Accueil Blog Page 112

Voyage autour de ma cave par Michel Bettane #13

Le critique de vin s’expose à être soi-même critiqué, ce qui est après tout normal. Parfois, l’arroseur arrosé prend sa revanche et la savoure. On dira que le verbe est adéquat pour un produit de bouche comme le vin. J’ai beaucoup défendu les vins vinifiés entre 1982 et 1997 en Bourgogne sous l’influence de l’œnologue libanais Guy Accad et subi de violentes critiques, parfois même vulgaires, insolentes et racistes, s’attaquant à mon intégrité ou à l’origine ethnique de Guy sur les premiers forums d’amateurs de vins. J’ai aussi défendu le millésime 1996, millésime de vent du nord, du moins pour les domaines où l’on a vendangé des raisins mûrs, ce qui était son conseil prioritaire. Dieu sait que j’ai tout entendu alors sur les vins d’André Pernin et sur sa méthode de vinification. Je rappelle que ce remarquable viticulteur, un des très rares à travailler ses sols et à tailler qualitativement à Vosne-Romanée dans les années 1980, avait la chance d’exploiter et de vinifier une belle parcelle de Richemone, petit climat premier cru de Nuits, à mon sens peut-être le plus racé de tous, sur la meilleure partie de son sol. Une partie de cette vigne était la propriété de Gérard Depardieu. Vinifié avec macération à froid et une protection en S02 conforme aux habitudes de l’époque (entre 1,5 et 2 litres de solution par tonne de raisin), il exaltait en vin jeune les arômes primaires du raisin, qui à Nuits, et particulièrement du côté de Vosne-Romanée peuvent évoquer le cassis. Une forme de réduction, vivement critiquée, et qui pourtant était bénigne par rapport aux réductions admirées par les mêmes amateurs moutonniers chez les producteurs vedettes à la mode. En 1996, conscient de la clémence de la météo, et de la forte acidité avivée par les vents froids constants du millésime, André a soigneusement attendu et vendangé bien au-dessus de 12,5%, rendant la chaptalisation inutile (pourtant pratiquée sur 90 % des vins d’alors) et l’acidification, encore plus.

À dix ans d’âge, les notes de cassis étaient encore présentes mais déjà adoucies. Malgré tout, il fallait carafer la bouteille au moins deux heures avant le service. Quinze ans plus tard, le nez du vin est une merveille de précision, d’originalité et de grâce. À bonne température (19/20°C), on a une nuance de réglisse/badiane qui est l’essence des vins du secteur nord de Nuits (Richemone, Murgers, Boudots) et encore plus des Vosne sud (Malconsorts et La Tâche), avec la mémoire du cassis et des notes de cuir, d’épices type girofle, et même de fer ou de cuivre qui sont la définition des grands nuits, dans un équilibre que seule cette Richemone est capable de produire. On le retrouve, avec la même éloquence et un peu plus d’intensité encore, dans les vins actuels vinifiés par Christophe Perrot-Minot qui a acheté cette vigne à André Pernin.

Le millésime 1996 fut abondant, n’attendez donc pas une concentration de matière et d’étoffe. La fraîcheur du fruit, l’élégance de la texture et, surtout, celle du tannin qui ne doit rien au fût neuf et tout au terroir et à l’adresse de l’extraction d’une vendange non eraflée, donnent un sentiment de naturel vraiment très moral. Remettant à leur place les corbeaux qui, hélas, même parmi des professionnels à haute formation scientifique, ce qui n’exclut pas la jalousie, dénonçaient à tort des pratiques fantasmées tout en encourageant à chaque millésime la désobéissance aux obligations légales, comme l’interdiction d’acidifier quand on chaptalisait ou le respect du minimum obligatoire de richesse en sucre du raisin. Cela ne vous rappelle rien ?

Domaine Pernin-Rossin, la richemone, nuits-saint-georges premier cru 1996 

Voyage autour de ma cave par Michel Bettane #12

Même si je n’aime pas « boire en Suisse » c’est-à-dire ouvrir une bouteille pour moi tout seul, il faut bien en temps confiné se faire un peu plaisir. Par exemple, en mitonnant un savoureux confit de cuisse de poule accompagné d’un risotto aux champignons qui fera bien deux ou trois repas consécutifs. Il faut aussi continuer à mieux comprendre ce fameux et mystérieux rapport saveur/terroir qui m’obsède depuis tant d’années. Je reviens donc au millésime « conscrit » 2010 de mon précédent côte-de-brouilly et je choisis sur le même type de sol de gore (sable granitique) que celui que je trouve autour de chez moi, un côte-rôtie du sud de l’appellation, le bien nommé Blonde du Seigneur, sauf qu’il n’y a pas de côte-blonde dans cet assemblage, vinifié avec sa précision habituelle par Christine Vernay.

Blonde du Seigneur ?
La Côte Blonde est un lieu-dit où Christine n’a pas de vignes. Elle en possède une, pas loin, au lieu-dit Fongent qui n’est pas dans la Côte Blonde. Le nom de cette cuvée, Blonde du Seigneur, procède d’une triple joke :
1 – il n’y a pas de Côte Blonde
2 – Christine est brune
3 – mais elle aime Albert Cohen d’où Blonde (belle) du Seigneur

Le vin : domaine Georges Vernay, blonde du seigneur, côte-rôtie  2010
Le premier coup de nez, d’une définition cinglante et immédiate met en valeur le poivre typique de la syrah, adouci par une nuance vaguement florale, peut-être de violette. La bouche rappelle irrésistiblement le grain minéral et salé de mes crus du Beaujolais, comme si vraiment le sol prenait en charge et recadrait le cépage. Il n’y a pas d’épaisseur de texture dans ce vin, mais une ravissante fluidité, sans creux, ni sentiment de manque et une constance dans son évolution dans le verre sur au moins deux heures. Le boisé est parfaitement digéré, la longueur en bouche conforme à l’attente. N’attendez pas la complexité et, surtout, l’étoffe des cuvées récoltées plus au nord des hameaux de Tupins et Semons, à la limite de Condrieu, qui demandent un peu plus de vieillissement en bouteille pour atteindre la même harmonie.

Voyage autour de ma cave par Thierry Desseauve – Jour 15

Voyage autour de ma cave, ou la chronique quotidienne d’un amateur pas désespéré par temps de confinement. Aujourd’hui, Thierry Desseauve reçoit Michel Bettane qui déniche, ouvre et raconte une bouteille mémorable de sa cave.
Jour 15 : Pernin-Rossin, la richemone, nuits-saint-georges premier cru 1996. Michel Bettane fera un compte-rendu complet de cette cuvée dans notre magazine En Magnum

Voyage autour de ma cave par Michel Bettane #11

Monthélie ou Monthelie sans accent, les deux orthographes coexistent, prolonge directement le vignoble de Volnay avec des sols un peu plus maigres et plus froids qui souvent conviendraient mieux au chardonnay qu’au pinot noir. Les vins rouges, depuis la création des AOC, sont plus recherchés. Leur notoriété était d’ailleurs plus grande en 1936 qu’aujourd’hui parce que les négociants achetaient les vins pour réussir leurs cuvées de volnay ou de pommard. Ces mêmes négociants ont contribué à la perte de prestige du nom, il leur fallait, il le faut toujours, des vins d’entrée de gamme à prix raisonnable qui, par définition, n’intéressent pas l’amateur riche ou snob.

Jacques Lardière, le charismatique vinificateur des vins Louis Jadot pendant quarante ans, ne m’a jamais caché son attirance pour les vins de ce village où il s’approvisionnait aux meilleures sources. Mais il les soumettait à sa vision de vinificateur aimant les vins charnus se développant lentement, mais sûrement, avec l’âge, des tannins « mortifiés » comme il les appelait, c’est-à-dire ayant perdu une sorte de rusticité immédiate, une saveur plus automnale que printanière. Le millésime 1990 à haute maturité du raisin lui a parfaitement convenu. À trente ans, le vin a conservé toute sa chair et développe un bouquet généreux rappelant la prune cuite et les épices douces sans la complexité et la longueur aristocratique des meilleurs volnays, sans la dilution de tant de cuvées beaucoup plus célèbres et coûteuses de côtes-de-nuits dans la même année. Il tient parfaitement 24 heures en bouteille et développe même davantage son vrai caractère.

Louis Jadot, monthelie 1990

Voyage autour de ma cave par Thierry Desseauve – Jour 14

Voyage autour de ma cave, ou la chronique quotidienne d’un amateur pas désespéré par temps de confinement. Chaque jour Thierry Desseauve déniche, ouvre et raconte une bouteille mémorable de sa cave.
Jour 14 : Jean-Luc Colombo, les ruchets, cornas 2007

Voyage autour de ma cave par Thierry Desseauve – Jour 13

Voyage autour de ma cave, ou la chronique quotidienne d’un amateur pas désespéré par temps de confinement. Chaque jour Thierry Desseauve déniche, ouvre et raconte une bouteille mémorable de sa cave.
Jour 13 : Château Gilette, crème de tête, sauternes 1990

Les rouges de Provence d’une star du vignoble

Domaine Hauvette, Améthyste,
les-baux-de-provence 2016

Pourquoi lui
Je ne connais pas Dominique Hauvette, mais d’où que viennent les informations, elles donnent envie de la rencontrer, nous avons commencé par ses vins.

On l’aime parce que
Un grand rouge de Provence est un cadeau du ciel. Ici, c’est de cinsault qu’il s’agit. Grand, le cinsault ? Oui, ça dépend qui en fait du vin. Là, visiblement, c’est bien joué d’un bout à l’autre. Le vin qui vibre est un concept enviable.

Lire la suite ici sur le blog bonvivant

Voyage autour de ma cave par Michel Bettane #10

La famille Muré est une des plus entreprenantes et des plus accueillantes d’Alsace. Elle pratique une viticulture d’élite et respectueuse depuis de nombreuses années. Le vignoble spectaculaire du Clos Saint-Landelin, au sud de Rouffach, orienté plein sud avec ses grands murs terrasse sur un des sols calcaires les plus purs du département possède une bien curieuse histoire. Les Alsaciens sont convaincus que pendant l’occupation par l’armée victorieuse de Bismarck en 1871, tout a été fait pour favoriser la production de vins allemands par rapport à leurs concurrents français. À Rouffach, c’est bien l’administration allemande qui a renforcé, construit et réparé ces fameux murs, sans doute par le travail forcé des prisonniers comme cela se pratiquait alors. Je peux me tromper et les Muré nous le signaleront immédiatement. Nous sommes au sud de Colmar et le micro-climat accentue jusqu’à la caricature la chaleur continentale des étés et le manque d’eau. Ici, le calcaire permet à la vigne de mieux se comporter en période de grande sécheresse que les granits voisins.
Toujours à la pointe du progrès technique, armés d’un anticonformisme viscéral, sur des raisins très mûrs et peu chargés en acide malique, les Muré depuis longtemps favorisent la fermentation malolactique, ce qui affecte la saveur et la forme d’un cépage comme le riesling, habitué à des climats plus froids qui le contrarient. Les habitudes gustatives des amateurs, sauf ceux qui par sagesse ou modestie se laissent aller à leur propre plaisir, sont contrariées tout autant. J’avoue avoir il y a vingt ans été intrigué et souvent perturbé dans mes convictions par ce nouveau style, largement répandu depuis, aussi bien sur les rieslings que les sauvignons et les chenins. J’avais donc gardé en cave quelques bouteilles pour voir si le vieillissement rétablissait l’équilibre qui semblait manquer et mettait aussi bien en valeur l’expression du raisin et du sol. J’ai profité du confinement pour ouvrir le millésime 1999, millésime chaleureux et abondant. J’ai pris mon temps pour laisser développer tout son caractère dans le verre. Le vin ne ressemble à rien d’autre de ma connaissance. D’abord par sa couleur avancée, et certainement pas ambrée, plutôt lumineuse avec des nuances rouge safran peu courantes. Le nez puissant n’est ni de la famille des fleurs, ni de celles des fruits, ni même des notes amères et terpéniques qui sont la définition même du cépage. Au contraire, l’expression puissante et complètement étrangère à la notion de fruit, impossible à décrire par des mots, semble venir du tréfond du sol. Cela ne doit pas étonner, les terroirs à très forte personnalité, c’est sans doute le cas du Vorbourg comme, dans un tout autre style, le Rangen de Thann, dominent et même parfois écrasent l’expression variétale. La construction du vin en bouche est monumentale, avec une vinosité qui manque cruellement à tant de cuvées affadies, mais toujours chères et célèbres de Bourgogne. La sensation sucrée est évidente en fin de bouche, même si elle semble en fusion complète avec l’alcool et partie intégrante de la saveur. (Axel Marchal de l’ISVV de Bordeaux, au secours pour m’expliquer la chose). Bref, c’est impressionnant, original, vraiment « sui generis » comme on le dit en latin et en droit, mais cela questionne sur l’accord met-vin. Avec quoi boire ce champion ? Il tiendra sur les épices, pas les épices douces type thaï/coco, celles à base de coriandre en grain, de gingembre, sans piment. Il supportera une petite charge en sucre et en caramel et, surtout, des sauces courtes et fortement réduites de cuisson rôtie de canard, à la shanghaïenne. On est vraiment avec ce type de vin entré dans l’univers des saveurs de la gastronomie de l’Est et du centre de l’Europe et on quitte celle des beurres à la française ou des cuissons vapeur des poissons.

Domaine Muré, clos saint-landelin, vorbourg grand cru, riesling 1999

Voyage autour de ma cave par Thierry Desseauve – Jour 12

Voyage autour de ma cave, ou la chronique quotidienne d’un amateur pas désespéré par temps de confinement. Chaque jour Thierry Desseauve déniche, ouvre et raconte une bouteille mémorable de sa cave. Aujourd’hui c’est un beau-livre qui parle de vin.
Jour 12 : Le vin et la table, Alain Senderens, Flammarion, 1999

La recette de la tartelettes fines à la tomate :

– Un rouleau de pâte feuilletée toute prête
– 6 tomates moyennes bien mûres
– 1 bouquet de basilic
– 1 branche de romarin
– 1 branche de thym
– 1 feuille de laurier
– Zeste d’orange
– 1 clou de girofle
– 2 gousses d’ail dans leur peau
– 1 jaune d’œuf pour dorer la pâte
– Huile d’olive, sel, poivre

Étaler la pâte. Découper six petits disques à l’aide d’une tasse à thé renversée. Travailler les chutes de pâte au rouleau à pâtisserie et les étirer en une longue bande étroite. Badigeonner le bord des disques d’un peu d’eau et coller une petite bande pour former un rebord.
Ébouillanter les tomates, les peler et les épépiner. Les couper en quartier et les faire fondre doucement dans de l’huile d’olive avec tous les ingrédients aromatiques, sauf le basilic, pendant 30 minutes. Préchauffer le four à 200° C (thermostat 6).
Après avoir retiré tous les aromates ayant servi à la cuisson, étaler la préparation de tomates sur chaque fond de tarte. Passer le bord au jaune d’œuf à l’aide d’un pinceau pour obtenir à la cuisson une belle couleur dorée. Enfourner et laisser dorer 20 minutes.
Parsemer les tartelettes de basilic haché au moment de servir.

L’accord parfait : un cairanne du domaine Marcel Richaud dans un millésime récent, mais on peut essayer avec un côtes-du-rhône, un costières-de-nîmes, un ventoux jeune ou un rosé charnu et coloré.

Voyage autour de ma cave par Michel Bettane #9

Pendant le confinement, de nombreux amateurs rangent leur cave. La mienne en avait largement besoin et c’est une punition à la Sysiphe dont je ne verrais jamais la fin. En rangeant, on tombe parfois sur une bouteille mystère. Plus d’étiquette, forme étrange de la bouteille, collerette de style inconnu. Comme celle-ci, rangée à côté d’une petite collection de vins espagnols de la Ribera del Duero. Mystère tentant à élucider. Après examen archéologique, il reste la trace d’un petit rond indiquant une médaille d’Or dans un concours illisible de 2000. Excitation supplémentaire, ce n’est donc pas un vin espagnol. Heureusement, le bouchon était plus bavard : millésime 1998 sur un miroir, et Celliers Saint-Martin à Roquefort. Immédiatement, recherche sur internet qui confirme qu’il s’agirait d’un vin des Corbières. Ces celliers étaient en fait une cave coopérative disparue, près de Castelmaure, région que j’ai fréquentée de près entre 1982 et 1985 avec même le projet d’acheter une vigne, tant j’avais trouvé beau et prometteur le paysage viticole. Comme je voulais y planter des cépages blancs qui auraient mieux convenu au sol et qui n’étaient pas autorisés, devant la bêtise (déjà) de l’administration, j’y avais renoncé. Heureusement pour les producteurs actuels, ces cépages sont désormais autorisés. Revenons sur cette bouteille. Il semblerait que ces Celliers ont fusionné avec les caves de Leucate et que leur cru fétiche du Château Roquefort-Saint-Martin continue d’exister. En tout cas, j’ai eu la confirmation qu’il avait eu la médaille d’or, au premier concours régional des vin de Corbières en 2000. Tout concorde. Et le vin ?

Belle surprise pour un grenache, syrah, carignan de 20 ans. Pas d’altération de la couleur qui garde un côté pourpre profond, un nez sans le moindre départ d’oxydation, sentant encore le cuir et les herbes aromatiques de sa naissance, une bouche généreuse, un tannin parfaitement extrait. L’ensemble est savoureux, sans finesse ou complexité particulière, très franc, évidemment un peu chaleureux — on sent qu’il ne faudrait pas en boire plus de deux verres si l’on ne peut pas faire une sieste post-prandiale — et, en tout cas, fort agréable sur mon tournedos à la poêle, cuit dans un bain 1/3 beaujolais, un tiers tawny de 30 ans, un tiers Volvic, et copieusement épicé à la poudre de poivron fumée catalane. Une heureuse découverte.

Cave de Leucate, château roquefort-saint-martin, celliers saint-martin, corbières 1998