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Gérard Perse, pour l’éternité

Gérard Perse
Photo Mathieu Garçon

Gérard Perse luttait depuis des années contre un tenace cancer qui a fini par l’emporter. Ce combat-là, qu’il savait perdu d’avance, il l’avait mené comme tous les autres avec les qualités qu’il avait toujours affichées : une volonté hors du commun, une franchise toute en simplicité, une force de conviction hors norme et surtout la confiance que lui apportait le couple fusionnel qu’il formait avec son épouse Chantal, rencontrée à la sortie d’une adolescence chaotique et avec qui il avait grimpé toutes les marches, parfois quatre à quatre, d’une existence extraordinaire. Il m’avait confié, déjà avec un sentiment d’urgence, les souvenirs, les victoires et les blessures d’une vie commencée au plus bas et menée jusqu’au sommet de la viticulture mondiale. On pourra ici se remémorer ce parcours incroyable. Celui, comme le souligne Michel Bettane, d’un entrepreneur formidable bousculant les habitudes pour amener ses vins de la rive droite bordelaise au plus haut niveau d’excellence et d’exigence.

L’œuvre de Gérard Perse caractérise avec une acuité impressionnante la période dorée des vins de Bordeaux de la fin du siècle dernier jusqu’au premier quart de celui-ci. Menée tambour battant, elle a suscité des incompréhensions, des jalousies et des caricatures. Ecorché vif et fort de ses convictions, Gérard Perse en avait souffert. Pourtant le bilan de ce travail de titan, en particulier celui réalisé à partir du millésime 1998 au château Pavie, joyau absolu du « vin de côte » à Saint-Emilion, parlera pour des décennies dans des vins d’un classicisme, d’une vigueur et d’une profondeur sans équivalent. Nous avons eu la chance il y a quelques mois de déguster chacun des millésimes du « Pavie de Perse » et l’impression de cohérence et de pureté d’un terroir d’exception se révélait avec autant de faste que de justesse. Loin d’être un vigneron marqué par les modes d’une époque, Gérard Perse se sera toujours attaché à révéler toutes les facettes des terroirs qu’il a servi, de ceux du château Monbousquet, première acquisition en 1992, à ceux de PavieDecesse, BellevueMondotte et Pavie bien sûr, jusqu’à son méconnu mais remarquable Clos Lunelles à Castillon.

Gérard Perse, ses équipes d’une rare fidélité et sa famille (Chantal son épouse, Angélique leur fille et Henrique da Costa leur gendre) auront aussi été des pionniers et désormais des leaders de l’œnotourisme et la gastronomie à Saint-Emilion, marquant de plein pied une aventure entrepreneuriale qui s’ancre dans les enjeux de notre époque et des décennies futures.

A sa famille et à ses équipes, nous présentons nos plus sincères condoléances.

Thierry Desseauve


Michel Bettane, ami de longue date de Gérard Perse, tenait à lui adresser personnellement quelques derniers mots d’adieu.

Une des belles rencontres de ma vie de journaliste fut celle de Gérard Perse qui venait d’acheter à Saint-Emilion le château Monbousquet. Michel Rolland m’avait prévenu que ce nouveau venu ferait du bien à l’appellation. Je n’ai pas été déçu. Non seulement, moi qui venais de la fonction publique, j’ai rencontré un vrai et grand entrepreneur, mais aussi un homme d’une rare sensibilité et d’une incomparable générosité.

J’ai eu la chance d’être le témoin privilégié de la reconstitution de trois vignobles en perdition, y compris celui du château Pavie où l’état des lieux n’avait rien de compatible avec sa haute classification. Avec la complicité de son épouse Chantal qui l’a accompagné durant toute son ascension, Gérard Perse a brillamment élargi son domaine d’activité à la restauration et l’hôtellerie, pour le plus grand rayonnement de son magnifique village.

J’ai aussi été témoin de toutes les petites jalousies et mesquineries qui l’ont tellement fait souffrir, mais qui sont inhérentes hélas aux querelles de clocher de la campagne française. Loin de le mettre à genoux, elles l’ont grandi et fortifié dans ses convictions et dans son action. Une méchante et bien ingrate maladie a rendu ses dernières années très pénibles. Il a fait preuve du même courage et de la même détermination pour l’affronter mais elle a fini par avoir raison de lui.

C’est à ses enfants, la magnifique Angélique et Henrique son époux de continuer dignement son œuvre. Le fidèle Laurent Lusseau les y aidera à la vigne tout comme le grand Yannick Alleno en cuisine. Pour ses amis comme pour ses proche, sa disparition est une perte irremplaçable. Paix à ton âme, cher Gérard.

Michel Bettane

La Vallée du Rhône en dix-huit étapes œnotouristiques inoubliables

Remplis de soleil et d’accents, éparpillés sur les deux rives du long Rhône, les crus méridionaux tracent un chemin du vin qui donne sa pleine mesure l’été. Entre cigales, lavande, douceur de vivre, voici le pays de la Méditerranée en dix-huit étapes œnotouristiques inoubliables

Sortir

Maison Sinnae

On a fêté ici en septembre 2024 la reconnaissance officielle de l’AOC laudun. Force motrice de cette ascension, la coopérative du village, dont les 140 vignerons coopérateurs cultivent près de 50 % des surfaces de cette nouvelle appellation (ex-côtes-du-rhône villages Laudun), célèbre son centenaire en 2025. Pour ces deux occasions uniques, elle s’offre un cadeau à la hauteur de son histoire : un nouveau pôle réceptif. Une exposition rétrospective (photographies d’époque, reconstitutions miniatures, etc.) sert de prélude au programme varié qui attend les visiteurs : dégustations, certaines accompagnées de bouchées gourmandes ; sentier du clos de Taman balisé par des panneaux sur l’histoire de la vigne et du vin, la biodiversité, les terroirs et le patrimoine local ; balade guidée à VTT ou trottinette électriques (tous niveaux) au départ de la cave de Laudun ; escape game « Les secrets du château » dans les vestiges de la forteresse médiévale de Gicon qui domine Chusclan, le Rhône et sa vallée et même un défi collectif à Laudun pour débusquer « La bonne bouteille » de la cave.
Le + : Sélection d’hébergements chez les vignerons partenaires (gîtes, lodges en pleine nature, maisons de caractère). Bodega des vignerons les 11 et 12 juillet. En septembre, vendanges participatives d’une cuvée centenaire.
Maison Sinnae
22 avenue du Général de Gaulle, 30290 Laudun-l’Ardoise
Tél. : 04 66 90 55 22
sinnae.fr


Château de VaudieuChâteau de Vaudieu

À l’orée des bois de Rayas, se dresse l’un des trois châteaux du XVIIIe siècle de Châteauneuf-du-Pape. Sur rendez-vous, on y découvre les signes distinctifs de ce grand nom de l’appellation. On y apprend notamment que les 70 hectares de vignoble forment, fait rare, un ensemble homogène dans un rayon de 450 mètres autour d’un cèdre du Liban bicentenaire. On y observe aussi la plupart des terroirs de Châteauneuf (sables, galets roulés, sols calcaires et terres blanches) et ses treize cépages, dont certains très anciens (terret noir, vaccarèse, muscardin). Cette immersion est couronnée par une dégustation de plusieurs cuvées d’assemblage ou parcellaires. L’excellence viticole de la famille Bréchet s’étend jusqu’au domaine Bressy-Masson à Rasteau où Paul-Émile Masson, représentant de la quatrième génération, reçoit sur rendez-vous. L’occasion d’en apprendre plus sur une spécialité locale et bimillénaire, les vins doux naturels (VDN). Grenat aux arômes de cerise, mûre, cassis et ambré aux notes de noix, de raisins de Corinthe et de coing se goûtent sous le vieux platane, devant l’un des plus beaux panoramas de Rasteau.
Le + : Le concours culinaire Les Rencontres Gourmandes de Vaudieu se tient au domaine en quatre sessions et met en lumière de jeunes chefs, des produits de saison et des accords mets et vins.
Château de Vaudieu
84230 Châteauneuf-du-Pape
Tél. : 04 90 83 70 31
chateaudevaudieu.com
Domaine Bressy-Masson
688, chemin Grange Neuve,
84110 Rasteau
Tél. : 04 90 46 10 45


Beaumes banquetteXavier Vignon

Œnologue conseil pour plus de 200 propriétés, Xavier Vignon se consacre aussi à ses 35 hectares de vignes acquises sur les plus beaux terroirs des Dentelles de Montmirail. Dans le village qu’il a choisi pour s’établir dans la région en 1996, cet espace de vente, dégustation et épicerie fine nous entraîne dans son univers singulier, celui d’un explorateur qui bouscule les codes, ouvrant notamment de nouvelles voies d’élevage : contenant en verre de 200 litres (Wine Globe), cuve béton (pour des élevages courts ou ultra longs comme celui du châteauneuf-du-pape 1972 demeuré en cuve pendant près de cinquante ans sans aucun contact avec l’oxygène et en totale inertie) ou encore cette pièce unique de 7 000 litres, en bois et inox, où cinq barriques de 200 litres sont immergées dans du vin (Vinarium®). À la hauteur de ces cuvées hors norme, les visites et dégustations sont ici des expériences à part entière. L’été, il faut réserver la formule « panier pique-nique » : au départ du caveau, on se balade grâce à des points GPS en passant par les plus jolies parcelles et on s’installe aux meilleurs endroits pour déguster un assortiment d’épicerie fine et une cuvée choisie tout en profitant d’une vue idyllique entre Ventoux et Dentelles, les cigales en fond sonore.
Le + : Balades dans les vignes, dégustations sensorielles, soirées dégustation du jeudi (de juin à septembre) avec un focus sur un vin et des assiettes pour l’accompagner.
Xavier Vignon
84190 Beaumes-de-Venise
Tél. : 04 90 37 19 79
xaviervignon.com


Domaine Chant des Loups

Autrefois, comme le rappelle le nom du chemin qui mène au domaine, des loups erraient sur le plateau des garrigues de Sarrians. Aujourd’hui, ce sont des bergers blancs suisses, Balto et Taïga, les « deux petits loups » qui nous accueillent aux côtés de Franck et Marie Aymard. Père et fille aiment expliquer leur démarche, bio depuis la création du domaine en 1989. La partie de Franck, c’est la vigne, et un travail manuel et mécanique en harmonie avec les cycles lunaires et chacun des cépages (grenache et syrah, mais aussi mourvèdre et carignan pour les rouges, et les six cépages de l’appellation vacqueyras pour les blancs). Celle de Marie, c’est la cave, où la règle d’or est le suivi régulier des cuves en cours de fermentation et d’élevage. En visite libre les après-midis d’été (du lundi au vendredi), vous pouvez découvrir les chais et déguster les cuvées Chant des Loups, Les Lèbres, L’Éclipse (vacqueyras blanc), mais aussi des muscats doux et secs. Sans oublier les vins de France blancs, rosés et rouges dont les noms renferment toute la philosophie, et la poésie, des lieux : Dans la lune, Les pieds sur terre, La main de Papé.
Le + : Sur réservation, balade vigneronne de la vigne à la cave aux côtés de Marie avec dégustation de quatre vins, charcuterie et fromages.
Domaine Chant des Loups
1589, route du Prat Sourias,
84260 Sarrians
Tél. : 06 17 38 79 22
chantdesloups.com


Rhonéa

Forte d’un siècle d’histoire, l’union de coopératives Rhonéa s’impose comme le premier producteur de crus et côtes-du-rhône villages en vallée du Rhône méridionale. Ses adhérents, 300 familles d’artisans vignerons installées depuis trois à quatre générations autour des caves de Beaumes-de-Venise, Rasteau et Vacqueyras, travaillent au sein de petites propriétés de 10 hectares en moyenne. Toute l’année, un programme d’activités met en avant cette mosaïque de personnalités et de vins, mais aussi les paysages à couper le souffle de ces vignobles situés au pied des Dentelles de Montmirail. Cela va de la visite de cave aux randonnées guidées à pied ou à VTT électrique sur les plus beaux sentiers viticoles, avec dégustation à l’arrivée. L’été, vins et esprit de fête s’entremêlent. Le 25 juillet, lors de « Silence ça tourne », la cave de Vacqueyras étendra la toile sous les étoiles pour une projection en plein air du film Intouchables avec, en avant séance, un bar à vin et un food-truck. Le 2 août, « Rhonéa by night » fera vibrer d’arômes et de musique la cave de Beaumes-de-Venise et le 7 août, un « Apéro sous les étoiles » à Rasteau ressuscitera les années folles, celles du début de cette aventure collective, là où tout a commencé.
Le + : Cuvée du Centenaire disponible  au caveau de Rasteau.
Rhonéa
228, route de Carpentras,
84190 Beaumes-de-Venise
Tél. : 04 90 10 19 11
Route des Princes d’Orange,
84110 Rasteau
Tél. : 04 90 10 90 14
258, route de Vaison,
84190 Vacqueyras
Tél. : 04 90 12 41 26
rhonea.fr


Domaine Wilfried

Wilfried Pouzoulas et sa sœur Réjane ont repris ce domaine de Rasteau créé au XVIIIe siècle à la fin des années 1990, à la suite de leur père. Le duo, tout en restant complice et complémentaire, se partage bien les rôles. Réjane se charge de la partie administrative et commerciale et Wilfried s’occupe des vignes (36 hectares, dont 21 en AOC rasteau et 15 en cairanne) sans désherbant ni insecticide. Une « agriculture paysanne et consciente des enjeux climatiques » concrétisée par une certification biologique en 2009. Ils se retrouvent pour des vinifications à quatre mains et se relaient pour accueillir les visiteurs, de préférence sur rendez-vous. Ce qui donne le temps de faire un tour dans les vignes, la cave et d’organiser une dégustation des cuvées avec une planche de fromages et de charcuteries. Outre les cairanne et rasteau classiques, il faut découvrir les nouvelles cuvées, Nara 2023, un cinsault-grenache en dénomination vin de France, et Le Courage des oiseaux 2023, rosé conçu à partir de grenache, carignan et d’un soupçon de syrah cueillis à pleine maturité, assez riche et complexe pour nous suivre à table après l’apéro.
Le + : Escapade des gourmets le 8 juin dans les collines de Rasteau, avec étapes apéritif, entrée, plat, fromage, dessert.
Domaine Wilfried
25, hameau de Blovac,
84110 Rasteau
Tél. : 06 09 86 63 45 – 06 11 35 62 58
domainewilfried.com


Cave de Cairanne

De son donjon des Templiers, ses terrasses et son belvédère, le vieux village offre une vue imprenable sur une vaste étendue de vignes. Une bonne partie dépend de la cave coopérative créée en 1929, dont le vignoble s’étend sur 945 hectares et se compose d’une proportion importante de vieilles vignes plantées en coteaux. Plus de 50 % d’entre elles ont plus de 40 ans, et 10 % sont cultivées en bio. Revendiquant sa dimension humaine (si elle regroupe 65 vignerons, une douzaine d’entre eux produisent 80 % des vins), la cave de Cairanne offre aussi une facette didactique originale avec son parcours sensoriel, accessible en visite libre tout l’été. Au plaisir des cinq sens se mêle la rencontre avec un village, son histoire et ses vignerons au gré de bornes vidéo et audio, de cartes géographiques, de photos et panneaux, de salles thématiques et de jeux. Si un guide organisateur et un ou plusieurs vignerons sont présents pour nous orienter et nous renseigner, la déambulation se fait en liberté, sans ordre imposé.
Le + : Les Sentiers du Cairanne au départ de la cave (6 km ou 10,5 km). Soirées « Vin Mètre Cube by Cairanne » les 18 et 19 juillet. Cinquantième édition de la fête du vin de Cairanne le dimanche 27 juillet.
Cave de Cairanne
84290 Cairanne
Tél. : 04 90 30 82 05
cave-cairanne.fr


Domaine Maby

Depuis quatre générations, la famille Maby cultive ses vignes sur les plus beaux terroirs de Tavel et les magnifiques sols de galets roulés de Lirac, similaires à ceux de Châteauneuf-du-Pape. Aujourd’hui, sous la houlette de Richard Maby, revenu au vignoble en 2005 après quinze ans passés dans la finance, le domaine est devenu une signature majeure de ces appellations. Aux heures d’ouverture du caveau en semaine et sur rendez-vous le dimanche, les visiteurs sont les bienvenus pour une dégustation après une visite des vignes (60 hectares cultivés en bio depuis 2019) et des chais. On y découvre en particulier leur technique d’élaboration du tavel, l’une des seules appellations 100 % rosé de l’Hexagone, en grains entiers pour obtenir le plus d’arômes possible, de la couleur, des tannins et une forte personnalité. En témoigne, entre autres, cette cuvée vinifiée et élevée en demi-muids neufs baptisée Libiamo, un nom inspiré d’un air de La Traviata, l’opéra étant l’autre passion de Richard Maby.
Le + : En juin, dîner au domaine sur le thème des rosés (liracs et tavels). Festival « Couleur Tavel », samedi 19 juillet dans les jardins de la Condamine avec dégustations, expos, gastronomie, concerts.
Domaine Maby
249, rue Saint Vincent,
30126 Tavel
Tél. : 04 66 50 03 40
domainemaby.fr


Château d’Aqueria

D’un côté Tavel, de l’autre Lirac. À la frontière des deux appellations, les vignes s’élancent à perte de vue sur un terroir historique, celui du quartier dit du Puy Sablonneux. Ce dôme de sables astiens, très fins, recouverts de gros galets roulés appartenait aux moines de l’abbaye de Villeneuve-lès-Avignon jusqu’en 1595, année où Louis-Joseph d’Aqueria en fit l’acquisition. Son fils, Robert d’Aqueria, comte palatin héréditaire, y fera ériger une demeure qui deviendra au XVIIIe siècle le château tel qu’on le découvre aujourd’hui. Adossé à un petit bois de pins, à l’abri du mistral et des fortes chaleurs estivales, il incarne à la perfection le charme provençal avec un double perron, des façades ornées de cornes d’abondance et un jardin à la française. Propriété de la famille Guigal depuis 2022, il ouvre ses portes, sans rendez-vous préalable, pour des balades guidées et dégustations. Tous les jeudis de juin, les tables sont dressées dans les jardins pour Les Estivales, concerts, vins et planches à partager quand le coucher de soleil illumine les vignes.
Le + : Sentiers pédestres dans les vignes de Tavel et Lirac à parcourir en autonomie grâce à une carte remise au domaine.
Château d’Aqueria
Route de Pujaut, 30126 Tavel
Tél. : 04 66 50 04 56
aqueria.com

Goûter


David Rocamora, le chef de la table de l'Oratoire des Papes.
David Rocamora, le chef de la table de l’Oratoire des Papes.

L’Oratoire des Papes

Un prieuré du XVIIe siècle chargé d’histoire surplombant l’étang salé de Courthézon, c’est là que la maison Ogier a choisi d’installer, il y a un an, un nouveau site de vinification et d’élevage, en partie creusé dans la roche. Ce lieu hors du temps est aussi un espace d’accueil dont la table d’hôtes combine formules gastronomique et bistronomique. Au piano, David Rocamora puise l’inspiration dans ces vins mythiques de Châteauneuf-du-Pape et leurs millésimes pour livrer une expérience inédite. Sous nos yeux, il découpe les ingrédients, fait revenir à la poêle un beurre où infusent des branches de thym cueillies dans le jardin du prieuré, tout en surveillant la lente cuisson à la rôtissoire de la viande ou du poisson, d’une pêche ou d’un ananas. Dans les effluves appétissants se dessine progressivement un jeu de textures et de couleurs, le tout souligné par un jus parfaitement réduit. Il est temps de passer à table pour un menu toujours unique. On goûtera,
par exemple, un filet de bar dans une fleur de courgette parfumé par une réduction de homard avec la cuvée L’Oratoire des Papes 2023 en blanc, un filet d’Aubrac à la broche en parfaite résonance avec la version rouge de l’étiquette, dans le millésime 2022, ou peut-être un agneau de sept heures au diapason de la cuvée Les Chorégies rouge 2022.
Le + : Conservatoire des terroirs, atelier de cuisine avec le chef, dégustations verticales, randonnées dans les vignes à pied ou à vélo électrique, festival Les Musicales dans les Vignes.
Maison Ogier
10, avenue Louis Pasteur,
84232 Châteauneuf-du-Pape
Tél. : 04 90 39 32 41
loratoiredespapes.fr


Le Tourne au Verre

Un véritable manège de saveurs anime cet ancien café de village transformé il y a dix ans en restaurant-bar à vins. Aux manettes depuis le printemps 2024, Carine et Joris continuent de développer une carte de vins riche de 260 références (exposées dans une cave vitrée) et dominée par le Rhône. Chaque jour, une sélection de crus au verre (trois blancs, trois rouges et trois rosés) fait tourbillonner les alliances entre mets et vins. À l’ombre des platanes centenaires, on se laisse tenter par le duo caillettes maison et la cuvée Nana du domaine de Mourchon ou par un mijoté de joue de bœuf accompagné du cairanne rouge Les Travers du domaine Brusset. Et le fondant au chocolat appelle un rasteau hors d’âge de la cave coopérative de Rasteau (Rhonéa). Le vendredi, midi et soir, nous attend l’incontournable aïoli de cabillaud frais qu’il est recommandé de marier avec le cairanne blanc Castel Mireio du domaine Berthet-Rayne. Les menus suivent aussi le rythme des fêtes de la saison (celle de la musique, le 14 juillet, celle du vin de Cairanne) et l’on annonce d’ores et déjà le traditionnel potage de l’été provençal, la soupe au pistou, pour le 28 juillet.
Le + : Petit-déjeuner campagnard sur réservation, planches gourmandes de charcuteries
et de fromages côté bar à vins, vins à emporter.
Le Tourne au Verre
84290 Cairanne
Té. : 04 90 30 72 18
letourneauverre.com


Château de Montcaud

De majestueux genévriers de Syrie, sophoras du Japon, lilas de Perse et un grand bassin bordé de roses distillent leur fraîcheur parfumée tout autour de ce château bâti en 1848 par un négociant en soie. Aujourd’hui boutique-hôtel 5-étoiles, il a été entièrement rénové en 2018. Au raffinement des chambres et salons répond l’excellence culinaire. Dans le grand escalier, un petit dispositif (encore visible) permettait autrefois d’actionner la cloche sur le toit pour indiquer que le déjeuner était prêt. Aujourd’hui, c’est Matthieu Hervé (ex-second de Peter Knogl, triple étoilé de Bâle) qui rythme nos appétits, côté Cèdre (étoilé) ou côté Bistro, autour de ses créations entre terre et mer. L’été, une fois par mois (15 juin, 13 juillet, 17 août), un brunch est proposé sous forme de barbecue gourmand avec des plateaux de fruits de mer, fromages et charcuteries, salades, viandes, poissons et légumes cuits à la demande au barbecue et au brasero ainsi qu’un buffet de desserts. Et, avis aux gourmets en quête d’expérience, Matthieu Hervé a invité le chef étoilé Michiel De Bruyn (Sense, Waasmunster, Belgique) les 27 et 28 juin pour des dîners à quatre mains.
Le + : Cours de cuisine, pool bar et food-truck l’été, piscine chauffée, court de tennis, terrains de pétanque. Musée de la soie de Saint-Hippolyte-du-Fort.
Le Cèdre de Montcaud (étoilé)
et Bistro de Montcaud
Château de Montcaud,
30200 Sabran
Tél. : 04 66 33 20 15
chateaudemontcaud.com


Chez Serge

Serge Ghoukassian a deux amours, les truffes et les vins. Il les partage depuis plus de trente ans à Carpentras où son restaurant, prolongé depuis 2019 par un bar à vins, est une institution. De mai à septembre, ce sont les envoûtants parfums de la tuber aestivum, au goût subtil de noisette, qui flottent au-dessus des marmites et vous cueillent dès l’entrée. Un menu en trois services lui est spécialement consacré jusqu’au dessert, un macaron chocolat blanc truffé. Au-delà du « diamant noir », toutes les facettes du Comtat Venaissin brillent dans les assiettes (préparées par Rayane Douvenou, le nouveau chef arrivé au début de l’année) et les verres. Composée par Serge, diplômé de l’université des vins de Suze-la-Rousse, la carte de 900 références est un modèle d’équilibre et de trouvailles. Selon le menu du jour, on marie une crème de fèves, chèvre frais du Ventoux au herbes et chiffonnade de jambon cru croustillant avec un châteauneuf-du-pape blanc du château de Vaudieu ou la fraise de Carpentras marinée à l’estragon et basilic avec le châteauneuf-du-pape rouge du domaine du Banneret. On prend le temps de déguster sur la terrasse, à l’ombre d’un tilleul centenaire, ou à l’étage, avec vue sur les monts de Vaucluse.
Le + : Soirées vin et terroir, soirées musicales dans le bar à vins adjacent, Le Petit Serge.
Chez Serge
84200 Carpentras
Tél. : 04 90 63 21 24
chez-serge.fr

Vivre


Villa Sainte Anne

Joliment restaurée, cette maison vigneronne raconte un passé, celui de la famille Amadieu, intimement liée à l’histoire de Gigondas et de son vignoble depuis 1929. Dans cet univers douillet et entouré de silence, chacune des cinq chambres et suites a ses couleurs. Les petits-déjeuners sont servis dans la salle à manger ou dans le patio avec vue sur les vignes. Une piscine, un sauna, des terrasses invitent à la quiétude ou à un repos bien mérité après une journée d’escapade qui peut se révéler assez sportive. C’est en effet à travers les terroirs d’altitude que l’on vous explique le mieux ici la biodiversité et l’agriculture biologique qui sont de mise au domaine. Vous pouvez aussi emprunter les divers sentiers des Dentelles, sur les conseils avisés de Jean-Marie Amadieu. Cet amateur de course connaît les meilleurs itinéraires et les points de vue à ne pas manquer, dont celui à 360° degrés depuis le belvédère du rocher du Midi sur la vallée du Rhône et le Comtat Venaissin jusqu’aux Cévennes, et lance octobre le rando-trail des Dentelles, course à pied de dix kilomètres dans le vignoble ponctuée
par une dégustation.
Le + : Balade culturelle dans le vignoble et le village ceinturé par ses remparts du Moyen Age, ateliers de dégustation (et de vinification, le samedi 13 septembre). Possibilité de privatisation complète.
Villa Sainte Anne
201, route des Princes d’Orange, 84190 Gigondas
Tél. : 04 90 65 84 08
pierre-amadieu.com


Le Clos Saint SaourdeLe Clos Saint Saourde

Au milieu des vignes de Beaumes-de-Venise, qui doit son nom aux nombreuses grottes creusées dans la colline, cette ferme du XVIIIe siècle a été construite à même la roche de safre. Sa source (saourde en provençal), son immense platane, sa cour carrée, ses murets de pierres sèches offrent l’atmosphère d’un temps suspendu. Cinq chambres et suites, certaines avec cheminée, d’autres semi-troglodytes, allient confort et raffinement tout en mettant en valeur le minéral qui lui sert d’écrin. La Beaulieu, par exemple, abrite un espace salon aménagé dans la pierre, la Zellige, une baignoire sculptée au creux du rocher. L’ancienne grange, elle, accueille un cottage indépendant avec cheminée et piscine privée pour 8 à 10 personnes. L’été, toutes les pièces sont à la fois rafraîchies naturellement par le rocher et climatisées par le sol. La piscine du mas, les terrasses avec vue sur les Dentelles et les rangs de vigne, la cour ombragée sont autant de recoins pour savourer un petit-déjeuner gourmand ou un muscat de Beaumes-de-Venise au coucher du soleil.
Le + : Dégustations et découvertes du vignoble à la carte. Accès privatif d’une heure au spa inclus dans le séjour.
Le Clos Saint Saourde
1769, route de St Véran,
84190 Beaumes-de-Venise
04 90 37 35 20 – 07 87 13 85 35
leclossaintsaourde.com


Domaine l’Ancienne École

Sur le plateau surplombant Vinsobres, trois gîtes (Les Marronniers à la grande terrasse couverte et Les Pré-Alpes et Le Mont Ventoux, qui peuvent communiquer) offrent une vue panoramique sur les vignes et le Ventoux et se partagent la grande piscine à débordement. Nous sommes ici chez Anna et Wilson Thorburn qui ont quitté la City de Londres en 2007 pour « changer de vie, de métier et travailler dehors ». Tombés amoureux de « ce coin secret de Provence », ils ont créé leur domaine viticole (18 hectares, dont 13 de vignes cultivées en bio) dans l’ancienne école du village. La salle de classe accueille désormais le caveau de vente. Après une visite pédagogique des chais, puis des vignes situées de part et d’autre de la cour – on « descend » dans les grenaches et on « monte » dans les syrahs –, le temps de la récréation sonne. Sous les chênes truffiers, face au soleil couchant , un dîner frais et parfumé (à partir de six personnes) conjugue olives de Nyons, croquettes de tomates séchées, caillette de l’Ardèche, fromages de chèvre et glaces maison aux fruits frais avec les cuvées du domaine. Ici, on appelle ce rituel estival le « Sunset gourmand ».
Le + : Visite des chais et dégustations privatives. Sur demande, repas pour les groupes dans le chai ou à l’extérieur, sous les chênes.
Domaine l’Ancienne école
1622, chemin de L’Ancienne École, 26110 Vinsobres
Tél. : 04 75 26 39 05
domaine-lancienne-ecole.com


Domaine la Soumade

Au-dessus du caveau, un spacieux appartement autrefois réservé aux vendangeurs dispose de trois chambres avec lits doubles et deux avec lits une place et bénéficie d’une vue exceptionnelle sur les Dentelles de Montmirail, Gigondas, Sablet, le mont Ventoux, et au loin, par temps clair, les Alpilles. Quelques bouteilles de ce domaine emblématique du Rhône-sud vous y attendent pour accompagner votre séjour. Tout comme André Roméro, figure de l’appellation rasteau qui adore le contact avec les gens et sait raconter le vignoble. Son grand-père fut en 1925 l’un des fondateurs de la coopérative, l’une des premières dans le sud de la France. Lui-même a créé en 1979 ce domaine aujourd’hui conduit par son fils Frédéric. Dans la cave, il vous explique l’élaboration du vin doux naturel avant de monter dans les vignes, à flanc de colline (26 hectares) pour fouler les sols d’argile bleue qui font la typicité de Rasteau. Il vous accompagne jusqu’aux parcelles en terrasses à Gigondas (1 hectare), à 400 mètres d’altitude, les plus hautes de l’appellation. Une immersion dans un univers où le temps s’arrête et où les sens s’éveillent.
Le + : Sentier viticole
et panoramique de Rasteau, découverte du village médiéval. Dans le village, « La Nuit du vin » le 14 août.
Domaine la Soumade
1655, route d’Orange, 84110 Rasteau
Tél. : 04 90 46 13 63
domainelasoumade.fr


Villa Montesquieu

À portée de regard du camp de César, ancienne cité antique où l’on vouait un culte au soleil (chaque année, le 24 juin à minuit, jour de la Saint-Jean, s’ouvrirait un gouffre d’où s’élance une chèvre d’or, gardienne d’un trésor laissé là par Hannibal), cette ancienne bastide du XIXe siècle est un véritable éden provençal. Dans le jardin, vignes et plantes méditerranéennes sont bercées par le murmure de l’eau des fontaines et des cascades. L’accueil est celui d’une maison d’amis, avec des attentions personnalisées. Les chambres spacieuses, certaines avec rooftop, sont baignées de lumière. Au dernier étage, un appart-hôtel doté d’une grande terrasse offre une vue plongeante sur la verdure et le village un peu plus loin. Tout invite à la détente et au farniente après un périple dans le vignoble. La piscine, orientée plein sud, est sertie de petites « plages » privatives, des pergolas en bois et des stores télécommandés permettent de filtrer l’intensité du soleil. Un bar extérieur propose une sélection de vins au verre et des planches de charcuterie et fromages. Un moment qui ne manque pas de magie le soir, quand tout est illuminé.
Le + : Piscine, spa avec jacuzzi, sauna, massages. Coffrets gourmands maison (végétarien, mer, terre) proposés avec une sélection de vins locaux (à commander 48 h à l’avance).
Boutique Hôtel Villa Montesquieu
Rue Montesquieu,
30290 Laudun-l’Ardoise
Tél. : 04 66 90 55 31
villamontesquieu-laudun.com

Domaine des Féraud, l’exigence du bio

« Pour moi, le vin c’est de la musique liquide, synonyme d’enthousiasme, d’harmonie et d’attention aux détails. » Dans ce nouvel épisode de Classe de maître, Markus Conrad, le propriétaire du domaine des Féraud et musicien accompli nous présente avec Thierry Desseauve sa cuvée Blanc de rolle, un vin idéal pour les beaux jours par sa tension et sa pureté

Domaine des Féraud, Blanc de rolle 2024, côtes-de-provence, 14 euros

En partenariat avec les Maîtres Vignerons de Saint-Tropez
Production : Jeroboam
Image et montage : Nicolas Guillaume
Motion Design : Maxime Baïle
Musique originale : Arthur L. Jacquin

Mas de Pampelonne, la finesse d’un terroir unique

« C’est un vin personnel, aromatique, précis et élégant ». Dans ce nouvel épisode de Classe de maître, Camille Coste, responsable d’exploitation au Mas de Pampelonne en Provence, fait découvrir à Thierry Desseauve le rosé Mas de Pampelonne Élégance, issu de vignes plantées à même le sable, en bordure de plage. Un vin d’une énergie sans pareille, parfait pour vos repas d’été

Mas de Pampelonne, Élégance 2024, côtes-de-provence, 18 euros

En partenariat avec les Maîtres Vignerons de Saint-Tropez
Production : Jeroboam
Image et montage : Nicolas Guillaume
Motion Design : Maxime Baïle Musique originale : Arthur L. Jacquin

Champagne, extension du domaine de la bulle

Photo : Leif Carlsson

La France doit-elle produire plus de champagne ou moins de champagne ? La question se pose aujourd’hui avec une grande acuité. Les décisions d’arracher la vigne dans le Bordelais, en Languedoc et en vallée du Rhône face à la crise de déconsommation du vin rouge ne vont pas sans nourrir quelques inquiétudes en Champagne, où les expéditions semblent mal orientées depuis deux ans. Les ventes sont tombées à 271 millions de bouteilles en 2024. Cela représente un recul de 8,3 % sur un an et de 20 % par rapport au record de 340 millions de bouteilles en 2007. Sur les marchés les plus enthousiastes, on voit poindre des commentaires boudeurs, des critiques parfois très sévères d’établissements haut de gamme à New York et une recomposition des cartes au profit d’autres pétillants, voire d’autres alcools.

Le New York Post rapporte les propos de restaurateurs naguère inconditionnels qui n’hésitent pas à dire que le champagne, « c’est très surfait », que certaines grandes maisons, à s’industrialiser, ont plus investi dans le marketing que dans la qualité. Les hausses de prix de 30 % depuis 2022 passent mal. Une situation tout à fait nouvelle alors que le travail de révision de l’aire d’appellation, lancé pour augmenter la production, tire à sa fin. En 2008, lorsque ce chantier a été ouvert, le champagne fait rêver le monde. L’occidentalisation rapide des habitudes de consommation chinoises donne même à craindre une pénurie. La City londonienne célèbre ses gains financiers quotidiennement au champagne. Les Américains en veulent toujours plus. Les ventes explosent et les expéditions atteignent un niveau record au plus fort de l’euphorie mondiale, renforcée par le changement de millénaire. Le raisin est plus précieux que jamais.
L’œuvre pharaonique de révision de l’aire d’appellation est alors initiée sous la houlette de l’Inao avec force experts en tout genre. Des historiens, des géologues, des climatologues, des phytosociologues et autres techniciens. À charge pour eux de sélectionner quarante nouvelles communes de la Marne, Haute-Marne, de l’Aube et de l’Aisne parmi les trois cents candidates au droit de produire du champagne. À la clé pour les heureux bénéficiaires, une multiplication par cent de la valeur de leur terre agricole.

L’objectif est de gagner en qualité tout en augmentant la surface du précieux vignoble afin de relever les défis de conquête des marchés mondiaux. « La délimitation de l’aire d’appellation date d’avant le phylloxera, il y a 130 ans. Elle n’avait jamais été révisée depuis, bien que de profonds changements soient intervenus, dont celui du climat », explique Carole Ly, la directrice générale de l’Inao. Aujourd’hui, alors que cet immense chantier était bientôt terminé, le syndicat général des vignerons en Champagne (SGV) a brusquement décidé de s’opposer à sa poursuite.

Réuni fin février en conseil d’administration, il a voté à 90 % la suspension de l’opération. Si le SGV ne remet pas en cause le travail effectué, il en demande en revanche la suspension tant que la Commission européenne ne revient pas en arrière sur les règles de libre plantation qu’elle a imposées à tous les pays européens dans le cadre de l’organisation commune du marché (OCM) vitivinicole adoptée en 2018. Le négoce militait alors très fort pour une libéralisation totale des plantations de vignes afin de faire pression sur les prix. Après des batailles homériques contre les producteurs, il obtient partiellement gain de cause. L’exécutif européen a imposé partout en Europe de nouvelles plantations, mais dans la limite d’un plafond.

Des intrus dans l’aire
Quelles conséquences pour le vignoble champenois ? Une irruption dans l’aire d’appellation champagne de vignes destinées à produire du vin de table, dits vins sans indication géographique (VSIG), ce que Maxime Toubart, le président du SGV déplore abondamment : « La filière champagne n’a pas eu d’autre choix que d’autoriser chaque année de nouvelles vignes, y compris pour la production de VSIG, dont elle ne connaît ni la localisation, ni la quantité de raisins récoltés. Pas plus d’ailleurs que la destination des vins qui en sont issus ». Une véritable hérésie au regard du fait que les vignerons champenois doivent respecter un cahier des charges très précis quand les VSIG n’ont ni contrainte de cépage ou de pratiques.

À raison de dix ares plantés par an pendant dix ans, les quantités de VSIG provenant de la libéralisation de la plantation sont certes dérisoires. Mais pour les producteurs de champagne, le problème n’est pas là. C’est une affaire de principe. « Nous avons toujours été hostiles à la mixité. Il en va de notre image. Nous ne savons pas ce que deviennent les raisins. C’est la porte ouverte à toutes les fraudes », tempête Maxime Toubart. D’autres voix émanant des maisons de champagne, qui ont souhaité garder l’anonymat, s’expriment dans le même sens. Le risque de détérioration de l’image pouvant découler de la revendication abusive de raisins ou de vins en AOC revient dans tous les commentaires. À cet égard, certains rappellent les efforts colossaux et dispendieux fournis depuis des années par la filière pour empêcher que toutes sortes de breuvages effervescents revendiquent l’appellation dans le monde.
Outre ces « inconvénients », ces plantations ont tout d’un pied dans la porte du système champenois. « Nous avons toujours décidé des volumes à commercialiser en fonction du marché. Cette politique a toujours très bien fonctionné. Il n’est pas question de perdre la maîtrise des ventes. On veut continuer de pouvoir fixer les règles », dit encore Maxime Toubart. Mais alors pourquoi avoir attendu sept ans pour protester ? Sur ce point, force est de constater que les vignerons avaient d’emblée fait connaître leur hostilité à la libéralisation de plantations.

Seulement la Commission européenne est longtemps restée sourde à leurs récriminations. Depuis peu, l’énorme crise qui frappe la viticulture européenne a fait naître des réflexions nouvelles dans la sphère bruxelloise, si bien que les comités ad hoc ont accepté de rouvrir le dossier OCM vin dès l’an dernier. Soit deux ans en avance sur le calendrier des discussions concernant la prochaine réforme de la politique agricole commune (PAC). Un groupe de haut niveau a été formé en juillet 2024, qui s’est réuni à plusieurs reprises, pour trouver rapidement des solutions à la crise de déconsommation du vin. Il a formulé diverses préconisations, dont l’une a tout particulièrement retenu l’attention de la Champagne. Elle revient en arrière sur la liberté de plantation en instaurant « un système de gestion plus flexible » afin de « moduler le potentiel de production ». Et prévoit, selon l’Inao, de ramener à zéro les propositions de nouvelles plantations délivrées chaque année. Les vignerons champenois veulent que cela soit inscrit dans la prochaine OCM.
Espoir côté UE
Le paquet de mesures présenté le 28 mars par le commissaire européen à l’Agriculture, Christophe Hansen, introduit certes plus de souplesse dans l’arrachage et dans la replantation, mais le dispositif est « insuffisamment explicite » en ce qui les concerne. « La Commission propose de ramener à zéro les obligations de plantations nouvelles, mais ne précise pas que ce changement concerne aussi les vignobles qui ne sont pas en crise. Nous voulons que cela soit écrit », commente le SGV. En Champagne, l’inquiétude d’un mitage de l’aire d’appellation est réelle. Les vignerons vont donc continuer de pousser leur dossier afin de lever toute ambiguïté dans le texte que la Commission va transmettre au Parlement européen. Les discussions ont peu de chances d’aboutir avant le début 2026. Dans le meilleur des cas, à la fin de l’année en cours.

Pour la filière, il est impératif de tenir compte de l’évolution du contexte. « Les experts ont entamé le travail de révision de l’aire d’appellation quand nous souhaitions accroître les volumes. Ce n’est plus le but. Nous sommes passés à une stratégie de valorisation et nous voulons avant tout sécuriser l’aire juridiquement par des décisions techniques. Il y a des parcelles aberrantes dans certains secteurs », observe Maxime Toubart. De son côté l’Inao tempère ces propos. Et se veut rassurant. « La révision de l’aire d’appellation va exclure des zones et en faire entrer d’autres. Tout cela ne va pas nécessairement aboutir à une augmentation des volumes de production », explique sa directrice générale.

Quoi qu’il en soit, le jour où le SGV validera les travaux menés, une consultation publique est prévue. « Toute personne qui contestera les résultats pourra demander à ce que sa parcelle soit réétudiée. C’est seulement à l’issue de cette procédure que sera votée la nouvelle aire », précise Carole Ly. Compte tenu des enjeux financiers, une terre qui peut produire des raisins destinés à devenir du champagne valant cent fois une terre agricole, il y a fort à parier que les contestations affluent. « Il y a vingt mille producteurs en Champagne. Vu la perte de valeur encourue par un hectare qui serait déclassé, il peut y en avoir des milliers de protestations. »

Le vin rosé dans le rouge ?


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Le rosé est-il toujours tendance ? À en croire le dernier baromètre « Les Français et le vin » publié par l’agence de conseil Sowine en mars 2025, 85 % des personnes interrogées déclarent en consommer. Mais cette part s’effrite au fil des ans. Ils étaient ainsi 87 % à savourer un verre de rosé en 2024 contre 88 % en 2023 et 89 % en 2022, toujours selon ce même baromètre annuel. Pas de baisse spectaculaire, donc, mais un bruit sourd qui inquiète les professionnels. Pourtant, selon l’observatoire mondial du rosé, cette couleur fait de la résistance. Il s’en est ainsi consommé 18,5 millions d’hectolitres dans le monde (soit l’équivalent de 2,4 milliards de bouteilles de 75 cl) en 2023.

Les chiffres baissent certes, de 1,7 % par an depuis 2019, mais de manière moins prononcée que pour l’ensemble des vins tranquilles (-3,8 % par an sur la même période). En France, la production se concentre essentiellement sur deux grandes régions de production : le Languedoc-Roussillon avec 2,6 millions d’hectolitres (AOC et IGP pays-d’oc confondus) et la Provence avec 1,2 millions d’hectolitres. Au sein de ces deux géants, les enjeux sont différents. Le rosé représente en effet 89 % de la production régionale en Provence, contre 30 % pour le Languedoc.

Autant dire que dans le Var et les Bouches-du-Rhône, lorsque le marché tousse, tous les vignerons s’enrhument. « 2024 a été la plus faible année de production de rosé de ces dix dernières années », constate Brice Eymard, le directeur général du comité interprofessionnel des vins de Provence (CIVP). « À peine un million d’hectolitres produits pour les trois appellations côtes-de-provence, coteaux-d’aix-en-provence et coteaux-varois-en-provence. Cela s’explique par deux phénomènes. Agronomique, tout d’abord, avec des conditions climatiques très difficiles qui ont provoqué de la coulure et du mildiou. Mais nous avons également fait passer le message aux vignerons de ne produire que ce que l’on est capable d’écouler. »

Des difficultés inédites
« Le rosé est un produit météo-sensible », enchérit Pierre Bories, président du comité interprofessionnel des vins du Languedoc (CIVL) et vigneron dans les Corbières et à Limoux. « En 2024, on a connu un printemps très maussade et un été moyen. Résultat, le rosé s’est nettement moins consommé en terrasses ou au bord des piscines. » À titre d’exemple, il s’était écoulé 21,8 millions de bouteilles d’AOC languedoc rosé en 2021, alors qu’en 2023, il ne s’en était vendu que 16,9 millions, soit une baisse de 22 %. « Ce début d’année est encourageant », pondère cependant le président de l’interprofession. « Nos ventes de rosé sont reparties à la hausse avec une progression de 6,24 %. » Un enthousiasme, modéré, qui n’est pas partagé par tout le monde. « Le début d’année 2025 n’est pas très bien orienté. Nous avons fait un mauvais mois de février en termes de vente. Nous devons faire face à beaucoup d’attentisme », regrette Valérie Rousselle, la propriétaire du château Roubine, cru classé de Provence.

Pour Philippe Brel, directeur général de la cave coopérative Estandon (qui vinifie pour neuf coopératives et treize caves particulières et représente 10 % de la production de Provence), le mal est plus ancien. « Nous devons faire face à un phénomène de déconsommation mondial, qui touche toutes les gammes et tous les marchés. Mais cette tendance a été masquée par les bons résultats de 2021 et 2022, deux années de surconsommation artificielle en sortie de Covid. En 2023, la punition a été immédiate, les ventes de vin ont chuté, y compris, pour la première fois, le rosé. » Une tendance qui touche différemment les vins d’appellation d’origine (AOC) et les vins d’indication géographique (IGP). « Nous constatons une demande croissante sur les vins en IGP, à tel point que certains de nos adhérents replient en IGP des parcelles qui produisent normalement des AOC », poursuit Philipe Brel.

À ce jeu du downtrading, ce sont les rosés en IGP pays-d’oc qui tirent leur épingle du jeu. Au 31 janvier 2025, les volumes certifiés sont supérieurs de 9 % par rapport à l’année précédente, de quoi se réjouir après une campagne 2023-2024 marquée par un léger repli de 4,5 % dû à une météo maussade. « La consommation de rosé s’est totalement démocratisée en France. Nous avons vu se créer une foultitude de marques et cuvées qui se sont affranchies de la classique offre déclinée en trois couleurs », observe Florence Barthes, directrice de l’interprofession Inter Oc. « C’est ainsi que sont nés les rosés de gammes, essentiellement des vins de marques, comme Roche Mazet, ou de cépages, comme ceux signés Les Jamelles. Mais aussi les rosés piscine pour les vacances, l’été, avec une consommation décomplexée, hors des codes – la cuvée Le Marcel Rural Couture de Paul Mas, par exemple – et les rosés arty qui jouent sur le design chez Foncalieu, Aubert et Mathieu ou Bernard Magrez, avec Mon Secret. Enfin, on trouve les rosés “bobo”, avec un flaconnage élégant, branchés, qui flirtent avec les codes du parfum et du luxe, telles les cuvées Alta d’Anne de Joyeuse ou Côtes des Roses de Gérard Bertrand. Grâce à ces différents concepts, nos rosés sont particulièrement bien positionnés, les deux premiers en grande distribution, les deux autres chez les cavistes et dans l’hôtellerie et la restauration. »

La fin du rosé piscine ?
Ce qui n’empêche pas les producteurs d’adapter rapidement leur offre en fonction des changements d’habitude des consommateurs. « Désormais concurrencé par d’autres types de boissons comme les cocktails, les ready to drink et les sans alcools type kombucha, le rosé glaçon a fait pschitt. Les croisières, par exemple, les ont enlevés de leurs cartes », note Gérard Bertrand, célèbre vigneron qui mise pour sa part à la fois sur les rosés de cépages et sur les hauts de gamme. « Nous avons atteint un plateau en termes de volume, mais pas en ce qui concerne la premiumisation de nos produits. Garrus, Ott, Galoupet et bien entendu Clos du Temple, les amateurs de grands vins peuvent désormais trouver de nombreux rosés iconiques et de garde », poursuit l’homme fort du Languedoc.

Valérie Rousselle estime produire pour sa part environ 10 % de rosés haut de gamme, dont sa cuvée Héritage vendue 39 euros et produite à 3 000 exemplaires. « La barre des 25 ou 30 euros reste toutefois dure à faire passer auprès des consommateurs », confesse la propriétaire du château Roubine. Cette stratégie de montée en gamme semble également réussir à Estandon. « Pendant la crise, la premiumisation continue », confirme Philippe Brel. « La perte de volume est désormais compensée par la hausse des valeurs. » La coopérative a ainsi développé une production sous son propre nom afin de mieux valoriser ses vins. « Nous ne réalisions qu’un million d’euros de chiffre d’affaires en 2008 pour les vins siglés Estandon. Nous avons aujourd’hui atteint les trente millions d’euros. »

Cependant, quel que soit le segment de marché, le rosé doit, comme l’ensemble des vins, faire face à un environnement économique bousculé, notamment à l’export. « Nos grands marchés export étaient en baisse jusqu’en novembre 2023 compte tenu du contexte économique défavorable, entre inflation galopante, perte de pouvoir d’achat et instabilités politiques liées aux conflits au Proche-Orient ou en Ukraine. Après le contrecoup du Covid, nos distributeurs ont surstocké et ont d’abord nettoyé leurs lignes avant de repasser commande », détaille Brice Eymard. « Aux États-Unis, nous devons faire face à forte concurrence des rosés américains, notamment sur le haut de gamme. Ce qui n’empêche pas la Provence de rester leader sur ce segment. Pour l’entrée de gamme, ce sont plutôt les vins italiens et le Languedoc qui nous challengent. » Ces derniers y font également de la résistance. « L’Amérique reste stable, mais devient difficile », constate Gérard Bertrand. « Entre la hausse des taxes de 10 %, en attendant la fin du moratoire de 90 jours sur les droits de douane, et la chute du dollar de 10 % depuis le début de l’année, nos produits se sont mécaniquement renchéris de 20 % pour le consommateur américain. Il va donc falloir revoir nos prix si l’on veut rester compétitif. »

L’Europe connaît pour sa part des parcours assez divers. Si la catégorie affiche une légère baisse en Grande-Bretagne, de l’ordre de 3 % en volume, l’Allemagne et les Pays-Bas font montre d’une belle croissance, de respectivement 16 % et 9 %. « Cela s’est fait grâce à une baisse des prix », précise Brice Eymard. « Par exemple, en Allemagne, le prix moyen de la bouteille est passé de 5,20 à 4,60 euros. » En revanche, l’Asie reste toujours aussi rétive au rosé. « En Chine, la couleur rose est considérée comme féminine et vulgaire », poursuit le directeur général des vins de Provence. « En Corée et au Japon, des circuits de distribution se sont mis en place, notamment grâce aux sommeliers. Mais on pâtit encore d’un manque de connaissance de nos produits par les consommateurs locaux. »

Constituer des stocks pour amortir les à-coups
La caractéristique du rosé est d’être vendu et bu dans l’année qui suit sa vendange. Un modèle économique a priori favorable aux producteurs qui n’ont pas de stocks à porter et bénéficient d’une trésorerie immédiate, mais qui montre désormais ses limites, surtout lorsque la consommation n’est pas au rendez-vous. « Tout ce qui n’est pas bu ne se rattrape pas », résume Gérard Bertrand. À tel point que les instances provençales commencent à militer pour un changement de paradigme. « Même si nous ne sommes pas la Champagne, leur modèle de réserve est intéressant et devrait nous inspirer », explique Brice Eymard. « Aujourd’hui, les vignerons sont techniquement capables de conserver un an de stock sans que le vin ne soit altéré. Cela nous permettrait de mieux piloter nos stocks. En 2018-2019, par exemple, nous n’avions pas assez de vin. Aujourd’hui, nous en avons trop. Mettre en réserve une partie de nos rosés constituerait ainsi une sorte d’assurance récolte et permettrait que le volume disponible corresponde au volume consommé. »

Certains opérateurs ont déjà agi en ce sens. Le château La Gordonne, propriété de Paul-François Vranken, propose depuis 2022 une cuvée multi-millésime. Si le propos du domaine est d’offrir aux consommateurs un rosé au goût constant, sur le modèle champenois que Paul-François Vranken connaît comme sa poche, c’est aussi un habile moyen de gérer ses stocks pour en lisser la commercialisation. « Nous disposons également de quelques références de vins non millésimés, ce qui nous permet de conserver une partie de notre production 18 mois », indique Philippe Brel. D’autant que le consommateur ne semble pas plus attaché que cela à la notion de millésime lorsqu’il consomme du rosé.

Une étude, certes ancienne, réalisée par le cabinet Wine Intelligence auprès d’un peu plus de deux mille consommateurs de vins tranquilles, et présentée lors de l’assemblée générale du CIVP de 2016, montrait que le millésime n’entrait qu’au dixième rang des critères d’achat d’un vin rosé. « Cette étude, et d’autres par la suite, prouve que les consommateurs s’attachent d’abord à la couleur du vin », poursuit Brice Eymard. « Certains consommateurs pensent même, à l’instar des vins rouges, que les anciens millésimes sont meilleurs. » De quoi rompre avec le dogme du millésime de l’année, ce que de nombreux producteurs de bandol ont déjà mis en pratique en proposant des rosés plus anciens, à l’image de Pibarnon qui commercialise actuellement son rosé Nuances 2021. Cette philosophie n’est toutefois pas partagée par tout le monde. « Le rosé est un produit qui se caractérise par sa fraîcheur et doit être bu dans sa jeunesse », estime Valérie Rousselle. « Ce qui n’empêche pas désormais certains sommeliers de proposer des cartes de rosés sur plusieurs millésimes, mais ce n’est pas trop mon goût. »

Il n’en reste pas moins que, de l’avis des opérateurs, le rosé est passé en vingt ans d’un produit de mode à un vin à part entière. « Un tiers des vins consommés en France sont des rosés », rappelle Brice Eymard. « Il s’est même installé à l’année sur les tables des amateurs. Avant, nous constations de forts pics de saisonnalité qui ont désormais tendance à s’estomper », observe Florence Barthes. Traversera-t-il pour autant aisément la crise ? « Je reste raisonnablement optimiste », conclut Gérard Bertrand. « Nous devons être imaginatifs, apporter des solutions aux distributeurs et aux revendeurs. Dans le Languedoc, on a ramé pendant trente ans avec nos rosés et on connaît le succès depuis seulement cinq ans. On a donc l’habitude de se retrousser les manches pour avancer. »

Gérard Bertrand, terroirs mode d’emploi

Photo : Leif Carlsson.

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Le plus grand œuvre du Languedoc reste à édifier dans la tête des amateurs et des professionnels. Il consiste à connaître et à apprécier la diversité impressionnante de terroirs d’une immense région. Le Languedoc viticole représente environ deux cent mille hectares plantés, bien plus que Bordeaux, la vallée du Rhône ou l’Australie tout entière. Cette superficie rassemble des secteurs historiquement très productifs et d’autres beaucoup plus difficiles à mener, des terres arides et d’autres généreuses, du calcaire comme du schiste ou des granits et des sables, des expositions de montagne et d’autres littorales. Si l’écheveau d’appellations d’origine contrôlée et d’indications géographiques protégées est censé identifier cette variété, la jeunesse des appellations, leur hétérogénéité de production et la forte personnalité des leaders qualitatifs rendent pourtant la compréhension de cette grille difficile. Partant de son cru familial de Villemajou, au cœur de l’appellation corbières-boutenac, l’entreprenant Gérard Bertrand a d’abord construit un empire de marques et de vins d’assemblage. Dès le début des années 2000, il a acquis et développé une palette de crus en veillant systématiquement à mettre en valeur leur personnalité. Il possède aujourd’hui plus d’une quinzaine de domaines, tous cultivés en biodynamie et tous racontant à leur façon les spécificités de leur terroir. Nous en avons réuni ici six dont la situation géographique, l’altitude ou l’exposition, la géologie et l’encépagement démontrent à l’envi cette multiplicité de situations.

Château de la Soujeole
Installé dans la méconnue appellation malepère, La Soujeole est pourtant l’un des crus les plus excitants pour comprendre l’énorme potentiel encore à développer des crus languedociens. Il est situé à mi-chemin entre Carcassonne et Limoux, entre Massif central et Pyrénées, entre Atlantique et Méditerranée. Ce carrefour d’influences s’appuie sur des sols argilo-calcaires où les cépages de l’ouest, merlot, malbec et surtout cabernet franc, trouvent une expression à la fois intense et originale. Reprise il y a moins de dix ans, la propriété est encore un work in progress, mais la précision tannique et l’éclat aromatique de ses cabernets francs n’ont pas fini d’impressionner.

Domaine de l’Aigle
La propriété a une longue histoire qui raconte l’évolution des terroirs de Limoux vers les cépages bourguignons. Elle fut développée par Jean-Louis Denois, un talentueux Champenois installé dans la région, avant d’être reprise par la maison bourguignonne Antonin Rodet, qui modernisa l’outil de production, puis enfin relancée par Gérard Bertrand qui a respecté et affiné les fondamentaux du pinot noir et du chardonnay. Proposée à partir de ces deux cépages, la cuvée majeure, Aigle Royal, repose sur un spectaculaire coteau calcaire dominant la vallée avec une altitude respectable (500 à 600 mètres). L’exposition plein sud, mais aussi la fraîcheur venteuse et l’amplitude thermique entre jour et nuit offrent des conditions assez uniques dans la région pour ces deux cépages septentrionaux. De fait, la tension et la minéralité des deux vins se révèlent à chaque nouveau millésime avec une expressivité remarquable.

Château de Villemajou
C’est le berceau familial de Gérard Bertrand et un cru archétypique du massif des Corbières, aujourd’hui distingué par l’appellation boutenac. En contrefort des Pyrénées, dominant le littoral méditerranéen, les Corbières sont un territoire à part, enfermé depuis toujours dans un splendide isolement, où la rondeur des collines ne dissimule pas l’austérité des lieux. Les sols de blocs calcaires et de galets roulés ne conviennent qu’à la vigne, au carignan qui y fut planté en gobelet pour mieux résister aux vents incessants. Les emblématiques vieilles vignes de carignan sont aujourd’hui complétées par des cépages du sud, grenache, syrah et désormais mourvèdre. Ici, la puissance tannique est évidente et naturelle, mais tant pour la parcelle de vieux carignans de la cuvée La Forge que pour le vin portant le nom du château, tout le travail effectué, et en particulier la biodynamie, a affiné le grain de tannin et développé l’intensité aromatique.

Château l’Hospitalet
Ce domaine emblématique du massif littoral de La Clape, au sud de Narbonne, fut la plus spectaculaire acquisition de Gérard Bertrand au début des années 2000. Ce qui frappe dans ce cru historique, ce sont à la fois la géologie, composée exclusivement de calcaires durs et de marnes calcaires qui constituent un socle spécifique pour l’ensemble de l’appellation, et l’ensoleillement, quasi permanent, qui offre une luminosité spectaculaire au site. La conjonction de ces deux caractéristiques, ajoutée à la fraîcheur elle aussi permanente des vents littoraux, apporte aux vins de l’Hospitalet une salinité et une minéralité très identitaires. On les retrouve tant dans les blancs, composés de bourboulenc, à la tension très adaptée à cette quintessence minérale, de grenache blanc et de vermentino, que dans le rouge jouant sur la complémentarité des grenache, syrah et mourvèdre.

Clos d’Ora
Une très large partie de la bordure orientale et méridionale du Massif central est particulièrement adaptée à la production de grands vins. Les sols anciens du vieux massif, bouleversés par l’irruption des Alpes à l’est et des Pyrénées au sud, composent des géologies complexes et idéales dans les piémonts des Causses ou des montagnes cévenoles et ardéchoises. C’est le cas du terroir du Clos d’Ora (calcaire, grès et marnes), repéré dès les années 1990 par Gérard Bertrand, où les vieilles vignes de carignan et de syrah ont été complétées par des grenaches et du mourvèdre. Une magnifique exposition, dominant toute la région à 200 mètres d’altitude, des sols différents adaptés à chaque cépage (tout comme des modes de vinification distincts), donnent assurément au vin produit ici depuis 2011 la dimension d’un grand cru.

Clos du Temple
Terroir des collines du piémont du causse Noir, le domaine du Temple et ses sept parcelles qui composent les huit hectares donnant la cuvée Clos du Temple constituent eux aussi un univers singulier, dans un écosystème riche de garrigues et de forêts provoquant une étonnante harmonie climatique entre brises fraîches et ensoleillement éclatant. Le secteur ne manque pas de sources et cette alimentation hydrique naturelle avait déjà amené les vignerons du village voisin de Cabrières à produire des rosés réputés. Le schiste et le grès se partagent sols et sous-sols et un encépagement adapté à la production d’un rosé aussi ambitieux que complexe s’y est développé. Grenache, cinsault, mourvèdre et viognier se complètent et se répondent avec une amplitude et un éclat aromatique sans équivalent.

Languedoc, le temps des explorateurs

Photo : Fabrice Leseigneur.

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Identifier les meilleurs terroirs languedociens n’est pas si simple. Les meilleurs terroirs de Bourgogne ont été identifiés depuis des siècles et les meilleurs châteaux bordelais sont connus de longue date. Si l’implantation des vignes en Languedoc est probablement la plus ancienne de l’Hexagone, l’histoire viticole qualitative du Languedoc est très récente. C’est dans la région que l’on appelait la Narbonnaise, dès le VIe siècle avant notre ère, que les premières vignes ont été plantées dans ce qui deviendra la France. Une viticulture sur les coteaux s’y est progressivement implantée. Reconnue, elle s’exportait dès la fin du Moyen Âge sans que personne n’ait vraiment identifié les meilleurs terroirs. Puis la révolution industrielle du XIXe siècle et les besoins en vins de la population grandissante des villes et de la troupe a encouragé la production de vins bon marché produits en très grand volume. Les plaines ont été massivement reconverties en vignes. Le ravageur phylloxera, le souhait des consommateurs d’aller vers des vins plus qualitatifs ont plongé la région dans une succession de crises pendant l’essentiel du XXe siècle. L’inventaire des terroirs bourguignons, le plus abouti au monde, a nécessité un millénaire de vendanges pour classifier le potentiel de chaque parcelle de vignes. Bien que la recherche viticole ne fonctionne qu’au rythme d’un essai par an, la géologie moderne permettra au Languedoc d’aller plus vite. Mais ce n’est qu’à partir de la fin des années 1980 qu’une nouvelle génération a cassé les codes et a amorcé ponctuellement le retour à une viticulture de qualité. Réputés aujourd’hui, les vins du vignoble du pic Saint-Loup étaient inconnus des habitants de Montpellier tout proche il y a trente ans. Ceux des terrasses du Larzac ne parlaient qu’à de rares amateurs il y a vingt ans. La compréhension de chaque terroir n’en est qu’à ses débuts et notre identification des meilleurs pourra fortement évoluer dans les prochaines années, d’autant qu’elle est largement une histoire d’hommes et de femmes motivés. Si les appellations terrasses-du-larzac, pic-saint-loup, la-clape et boutenac ont aujourd’hui un temps d’avance, le Languedoc qualitatif ne peut être circonscrit à ces seules zones. Nombre de terroirs y sont très prometteurs, mais manquent parfois de locomotives qui en feraient des références. C’est le cas des appellations faugères ou la-livinière. À Pèzenas, celles qui ont existé sont à l’arrêt ou en phase de reprise. Produisant à son meilleur des rouges bien plus convaincants que par le passé, l’appellation fitou est tirée de l’oubli par au moins trois producteurs. L’AOC saint-chinian, qui manque également cruellement de notoriété, dispose de tout le potentiel pour repasser sous les lumières des projecteurs. Nombre de vignerons qualitatifs y opèrent et les terroirs sont remarquables, y compris les satellites de Saint-Chinian que sont les dénominations Berlou et Roquebrun. Avec ses sols assez disparates, l’appellation grés-de-montpellier pourrait être la plus courue car le domaine le plus mythique du Languedoc, Peyre Rose, devait en faire partie. Mais faute de grès dans les sols de son vignoble, il ne la revendique pas. Et pourtant les grés ne sont pas faits nécessairement de grès, notez le sens de l’accent. En occitan, « grés » désigne des terres de coteaux pauvres et caillouteuses, donc très propices à la culture de la vigne, mais pas forcément constitués de grès. Nous avons récemment effectué une dégustation des vins de l’appellation qui nous a montré une série de rouges aux tannins très fins. Il faut donc les suivre de près. Cabardès nous a récemment épatés par une dégustation de quelques cuvées magnifiques, c’est un terroir à suivre comme celui voisin de Malepère. Et n’oublions pas les rosés de Cabrières que Gérard Bertrand tente de positionner au sommet de la couleur en Languedoc, une place indiscutablement méritée pour cette zone méconnue.

Terrasses du Larzac
690 hectares sur sols de graves et de cailloutis
Ce secteur qui faisait partie des coteaux du Languedoc est devenu une appellation spécifique en 2014. Ne concernant pour l’instant que les vins rouges, l’AOC terrasses-du-larzac est animée par une centaine de metteurs en marché installés sur trente-deux communes. Ce vaste terroir d’altitude situé au nord-ouest de Montpellier, et qui va jusqu’au pas de l’Escalette en allant vers Millau, est installé sur la zone d’effondrement du plateau du Larzac. Il forme un V planté ici et là d’îlots de vignes. L’examen plus approfondi des différents types de sols montre une diversité assez importante, terrasses alluviales, éboulis, colluvions, calcaires jurassiques, grès rouges permiens ou encore basaltes. Ce n’est donc pas le sol qui est le marqueur caractéristique de l’appellation. La proximité du causse du Larzac, dont elle occupe le piémont, et la relative altitude apportent de la fraîcheur aux nuits d’été : les conditions idéales à un mûrissement lent et progressif des raisins. Nombre de cuvées sont d’une grande complexité de texture, de grande garde, avec des dominantes aromatiques différentes comme la garrigue à Jonquières ou le lychee à Puechabon et à Aniane. La fraîcheur des vins permise par l’altitude, culminant à près de 700 mètres, est le fil rouge de tous les vins produits dans cette zone languedocienne qui dispose du plus fort potentiel qualitatif du Languedoc. Cette appellation dynamique compte nombre d’excellents vignerons motivés dont 70 % évoluent en culture bio ou apparentée. La logique sera de segmenter encore cette zone pour mettre en avant les spécificités de chaque secteur comme Aniane, L’Escalette, Jonquières, Saint-Privat, etc., afin de s’approcher de la notion de grand cru telle qu’elle est identifiée en Bourgogne, en Alsace ou en Champagne.

Notre sélection
Mas Jullien
Clos Constantin
Domaine Cassagne et Vitailles
Domaine de l’Accent
Domaine de Montcalmès
Domaine du Pas de L’Escalette
Domaine Le Clos du Serres
Château La Sauvageonne (Gérard Bertrand)
Château des Crès Ricards (Paul Mas)
Les Vignes Oubliées
Mas Cal Demoura
Mas Combarèla
Mas de la Seranne
Mas des Chimères
Mas Lasta
Mas Laval

Pic Saint-Loup
1 350 hectares sur sols calcaires de dolomies et de marnes
Ce terroir qui faisait partie des coteaux du Languedoc est devenu une appellation spécifique en 2017. Elle concerne pour l’instant les vins rouges et rosés et est animée par quatre-vingts metteurs en marché installés sur dix-sept communes. Situés à proximité de Montpellier vers le nord, adossés aux contreforts cévenols, les terroirs de cette appellation sont divers. Certains sont installés sur le piémont des massifs de l’Hortus et du pic Saint-Loup (658 mètres), d’autres sont sur des zones plus plates. Si l’on y regarde de plus près, les sols peuvent être de nature très diverses, calcaires durs, calcaires tendres, dolomies, conglomérats, éboulis calcaires d’origine fluviale, marnes et gravettes du côté de Corconne. Comme en appellation terrasses-du-larzac, le marqueur des pic-saint-loup n’est pas vraiment à chercher dans les sols, mais juste au-dessus, dans le climat de ce secteur. Il est caractérisé par des amplitudes thermiques fortes entre le jour et la nuit en période de véraison. Cette appellation à fort potentiel est facile à reconnaître en dégustation du fait de la fraîcheur caractéristique de ses rouges, même si certaines zones produisent des vins un peu plus chauds. À dominante de syrah, ces vins sont d’une couleur moins intense que celle des vins de l’AOC terrasses-du-larzac et déploient moins de complexité absolue, mais la même élégance et la même sensation de fraîcheur en bouche. Au niveau olfactif, les fruits rouges dominent avec le thym et le romarin. Leur structure est délicate, tendue par une fine acidité et un sens de l’équilibre spécifique. Hélas, seules quelques locomotives tirent l’appellation et nous incitons les autres producteurs à les rejoindre car ce terroir a un potentiel évident. Il aura vocation dans le futur à segmenter ses crus et à mettre en avant les différents terroirs. Nous accordons une mention particulière aux rouges produits sur la zone de la Gravette de Corconne tant ils sont identifiables : un goût minéral très particulier et distinctif nous semble être la définition même d’une appellation spécifique, mais ce n’est pas la seule zone de grand intérêt de ce secteur.

Notre sélection
Clos Marie
Château Lancyre
Château de Lascaux
Clos des Reboussiers
Domaine d’Aigues Belles
Domaine de Mortiès
La Chouette du Chai
Domaine Mirabel
Mas Bruguière

La Clape
800 hectares sur sols de calcaires durs, d’argile et d’éboulis
Ce terroir qui faisait partie des coteaux du Languedoc est devenu une appellation spécifique en 2015. Animée par une trentaine de metteurs en marché installés sur six communes, l’appellation la-clape concerne pour l’instant les vins rouges et blancs à l’exception des rosés et est. Déjà planté de vignes sous Jules César, ce secteur situé entre Narbonne et la mer s’étend sur 17 kilomètres du nord au sud et autant d’est en ouest. Une partie importante du vignoble est installée sur le massif de La Clape, entre la mer et la ville. Les vignerons y cultivent la biodiversité et il faut monter au sommet, au domaine de Pech Redon, pour comprendre la majesté de cette appellation. Bien que l’altitude soit limitée, à peine plus de 200 mètres, le massif culmine sur toute la zone environnante où peu de reliefs se distinguent. De canyons en vallons, la pinède, les vignes et la garrigue regardent souvent la Méditerranée. Les vins rouges sont d’une intensité profonde avec une bonne brillance et font partie des plus identifiables en dégustation. Ils prennent des nuances de fumé-lardé complétées par la note saline apportée par les embruns marins. Au niveau olfactif, les parfums balsamiques dominent avec les senteurs de résine de pin et d’eucalyptus ainsi que des parfums de garrigue. L’acidité est bonne, ce sont des vins qui tiennent dans le temps, il faut attendre trois à cinq ans avant de les boire. Tirée par plusieurs vignerons, c’est l’une des appellations les plus qualitatives du Languedoc. En blanc, le bourboulenc se plaît sur certaines zones et peut donner d’excellents vins. Il est souvent associé à la clairette, au grenache blanc, à la roussanne et au rolle.

Notre sélection
Château Pech-Redon
Château La Négly
Château L’Hospitalet (Gérard Bertrand)
Château Rouquette-sur-Mer

Boutenac

220 hectares sur sols de calcaires,de grès et de molasses
À la différence de l’AOC terrasses-du-larzac, qui est une appellation sous-régionale, Boutenac bénéficie depuis vingt ans (pour ses rouges) d’une appellation communale au sens de l’Inao, tout comme Faugères, La Clape ou La Livinière. Ce niveau d’appellation est possible quand le vignoble est installé sur dix communes au maximum. Jusqu’alors corbières-boutenac, le cru est une AOC à part entière depuis 2024, animée par une quarantaine de metteurs en marché. Le carignan est ici le cépage majoritaire et c’est le secteur du Languedoc qui en donne les meilleurs vins. Ce ne sont pas les rouges les plus aromatiques, mais ils sont plus frais que ceux produits par les traditionnels syrah, grenache et mourvèdre. Cette fraîcheur tonique, graal indispensable pour les rouges ambitieux sous le soleil ardent du Languedoc, est combinée à une couleur profonde et à une complexité aromatique généreuse autour de notes d’épices, de fruits mûrs et de garrigue. Par sa construction autour du carignan, l’appellation boutenac ne ressemble à aucune autre en Languedoc.

Notre sélection
Château Ollieux-Romanis
Château de Caraguilhes
Château de Villemajou (Gérard Bertrand)

Saskia de Rothschild : « L’objectif, c’est de produire des vins de lieux »

Photo Mathieu Garçon.

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Vous avez acquis William Fèvre il y a deux ans. Pourquoi et comment ?
Le dossier nous est parvenu à un moment où nous souhaitions investir dans un vignoble de grands vins blancs en France. Jusqu’alors, nous avions davantage cherché dans la Loire. Moi, je suis une fan de vins de Chablis depuis longtemps. Chablis, c’est une Bourgogne particulière, avec une identité familiale, vigneronne et encore agricole. Ce n’est pas la Côte-d’Or, où nous n’aurions jamais osé aller. Cela apparaissait donc envisageable d’aller à Chablis, y compris sur le plan financier.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Nous aimons bien avoir un portefeuille de vins assez variés. Dans notre famille de domaines, nous ne cherchons pas que des vins iconiques. Le domaine William Fèvre propose des vins qui vont d’un excellent chablis en appellation village jusqu’aux plus beaux des grands crus. C’est cette pyramide qui nous a plu. Fin mars 2023, nous sommes allés sur place pour rencontrer Didier Séguier et passer du temps dans la vigne. C’est un terroir de dingue. Nous avons été impressionnés par l’expertise du domaine, sans parler de la conscience environnementale, avec une certification bio déjà acquise. On s’est dit assez vite que cela pourrait correspondre à nos attentes. On a fait une dégustation. Le vin de Lafite, par son terroir, est celui qui est le plus dans l’épure parmi les premiers grands crus. Il ne recherche jamais la puissance. Chez William Fèvre, les vins que produisaient Didier Séguier et son équipe avaient ça. Pas d’élevage en barrique neuve, rien qui maquille l’expression aromatique des terroirs et une recherche de pureté présente à toutes les étapes. Pour nous, il y avait un bon alignement des planètes.

C’est la première fois que vous mettez le pied en Bourgogne. Comment avez-vous été accueillis ?
On est toujours précédé par une image, ce qui peut être un peu compliqué. Nous avons une image de Bordelais, qui peut être très corporate. En plus, quand on entend Rothschild, on s’attend à voir des gens en costumes-cravate. J’ai souhaité rencontrer beaucoup de gens, avec Didier Séguier et lors de moments collectifs comme les Grands jours de Bourgogne. Échanger, écouter, parler de vins, c’est ce qui compte. Comprendre comment chacun vit ce qui se passe à la vigne, c’est cette partie qui me passionne.

Quelle est votre ambition pour William Fèvre au sein du portefeuille de domaines de la famille ?
Mon père est depuis toujours un fan de vins rouges. Nous avions beaucoup plus un portefeuille de vins rouges, avec certes un liquoreux, Château Rieussec à Sauternes. L’objectif ultime de cette nouvelle étape à Chablis, c’est de produire des vins de lieux et par la même occasion, de très grands vins blancs. Cela fait quelques années que l’on progresse dans cette couleur. On a développé un vin blanc sec au château Duhart-Milon, on a aussi des blancs dans l’Entre-Deux-Mers. Pour les équipes techniques, faire du blanc est utile pour faire du rouge. Cela apporte une précision supplémentaire sur la gestion des acidités, des dates de vendanges, ça nous fait progresser, ça nous fait du bien. Aujourd’hui, les équipes se parlent beaucoup, mais il n’y a aucune volonté de venir avec un modèle bordelais et le calquer à Chablis. William Fèvre est mature dans sa gestion, donc ça fonctionne bien.

Quelle est votre vision des vins de Chablis et de leur place dans le paysage des grands vins blancs ?
Ce que j’aime avec les chablis, c’est leur austérité sympathique, ce sont des vins attachants, d’une grande buvabilité, dont on ne se lasse pas. La diversité de terroirs est passionnante. Par exemple, entre les terroirs de Bougros et de Côte Bouguerots (parcelle située au sein du climat grand cru Bougros, ndlr), ce sont deux mondes différents. On ne goûte pas des chardonnays, mais des sols kimméridgiens, des profondeurs, des marnes, une exposition et la diversité géologique du lieu. Ce sont des vins qui sont transparents, qui racontent leurs terroirs. Il faut les distinguer, les comprendre. Et même si on ne les comprend pas, on les aime quand même. Pour moi, c’est ça les grands vins.

Allez-vous redessiner le périmètre de William Fèvre, regarder de nouveaux terroirs ou rééquilibrer la partie négoce par rapport aux vignes du domaine ?
Concernant les terroirs, et étant donné le soin que nous souhaitons apporter à la vigne, nous sommes bien avec nos quelques 70 hectares de vignes. Avant notre arrivée, la maison Bouchard avait déjà beaucoup réduit la proportion de négoce. On ne souhaite pas réduire plus. Les décisions qui ont été prises étaient bonnes, nous n’avons pas l’intention de changer ces équilibres, ni de remettre en cause les partenariats de long terme.

Votre parc immobilier à Chablis est de premier plan. Il est largement sous-exploité. Avez-vous des projets le concernant ?
Didier a un projet de nouvelle cuverie depuis vingt ans afin de réunir toutes les opérations de William Fèvre sur un seul site qui sera, et c’est symbolique, situé en face des grands crus, au pied de nos vignes. C’est acté, les travaux devraient démarrer mi-2026. Concernant ce formidable patrimoine architectural au cœur de Chablis, nous serions ravis de créer une offre d’hôtellerie. Mais ce n’est pas notre métier, nous voulons nous concentrer sur notre savoir-faire. Donc si nous le faisons, ce sera avec un partenaire.

Compte tenu des conditions difficiles du millésime 2024, comment envisagez-vous l’avenir à propos de vos pratiques en biodynamie ? Faut-il aujourd’hui privilégier l’approche écologique à celle économique ?
Il n’y a pas beaucoup d’alternatives au bio et nous ne souhaitons pas mettre de produits CMR dans nos vignes. Nous sommes convaincus que notre itinéraire est le bon, même si cela veut dire plus de passages et un impact carbone important. Cela signifie qu’il faut être très bon, très précis. Il n’y a pas de place pour l’erreur. Pour être en bio, il faut être irréprochable dans l’excellence. Je crois qu’il faut garder cette ligne, sans être dogmatique. Après, en 2024, nous avons récolté neuf hectolitres par hectare, alors si 2025 est à nouveau une année compliquée, on en reparlera.

Avec les changements qui s’annoncent, Chablis doit-il s’inspirer de la Champagne et chercher des cépages d’appoint ?
Faire des recherches sur d’autres cépages ? Je n’y crois pas trop à ce stade. En revanche, il faut plutôt travailler sur des sélections massales de chardonnays adaptés à notre terroir et, surtout, traiter la question des viroses, en faisant attention aux temps de jachère. Il faut installer la parcelle de la meilleure des façons, réfléchir à la manière d’espacer nos rangs, adapter nos plantations aux expositions. Pour répondre aux défis du réchauffement climatique, je crois plus en ce genre d’adaptations fines, plutôt que de changer de cépage.

Quel regard portez-vous sur des pratiques complémentaires de la biodynamie, comme l’agroforesterie ou l’agro-pastoralisme ?
Les animaux dans les vignes, ça nous plaît. Au château d’Aussières dans le Languedoc, on a déjà des animaux dans les parcelles. Cela sera peut-être le cas à Pauillac dans un avenir proche. À Chablis, Didier a une mule qui vient travailler les sols dans nos clos. Et puis, avec notre « William Ferme », comme on l’appelle, on a des chèvres, des ânes, des poules et des oies dans nos prairies. Dans chaque lieu, il s’agit de trouver un équilibre, ainsi que les personnes passionnées qui ont envie de s’engager. Partout, il faut comprendre l’aspect humain de ce métier, pour trouver des femmes et des hommes qui auront encore envie de le faire dans vingt ans.