Guillaume Vidal : « La biodynamie est un levier puissant au château La Coste »

Exemple de réussite presque unique dans le bassin méditerranéen, le château La Coste est un modèle inspirant. Si l’expérience et l’art de vivre sont au cœur du projet, c’est aussi un domaine qui réfléchit au devenir de la viticulture dans cette zone du monde où les défis climatiques s’annoncent nombreux

Depuis quand travaillez-vous au domaine ?
Raymond Gimenez : Je suis maître de chai au château La Coste depuis quarante et un ans. Je travaille en binôme avec Guillaume Vidal depuis 2019. Pendant les vendanges, nous échangeons sur les parcelles, les maturités, les contrôles, les dégustations. Et pendant la vinification, nous sommes tous les deux au cœur de l’action.
Guillaume Vidal : J’ai toujours travaillé en bio et j’ai voulu poursuivre cet engagement ici. Nous avons engagé la conversion du vignoble dès mon arrivée et obtenu en 2022 la certification Demeter pour nos pratiques en biodynamie.

Quels changements avez-vous constaté depuis cette conversion ?
G. V. : Même si cinq ou six ans représentent une durée courte à l’échelle d’un vignoble, nous commençons déjà à observer des effets positifs. Les terroirs réagissent et les vignes sont plus résilientes au stress climatique. On le ressent aussi dans les profils des vins qui sont plus équilibrés et plus frais.
R. G. : Le feuillage des vignes reste sain même en période de forte chaleur, ce qui permet à la plante de continuer à produire des composés intéressants. Et de manière générale, l’expression du raisin est plus juste.

En quoi la biodynamie aide-t-elle concrètement la plante ?
G. V. : La biodynamie n’est pas une solution miracle, mais un levier puissant. On réactive la vie du sol pour lui permettre de retenir l’eau et les nutriments et de les restituer à la vigne quand elle en a besoin. On obtient une synergie entre le sol et la plante.
R. G. : Les acidités sont aussi mieux préservées et les fraîcheurs aromatiques plus nettes. On constate aussi que la montée brutale des degrés d’alcool, même en cas de canicule, est moindre que par le passé.

Cela influence votre manière de vinifier ?
G. V. : Nous vinifions tout séparément, nos cépages, nos parcelles, parfois même des sous-parcelles. On déguste chacune des cuves en fin de fermentation pour comprendre le vin qu’elles peuvent donner.
R. G. : Et selon les profils, nous décidons si cela ira dans une cuvée haut de gamme ou plus accessible. C’est un travail de sélection très précis.

Impossible donc d’entrevoir à l’avance le potentiel de chaque parcelle en fonction des cuvées ?
R. G. : On aimerait, mais ce n’est pas figé. Nous savons où sont nos terroirs de qualité. Ce sont des parcelles où la roche mère est assez proche de la surface. Ce sont celles aussi où les vignes sont les plus âgées et très bien enracinées. Elles donnent les vins les plus aboutis, les plus gastronomiques. Nous avons une base de réflexion qui concerne 60 à 70 % de notre vignoble, mais ensuite il faut toujours s’adapter. Le millésime peut tout changer.
G. V. : Nous l’avons d’ailleurs constaté récemment avec un millésime 2022 précoce et chaud tandis que 2023 était plus tardif et humide. Deux années totalement opposées. Il faut remettre les compteurs à zéro chaque fois.

On imagine que c’est ce qui rend votre travail plus complexe.
G. V. : C’est ce qui fait la richesse de notre métier. On observe, on déguste les baies, on fait des analyses, on décide au cas par cas, on travaille pour déterminer le moment idéal pour vendanger des raisins dont l’équilibre allie maturité, fraîcheur et potentiel aromatique. Nous cherchons à faire des vins avec une excellente buvabilité pour répondre à la demande des consommateurs.
R. G. : Ce travail minutieux a un effet direct sur les degrés d’alcool. Depuis quatre ou cinq ans, grâce à cette optimisation, nous avons des vins avec moins d’alcool, qui titrent autour de 12,5 % pour les rosés et les blancs. Et pourtant, ils sont expressifs, intenses et toujours équilibrés.

Cette notion d’équilibre revient souvent chez vous.
R. G. : C’est ce qui fait la qualité d’un vin, surtout quand on veut leur donner une portée gastronomique. On a la chance d’avoir cette diversité de terroirs et d’expositions qui nous permet d’aller chercher cet équilibre.
G. V. : Et on essaie aussi de l’exprimer dans la complexité des vins. D’où ce travail de sélection parcellaire et d’élevage précis.

Comment se traduit cette précision dans l’élevage ?
G. V. : Depuis quatre ou cinq ans, nous travaillons beaucoup sur la sélection des bois. On teste différentes essences, en multipliant les provenances et les tonnelleries. Nous adaptons le contenant au cépage et selon chaque millésime. Le bois doit apporter une légère complexité, apporter de la structure et permettre d’accroître le potentiel de garde. Mais il ne doit pas masquer les arômes variétaux.
R. G. : Nous travaillons également sur les lies. Les vins blancs restent longtemps sur lies grossières, parfois jusqu’à la mise. Cela apporte du gras, du volume et une belle longueur en bouche. Cela fonctionne très bien, notamment lors des derniers millésimes.
G. V. : C’est aussi une façon d’accompagner la micro-oxygénation naturellement, sans intervention excessive. L’idée, c’est toujours de rester au plus près du raisin et du terroir.

Parlons du réchauffement climatique. Comment anticipez-vous ses effets dans les années à venir ?
G. V. : C’est un gros enjeu. Nous devons adapter notre vignoble dès maintenant. Nous travaillons donc sur des cépages plus résistants à la chaleur, comme la counoise ou le mourvèdre.
R. G. : Nous jouons aussi sur les expositions, les altitudes, les sols. Une partie du domaine est en amphithéâtre, avec des coteaux bien exposés, alors que l’autre partie s’appuie sur des sols volcaniques. Ces éléments sont intégrés dans notre réflexion.
G. V. : On croit aussi que notre vignoble a beaucoup de potentiel pour les blancs et que nos terroirs peuvent donner des grands vins blancs de gastronomie.

Ce qui signifie que la part de blanc sera plus importante dans votre production ?
R. G. : Aujourd’hui, la répartition des vins que nous proposons est à peu près de 55 % de rosés, 25 % de blancs et 20 % de rouges. Le rosé reste majoritaire, mais nous souhaitons équilibrer davantage les trois couleurs.
G. V. : Nous ne suivons pas le modèle classique de Provence avec 90 % de vin rosé. Nous voulons proposer autre chose et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons un outil adapté avec le nouveau chai.
R. G. : Ces nouvelles infrastructures vont nous permettre d’avoir plus de capacité de vieillissement, notamment pour les blancs. L’objectif est de constituer une vinothèque et de garder des millésimes pendant dix ou quinze ans, afin d’accompagner la montée en gamme du domaine.

Comment envisagez-vous l’avenir ?
R. G. : Chaque année, nous nous remettons en question. Nous innovons et testons depuis quelques années des matériaux naturels pour l’élevage, béton, terre cuite, grès, pour aller toujours plus loin dans la précision, tout en respectant la nature du raisin.
G. V. : Nous avons la chance d’avoir des terroirs très variés, avec des sols majoritairement calcaires, mais aussi avec une partie basaltique. L’orientation nord de nos coteaux, qui préserve la fraîcheur des raisins, nous permet de produire des vins blancs avec de la salinité, ce qui est un peu notre signature. Les décisions que nous prenons aujourd’hui auront un effet dans dix ou vingt ans. Nous voulons assurer la pérennité du domaine et que ses vins restent parmi les meilleurs de Provence.

Vous avez aussi aujourd’hui un projet à l’étranger.
G. V. : Il y a dix ans, nous avons planté 120 hectares en Argentine, dans la région de Mendoza.
R. G. : Nous échangeons avec l’équipe locale et nous partageons nos philosophies, nos approches, nos retours d’expérience. C’est assez amusant, mais lorsque nous avons comparé les plans des chais, nous nous sommes rendu compte que nous avions fait exactement les mêmes choix d’élevage, sans s’être concertés, avec la même proportion de foudres, de barriques et de cuves béton. C’est bien la preuve que nous avons une vision commune, même à des milliers de kilomètres de distance.

La magnifique collection d’art contemporain du château La Coste est parsemée au cœur des vignes. Ici, le pavillon Renzo Piano est l’un des cinq lieux qui accueillent des expositions temporaires.
Le chai semi-gravitaire signé par l’architecte Jean Nouvel. La cuverie est enterrée à douze mètres de profondeur.

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