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La mort du terroir


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Le contexte actuel de déconsommation du vin impliquera peut-être bientôt d’abandonner le concept de terroir, tout au moins de le reléguer au second plan. Rien de plus normal, le consommateur d’aujourd’hui, trop sollicité pour réussir à faire preuve de ténacité dans l’apprentissage d’un savoir accessoire, semble s’être lassé de ressentir la frustration quelque peu humiliante de ne rien comprendre au vin faute d’avoir reçu l’enseignement qui lui permettrait de vivre les émotions qu’on ne cesse de lui promettre. On ne peut pas lui reprocher la demande qu’il formule que tout soit plus simple. Il faut dire qu’en dehors de la sphère privée, et malgré le travail réalisé par quelques formations spécialisées, rares sont les occasions d’acquérir des connaissances sur le vin. Et celles-ci représentent un ensemble de savoirs tellement dense que se lancer dans cette initiation, souvent par ses propres moyens, a de quoi décourager une génération à qui notre société réclame de savoir tout faire dans l’immédiateté de l’urgence. Certes, un travail régulier de dégustation (modérée) finit par former le goût personnel, en le limitant cependant aux frontières de son propre jugement. Mais comprendre ce qui fait la qualité d’un vin par rapport à un autre est une faculté terriblement difficile à acquérir et encore plus à partager.
Cela tient sans doute au fait que la recherche de la qualité, voie choisie par la plupart des producteurs de vin au cours des cinquante dernières années, s’est structurée autour de la notion de terroir, concept passionnant mais particulièrement abscons pour celui à qui on ne l’a pas expliqué. À mesure que la qualité des vins s’améliorait en France comme dans le monde, aidée par le développement des connaissances agronomiques et œnologiques, se revendiquer d’un terroir spécifique et inégalable est devenu pour les producteurs un gage de reconnaissance du bien-fondé de leurs pratiques. Cette reconnaissance, d’abord par les vignerons eux-mêmes, puis de manière légale via l’institut national des appellations d’origine, a contribué à donner aux consommateurs une grille d’évaluation du vin de qualité sur laquelle se fonder pour émettre jugement gustatif, plus argumenté que le binaire j’aime-j’aime pas. Pour citer l’œnologue et biologiste Jacques Puisais, ce vin que j’apprécie a-t-il la « gueule de l’endroit » ? En respecte-t-il la géologie, la topographie, le climat ? Et le vigneron, que fait-il pour sa terre, pour sa vigne ? Et dans sa cave, est-il fidèle à ce terroir ? Autant de questions qui ont permis, petit à petit, d’établir un référentiel de choses à faire permettant à l’amateur de s’y retrouver et de hiérarchiser son goût du vin.
Ainsi, de manière grandiose, l’avènement du concept du terroir a permis au vin de devenir un produit culturel encore plus fort tout en donnant à ceux qui s’y intéressaient de près des clefs de lecture neuves pour le comprendre et se l’approprier. Mais le recours de plus en plus systématique à ce concept de terroir a aussi eu pour effet de creuser un fossé entre ceux à qui il fut enseigné et ceux qu’on préféra laisser dans l’ignorance, en particulier les classes moyennes ou défavorisées, en particulier les femmes. Cette culture du vin de terroir contribua aussi à créer et à imposer une barrière de la langue, dressée par un vocabulaire technique, voire scientifique dans certains pays anglo-saxons, difficile à dompter. L’émergence d’une culture savante du vin a permis à l’humanité, en l’espace d’un siècle, d’améliorer l’élaboration d’une boisson qu’elle consomme depuis des millénaires jusqu’à la maîtrise qu’on lui connaît aujourd’hui. Mais en même temps, et de manière assez soudaine, cette même culture savante a rationalisé le plaisir que l’humanité recherche depuis qu’elle consomme du vin. Au regard de l’état de la consommation de vin dans le monde, certains regretteront l’intellectualisation de ce plaisir. Je préfère penser que la construction d’une culture solide préserve la civilisation de la vigne et du vin plutôt qu’elle ne la détruit.
La tentation de déconstruire cette culture, considérée par certains comme un frein à la consommation, est sans doute l’un des sujets les plus préoccupants pour la filière internationale du vin. Hélas, il y a fort à parier que l’absence de pédagogie autour du vin, imposée par des politiques de santé publique rigides dans un monde où l’agilité est une qualité reine, mène cette filière sur un terrain glissant et dangereux. Certains s’y aventurent d’ailleurs déjà en suivant la forme de contre-culture proposée par le mouvement des vins nature pour lesquels, souvent, une décision humaine lors de la vinification relègue au second plan le goût et la culture propres à chaque terroir. Ou encore en suivant la piste proposée par les vins sans alcool, négation absolue du vin de terroir par définition. Cette « déconstruction culturelle » aura peut-être le mérite de laisser la possibilité aux futurs consommateurs d’interpréter le vin comme bon leur semble, avec leurs mots, leurs expériences du goût, leurs attentes en matière d’émotion. Sans craindre d’ignorer s’il est ou non représentatif de son terroir, mais avec une tolérance regrettable vis-à-vis de certains défauts gustatifs.
Il y a vraisemblablement plus de résultats à attendre en menant dès à présent un travail colossal de pédagogie – et non de promotion ou d’incitation à la consommation, comme certains confusionnistes aiment à le faire croire – avec le concours des collectivités locales, par l’intermédiaire de structures associatives ou entrepreneuriales, afin d’enseigner cette culture de la vigne et du vin qui se transmet entre les Hommes depuis la nuit des temps.

La naissance de l’unique

Photo : Leif Carlsson

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Dans le monde du vin de qualité, deux philosophies s’affrontent ou se complètent selon les époques. Celle de l’expression d’un lieu-dit précis, comme en Bourgogne, ou bien celle de l’assemblage de plusieurs lieux-dits, cépages, comme à Bordeaux ou même de plusieurs millésimes, comme en Champagne. Pour des raisons qu’il faudra un jour expliquer, le modèle bourguignon passe aujourd’hui pour le plus authentique auprès d’une nouvelle génération d’amateurs ou de prescripteurs. On en voit les effets auprès de nombreux jeunes producteurs champenois indépendants qui multiplient les cuvées dites parcellaires pour le plus grand plaisir des sommeliers et des prescripteurs de leur génération. Mais, un peu à contre-courant, j’aimerais ici rappeler pourquoi le vin de Champagne n’y a pas grand-chose à gagner et beaucoup à perdre. Depuis la naissance de sa forme actuelle, née dès la fin du XVIIIe siècle d’une seconde fermentation en bouteille, il a profité d’une longue tradition agricole qui compensait une maturation difficile du raisin en jouant sur la diversité de plusieurs cépages, au cycle végétatif décalé. On évitait ainsi les risques de gel précoce par les petits décalages entre les pinots noirs ou meuniers, les chardonnays, les mesliers, les arbanes, les pinots blancs et le jadis fameux fromenteau, aujourd’hui mystérieusement disparu. L’allongement du temps d’élevage sur pointe, rendu obligatoire par la seconde fermentation, a vite donné l’idée d’assembler deux ou plusieurs millésimes complémentaires par leur acidité, leur caractère aromatique, leur teneur naturelle en sucre, pour homogénéiser d’une année sur l’autre la qualité du vin et le style recherché par le producteur. Et quand le succès commercial planétaire a largement alimenté l’augmentation des volumes à vendre, l’assemblage de nombreuses provenances a non seulement répondu heureusement à ce besoin, mais a produit des vins encore plus complexes et nuancés, tous expressions d’un sol unique malgré ses micro-diversités, avec un caractère minéral et élancé parfait pour satisfaire la soif comme la table.

Les limites de la multiplicité
L’intelligence commerciale et le bon sens avaient donné naissance à un vin qui définissait lui-même sa spécificité, et était perçu comme tel. La multiplicité inévitable des marques et de leurs styles, la variabilité tout aussi inévitable des qualités, des prix, des talents, n’ont rien abîmé de l’unité donnée par une appellation d’origine commune. Je connais bien des vignobles qui regrettent aujourd’hui d’avoir manqué cette opportunité dans les années 1930 et de s’être complus dans la multiplication des noms d’appellation. Au rebours, la tentation inverse de multiplier les cuvées parcellaires se heurte d’abord au fait que peu de parcelles peuvent donner d’un an sur l’autre un vin complet. La nature est tout sauf démocratique et tous les producteurs savent que, même dans les villages les plus prestigieux, classés grand cru ou premier cru, il y a de telles différences de sol, d’exposition, d’âge des vignes et de qualités que rares sont les parcelles dignes d’être individualisées. Inversement, même des villages moins reconnus peuvent posséder des parcelles très qualitatives qui justifieraient d’être vinifiées individuellement. Mais dans chacun de ces cas, les volumes produits sont forcément minimes et l’accès à ce type de vin limité par leur rareté et les prix élevés et spéculatifs qu’elle entraîne. Ajoutons que pour le produit « champagne », le producteur individuel et indépendant est considéré par le public, tout comme les maisons, comme une marque. La multiplicité des marques, et des cuvées, comme l’entretien de leur notoriété, parfois fort courte – le héros du jour étant rarement le héros de toujours – conduisent inévitablement au zapping des consommateurs et des distributeurs. Seul le prix devient un critère de sélection, ce qui favorise les petits prix et la médiocrité standardisée des vins.
Au contraire, l’assemblage nourrit d’abord la créativité chez l’assembleur, qui peut affirmer sa vision et son style, puis l’adaptabilité de son vin aux désirs parfois contradictoires des différents publics. Le souhait d’un vin léger et apéritif, ou plus corsé et gastronomique, tantôt adapté aux produits de la mer, ou à ceux de la terre. Le recours aux différents cépages et la multiplicité des origines, la diversité selon les cuvées des techniques de pressurage, de vinification, des formes et des durées d’élevage, la modulation du dosage, tout aboutit à augmenter la séduction du produit en tenant compte des évolutions des goûts et de la consommation, sans rien changer aux fondamentaux qui le rendent unique. Enfin, la survie de la qualité et de l’attractivité de tous nos vins dépendra aussi de leur faculté de s’adapter aux profonds changements climatiques que nous connaissons. Un peu partout on cherche à diversifier les encépagements traditionnels que l’on juge de plus en plus inadaptés. On recherche des variétés plus résistantes à des périodes plus pluvieuses, plus chaudes, plus violentes et plus décalées. On les recherche dans le patrimoine mondial de la famille noble des vitis vinifera. On essaie des hybridations qui rendraient les raisins moins sensibles aux ravages des diverses maladies et dangers qui diminuent le volume des récoltes et la qualité finale du raisin. On cherche à modifier les densités de plantation, les palissages et les tailles. On entre ainsi dans l’inconnu en matière de maintien de l’expression des terroirs et de la saveur finale des vins issus de ces changements, de leur réputation mondiale, de la réaction d’un public qui aura perdu ses marques et, hélas, ses habitudes de consommation. L’assemblage des millésimes deviendrait au contraire une façon encore plus adroite et indispensable de construire avec le minimum de changement un vin équilibré en alcool, en acidité, tout en maintenant sa capacité, particulièrement pour le champagne, à se complexifier considérablement avec le temps, d’abord sur ses lies, au sein de la bouteille individuelle où il a fermenté dans les caves champenoises, puis après dégorgement, dans les caves des consommateurs. Rappelons que les Champenois sont les derniers à commercialiser des vins âgés de dix ans ou plus, qui sont l’honneur de leurs vignes d’origine et du savoir-faire de ceux qui en maintiennent la production.

Peur sur le vin

Photo : Aurélien Ibanez.

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Décidément, le modèle bourguignon est plus que jamais à la mode. Sur le fond, c’est-à-dire sur le choix d’élaborer des vins monocépage issus de lieux-dits individuels, donc forcément en volume limité, je n’ai rien à redire, même si, par éducation, je préfère la production de vins d’assemblage, par sympathie pour tout ce qui est intervention de l’intelligence humaine et production plus largement disponible. Il faut en revanche commencer à s’inquiéter d’une dérive collatérale comme l’histoire de l’agriculture en a trop souvent connu dans le passé : la multiplication de micro-exploitations agricoles que l’on imagine plus conformes à une certaine éthique du métier et que l’on voit comme un tremplin pour des aventures individuelles. On ne compte plus le nombre de jeunes ou moins jeunes professionnels, désabusés par un premier métier ou par l’état actuel du monde, qui se reconvertissent dans la viticulture, créant de petits domaines, souvent achetés dans des secteurs peu connus et rendus attractifs par le prix modeste des vignes. Il leur faut apprendre un métier difficile, se battre avec les caprices de la nature et surtout avec un marché encore trop hiérarchisé où défendre une marque individuelle, sans grands moyens de communication et dans l’indifférence d’acheteurs débordés par le nombre des autres marques disponibles. Le prix le plus bas fera la différence entre elles, bien plus que la qualité réelle du produit. Et comme ce prix bas ne permet pas, même à court ou moyen terme, de produire une qualité susceptible de plaire à un public pour qui le vin devient une boisson choisie, l’avenir d’une telle aventure à Bordeaux, au Larzac ou en Anjou est loin d’être assuré.
La tentation de s’engager dans une filière bio, compréhensible sur le plan éthique, l’est moins sur le plan commercial ou même agronomique. Elle augmente le coût de production, mais pas le volume de production en année difficile. La faillite est vite arrivée et la filière viticole finira par en souffrir comme ce fut le cas dans le passé, notamment dans la filière café un peu partout dans le monde entre 1800 et 1980. Rappelons les faits. D’abord, un énorme développement des plantations de café, lié à la demande de la consommation, passant régulièrement des mains de petits producteurs à celles de gros exploitants, avec de constantes tragédies humaines. Puis la ruine de ces mêmes exploitations en raison des guerres ou des crises politiques et économiques. Et le désastre d’une agriculture productiviste, la destruction de savoir-faire paysans, entraînant celle des paysages, des petits villages et de la biodiversité. Et enfin, avec la mondialisation, le retour de la demande à la recherche de la rentabilité de cette agriculture. Retour peu reluisant, marqué par une opposition entre des acheteurs géants, comme Nestlé ou Starbucks, et la résistance de plus en plus résiliente des petits producteurs, coincés entre l’hypocrisie de mouvements humanitaires censés les défendre, trompeurs pour le consommateur, et le manque de moyens, malgré l’ambition ou la générosité de centaines de petits commerçants-artisans tentant la voie du « café de spécialité ».
À la différence du café, qui n’est pas pris en grippe par des lobbys hygiéniques, le vin doit aussi se battre contre ses ennemis de l’intérieur, qui voudraient en faire une boisson criminelle. La filière médiatique détruite en France par la loi Evin, ou ailleurs par les pays qui voudraient en implanter une semblable, n’a plus la force de le défendre. Ajoutons des politiques qui n’imaginent même pas la catastrophe pour nos territoires, nos paysages, notre patrimoine écologique, nos villages, leurs micro-économies, leur attractivité, qui se produirait avec la disparition de nos vignes. Les centaines de micro-producteurs auront encore moins de force pour se défendre dans les vignobles qui n’auront pas su produire des marques suffisamment fortes et crédibles, avec la diffusion que mériterait l’adaptation de leur qualité au désir d’un nouveau public. On peut même imaginer que la survie du produit viendra de la Chine ou du « Grand Sud » où, comme par hasard, le café devient encore plus rentable que le thé, sans parler du vin.

L’or du Rhône

Photo : Fabrice Leseigneur.

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Hermitage
Domaine Jean-Louis Chave, hermitage 2021
Même si l’œuvre de sa vie restera l’aménagement du coteau des Chalaix et du clos Florentin à la sortie sud de Mauves, le domaine Chave incarne depuis plusieurs générations les grands vins de l’Hermitage, tant par son magnifique parcellaire en Bessards, Méal, Ermite, Rocoules ou Maison Blanche que par sa volonté farouche de ne proposer qu’un seul vin, harmonieuse et profonde synthèse des différentes expressions de la colline. Ici pas de cuvée parcellaire, donc, Jean-Louis Chave défend fièrement ses convictions. Pourtant, dans des millésimes encore plus brillants que la moyenne, il cède à la tentation en réalisant un second assemblage baptisé Cathelin, issu de lieux-dits en proportions secrètement gardées, mais marqué par les granites des Bessards. S’il est commercialisé un jour, le 2020 entrera dans la grande légende. En 2021, seule la cuvée normale a été produite. Elle présente un joli toucher de bouche, plus raffiné que celui des vins de Saint-Joseph également produits au domaine. Une texture qui va s’affiner avec le temps et fondre ses petits amers, le franc fruit rouge de la syrah (cassis, pêche de vigne) est déjà bien en place.
97/100
Prix NC

Domaine de la Chapelle, La Chapelle 2022
Désormais, la maison Paul Jaboulet Aîné isole La Chapelle du reste de la gamme. Un nouveau chai doit d’ailleurs être destiné à cette cuvée iconique, au pied de la fameuse colline. La cuvée tire son nom de la petite chapelle perchée sur la partie haute du coteau de Saint-Christophe, aujourd’hui mentionné sous le nom de Bessards. La maison Jaboulet en est propriétaire, et l’a fort joliment restaurée d’ailleurs, mais la cuvée n’est pas issue des vignes alentours. Traditionnellement, La Chapelle était un assemblage de Méal et de Bessards, dans cet ordre, puisque Jaboulet a toujours eu un parcellaire de premier plan sur le coteau de galets du Méal. Toutefois ce 2022 incorpore en plus un peu de Rocoules, uniquement dans la partie des hauts de coteaux, les vignes plantées dans le bas de la pente étant destinées à Maison Bleue, le second assemblage. Bien que très jeune, ce 2022 affiche déjà un nez complexe (fruits rouges et noirs, nuances grillées et balsamiques, pointe d’épices douces). En bouche, les tannins sont enrobés, avec un moelleux de texture qui signe les grandes réussites modernes de cette cuvée. La finale est portée par les granites des Bessards et demande du temps en bouteille.
96/100
264 euros

M. Chapoutier, Monier de la Sizeranne 2021
Plus important propriétaire en Hermitage, Michel Chapoutier s’est fait connaître dès les années 1990 avec ses fameuses sélections parcellaires. Si en rouge, Le Pavillon (issu des Bessards) et L’Ermite tutoient régulièrement le firmament des très grands vins, à des prix eux aussi très élevés, nous avons retenu cette cuvée plus abordable. Issue exclusivement des vignes du domaine Chapoutier, elle est un modèle d’hermitage d’assemblage, brillante synthèse des différents quartiers de la colline, entre le gourmand fruité d’une syrah bien mûre et la profondeur musclée de tannins caressants. Sous l’influence de l’actuel maître de chai Clément Bärtschi, cette cuvée affiche des progrès significatifs depuis plusieurs millésimes. Par le passé, elle résultait parfois d’une construction par défaut, une fois définis les lots destinés aux sélections parcellaires. Aujourd’hui, c’est un assemblage à part entière, construit comme un grand vin. Avec le millésime 2021, l’apport de 15 % de vendanges entières permet encore de gagner en profondeur. Ce 2021 déploie un fruité mûr et sans opulence, gourmand (cassis), avec une entame de bouche crémeuse, des tannins onctueux, une allonge élégante et équilibrée. La finale monte en puissance, sans forcer.
95/100
Prix NC

Delas, Ligne de Crête 2022
La maison a toujours produit deux cuvées de haut vol, La Landonne en côte-rôtie et Les Bessards en hermitage. Ces deux expressions différentes disent tout du potentiel de la syrah sur ces coteaux granitiques. Depuis le millésime 2015, elle propose cette nouvelle cuvée issue d’un quartier de la colline de l’Hermitage où elle est en situation de quasi-monopole (Les Grandes Vignes), situé tout en haut du coteau de Saint-Christophe, avec une vue à 180° sur le vignoble et la vallée du Rhône qui serpente au pied. C’est le secteur le plus élevé de la colline (320 mètres), sur un substrat de granite à feldspath. Il s’agit là d’une autre expression de la syrah sur granite, les principaux éléments de différenciation étant l’altitude et l’orientation, avec des conséquences sur l’ensoleillement et les températures moyennes. Les syrahs y sont souvent les dernières à être vendangées. Ce 2022 offre un nez plus floral que la cuvée Les Bessards, avec une touche fumée. Le tannin encore un peu ferme va demander de la patience, mais la finale fraîche et élégante permet d’envisager un avenir radieux. Les 80 % de vendanges entières apportent une trame tannique serrée et dense.
97/100
175 euros

E. Guigal, Ex-Voto 2020
Dans un tel dossier, il aurait été trop facile de citer un côte-rôtie de la maison Guigal, ou même de citer ses très réussis saint-joseph. Nous avons fait le choix de partir en hermitage, une appellation où peu de consommateurs attendent la famille Guigal, pourtant l’un des plus importants propriétaires sur la colline. Depuis le rachat des vignes De Vallouit en 2001, Guigal exploite près de deux hectares en rouge, sur les lieux-dits Les Bessards, L’Ermite, Les Murets et Les Greffieux, à partir desquels cette cuvée est produite. Une vinification et un élevage à la Guigal, c’est-à-dire 40 mois dans les fûts neufs de la tonnellerie maison, produisent lorsque le millésime en est jugé digne un vin puissant et aux tannins crémeux, richement élevé, équilibré et de grande garde. Lorsqu’il fait déguster sa gamme dans son intégralité, Philippe Guigal présente toujours Ex-Voto en dernier, après ses parcellaires en Côte-Rôtie. Au nez comme en bouche, ce 2020 offre une expression plus solaire, plus sudiste que les côte-rôtie de la maison. L’intensité fruitée, les parfums savoureux de prune et de cassis, les tannins ultra fins et la persistance ultra fraîche en font un grand vin, où l’élevage vient en accompagnement même s’il est encore un peu perceptible.
98/100
350 euros

Domaine Sorrel, Le Gréal 2022
Ne cherchez pas où se situe Le Gréal sur une carte de l’appellation, il s’agit d’une astucieuse construction à partir des lieux-dits Les Greffieux (10 %) et Le Méal (90 %), deux quartiers de la colline où le domaine possède une grande partie de ses vignes. Greffieux est situé juste en dessous du Méal, avec un sol un peu plus épais. La cuvée existe depuis le millésime 1984, à l’initiative de Marc Sorrel (tout juste arrivé au domaine alors) et de son père Henri. Elle a toujours incorporé 7 à 8 % de raisins blancs, puisqu’une terrasse entière du Méal est plantée en blancs. Les vieilles vignes plantées sur le coteau entre 1927 et 1928 ont été bien rebrochées avec l’arrivée de Guillaume, la nouvelle génération, qui a également affiné le travail en cave. Un grand gréal mérite de patienter une vingtaine d’années en bouteille et ce 2022 n’y dérogera pas. Nez de fruits noirs et d’épices douces, tannins crémeux, ce grand hermitage en construction demande que sa générosité alcoolique s’intègre, même si elle n’est pas immédiatement perceptible.
98/100
250 euros

Cave de Tain, Epsilon 2020
Grâce au legs Gambert de Loche, le fondateur et premier président de la cave, cette structure coopérative jouit d’une diversité de terroirs sur la colline de l’Hermitage qui rivalise avec les plus grands domaines privés. Aujourd’hui les 22 hectares sur la grande colline sont cultivés en bio. Suite à l’extension de la cuverie, qui a connu ses premières vinifications avec le millésime 2014, Xavier Frouin, l’œnologue de la cave depuis deux décennies, dispose enfin d’un outil lui permettant de vinifier au plus près de la parcelle et de proposer des assemblages qui gagnent en précision depuis quelques millésimes pour désormais égaler les tout meilleurs avec ses cuvées hauts de gamme. Justement, cette cuvée Epsilon, qui n’est pas produite tous les ans, est une construction savante issue, dans ce millésime, d’un assemblage de terroirs, entre les sables granitiques d’Ermite (85 % de l’assemblage), les galets du Rhône de Méal (7 %) et les galets et poudingues de Rocoules (8 %). Le vin est un absolu en termes de fraîcheur et de velouté de texture, l’alcool est brillamment contenu par des tannins de grande finesse, glissant sur la langue. Les parfums de fruits noirs sont frais, la finale intense et persistante, sur des senteurs de graphite. Déjà étonnamment bon à boire, même s’il va bien vieillir vingt ans et plus.
97/100
278 euros

Côte-rôtie
Domaine Graeme et Julie Bott, côte-rôtie 2021
Ce couple de jeunes vignerons a créé son propre domaine en 2015 et sa gamme s’est depuis bien étoffée. En appellation côte-rôtie, le domaine exploite un hectare en propriété (aux lieux-dits Semons, Lancement, Tartaras et Fongeant), complété par des locations et quelques achats de vendange (notamment en Côte-Bodin). Toutes les parcelles sont récoltées et vinifiées séparément. Graeme aime égrapper les raisins des terroirs de la côte Blonde, mais apprécie une part variable de rafles pour ceux de la côte Brune. Comme les assemblages sont réalisés juste avant la mise, cette cuvée représentative du style du domaine incorpore en moyenne 20 à 30 % de vendange entière. Dans le millésime 2021, cette syrah fruitée donne un vin à la bouche dense et construite avec sérieux par des tannins encore un peu fermes qui demandent de patienter encore.
93/100
76 euros

Domaine Bonnefond, Côte Rozier 2021
Avec leur domaine situé sur le plateau qui surplombe l’appellation côte-rôtie, les Bonnefond connaissent bien ce terroir dit Côte-Rozier dont la pente vertigineuse plonge vers le village d’Ampuis, au cœur du secteur de la côte Brune, au nord du Reynard, le ruisseau qui sépare l’appellation en deux. Le sol, composé de schistes et de micaschistes, y est plus riche en oxydes de fer, ce qui confère un caractère plus corsé et salin au vin que les secteurs plus au sud. Plusieurs producteurs exploitent une vigne sur ce terroir réputé et recherché, mais rares sont ceux à l’isoler dans une cuvée dédiée, ce qui ne permet pas aux amateurs de découvrir le vin donné par ce lieu-dit singulier. Encore très jeune, ce 2021 puissant et corseté par des tannins fermes, séduit par son allonge et sa longueur, avec un retour plaisant sur les fruits noirs frais.
94/100
60 euros

Domaine Duclaux, Coteaux de Tupin 2020
Lieu-dit cadastré, Coteaux de Tupin est situé au sud de l’appellation, dans la commune de Tupin-et-Semons qui borde l’appellation condrieu par le nord. La roche-mère de gneiss y procure des vins aux senteurs de fruits rouges et des notes florales plus marquées que dans les terroirs du nord de l’appellation, sur des schistes et des micaschistes. Outre ce terroir de premier ordre, la vinification pour une bonne partie en vendange entière et les 26 mois d’élevage en barrique expliquent sans doute le succès de cette cuvée, toujours la plus aboutie du domaine. Ce 2020, aux tannins nombreux et au toucher subtil et savoureux, offre une belle persistance sur les notes de fruits rouges et noirs. Les fleurs se bousculent dans le verre. Bien en place, cette cuvée se bonifiera pendant une ou deux décennies.
95/100
126 euros

Dauvergne-Ranvier, Grand vin 2020
Le duo de vinificateurs-éleveurs François Dauvergne et Jean-François Ranvier ne possède pas de vignes en côte-rôtie, mais s’y approvisionne avec les mêmes exigences que dans le sud de la vallée du Rhône où ils sont implantés. Cette cuvée, qui contient un petit peu de viognier (2 %) est issue de raisins éraflés en totalité. Elle assemble des terroirs d’origine éparses, répartis dans les trois communes de l’appellation (Ampuis, Saint-Cyr et Tupin-et-Semons), ce qui explique sa dimension gourmande et sa grande lisibilité. Le vin est élevé intégralement en pièces bourguignonnes durant 18 mois, avant une maturation en bouteille d’une année supplémentaire. Ce 2020 déploie des senteurs de fruits rouges et noirs (framboise et cassis), avant de dévoiler une bouche aux tannins tendres et ronds. Un côte-rôtie harmonieux et à apprécier jeune.
90/100
45 euros

Domaine Corinne et Jean-Paul Jamet, La Landonne 2019
Vieille famille d’Ampuis, les Jamet exploitent un remarquable vignoble regroupant pas moins de quinze lieux-dits différents, principalement implantés dans les parties schisteuses du cœur et du nord de l’appellation. Jean-Paul Jamet et aujourd’hui son fils Loïc sont des inconditionnels de la vendange entière, ce qui explique pour partie l’incroyable potentiel de garde de leurs vins. Outre la cuvée d’assemblage, la réputation du domaine a longtemps été incarnée par la très recherchée cuvée Côte-Brune, micro-production de 2 500 à 3 000 bouteilles issues d’un demi-hectare, élaborée presque chaque année depuis 1976. Depuis le millésime 2018, avec une réussite au moins égale, le domaine a cédé à la tentation d’isoler une autre parcelle de son vignoble, situé sur le prestigieux lieu-dit La Landonne. Cette cuvée grandiose offre des parfums d’encre et de fruits noirs, ainsi que des tannins bien gainés dont la fermeté actuelle s’assouplira après une bonne garde en bouteille. La persistance intense et fraîche révèle la splendeur des grands vins de syrah sur schistes.
98/100
Prix NC

Domaine Levet, La Péroline 2021
Il s’agit peut-être du dernier petit domaine familial à recevoir les clients dans son caveau situé au bord de la route, en plein cœur d’Ampuis. Et les visiteurs pourraient être encore plus nombreux au regard des tarifs raisonnables des vins proposés. Agnès Levet est cousine des grandes familles de l’appellation et possède un parcellaire incroyable, réparti dans le cœur de l’appellation. Son joyau, qui représente le tiers de ses vignes, reste incontestablement le lieu-dit Chavaroche, intercalé entre les secteurs de la côte Brune et de la côte Blonde, bordé par le Reynard, ce fameux ruisseau. Goûter cette cuvée Péroline, issue exclusivement de ce Chavaroche (non revendiqué sur l’étiquette), est une occasion unique de découvrir ce terroir très représentatif de la côte Brune par la puissance de sa sève. Ce 2021, au nez intense et complexe, entre notes de fruits noirs (myrtille), notes minérales, notes végétales (fougère), propose en bouche des tannins satinés. La vendange entière apporte un supplément de raffinement et de fraîcheur en finale.
96/100
65 euros

Domaine Stéphane Ogier, La Belle Hélène 2019
Stéphane Ogier est l’une des figures montantes de l’appellation depuis le début de ce siècle. Il s’est révélé comme un spécialiste des vins de Côte-Rôtie, se permettant même de bousculer quelques pratiques bien établies en proposant, quand le millésime le permet, une caisse de ses meilleurs terroirs – rarement les mêmes d’une édition à l’autre. Une innovation quand la plupart des domaines proposent une cuvée d’assemblage des différents secteurs de l’appellation ou mettent en avant un parcellaire bien délimité. Cette cuvée avait été initiée par Michel, le père de Stéphane, en hommage à son épouse Hélène. Issue exclusivement du lieu-dit Côte-Rozier (mais non revendiquée comme tel), elle révèle avec le vieillissement la splendeur et la race du terroir de la côte Brune. Avec une matière encore plus concentrée et structurée que Lancement, l’autre grande cuvée du domaine, le bouquet de ce 2019 a besoin de temps, mais son toucher de bouche comme du velours laisse entrevoir un grand potentiel. Il faudra patienter une quinzaine d’années, peut-être plus encore.
97/100
340 euros

Domaine Pichon, La Comtesse en côte Blonde 2022
En côte-rôtie, rares sont les cuvées au nom amusant. Celle-ci, proposé par le domaine Pichon, est depuis le millésime 2005 un clin d’œil appuyé à un fameux cru classé de Pauillac. Évidemment, pour revendiquer la fameuse côte Blonde, la vigne doit s’y trouver selon les critères du cadastre. Christophe Pichon exploite 4 500 m² sur ce secteur au cœur d’Ampuis. Les raisins qui composent cette cuvée sont égrappés en totalité, ce qui confère un supplément de velouté et de gourmandise dans le toucher, caractéristiques que l’on ne retrouve pas dans un vin de la côte Brune, par exemple. Un élevage de 22 mois permet ensuite d’apprécier ce millésime 2022 qui illustre à lui seul en quoi le terroir de Côte-Rôtie produit des syrahs différentes de celles des autres crus du nord de la vallée du Rhône, à commencer par ceux de l’appellation voisine, saint-joseph. Grâce tactile inégalée, senteurs de mûre, tannins délicats, il offre beaucoup de raffinement quand les terroirs de la côte Brune offrent plus de muscle et de saveurs corsées.
94/100
130 euros

Domaine Georges Vernay, Maison Rouge 2021
Reconnu déjà à l’époque de Georges Vernay pour la brillance et la pureté de ses vins en Condrieu, le domaine a acquis les mêmes lettres de noblesse avec ses côte-rôtie sous la direction de Christine Vernay, épaulée désormais par sa fille Emma. Des deux côte-rôtie produits au domaine, Maison Rouge est sans réserve le plus abouti. Il s’appuie sur des vieilles vignes, pour certaines plantées dans les années 1950 sur le secteur de Maison Rouge, situé au sud de l’appellation, dans la commune de Tupin-et-Semons, sur des sols de granite et de gneiss, différents de ceux de micaschistes que l’on retrouve dans les secteurs du nord de l’appellation, mais aussi à Condrieu. Trente pour cent de vendanges entières et deux ans d’élevage ont permis à ce 2021 de développer un nez davantage sur les arômes de sous-bois et de cacao que sur les notes fruitées. Belle matière en bouche, de la profondeur et un équilibre frais et savoureux. Ces éléments continueront de se mettre en place avec le temps.
95/100
147 euros

Domaine Pierre-Jean Villa, Fongeant 2021
Depuis ses débuts, Pierre-Jean Villa a toujours isolé cette parcelle de Fongeant, qu’il commercialisait jusqu’au millésime 2015 sous le nom de Belle de Maïa. Depuis, d’autres producteurs ont adopté cette démarche, comme Stéphane Ogier et Graeme Bott, ou bientôt Guigal avec la nouvelle cuvée La Reynarde. Les 70 ares qu’il exploite sont divisés en deux : 55 ares sur le plateau plantés entre 1954 et 1955 et 15 ares plantés en 2015 sur le coteau, un peu plus haut en altitude. Jusqu’à maintenant, seules les vignes du plateau ont donné cette cuvée en général issue exclusivement de 100 % de vendanges entières. Dans ce millésime 2021 que nous avons retenu, Pierre-Jean n’a pas voulu tenter le diable et a réduit cette proportion à 50 %. Assemblée à un peu de viognier et élevée dans des cuves de 500 litres pendant deux ans, la syrah du grand terroir de Fongeant se distingue toujours par son ampleur en bouche et ses senteurs florales marquées. Le toucher de bouche de ce 2021, tout en finesse et en délicatesse, demande un peu de temps pour s’épanouir.
95/100
130 euros

Cornas
Domaine Auguste Clape, cornas 2019
Avec Pierre-Marie puis Olivier, les générations se sont succédé depuis Auguste. Et cela fait des décennies que ce domaine incarne comme nul autre le style traditionnel du vin de Cornas tel qu’on aime le retrouver sur les cartes des vins des vrais bons bistrots. Le vignoble couvre les principaux secteurs de l’appellation, tandis que la vinification est la plus traditionnelle possible, en grappes entières. Si les vieux foudres qui servent à l’élevage paraissent hors d’âge, tous les millésimes produits sont autant de valeurs sûres. La cuvée vendue sous la seule mention cornas est le grand vin du domaine. Cet assemblage où tous les terroirs s’affirment lentement (15 à 20 ans minimum) permet d’apprécier le muscle que les coteaux de granite confèrent à la syrah. Dans ce vin profond et intense au nez, on devine la belle maturité du raisin avec lequel, dans ce millésime solaire, on a évité le piège du surmûr et du confituré. Sur le même registre (fruits noirs, myrtilles, encre), la bouche est profonde, avec des tannins mûrs qui laissent la place à une grande fraîcheur finale, sur la feuille de menthe. Ce 2019 racontera la grandeur du terroir de Cornas, mais il faudra être patient.
96/100
132 euros

Jean-Luc Colombo, La Louvée 2021
Jean-Luc et Anne Colombo n’ont vinifié leur premier millésime qu’en 1987, avant d’être rejoints par leur fille Laure. Pourtant, en presque quarante années, les Colombo, tous œnologues de formation, ont affirmé un style qui s’est depuis diffusé à bon nombre de producteurs dans le secteur. Autrefois qualifié de rustique, le vin de Cornas offre aujourd’hui des tannins élégants, musclés mais bien enrobés. Un style que l’on retrouve dans chacune des cuvées produites par la famille. La cuvée La Louvée est issue de vignes situées sur la côte de Cornas, juste au-dessus du village, exposées à l’est et sud-est. Elle se situe au sommet de la gamme, lorsque le millésime ne permet pas la production de la cuvée Vallon de l’Aigle. Dans le millésime 2021, elle offre une matière tannique et une densité agréable, avec un parfum un plus floral que fruité, avec une fraîcheur réglissée en finale.
94/100
90 euros

Domaine Vincent Paris, La Geynale 2022
Installé depuis 1997, Vincent Paris est le neveu d’une figure locale, Robert Michel, dont il a repris la fameuse parcelle étiquetée La Geynale, même si cette dernière est cadastrée au lieu-dit Reynard. Au pied de ce coteau, juste au-dessus du village de Cornas, la vigne, qui regarde vers le sud-est, est plantée sur un sol de granite altéré qui donne tout son sel au vin qui y est produit. Vincent a commencé à travailler les sols après plusieurs décennies d’usage de désherbants. Si la viticulture va encore progresser dans le temps, la dégustation révèle déjà toute la sève de ce grand terroir. Plantées en 1910, les vignes ont belle allure et la vinification intégralement en vendange entière apporte un supplément de corps et de fraîcheur, à l’image de ce 2022 au fruité gourmand, aux saveurs de gelée de myrtille. On aime la concentration, la densité, l’intensité, la profondeur et la persistance apportées à ce vin par les vignes centenaires.
94/100
45 euros

Domaine Alain Voge, Les Vieilles Vignes 2021
Le domaine porte encore le nom d’Alain Voge, l’homme qui lui a fait prendre le virage de la mise en bouteille à la propriété à partir de 1965 et qui en a lâché les rênes au début des années 2000. Aujourd’hui, Alain Voge n’est plus et la direction du domaine est assurée par Lionel Fraisse et Laurent Martin. Voge a marqué des générations d’amateurs en étant pionnier dans la mise en valeur des terroirs des deux villages contigus de Cornas et Saint-Péray, quand les autres stars de Cornas (Clape, Allemand, Colombo, etc.) devaient leur réputation aux seuls cornas rouges. Dans la gamme des quatre cornas, les cuvées Les Vieilles Vignes et Les Vieilles Fontaines sont au sommet. Issue du lieu-dit La Fontaine, cette dernière n’est pas produite tous les ans (2015, 2016, 2019 récemment). Ce vieilles-vignes 2021 offre un exquis fruité noir (cassis frais) et des tannins onctueux structurant une texture veloutée. Raffiné et profond, il déploie une magnifique fraîcheur finale.
95/100
54 euros

Crozes-hermitage
Domaine Les Bruyères, Les Croix 2021
Inconnu du grand public jusqu’à ce qu’il sorte de la coopération en 2003, David Reynaud a depuis fait un bon bout de chemin. L’essentiel de son vignoble est situé à l’extrémité sud de l’appellation crozes-hermitage, sur les terres sableuses et alluvionnaires de Beaumont-Monteux. Élaborés à partir de raisins égrappés, ses vins sont devenus une référence par leurs gourmands parfums de pêche de vigne, de figue et de quetsche. La belle qualité de cette matière première s’explique aussi par la mise en place de la biodynamie et d’un travail au cheval des parcelles de vieilles vignes. Obtenue à partir de vignes de plus de 60 ans vendangées à la main, cette cuvée bénéficie d’un élevage de 18 mois alternant entre barriques âgées et cuves béton. Depuis le millésime 2022, le domaine y incorpore un peu de vendanges entières. Fruité rouge et gourmand, senteurs de cassis et d’épices douces, bouche sphérique avec des tannins harmonieux et une rondeur finale, ce 2021, moins long que d’autres millésimes, donne un vrai plaisir.
91/100
34 euros

Domaine Laurent Combier, Clos des Grives 2022
Sous l’impulsion de Laurent Combier, ce domaine s’est hissé aux premières places de l’appellation crozes-hermitage. Installé dans la plaine des Châssis, il a profité de son intégration dans l’aire délimitée en 1952. Avant de se spécialiser dans la vigne, les Combier étaient arboriculteurs, comme souvent dans la Drôme à cette époque, et leurs modes de culture ont toujours respecté les préceptes de l’agriculture biologique, avant même les labels officiels. La gamme s’est élargie, aujourd’hui complétée par un négoce intelligent auprès de vignerons partageant la même sensibilité. Cuvée haut de gamme du domaine, le clos-des-grives (dans les deux couleurs) est commercialisé depuis le millésime 1990 et différentes verticales montrent le potentiel de garde permis par son terroir de galets du Rhône. Supplément de finesse et de profondeur dans ce 2022 par rapport à la cuvée domaine, avec des tannins ultra soyeux et un élevage qui apporte son élégance.
94/100
45 euros

Domaine Alain Graillot, La Guiraude 2022
Il s’agit sans doute de la première cave particulière qui a contribué à faire connaître les vins de Crozes-Hermitage en dehors de la région. Le regretté Alain Graillot s’est installé dès la vendange 1985 dans la plaine des Châssis. En prenant sa suite, ses fils Maxime et Antoine n’ont pas renié ses principes, notamment celui de vinifier les rouges avec la vendange entière. Quand le millésime le permet, ils isolent les meilleures pièces de la cave pour élaborer la cuvée La Guiraude, qui n’est donc pas issue d’une sélection parcellaire. Elle affiche toujours un supplément de profondeur et de densité par rapport au reste de la gamme, la rafle apportant un complément de muscle dans le tannin, à l’image de ce 2022 encore porté par les arômes vanillés de l’élevage et à la bouche souple, mais bien constituée. Élégant, fin et droit, doté d’une agréable persistance, il évoluera bien pendant dix ans et plus.
91/100
50 euros

Saint-joseph
Ferraton Père et Fils, Lieu-dit Bonneveau 2022
La maison Ferraton appartient depuis plus de vingt ans à Michel Chapoutier, mais continue à proposer un style qui lui est propre même si ce sont les mêmes terroirs. Celui de Bonneveau se situe sur la commune de Tournon, à 350 mètres d’altitude, ce qui apporte un peu plus de fraîcheur au raisin et permet de préserver une partie de son acidité lors de sa maturation. La vendange est ici égrappée et la vinification en cuve béton souligne la pureté de ces sols de granite. Ce 2022 est caractéristique d’une syrah bien typée, entre parfums de tige de tomate, de fruits rouges et de poivre noir pour épicer le tout. La bouche n’est pas la plus puissante ni la plus concentrée, mais l’on aime son glissant de tannins et sa finesse qui font retendre le verre. Voilà un vin rouge plus adapté aux viandes blanches et aux volailles qu’aux viandes rouges. Délié, souple et bien en place, c’est tout ce qu’on attend d’un joli saint-joseph.
91/100
32 euros

Domaine Pierre Gaillard, Clos de Cuminaille 2022
Pierre Gaillard éprouve un attachement particulier pour ce clos puisqu’il s’agit de sa première plantation lorsqu’il se met à son compte et défriche ses premières parcelles. Nous sommes en 1981, il ne vinifiera son premier millésime qu’en 1984, et à l’époque il est encore chef de culture chez Vidal-Fleury, avant de basculer chez Guigal puis de s’installer à temps plein dès 1987. Cuminaille, ce sont trois hectares de coteaux sur sable granitique à Chavanay, orientés vers l’est, ce qui évite au raisin de rôtir durant les chauds mois d’été. Contrairement à de nombreuses parcelles du secteur, où l’on plante sur échalas (ces grands piquets en bois qui permettent à la vigne de s’élever à la verticale), la vigne est ici palissée et taillée en cordon de Royat. Le soleil du millésime 2022 a permis au raisin de bien mûrir, ce qui donne des parfums puissants de violette et de pêche de vigne, un toucher onctueux et caressant et une belle finale suave et harmonieuse, moins veloutée mais plus saline que celle d’un côte-rôtie.
92/100
29 euros

Domaine Pierre Gonon, saint-joseph 2022
Peut-être le domaine le plus emblématique de toute l’appellation saint-joseph, la plus étirée du Rhône-nord. Il faut dire que Pierre et Jean Gonon n’ont pas de vignes en cornas, en hermitage ou en côte-rôtie. Ici, que du saint-joseph et une même réussite en blanc et en rouge avec des vins qui vieillissent parfaitement pendant dix, voire vingt ans. Sur leurs terroirs de Mauves, Tournon et Saint-Jean-de-Muzols, le granite du sol combiné à la différence de microclimat par rapport à Chavanay, situé 50 kilomètres plus au nord, confère à la syrah une chaleur particulière dans les parfums de fruits mûrs ainsi qu’un velouté de tannin plus élégant et moins poivré ou corsé qu’au nord de l’appellation. Ce 2022 est aujourd’hui en retenue, avec une belle concentration en bouche, des tannins très fins et une magnifique fraîcheur. Il n’est pas prêt à boire aujourd’hui et ce serait dommage de l’ouvrir trop vite. Ce vin propose une brillante interprétation de la finesse des beaux coteaux de Saint-Joseph.
95/100
132 euros

Domaine André Perret, Les Grisières 2020
Réputé pour ses deux condrieux (Clos Chanson et Coteau de Chery), le domaine propose aussi des saint-joseph tout en finesse. Contrairement à tant de domaines du secteur, les Perret n’ont jamais cherché à vinifier de vins de Côte-Rôtie, pourtant toute proche. Cette cuvée porte le nom d’une ancienne vigne de la famille, aujourd’hui disparue. Seule sa dénomination survit à travers cet assemblage de deux parcelles de vieilles vignes de plus de 70 ans situées à Chavanay (75 % provient des Rivoires et le reste, du terroir de Chanson). Les rouges de ces secteurs pourtant largement plantés en blanc se distinguent par des tannins de grande finesse. André Perret a initié en 1986 cette cuvée dont quelques millésimes manquent à l’appel (2002, 2008 ou 2021). Encore disponible à la vente, ce 2020 soyeux et caressant s’appuie sur des tannins très fins, sans doute dus à l’âge vénérable des vignes. Le fruité est gourmand, sans lourdeur, l’alcool est contenu et le boisé intégré.
93/100
Prix NC

Tardieu-Laurent, Le Goût du Lieu 2020
Michel Tardieu et Bastien, son fils, ont toujours acheté des raisins dans le nord de la vallée du Rhône. Cet adroit vinificateur-éleveur en propose régulièrement une interprétation faite de senteurs de fruits noirs et rouges et d’olive noire, avec des bouches sculptées par des tannins bien élevés, les senteurs boisées des jeunes années s’estompant rapidement. Ce saint-joseph provient du terroir particulier de Chanson, à Chavanay, un sol de granite à muscovite bien exposé au sud qui permet à la syrah de bien prendre le soleil. On apprécie dans ce 2020 une belle trame structurante et de gourmands parfums de pêche de vigne. L’élevage a juste affiné la matière tout en respectant bien les qualités natives du raisin. Les fins amers apportés par les sables granitiques lui permettront un bel accord avec le gras d’une viande rouge grillée.
91/100
70 euros

Les perspectives de Bolgheri

La toute proche mer Tyrrhénienne rafraîchit de ses vents un vignoble qui fait face à des étés de plus en plus arides. Photo : Sara Matthews

Retrouvez cet article en integralité  dans En Magnum #38. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


La Toscane qui encadre l’appellation chianti classico éveille un imaginaire de carte postale fait de petites collines ondulantes parsemées de vignes de sangiovese et d’oliviers millénaires. Elle évoque une certaine douceur de vivre, telle qu’elle transparaît dans le film Beauté volée de Bernardo Bertolucci. À Bolgheri, qui s’étend plus au sud, toujours en Toscane, mais sur la côte des Étrusques, l’environnement est autrement plus rude, sauvage, accidenté. Les loups sont même revenus de Pologne peupler ses forêts. Les vignes y sont malmenées par des températures estivales de plus en plus extrêmes, irradiées par le soleil qui se mire dans la toute proche mer Tyrrhénienne avant d’être rafraîchies par les bois denses traversés par les vents marins et dans certains cas, par l’amplitude thermique offerte par les collines qui culminent à 400 mètres. Pas étonnant, dans de si laborieuses conditions, que l’histoire vinicole moderne de Bolgheri démarre par hasard, il y a moins de cent ans, lorsque le marquis piémontais Mario Incisa Della Rocchetta épouse la fille du plus grand propriétaire terrien de la côte toscane, la Florentine Clarice Della Gherardesca, avec pour dot la Tenuta San Guido, moitié d’un vaste territoire familial (l’autre est léguée à Niccolò Antinori qui épouse la même année Carlotta Della Gherardesca, sœur de Clarice).

L’exception fait la règle
Au début des années 1940, féru d’agronomie et fin connaisseur de crus français, Mario fait fi des traditions et enracine dans les hauteurs de son domaine des pieds de cabernet-sauvignon acquis du côté de Pise ainsi qu’à Bordeaux. Une extravagance de plus du marquis, considèrent les fermiers locaux qui confectionnent des jus rustiques à partir de cépages indigènes dont ils attribuent la faible qualité à la proximité de la mer. Jusqu’à la fin des années 1960, le nectar n’abreuve que la lignée Della Rocchetta. Son occupation principale à Bolgheri est alors d’élever la progéniture du fameux Ribot, un pur-sang anglais qui a raflé tous les prix de course équestre du milieu des années 1950. Devant l’évidente originalité du vin familial, le marquis Piero Antinori (fils de Niccolò et neveu de Mario) décide de le mettre en marché. Le millésime 1968 de Sassicaia de la Tenuta San Guido est présenté au monde en 1972. Le succès est immédiat, mais la consécration a lieu en 1985, quand il devient le premier vin d’Italie à obtenir la note maximale de 100 points sur 100 du critique américain Robert Parker. D’autres entrepreneurs toscans, mais aussi lombards et piémontais, déjà impliqués dans le vin ou non, suivent l’exemple vertueux de ce pionnier et s’installent à leur tour au sein de cette zone presque encore vierge de la viticulture toscane.

Des supers équilibristes
Rien ne structure alors la production de ces grands rouges qui transcendent les cahiers des charges des appellations voisines et sont commercialisés sans DOC, comme simples vins de table. Si toutes les tables ne se valent pas, le surnom de « super toscan », attribué la première fois par la presse spécialisée américaine, vient bientôt officieusement désigner ces ovnis qui conquièrent le monde en favorisant les cépages internationaux tels que le cabernet-sauvignon, le cabernet franc et le merlot, plutôt que le sangiovese, qui signe l’identité du voisin Chianti. Quelques règles d’encadrement un peu floues balbutient en 1983, avant que la DOC Bolgheri ne se structure réellement en 1995. Et quitte à ne pas faire les choses à moitié, elle triple les reconnaissances. À la DOC Bolgheri Rosso s’ajoutent les DOC Bolgheri Superiore et DOC Bolgheri Sassicaia (l’unique dénomination italienne réservée à un seul domaine), aux règles d’assemblage et d’élevage différentes. Ces trois unités regroupent aujourd’hui soixante-quatorze membres au sein d’une aire d’appellation concentrée sur 1 370 hectares qui produit collectivement près de sept millions de bouteilles. Si le cabernet-sauvignon domine encore les plantations, talonné par le merlot, le cabernet franc est renforcé depuis quelques années en ce qu’il semble mieux faire face au réchauffement climatique. Ces trois cépages peuvent, seuls ou ensemble, représenter la totalité des assemblages, alors que le local sangiovese et la syrah peuvent y être présents à 50 % maximum, tout comme d’autres, tel le petit verdot, dans une limite de 10 %. Malgré la création de ces appellations, le sobriquet de « super toscan » continue de coller à la peau des plus illustres labels. Il faut dire qu’ils le portent bien, car tout chez eux est superlatif, jouant de leurs contrastes sur le fil du rasoir et trouvant leur harmonie dans leurs déséquilibres. Légitime pour un vignoble situé non loin de Pise. On se délecte de leurs tendances schizophrènes oscillant entre expressivité et retenue, chaleur alcoolique et grande fraîcheur, concentration et finesse, densité et tannins poudrés. Ils sont déroutants en ce qu’ils changent tout le temps dans le verre. Les vins les plus séduisants y ont été piano piano sur les extractions et embaument la macchia mediterranea, le parfum capiteux des forêts de pins, de cyprès, de chênes et d’oliviers transporté par les vents marins, non sans rappeler celui d’un bouquet d’origan sec.

Les 1 200 convives du consorzio entourent une table géante dressée sur cette photogénique avenue des cyprès, cinq kilomètres bordés de 2 500 arbres majestueux. Pour l’occasion, une carte des vins bien garnie (notamment de vieux millésimes de Sassicaia, Ornellaia, Argentiera ou Arnione) est proposée aux banqueteurs dans un ballet de cinquante sommeliers mobilisés spécialement. Photo : Linda Vukaj

Au nom du père

Photo : Vincent Lappartient

Retrouvez cet article  dans En Magnum #38. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Sourcils toujours légèrement froncés sur un regard cerclé d’une monture écaille, silhouette gracile de marathonien, Vincent Chaperon est ce que l’on appelle un personnage à part. Nommé chef de cave de Dom Pérignon depuis le départ de son prédécesseur Richard Geoffroy, il est à la Champagne ce que François Truffaut est au cinéma : un génie parfois incompris, d’une nature extrême, imprévisible, dont chacune des œuvres se doit d’être « contre » la précédente, mais suivre une seule et même ligne, chaque année remise en question. Un homme habité par une passion dévorante, dont l’érudition technique se double d’une immense ambition poétique, ménageant quotidiennement des équipes tentaculaires tout en multipliant projets de recherche, réflexions artistiques, voyages et lectures, reconnaissant parfois se fatiguer de sa propre exigence. Le laisser dérouler le fil de sa pensée implique de se mettre en mode avion tant la matière est dense, l’approche multidimensionnelle et les références en millefeuilles. Une façon plus ou moins délibérée de semer le trouble et d’entretenir le mythe d’une maison qui cultive l’art de la discrète ostentation. Propriété du groupe LVMH, Dom Pérignon représente aujourd’hui l’une des marques les plus désirables au monde, avec des cuvées millésimées produites exclusivement les années d’exception, au prix de plusieurs centaines d’euros le moindre flacon. Forcée d’assumer un certain côté bling, elle n’en reste pas moins énigmatique, ne dévoilant jamais l’étendue de sa production et recevant la presse au compte-goutte derrière les murs épais de l’abbaye d’Hautvillers, joyau architectural fondé en 650 au creux de la vallée de la Marne et demeure historique de Dom Pierre Pérignon en personne.

Vincent Chaperon, une passion de l’exégèse qui se transmet aussi par les gestes. Photos : Vincent Lappartient

Une quête de perfection
Intronisé chef de cave en 2019 au cours d’une cérémonie digne d’un mariage royal, après quatorze ans de bons et loyaux services en qualité d’œnologue, Vincent Chaperon se destinait à marcher dans les pas de celui auprès duquel il a tout appris, le charismatique Richard Geoffroy. Leur relation fusionnelle et quasi-filiale n’a pas été sans créer un vague sentiment d’imposture, et pour cause : depuis ses débuts, le presque cinquantenaire a exclusivement accompagné la mise en marché des millésimes de ses prédécesseurs, précieusement gardés en cave de sept à onze ans. En attendant la sortie en 2025 de son tout premier vin vinifié seul, Vincent Chaperon aura lutté, cherché, avant de canaliser cette énergie foudroyante de chat tombé dans la baignoire jusqu’à trouver le sens de sa propre quête : révéler la dimension esthétique et littéraire d’un champagne devenu l’emblème incontesté du luxe « universel ». Son appartenance assumée à une classe de privilégiés l’a dispensé de devoir acquérir les codes d’un monde d’apparat dans lequel il semble évoluer avec l’élégance impertinente d’un siamois. Un univers dont il semble accepter les règles pour mieux les contourner, tout en ayant conscience d’avoir entre ses mains l’héritage d’un auguste bénédictin lancé dès le XVIIe siècle dans une quête absolue de perfection. « L’idée de perfection est aujourd’hui à replacer dans le contexte religieux de l’époque. Faire un champagne parfait implique d’accepter une forme de contrainte, mais aussi une part de mystère », admet le chef de cave, que l’on se plaît à imaginer en potentiel cheval de Troie. Un soupçon qu’il s’empresse d’écarter. « Je porte une seule vision. Ce qui varie, c’est la manière dont elle est incarnée. » Et c’est justement dans ce point de tension que vient se nicher toute la difficulté à composer entre deux images radicalement opposées, celle d’un champagne que l’on sabre en magnum dans le monde du rap et de la nuit, mais aussi celle, plus méconnue, d’une maison adulée par les esthètes. « Dom Pérignon ne peut être que millésimé. Cela montre qu’il n’y a qu’une vision, mais qu’elle se réincarne en continu. Ensuite, il y a l’interprétation de ceux qui la vivent et de ceux qui la boivent. C’est là où il y a un aspect un peu schizophrène », s’amuse-t-il d’un air d’éternel incompris. À sa vision très romanesque de la quête, qui s’illustre au travers d’une passion farouche pour les mots et une créativité parfois difficile à contenir, vient s’opposer ce qui compose la partie la plus ostentatoire des buveurs de « Dom Pé’ », ceux que l’on aperçoit sur Instagram brandissant des bouteilles comme on soulève un trophée de chasse, rompus aux excès liquides et additions pharaoniques, définitivement plus visibles que ceux qui le dégustent noblement au coin du feu en relisant Châteaubriand. « On se retrouve parfois face à des gens qui ne comprennent pas cette obsession à vouloir mettre des mots sur tout », regrette Vincent Chaperon. « Mais au fil du temps, on apprend à faire le distinguo entre son émotion et celle des autres. » Une sagesse qui n’est pas sans lui éviter quelques tourments, ne serait-ce que celui de voir le fruit d’années de travail acharné finir en shower. « Je porte un projet, qui doit ensuite être vécu, mais il n’y pas qu’une seule manière de vivre quelque chose. Que l’on aime ou pas, il a fallu que je comprenne que cela ne disait pas quelque chose de moi », reconnaît-il. Une philosophie du lâcher-prise qui ne paraît pas être le genre de la maison, mais lui permet paradoxalement de se concentrer sur l’essentiel.

Dom Pérignon 1973, un millésime auquel il aura fallu du temps pour révéler son potentiel, aujourd’hui au sommet de sa profondeur et de son éclat. Photo : Vincent Lappartient

« Génial n’est pas suffisant »
Pour mieux comprendre la complexité du personnage, il faut avoir en tête une dimension qui échappe à l’immédiateté chronique de notre époque, celle du passage du temps. « C’est un métier où l’on vit simultanément au présent, au passé lointain et au futur lointain. Aujourd’hui, je fais 2024, je prépare 2017 et 2018 et je suis en cave des vins ayant déjà cinq, dix, quinze ans. Je vogue en permanence sur ces trois temporalités qui ne sont pas étanches et s’influencent entre elles. » Et c’est par le détour de la musique que le chef de cave envisage désormais ses assemblages, détournant les errements de la subjectivité pour en faire une partition collégiale : « Nous nous sommes rassemblés à cinq autour de la table et avons expérimenté une nouvelle technique. Chacun a dû composer son assemblage en fonction de sa propre vision ». En matière de commentaires, Vincent Chaperon évite soigneusement l’écueil de la récitation, préférant citer Calder et Picasso, analyser les vides et les pleins, les poids et les légers, parler de couture, de tressage et de fondu-enchaîné. Un exercice qui peut sembler retors au néophyte, mais qui comporte l’avantage de remettre l’ensemble des buveurs sur un pied d’égalité, privant les experts de toute velléité de jargonner. « Il faut réussir à faire ressentir ce que les gens ne voient pas : le terroir. Aller voir dans l’invisible, accepter d’être aveugle pour revoir, retoucher, se reconnecter à l’intelligence du corps. Je veux que l’on ressente l’énergie vitale d’un vin qui, comme un parfum, vient s’intégrer à la peau du palais. La bulle est uniquement un support, elle n’est pas là pour masquer, mais pour soutenir, prolonger, apporter une cinquième dimension. » En ligne de mire, la volonté d’exprimer la singularité d’un millésime tout en assurant le maintien d’un style. Une ambition que Vincent Chaperon entend pousser à l’extrême, mu par une âme de compétiteur et la radicalité vorace des éternels insatisfaits : « Je déteste ce qui est fini. Tout le monde produit aujourd’hui des choses magnifiques, mais génial n’est pas suffisant. Je me fous que les gens trouvent ça super. Je veux qu’ils soient bouleversés. Je veux qu’ils disent : “Ça a changé ma vie”. À l’époque de Dom Pérignon, on contemplait encore ce ciel que l’on ne regarde plus aujourd’hui », regrette-il en observant le sillage de bulles évanescent d’un Vintage 1973 ouvert pour l’occasion. « Ça, c’est mon étoile. Je ne vis que pour ça. » 

Le temps des plaisirs

Fettercairn, une collection et des projets

Photo : Mathieu Garçon

Située en Écosse sur un domaine historique, Fettercairn est bien plus qu’une simple marque de whisky. La distillerie est un témoin vivant de l’histoire et de l’évolution de la législation sur la production de whisky. Son histoire remonte au début du 19e siècle, lorsqu’elle s’établit sur des terres vastes et fertiles appartenant à Sir Alexander Ramsay, un homme dont le blason familial arborait fièrement une licorne, l’animal national du pays. Une histoire séculaire que la maison célèbre cette année avec un coffret prestigieux. « Nous nous inspirons des 200 dernières années pour façonner les 200 prochaines. Les whiskies de ce coffret marquent les étapes de notre histoire et reflètent notre quête d’expressions singulières. Ils représentent l’esprit de Fettercairn dont nous sommes particulièrement fiers », explique Gregg Glass, le master whisky maker de la distillerie.

200 ans en un coffret
Pour fêter cet anniversaire comme il se doit, la distillerie a imaginé ce coffret artisanal qui rassemble six whiskies millésimés inédits (1964, 1973, 1988, 1995, 1998 et 2021). Du plus vieux flacon, âgé de 60 ans, au plus jeune, âgé de trois ans, ces single malts totalisent ensemble 200 ans d’âge et de savoir-faire. Fabriqué à partir de bois sélectionnés sur le domaine de la distillerie, le coffret a été imaginé par John Galvin dans son studio-atelier de Glasgow. Le designer, spécialisé dans l’art sculptural et la création de mobilier en bois, explore à la fois les motifs, les couleurs et les textures complexes des différentes essences ainsi que différentes techniques de fabrication.
L’armature du coffret, composé de couches de chêne, de laiton et de cuivre, s’inspire de la lumière qui perce à travers la canopée des majestueux chênes plantés autour de la distillerie. Une sorte de vision prémonitoire de la future « Fettercairn Forest », vaste projet de plantation de chênes dont le bois permettra un jour de fabriquer les barriques utilisées au vieillissement de l’eau-de-vie. Chaque bouteille affiche des teintes subtiles qui évoquent la couleur des alambics de Fettercairn, altérée par l’eau de source qui coule dans les anneaux de refroidissement, facilitant ainsi la condensation et une collecte des vapeurs les plus légères, clé du style raffiné de Fettercairn.

200 ans en six années

Fettercairn 1964
Le plus ancien de cette collection et le plus vieux whisky produit par la distillerie. C’est aussi l’année de naissance de Stewart Walker, le directeur de Fettercairn depuis 35 ans.

Fettercairn 1973
L’année marque un tournant pour la distillerie avec la construction de son chai de vieillissement. Un investissement audacieux en pleine période de récession industrielle.

Fettercairn 1988
En 1988, Fettercairn voit partir Douglas Cooper, le plus ancien directeur de la distillerie. C’est lui qui a introduit l’anneau de refroidissement en cuivre sur les alambics, conférant ainsi aux whiskies leur profil unique.

Fettercairn 1995
Le fruit du travail de Gregg Glass, master whisky maker et pionnier de Fettercairn. Il reflète son expertise dans la sélection des fûts pour créer un spiritueux d’une grande finesse en utilisant plusieurs types de fûts (classiques et rares) qui remontent aux années 1990.

Fettercairn 1998
Le reflet de ce style tropical, signature de Fettercairn, et du travail pointu de la distillerie pour obtenir des whiskies équilibrés.

Fettercairn 2021
Il y a trois ans, Fettercairn a lancé le « Scottish Oak Cask Programme », une initiative innovante dans l’univers du whisky écossais. Ce programme vise à instaurer une économie circulaire en utilisant du chêne écossais pour fabriquer les fûts de vieillissement. La plantation de la « Fettercairn Forest » représente un premier pas vers l’objectif ultime de vieillir les whiskies dans des fûts en chêne écossais plantés autour de la distillerie.

Coffret collector Fettercairn, 120 000 euros
10 exemplaires dont un seul disponible en France.


Pour aller plus loin

« Nous nous projetons
pour les 200 prochaines années »

Enfant des Highlands, Gregg Glass a commencé à travailler très jeune dans l’industrie du whisky, avant de rejoindre la maison Fettercairn en 2016 dont il est le « master whisky maker and blender », c’est-à-dire l’homme qui crée et assemble les spiritueux.
Propos recueillis par Julia Molkhou

Gregg Glass, « master whisky maker and blender ». Photo : Mathieu Garçon


Fettercairn est la deuxième distillerie la plus ancienne du pays. Elle est située dans une région que beaucoup considèrent comme « le jardin de l’Écosse », tant son climat, sa proximité avec la montagne et ses sources d’eau fraîche en font l’endroit idéal pour faire du whisky. Pourtant, la distillerie a mis du temps à s’imposer comme un acteur incontournable.

Malgré tout ce qui la rend unique, Fettercairn a pendant longtemps été une sorte de diamant brut qu’on ne parvenait pas à polir. Sa naissance aux yeux du public est en réalité très récente, de l’ordre de quatre ou cinq ans, alors que cette maison a plus de 200 ans d’histoire. L’une des particularités de Fettercairn, c’est sa tradition bien particulière lors de la fabrication du whisky. Aujourd’hui encore, c’est la seule distillerie d’Ecosse où les alambics sont équipés d’anneaux de refroidissement qui laissent couler de l’eau fraîche sur leurs cols, permettant de ne capter que les esthers les plus fins.

Vous êtes aussi en charge des cinq autres distilleries du groupe Whyte and Mackay Ltd. Mais c’est à Fettercairn que vous êtes le plus présent. On imagine que c’est toujours un moment d’excitation de voir où en sont les futurs blends et singles malt de la distillerie.
C’est mon moment préféré et c’est une surprise à chaque fois. Bien sûr, je suis parfois trop pressé et ce que je goûte n’est pas encore prêt. Mais ça me permet d’avoir en tête le whisky dont j’ai envie même s’il ne sera prêt que dans dix ans. Goûter régulièrement me permet aussi d’ajuster les choses.

En Écosse, peu d’artisans sont spécialisés dans la coupe du bois pour faire des barriques. Et les tonneliers du pays sont plus habitués à les réparer plutôt qu’à les fabriquer. Le programme que vous avez mis en place vise à changer cette situation.
Si l’orge que nous utilisons provient de 200 agriculteurs tous situés à moins de 75 kilomètres de la distillerie et que l’eau provient directement des montagnes qui l’entourent, les futs ne venaient pas du pays. Ce qui est habituel et historique pour les distilleries écossaises, qui préfèrent utiliser des barriques ayant contenu des vins de Xérès espagnols et/ou des bourbons américains.
J’ai décidé d’utiliser des chênes écossais pour fabriquer les barriques. Le projet paraissait simple au départ, mais il s’est révélé semé d’embûches. D’abord, il y a eu des problèmes liés au manque de bois. Il a donc fallu planter des arbres, ce que nous avons fait. Il faudra attendre au moins un siècle pour utiliser le bois qu’ils donneront. Cet ancrage territorial est important pour nos consommateurs. Aujourd’hui, ils veulent savoir ce qu’ils boivent et qui sont celles et ceux qui le fabriquent. C’est formidable pour nos métiers et c’est une reconnaissance de la qualité de notre travail.

Le 18 ans d’âge de Fettercairn connaît un vrai succès. C’est le premier whisky produit par la distillerie à être affiné dans des fûts neufs d’origine écossaise, construits avec du bois de la région par des tonneliers locaux.
Le chêne écossais apporte des notes inhabituelles et intéressantes à ce whisky, plus vanillées et miellées. Être « master maker and blender », c’est assembler les meilleurs éléments avec l’eau la plus pure et délicate possible, pour obtenir le meilleur whisky. C’est un équilibre entre nature and nurture, c’est-à-dire entre ce que nous donne la nature et ce que nous en faisons.

Quelles sont aujourd’hui les qualités d’un bon whisky maker ?
Enfant, j’ai beaucoup voyagé avec ma famille, notamment en France où j’ai eu la chance de découvrir le vignoble, ce qui a enrichi mon goût. Ensuite, je suis entré en apprentissage auprès de grands whisky makers, pour parfaire ma formation. La nouveauté de notre métier, c’est qu’il faut savoir communiquer. Avec ses équipes, mais aussi avec le public. Il faut être capable de lui transmettre ce qu’on a voulu exprimer dans tel ou tel whisky et lui offrir la meilleure expérience de dégustation. Enfin, il faut aussi penser au futur. En plantant ces chênes qui feront un jour des tonneaux pour les whiskies écossais, nous nous projetons pour les 200 prochaines années. Ce sont celles et ceux qui goûteront alors notre whisky qui profiteront des fruits de cette démarche.

Merci !