Le vrai visage des côtes-du-rhône, épisode 2

Suite de notre voyage dans les crus de caractère des côtes-du-rhône. 

Marilou Vacheron, Clos du Caillou.

Les côtes-du-rhône de Châteauneuf-du-Pape : Le Clos du Caillou

Puisqu’on est lancé, autant y aller, chez les puissants de Châteauneuf-du-Pape. Il suffit de traverser l’Ouvèze pour y arriver. Il n’est pas rare que les producteurs de châteauneuf-du-pape produisent également des côtes-du-rhône. Certains sont très renommés, comme ceux du château de Fonsalette du fameux Emmanuel Reynaud de Château Rayas. Certains le sont moins, mais ont beaucoup à voir avec le terroir de leurs glorieux aînés de Châteauneuf. On pense notamment à celui du Clos du Cailloux à qui on a rendu visite. Ce domaine de Courthezon possède un clos de dix-sept hectares qui aurait dû être classé en châteauneuf-du-pape. Mais il était boisé dans les années 1930 et le garde-chasse n’a pas laissé entrer les experts chargés de délimiter l’aire d’appellation. Il n’a donc pas été retenu pour châteauneuf- du-pape, bien que quasiment enclavé dans la zone d’appellation. Déboisé par la suite, il produit aujourd’hui d’excellents côtes-du-rhône qui jouent plutôt dans le registre de la finesse grâce aux terroirs de sables. C’est Marilou Vacheron, fille de la propriétaire Sylvie Vacheron, et Bruno Gaspard, le maître de chai-oenologue, qui nous ont reçu. Bruno est là depuis plus de quinze ans. Quand Sylvie a perdu son mari, Jean-Denis Vacheron, dans un accident, elle a décidé qu’elle allait se battre pour cette propriété. C’est le travail de ce binôme, poursuite de celui initié par Jean-Denis et Sylvie entre 1996 et 2002, qui a emmené le Clos du Caillou là où il est aujourd’hui. On sent que Bruno a le domaine bien en main, qu’il le connaît par coeur. Marilou, toute en douceur, s’affirme comme elle est. Axel, son frère, fait ses études à Changins, en Suisse, et renforcera bientôt l’équipe. S’ils possèdent cinquante-et-un hectares en appellation côtes-du-rhône, seules deux cuvées sortent des dix-sept hectares du clos : Les Quartz et La Réserve. Le terroir des Quartz présente la caractéristique d’avoir des galets roulés en surface avant d’atteindre les fameux safres, du sable aggloméré. Composé à 85 % de grenache, il présente sur le millésime 2016, une trame tannique importante. La Réserve représente un terroir purement sableux et associe 25 % de mourvèdre au grenache. On monte d’un cran en compacité. Il faudra l’attendre. Reste qu’on a là deux excellents côtes-du-rhône, qui n’ont pas grand-chose à envier à des châteauneufs, et pour seulement vingt et vingt-cinq euros. On se serait bien attardé là, à regarder tomber la pluie avec Bruno et Marilou, mais les autres nous attendent.

Le Plateau de Plan-Dieu : Domaine Le Grand Retour

Si on remonte au nord-est, vers Travaillan, on arrive au plateau de Plan-de-Dieu. Il y a quelques siècles, il était recouvert d’une forêt. Quiconque la traversait devait s’en remettre à Dieu pour ne pas s’y faire occire. Puis les hommes ont commencé à la défricher pour planter de la vigne, à la main au Moyen Âge. Puis de façon beaucoup plus efficace après la Seconde guerre mondiale, grâce aux bulldozers de l’armée américaine. Mais il a fallu attendre longtemps pour que ce lieu-dit passe de la production de côtes-du-rhône à celle de côtes-du-rhône villages Plan-de-Dieu. Très longtemps. C’est en 2005 que l’Inao lui accorde sa dénomination géographique. Désormais, on trouve de la vigne sur 1 500 hectares d’un terroir quasiment homogène de cailloutis d’alluvions anciennes sur des safres gréseux. Il fait ici très chaud l’été et le goutte-à-goutte n’est pas du luxe. On est reçu par Alain Aubert qui dirige le domaine Le Grand Retour, fondé par des pieds-noirs en 1962 et racheté par les Aubert en 1999. L’homme, 56 ans, est massif, corpulent, à la fois débonnaire et parfaitement pragmatique. Il vous enrobe de sa faconde méridionale, mais on sent que lui dire non doit être compliqué. L’avantage est qu’il n’a pas sa langue dans sa poche.

« LES HOMMES VEULENT TOUJOURS ÊTRE PLUS FORTS QUE LEUR VOISIN. MAIS SI TU AS PEUR D’ENRICHIR TON VOISIN, TU N’AVANCES PAS. »
ALAIN AUBERT

Il m’explique que l’appellation est à cheval sur quatre communes, ce qui a poussé les vignerons à s’entendre. « Ça nous a évité les querelles du type “mon clocher brille plus que le tien”, car les hommes veulent toujours être plus forts que leur voisin. Mais si tu as peur d’enrichir ton voisin, tu n’avances pas. À Plan de Dieu on a bien avancé. Depuis 2005 on est devenu le côtes-du-rhône villages nommé le plus gros en volume et le plus cher en prix. Sur Le Grand Retour, on est parti de rien en bouteilles en 2010. Aujourd’hui, on est le plus gros opérateur de l’appellation. » Il faut dire qu’avec ses 156 hectares, Alain Aubert a de quoi faire. Mais il s’en donne les moyens. On le suspecte de ne jamais être vraiment en vacances. Il a bien modernisé son outil de production. Son principal souci désormais, c’est la chaleur. « On a gagné trois semaines sur la date des vendanges depuis que je suis petit. Avant, mes parents étaient contents avec des vins à 11,5 degrés d’alcool. Aujourd’hui on flirte avec les 15 degrés. » Ses vins qui voient le bois vieillissent en foudre de 80 hectolitres plutôt qu’en barriques, « car la barrique sèche le grenache. » Il joue le jeu de la dégustation syndicale, il est vice-président de l’appellation, en nous faisant goûter les vins de ses collègues. Mais il garde ses deux meilleures cuvées pour la fin, histoire de nous épater. Et en effet, son Château Grand Retour 2015 et le Grand Retour Excellence tirent leur épingle du jeu. Pour moins de dix euros au domaine, on a là deux vins qui allient puissance, une belle maîtrise de l’alcool et un joli toucher de bouche. Si tous les plan-de-dieu ne sont évidemment pas de ce niveau là, ça montre bien que, dans le coin, on peut faire de l’excellent rapport qualité-prix.

Les Dentelles de Montmirail : Domaine des Pasquiers, domaine de l’Amauve

On part un peu plus à l’est, vers les villages de Sablet et Séguret qui partagent avec Gigondas les dentelles de Montmirail. Là, la géographie devient beaucoup plus accidentée, ce qui donne des terroirs très différents d’une parcelle à une autre. Séguret a été classé avant Sablet en côtes-du-rhône communal, en 1967, alors que son voisin a du attendre 1974. Le village est classé parmi les « plus beaux villages de France ». Pour nous parler de Séguret, on a rencontré Christian Voeux, vieux de la vieille de l’oenologie rhodanienne puisqu’il a travaillé plus de trente ans dans des domaines de Châteauneuf-du-Pape. Il gérait le domaine familial, Domaine de l’Amauve, sur son temps libre avant que la retraite ne lui permette de s’y consacrer pleinement depuis 2016. Du coup, même s’il est d’un rationalisme scientifique imparable, il a décidé de prendre le train de la modernité en convertissant le domaine à la viticulture bio. Il croit beaucoup à son village, dont il préside le syndicat viticole depuis huit ans. Son dernier combat sera de faire passer Séguret en cru. Un dossier sera déposé à l’Inao pour cela, mais il anticipe que ça prendra entre cinq et dix ans. Question vin, il cherche évidemment à faire de la qualité, avec des rendements extrêmement limités (25 à 30 hectolitres à l’hectares en rouge et 30 à 35 en blanc). « Ma formation en oenologie à la fac de pharmacie à Montpellier m’a appris à être logique et simple. » Ça se retrouve dans les vins, très maîtrisés, presque trop. Dans les meilleurs millésimes, il produit une cuvée « réserve » qui est excellente. Et malgré la toute-puissance de la science, il l’avoue modestement, « dans cette vigne de vingt-cinq ans, il y a quelque chose au niveau du sol qui fait la différence. » Chez ses voisins de Sablet, qui tire son nom de la butte sableuse sur laquelle le village est installé, on est allé voir les frères Lambert qui dirigent le domaine des Pasquiers. Jean-Claude, 60 ans, et Philippe, 54 ans, désormais épaulé de son fils Matthieu, ont été la première génération à mettre en bouteille, à partir de 2002. En 2012, ils se sont offerts un nouveau bâtiment de stockage, juste à côté de la mairie. Plutôt que de faire construire un hangar tout moche en tôle ondulée, ils ont fait un joli bâtiment recouvert de pierre du Gard. Rien que pour ça, on s’est tout de suite mis à les aimer. Et comme en plus ils n’ont pas ce côté hâbleur des sudistes, on s’est rapidement senti en confiance. Ils mettent désormais toute leur production en bouteille. Ils ont vingt-cinq hectares de côtes-du-rhône villages Sablet et quarante hectares de côtes-du-rhône villages Plan-de-Dieu. Ça leur permet de bien connaître les deux appellations. Philippe nous explique : « Plan de Dieu donne plutôt des vins puissants, ronds, plaisants jeunes. Sablet c’est plus fin, mais curieusement c’est plus difficile à déguster jeune. Le bas de l’appellation, sablonneux, donne des vins fruités. Le haut, argilo-calcaire, donne des vins plus complets. » Depuis 2012, leurs côtes-du-rhône et côtes-du-rhône villages sont certifiés bio. On en a goûté quelques-uns sur les millésimes 2016 et 2017. Comme les Lambert, ils sont sérieux, tanniques, mais fins, avec du fond. Leur cuvée haut-de-gamme de plan-de-dieu, L’Envy, seulement dix barriques, joue plutôt sur la rondeur et l’onctuosité. Quant à Matthieu, il s’amuse à faire des essais avec du  marselan et des vieilles syrah. Un domaine discret, mais à suivre, assurément.