recherché pour ses accents de cassis et de tabac dans les millésimes chauds et le pineau d’Aunis pour ses touches poivrées. Ils sont aujourd’hui pratiquement abandonnés, car excepté sur des millésimes comme 1976 ou 2003, le cabernet sauvignon a du mal à mûrir. Trop léger, le pineau d’Aunis a presque totalement disparu.
L’originalité du climat
L’originalité de Saumur-Champigny repose sur son climat. En effet, cette AOC est située à la limite est de l’influence océanique. S’étageant en lignes de coteaux parallèles à la Loire, le vignoble bénéficie d’une situation propice à une bonne maturation.
La protection du relief des Mauges, de la forêt de Fontevraud et des cours d’eau comme le Thouet et la Loire protègent contre les excès d’humidité avec une moyenne pluviométrique de 500 mm/an alors que les grandes villes voisines comme Angers ou Cholet dépassent respectivement les 630 et les 740 mm/an. Il faut rappeler que la moyenne nationale se situe autour des 900 mm/an. En ce qui concerne les températures, Saumur-Champigny avec une moyenne à l’année de 15,7° est la zone la plus chaude de la région. Le nom Champigny a d’ailleurs des origines latines : « Campus Ignis » qui signifie « champs de feu ». Ainsi, l’un des avantages de cette situation est de bien emmagasiner le jour la chaleur solaire pour mieux la restituer la nuit.
Les différentes expressions des vins
Entre Varrains, Chacé et la fosse de Chaintres, sans oublier Dampierre, Souzay et Saumur, les meilleurs terroirs turoniens donnent une expression et une structure aux vins qui permettent un bon mûrissement après la mise en bouteille.
Turquant, Parnay, Montsoreau et Saint-Cyr sont des terroirs plus froids où pour obtenir une juste concentration il faut vendanger plus tard. Ces villages réussissent bien les années un peu chaudes comme 2003 ou 2009.
Notons toutefois que les parcelles déterminent en grande partie les styles des vins. Avant l’obtention de l’AOC, on buvait avant tout un lieu-dit selon un modèle très bourguignon. Du vin de Pâques gourmand et fruité au cru de garde charpenté et tannique qui défie le temps, chacun peut trouver son bonheur. Plus qu’ailleurs sur la Loire, il faut louer le caractère coulant des saumur-champigny, contrairement à leurs voisins de Saumur ou d’Anjou aux tanins plus rigides.
Ces rouges s’apprécient sur le fruit de la jeunesse avec leurs accents de framboise, groseille, cerise noire, cassis ou mûre. Ce qui fait la différence au niveau de la subtilité d’un cru, ce sont les arômes d’iris et de violette. Ceux-ci se retrouvent dans tous les grands vins rouges lorsqu’ils sont juvéniles. Par la suite, ils évoluent très souvent vers la truffe, un arôme qui anoblit le vin.
Saumur-Champigny s’est engagé dans un programme de biodiversité sur l’ensemble de l’appellation. Un réseau de haies d’arbustes aux essences diverses a été planté pour abriter les oiseaux et les insectes. Cela aidera au rééquilibrage naturel de la plante pour lutter contre les attaques de maladies. Cette initiative permettra à chaque vigneron de mieux connaître les prédateurs de la vigne, notamment les insectes. Cette expérience unique en Val de Loire est suivie de près par tous les autres vignobles.
La longue marche de Saumur-Champigny
Le catalogue 1930 de Nicolas est édifiant sur la cotation des meilleurs champigny : le clos-cristal 1924 est vendu 15 francs, le château-de-villeneuve 1921, 20 francs. Un prix identique pour le même millésime de Cos d’Estournel et de Brane-Cantenac, Lynch-Bages ne valant que 10 francs. On comprend mieux la notoriété de ces vins qui en outre bénéficiaient du travail qualitatif et du dynamisme commercial d’Antoine Cristal, figure emblématique du champigny. A cette époque, l’arrière-grand- père de Charly et Nadi Foucault vendait ses rouges aussi chers que les seconds grands crus classés du Médoc. Et les ambassades européennes se les arrachaient. Pour avoir dégusté le château-de-villeneuve 1921 et le clos-rougeard 1923, on reste confondu par l’équilibre et le fruité de ce type de cru. La Seconde guerre mondiale perturbe cette hiérarchie. En 1945, les rosés moelleux et les saumurs se taillent la part du lion. L’obtention de l’AOC en 1957 constitue une étape décisive pour le renouveau de ces crus, même si la majorité des vignerons oublient le style raffiné des 1921 ou des 1923. Ceux-ci possèdent en effet une matière plus noble que la grosse cavalerie produite au milieu des années 1980. Rappelez-vous, à Paris et dans toutes les grandes villes françaises, la mode était alors au saumur-champigny servi très frais, arborant des notes de fruits rouges, mais dotés de peu de matière. Économiquement, le saumur-champigny devient plus rentable, beaucoup de vignerons du Saumurois arrachent alors leurs parcelles de blanc pour replanter des rouges. Les rendements sont confortables, certains n’hésitant pas à produire 100 hl/ha. Néanmoins, des domaines comme Filliatreau, Daheullier, Pisani ou Duveau offrent à côté de leurs vins de soif des cuvées plus concentrées, provenant généralement de leurs vieilles vignes. Pourtant, il n’y a pas encore de véritable démarche de terroir, sauf chez les frères Foucault qui font figure à l’époque d’extra- terrestres. Dès 1969, ils travaillent de la façon la plus naturelle possible, ne dépassent pas 40 hl/ha et élevant leurs vins dans des barriques ayant contenu des premiers crus bordelais. Ils obtiennent des vins profonds capables de défier le temps, mais ce n’est qu’à partir des millésimes 1988, 1989 et 1990 que l’on commence à parler des deux moustachus de Chacé. Ils constituent alors un modèle cultural et culturel pour toute la génération montante du Saumurois qui s’affirme avec Jean-Pierre Chevalier au Château de Villeneuve, les Vatan au Château du Hureau ou Thierry Germain aux Roches Neuves au milieu des années 1990.
La relève
Dans le sillage de ces précurseurs, les meilleurs vignerons de l’appellation voient croître la demande pour leurs grandes cuvées. Une remise en cause salutaire se met en place. Celle-ci entraîne d’importants changements, dont une baisse des rendements et un élevage plus long, l’objectif étant d’obtenir des vins plus concentrés, sans pour autant abuser d’une extraction trop poussée. A l’image du Grand Clos du Château de Villeneuve, les sélections parcellaires se développent et, de plus en plus, chaque cuvée est réfléchie en fonction d’un terroir spécifique. Néanmoins, ce type de démarche reste encore beaucoup trop timide car l’assemblage des parcelles et l’âge des vignes restent majoritaires pour l’élaboration des crus. Cette tendance tend à régresser avec l’arrivée d’une nouvelle vague de vignerons, soucieuse de travailler la vigne de la façon la plus naturelle par rapport à un terroir précis. Les vins au fruité pur et à la texture raffinée se multiplient, de nouvelles figures émergent : Yves et Arnaud Lambert, Eric Dubois, son cousin Bruno, Antoine Sanzay, Mathieu Vallée, sans oublier le renouveau du Clos Cristal.
2009 est exceptionnel pour ceux qui ont su garder de la fraîcheur, il faut en effet se méfier des degrés trop forts qui donneront des vins complètement déséquilibrés. Sur ce type d’année les ténors du Champigny ont certainement réalisé leur meilleur millésime. Il y a à la fois de la richesse, de la souplesse et surtout de la fraîcheur ; c’est le type de millésime à encaver en magnum.
Michel Bettane