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Domaine Leflaive, le mythe dans le détail

L’homme
Brice de la Morandière n’était pas destiné à reprendre le domaine après des études de droit, Science-Po, l’expertise comptable et une première carrière de chef d’entreprise réalisée en partie aux états-Unis. C’est le décès prématuré d’Anne-Claude en 2015 qui l’a amené à revenir à Puligny pour maintenir le contrôle familial du domaine. Sans bagage technique viti-vinicole initial, le pragmatisme a été son moteur principal. La biodynamie ne repose pas sur des bases théoriques rationnelles et vérifiées, mais elle fonctionne et permet des rendements convenables. Il en a maintenu la pratique, s’est fait conseiller et est allé chercher la compétence de maîtres tailleurs italiens pour favoriser les flux de sève. Les baguettes sont désormais taillées dans le sens de la pente pour gérer l’humidité et l’impact du vent. Les vignes manquaient un peu de vigueur, il a fait apporter un peu d’engrais verts et planter des légumineuses pour décompacter les sols. Les grands crus et le premier cru Les Pucelles sont travaillés au cheval. Il a essayé de multiples ports du feuillage, plus hauts, plus larges. Il n’y a pas eu de révolution au domaine, on n’y fait pas du Brice mais du Leflaive avec la pureté et l’intensité des vins qu’on y connaît depuis des lustres. L’essentiel de la production est vinifié à Puligny, il y a aussi une petite cuverie en Mâconnais. La vendange et le pressurage ont été dissociés pour pouvoir vendanger vite en cas de pluie mais presser lentement.

Le style
Les fermentations alcooliques se font en cuves inox, puis les vins passent une année en fûts, y font leur fermentation malolactique et sont régulièrement bâtonnés avant de retrouver l’inox avant les assemblages. S’il y a un style Brice, c’est un souci constant du détail, de l’hygiène, avec trois temps forts. La date de vendange est décidée en commun avec l’équipe. Le domaine est aujourd’hui médian par rapport aux vignerons voisins avec une recherche de maturité sans sur-maturité. Ensuite, la cinétique de fermentation est son souci majeur pour éviter l’oxydation des moûts que l’on a pu connaître dans les années 1990. En dernier lieu, au bout de la chaîne de production, le bouchage est une étape clé pendant laquelle Brice contrôle en permanence les teneurs en oxygène dissous.

Les gestes
Depuis 2015, sous l’impulsion énergique de Brice, d’importants développements ont été entrepris. Les chais ont été réorganisés, regroupés en un seul lieu et isolés pour éviter l’air conditionné car le sous-sol de Puligny, aux nappes phréatiques affleurantes, ne permet pas de creuser de caves sous une grande partie du village. Les bâtiments existants ont été modernisés, parfois reconstruits et agrandis, avec l’objectif ultime de n’avoir aucun impact sur l’environnement. La conception, les matériaux et l’isolation de la structure permettent un recours minimal aux sources d’énergie extérieures. Un travail en profondeur a aussi été mené sur la précision des vinifications et sur les obturations en introduisant un nouveau type de bouchons permettant une longévité accrue des vins.

Le domaine compte aujourd’hui vingt-cinq hectares sur la zone de Puligny-Montrachet. L’implantation en Mâconnais, initiée en 2004, représente une quarantaine d’hectares. Récemment, des plantations ont été faites en appellation hautes-côtes-de-beaune.

Les affaires
Brice de la Morandière n’a pas souhaité s’exprimer sur les différents marchés qui gravitent autour d’une production iconique comme celle du domaine. Malgré la frénésie mondiale actuelle autour des blancs de Bourgogne (qui a vu leur prix augmenter de 14 % lors de la dernière vente aux enchères des Hospices de Beaune, après une hausse de 115 % en 2021), il souhaite maintenir 20 % de la commercialisation en France. Quelques allocations sont parfois possibles sur le site internet du domaine. Mais une fois les bouteilles lancées dans le commerce, la spéculation s’emballe et les prix de départ connaissent de multiples appréciations chez les revendeurs du monde entier. Les vins du Mâconnais s’approchent de la centaine d’euros, notamment pour les pouilly-fuissé. La production de Puligny s’échange pour quelques centaines d’euros en appellation communale et égale, voire dépasse, le millier d’euros pour les premiers crus. Il faut compter plusieurs milliers d’euros pour un bâtard-montrachet dépassé par son voisin, le chevalier-montrachet. Quant à la production de montrachet grand cru, l’unité de compte sur le marché final est la dizaine de milliers d’euros par bouteille. N’omettez pas d’ajouter un s à dizaine. Les acheteurs avisés bien que fortunés se fourniront aux enchères. Angélique de de Lencquesaing, directrice générale d’Idealwine, constate des prix plus raisonnables, souvent inférieurs de moitié aux prix des revendeurs spéculatifs. Sur son site, le domaine Leflaive s’est hissé en 2022 à la quatrième place en valeur parmi les producteurs de blancs bourguignons avec un prix moyen passé en un an de 330 à 550 euros par bouteille, toutes appellations confondues. Il est loin le temps – que Brice de la Morandière a connu dans sa jeunesse – où le domaine n’était pas rentable et devait être renfloué par la famille pour conserver une production qui n’intéressait alors que des amateurs motivés par la dégustation.

Michel Fauconnet et Maximilien Bernardeau, les hommes du Grand Siècle


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« Nous sommes différents de nos pairs. Il nous a fallu beaucoup plus de temps, d’efforts et de persévérance pour que notre savoir-faire soit reconnu, sans doute en raison de notre différence. » Stéphane Dalyac est lucide. Le président de la maison Laurent-Perrier sait très bien que la reconnaissance de ses champagnes n’a pas été un long fleuve tranquille. Il sait sans doute aussi que la route est encore longue. Notamment pour Grand Siècle, la cuvée de prestige de la maison et son concept unique. Pour incarner cette différence et la voie difficile qu’elle a suivie vers le succès, « L-P », comme on l’abrège parfois, s’est choisi un ambassadeur de taille pour ses campagnes publicitaires internationales en la personne de Morgan Freeman. « Par son parcours et sa détermination, l’acteur incarne à la perfection Grand siècle », souligne son président, réaffirmant les ambitions de la maison pour cette cuvée créée en 1952 par le grand Bernard de Nonancourt, patron des lieux pendant plus d’un demi-siècle. Si Laurent-Perrier est aujourd’hui dirigée par ses filles Alexandra et Stéphanie (au sein d’un directoire), sa destinée a souvent été mise entre les mains d’un homme. Comme Michel Fauconnet, par exemple, garant emblématique du style depuis le début des années 1980. Entré comme ouvrier à l’époque où la maison n’est pas encore structurée comme elle l’est aujourd’hui, Fauconnet redéfinit l’identité des champagnes à force de travail, d’abord en duo avec Alain Terrier puis rapidement seul, améliorant sensiblement leur qualité vers plus de pureté et de définition. C’est sur sa recommandation que la maison a nommé Maximilien Bernardeau au début de l’été 2023 à ce même poste de chef de cave, lui confiant aussi la responsabilité des vins du groupe. Diplôme de biologie cellulaire et de physiologie végétale en poche, le jeune homme s’est formé à la diversité champenoise en tant qu’œnologue conseil d’une société d’analyse et de consulting reconnue. Son arrivée coïncide avec une phase nouvelle de l’histoire de la maison, qui s’accompagne de nombreux chantiers. D’abord, la réaffirmation du goût de ses champagnes, fondé sur la finesse et l’élégance. La maison obtient ces deux qualités grâce à une technique hors pair en vinification et un suivi minutieux de ses approvisionnements. Ces derniers lui permettent d’exprimer le meilleur des chardonnays de la côte des Blancs, si importants pour son style, même si elle sublime aussi des raisins noirs de grandes origines en montagne de Reims. Maximilien aura sans doute aussi à cœur de promouvoir Grand Siècle, partout dans le monde. La maison a d’ailleurs mis en place depuis quelques années une équipe qui se consacre au développement international de la cuvée. Passionnante, celle-ci s’appuie sur des raisins issus uniquement de grands crus, pour moitié chardonnay, pour l’autre pinot noir. Surtout, et c’est sa spécificité, elle assemble trois millésimes complémentaires. Le plus jeune est toujours le plus représenté de l’assemblage. Depuis sa création en 1952, vingt-six assemblages ont donné vingt-six itérations, commercialisées en bouteille (la plus récente) ou en magnum. Quelques grands formats vieillissent aussi une vingtaine d’années sur lies. C’est sous le nom « Les Réserves » et en quantités confidentielles que la maison propose ces trésors inestimables par leur qualité et leur goût.

Au premier plan, on reconnaît la forme particulière de la bouteille Grand Siècle.

Avec Grand Siècle, Laurent-Perrier fait la promesse de « recréer l’année parfaite ». La cuvée cherche à exprimer la singularité des trois millésimes qui la composent avec la force supplémentaire et l’harmonie que fait naître leur mariage. Ce phénomène est d’autant plus intéressant lorsqu’il est mis en parallèle avec la dégustation des champagnes millésimés de la maison. Pour la plupart tous réussis, aucun n’atteint la profondeur, la complexité et la plénitude des itérations de Grand Siècle. C’est l’expérience qui a été proposée par la maison à l’équipe d’En Magnum, reçue pour cette occasion chez elle, à Tours-sur-Marne, en compagnie de Michel Fauconnet et Maximilien Bernardeau, ses hommes forts et de deux de ses meilleurs ambassadeurs. Si l’on trouvera dans les commentaires (et les notes) de notre compte-rendu plein de raisons de faire de la place dans sa cave, que l’on n’oublie pas non plus de profiter en cette période de fêtes de la saveur et de la finesse de La Cuvée, champagne plus savoureux et précis que jamais.

Ptotos : Mathieu Garçon

Guillaume Sorbe : « Les Poëte, moins mais mieux »

« Les méthodes que j’utilise sont des méthodes ancestrales. Je préfère travailler sur le fond sans forcément revendiquer un label. […] J’ai préféré faire le choix d’être libre. »

Guillaume Sorbe, vigneron du domaine Les Poëte dans le Centre-Loire nous explique sa philosophie dans un nouvel épisode de Classe de maître. Avec Thierry Desseauve, il se confie sur sa vision, ses envies et ses vins.

Production : Jeroboam
Productrice : Juliette Desseauve
Image : Lucas Chaunay
Montage : Nicolas Guillaume
Motion Design : Maxime Baile

Musique originale : Arthur L. Jacquin

En partenariat avec Les Poëte

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

Manu Payet : « Le vin, c’est ma vie »

Que buvait on chez les Payet, à Saint-Denis de la Réunion, quand vous étiez enfant ?
Principalement du bordeaux puisqu’à l’époque c’était ce qu’il fallait boire. Mon père travaillait pour Air France et il était tout le temps en France métropolitaine. Il rapportait des bouteilles.

À quel moment vous êtes-vous initié au vin ?
Tardivement. J’ai d’abord connu l’ivresse. Plus tu bois des vins qui te plaisent, moins l’ivresse compte. L’ivresse que tu atteins avec un vin que tu as adoré, dans un moment magique, avec des gens que tu aimes ou que tu viens de rencontrer, cela ne donne pas envie de se retrouver mal. Un jour, tu fais la différence entre l’ivresse et les grands moments.

Votre première grande émotion ?
Un pommard premier cru 1996 de chez Jean Michelot. Je me souviens que nous avions littéralement été reçu par un ours. Mais j’ai aimé la simplicité de la cave, la rusticité du tire-bouchon. En goûtant son vin, j’ai compris que j’allais chercher une bonne partie de ma vie à revivre ce moment avec les bouteilles que j’allais ouvrir. Ce pommard est devenu ma référence.

Lors de vos tournées, vous trouvez le temps de vous arrêter dans les vignobles ?
Ce n’est même pas une question de prendre le temps. Le vin, c’est ma vie. J’ai joué à Troyes il y a quelques temps et j’y ai fait la connaissance d’Emmanuel Lassaigne. Au premier abord, l’homme était plutôt méfiant. Finalement, on a fini par se retrouver dans un bar à vin de la ville, Aux Crieurs de vin. On a sympathisé et je l’ai invité avec sa femme à venir me voir sur scène. À la fin du spectacle, il a foncé chez lui et il est revenu avec le coffre rempli de vins de ses copains vignerons. On a passé une soirée exceptionnelle. Il m’a invité le lendemain matin à venir voir son domaine. C’était formidable.

Quelle est votre définition d’un grand vin ?
C’est un vin que tu ne connais pas, que tu découvres et qui interrompt, le temps de la dégustation, le fil de ta vie.

Biographie
2000
Après ses débuts sur NRJ Réunion, il rejoint NRJ Paris
2007
Premier one-man-show au Splendid
2023
En tournée avec Emmanuel 2. Parution du guide La Traversée de Paris, co-écrit avec Caroline de Maigret, Gwilherm de Cerval et Zazie Tavitian (éditions J.C. Lattès)

Photo : Mathieu Garçon

Jean-Philippe Blot, le nouveau guide de la Taille aux Loups

« Il a fait de l’appellation ce qu’elle est aujourd’hui, je l’affirme encore plus depuis qu’il est parti », déclare Jean-Philippe Blot avec émotion. En 1987, Jacky Blot, ancien militaire puis courtier en vin, se passionne pour le chenin en le goûtant à Montlouis-sur-Loire. Dès 1989, il y achète ses sept premiers hectares de vignes. Malgré son manque d’expérience, Jacky sait la direction qu’il veut prendre, choisit de travailler le chenin sec, intégralement en bio, sans utiliser d’intrants, avec une vinification en barrique, à la bourguignonne, qu’il affectionne tant. Une pratique critiquée et décalée à l’époque, mais suivie rapidement par d’autres vignerons. Depuis, l’appellation a acquis une aura, un statut, et 60 % des surfaces y sont cultivées en bio. Trente ans plus tard, les vins de Jacky Blot sont recherchés, convoités par les étrangers, présents sur les grandes tables gastronomiques et le domaine de la Taille aux Loups est devenu un emblème de la région, unanimement reconnu.
Les sept hectares d’origine sont devenus quarante-sept hectares de chenin à Montlouis et cinq hectares à Vouvray. Il y a aussi seize hectares de cabernet franc acquis en 2002 à Saint-Nicolas-de-Bourgueuil (Domaine de la Butte). « Le cépage profite du réchauffement climatique », précise Jean-Philippe Blot. Contrairement à son père, il a baigné dans les vignes et y a développé une technicité encore plus affûtée, sans en avoir vraiment conscience. Malgré une « grosse crise d’ado », il a toujours su qu’il prendrait le relais. Un BTS de viticulture-œnologie, des vendanges à Bordeaux et en Nouvelle-Zélande, une expérience de courtier en Indre-et-Loire pour parfaire sa connaissance de la région et il était prêt à travailler au domaine familial. Jean-Philippe est aussi à la tête de six caves et d’un restaurant à Tours qui l’occupe beaucoup, doté d’une carte des vins exceptionnelle de plus de 1 200 références pour accompagner une jolie cuisine de terroir.

Premier millésime
Ces vendanges 2023 étaient les premières sans son père. « J’ai envie de faire encore mieux pour lui rendre hommage. » Millésime difficile. Avec le dérèglement climatique, le raisin envoie de mauvais signaux qui laissent à penser qu’il est mûr sans vraiment l’être. « On va quand même réussir à atteindre nos 300 000 bouteilles annuelles car la charge de raisins était importante », explique-t-il, confiant. Jean-Philippe ne changera rien au fonctionnement du domaine. L’élevage en barrique, avant qu’il ne se répande dans toute la Loire, était la signature de la Taille aux Loups. Pas question d’y toucher. Il ne touchera pas non plus à l’icône Triple Zéro, son fabuleux effervescent naturel non dosé. « On a le plus beau cépage du monde, c’est le meilleur vecteur de terroir », assure Jean-Philippe, qui estime que le réchauffement climatique a contribué à rendre le chenin plus digeste, sans avoir besoin de dosage, en recherchant la sucrosité dans le vieillissement. Précurseur du vin nature en 1993, le domaine ne s’en est pourtant jamais revendiqué.
Le respect pour Jacky Blot demeure, en témoigne le nombre de lettres reçues à son décès. Il a marqué par sa clairvoyance et sa précision de dégustation, par sa manière de capter l’attention avec un vocabulaire imagé. « Je me rends compte de la force de ce qu’il a créé. » S’il est difficile de sortir de l’ombre de son père, il n’en fait pas un sujet. « Il aura toujours son nom sur les étiquettes », dit-il en montrant une bouteille avec humilité. Convaincu que Montlouis est un terroir à grand potentiel, Jean-Philippe est un garçon timide et sincère, le cœur sur la main, la main à l’ouvrage. Son vin est comme lui, comme était son père, l’expression de la sensibilité et de l’esprit de cette famille.

Crédit photo : Charlotte Enfer

Bettane+Desseauve vous souhaite une belle année 2024

La révélation du « génie des vins » est notre objectif, partout où nous faisons se réunir les esprits curieux qui s’intéressent au vin, par la voie de l’apprentissage et du savoir. Tenir cette promesse a toujours justifié notre travail, lors de nos salons, dans nos magazines, nos guides. Après presque vingt ans d’existence, réussir ce pari est plus que jamais notre raison d’être. L’idée du vin que nous défendons fait naître le rire, la joie, le doute, la beauté, l’introspection, le partage, la sensation d’être en vie. Elle laisse sa trace dans la mémoire, grave son nom dans notre culture, précède des émotions multiples. En 2024, l’équipe Bettane+Desseauve vous souhaite sincèrement d’en vivre beaucoup, indélébiles, inédites, intenses.

Production : Jéroboam
Vidéo : Nicolas Guillaume et Lucas Chaunay

Champagne, le livre de cave


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Billecart-Salmon, Le Clos Saint-Hilaire 2005
La maison de Mareuil-sur-Aÿ n’a pas l’habitude de prendre la parole pour ne rien dire. Ce qui ne l’empêche de renforcer son image et de continuer à travailler sur ce qui fait sa singularité. Il faudrait bien plus d’espace pour raconter ici – mais nous le ferons – ce qu’a entrepris avec intelligence, discipline et savoir-faire la famille propriétaire, incarnée aujourd’hui par Mathieu Roland-Billecart, et par l’équipe technique très talentueuse. Ce petit monde passionné (et d’amateurs de grands vins) veille ensemble sur les trésors qui dorment dans les caves de Billecart-Salmon et sur son vignoble de trois cents hectares, dont cent sont en propriété et cent autres suivis, accompagnés ou gérés sur le plan viticole. Au milieu de ce grand ensemble, la maison bichonne l’hectare de vignes de son clos Saint-Hilaire comme on s’occupe d’un jardin. Lieu magique et émouvant, restauré magistralement, conduit en biodynamie et en agroforesterie, avec des pratiques de vitipastoralisme, travaillé au cheval, le clos est devenu l’épicentre de la politique de recherche et développement mise en place par la maison en matière de viticulture de précision, qu’elle souhaite empirique et pleine de bon sens. Certains millésimes, elle réalise entre ses murs l’un des vins de lieu les plus singuliers et les plus émouvants de la Champagne, évidemment en petite quantité. La maîtrise de la vinification en fût impressionnante de justesse finit de lui donner la profondeur aromatique et le corps propres aux plus grands vins blancs de France.
430 euros

Charles Heidsieck, Rosé 2012
Nous reconnaissons volontiers avoir eu du mal à choisir dans la gamme courte de la maison rémoise quel vin nous voulions mettre en avant plus qu’un autre. La faute à un niveau de qualité impressionnant à peu près équivalent entre toutes les cuvées, elles-mêmes toutes proches de notre idéal en matière de goût, de pureté et de raffinement. Notre dévolu s’est finalement jeté sur ce merveilleux champagne rosé qui a capturé avec grâce le classicisme du millésime 2012. Issu d’une sélection précise de onze premiers et grands crus, il assemble 62 % de pinot noir (dont 9 % de vin rouge) et 38 % de chardonnay. Aussi bien par son raffinement que par sa texture en dentelle, son harmonie incomparable se construit autour de la gourmandise de ses notes de fruits rouges mûrs, de ses petites notes grillées de réduction propres au style Charles et de son aromatique en bouche inclassable, tantôt sur les notes de poivre et de réglisse, tantôt sur l’orange amère. Grandiose dans ce millésime et tellement distingué, on n’ose imaginer ce qu’il va devenir en vieillissant dans les caves des vrais amateurs de la marque. Ils sauront lui laisser le temps nécessaire, s’ils parviennent à lui résister.
136 euros

Domaine Alexandre Bonnet, Les Contrées – 7 cépages 2019
Jusque dans son nom, cette maison des Riceys revendique un « modèle vin » plutôt qu’un modèle « champagne ». Ce qui de prime abord peut faire naître à son sujet un peu de suspicion et quelques préjugés. Ils sont balayés d’un revers de la main une fois que l’on découvre en profondeur le travail réalisé par Arnaud Fabre et ses équipes pour construire cette offre de vins de Champagne assez unique en son genre. Installée au cœur de la côte des Bar, aux portes du vignoble bourguignon, la maison Alexandre Bonnet met en avant les terroirs calcaires du Kimméridgien qui apportent à ce secteur de l’élan et de la verticalité. Elle aime aussi fouiller dans l’histoire champenoise et reconstituer le goût de ses cépages. C’est ce qu’elle propose avec la cuvée Les Contrées qui réunit pinot noir, chardonnay, pinot meunier, pinot blanc et gris, ainsi qu’arbane et petit meslier. Une rareté qui ne surjoue pas l’originalité, mais s’appuie plutôt sur le savoir-faire de la maison en matière de viticulture pour vinifier des raisins mûrs et expressifs. Complexité en bouche, profondeur, éclat et structure en font un vin de gastronomie, intense et racé, qu’il ne faut pas hésiter à carafer avant le service.
93 euros

Henriot, Millésime 2014
L’actualité mouvementée de la maison, récemment acquise par le groupe TEVC, ne l’a pas empêchée de garder les yeux fixés sur ses objectifs de qualité, revendiqués par une équipe technique et une cheffe de cave de grande qualité en la personne d’Alice Tétienne. Dans la gamme classique d’Henriot, le millésimé a toujours profité d’une vision d’excellence un peu à part, construit autour d’un assemblage issu de premiers et grands crus situés uniquement dans les secteurs de son vignoble historique. Pinots noirs et chardonnays de la montagne de Reims (Trépail, Verzy, Verzenay et Avenay) et de la côte des Blancs (Avize et Vertus) profitent ainsi, pour ce 2014, de huit ans de vieillissement en cave, leur permettant d’atteindre un point d’équilibre entre fraîcheur aromatique et gras gourmand en bouche si caractéristique du style de la maison. Structuré, il gagnera à être attendu quelques années en cave.
79 euros

Lallier, Réflexion R.020
La nomination de Dominique Demarville, chef de cave de légende qui a fait les grandes heures de quelques belles maisons, annonçait de grandes choses à venir dans cette maison d’Aÿ. Et beaucoup de ses amateurs, fidèles aux style Lallier attendait son premier assemblage avec impatience. Dominique, guidé par sa connaissance intime du vignoble et son humilité, qui n’a d’égal que son talent, a eu l’intelligence d’inscrire cette création dans la continuité de la collection Réflexion, instaurée avant lui. Dixième édition de cette série, R.020 est élaboré majoritairement (81 %) à partir des raisins de l’année 2020 et complété par de jeunes vins de réserve (2018 et 2019). Pour la première fois, R intègre aussi dans son assemblage plus de chardonnay que de pinot noir, ce qui est assez singulier venant d’une maison située au cœur de la montagne de Reims. Tout en finesse, ce n°20 réussit à exprimer un caractère profond du chardonnay, qui a presque tendance à « pinoter ». Dosée sur mesure en fonction des équilibres des trois années, la cuvée met aussi en avant une fraîcheur formidable et un caractère intense, en phase avec le style Lallier et avec l’esprit solaire du millésime 2020. Notes fines de citron frais au nez, saveurs d’agrumes confits en bouche, bulle savoureuse, finale énergique, avec cette salinité propre aux terroirs de premier ordre qui l’ont fait naître.
39,90 euros

Lanson, Le Black Création n°257
Tout a changé ou presque dans cette maison rémoise mondialement connue. Pendant longtemps, sans rien renier de son histoire et sans rien concéder à la qualité, Lanson avait quelque peu perdu l’approbation des plus grands connaisseurs. Elle s’est fait à nouveau une place auprès d’eux en réaffirmant les fondamentaux de son style fondé sur la tension et la délicatesse. Tout en ne s’enfermant pas dans un système contraignant. Cela lui a permis d’opérer la métamorphose spectaculaire de sa cuvée Black Label en une cuvée Le Black Création. Le tirage aujourd’hui commercialisé porte le numéro 257 (c’est le nombre d’assemblages bruts multimillésimes réalisés par la maison) et intègre une forte proportion de vendange de l’année 2017. On aime ses beaux amers citronnés en bouche, ses notes florales printanières fraîches et sa finale saline et citronnée, représentative du style Lanson.
34 euros

Laurent-Perrier, Grand Siècle – Itération n°26
Nous expliquons tous les détails (page 64) de l’élaboration de la cuvée de prestige de la maison Laurent-Perrier dont la dernière itération sort en cette fin d’année. Tout naturellement, sa place était dans la sélection de nos meilleurs vins de Champagne tant sa conception, son style et son goût se rapprochent de l’essence même du grand vin. Elle a d’ailleurs ceci de supérieur sur lui qu’elle assemble, intelligemment, trois interprétations annuelles de ses plus grands terroirs, jouant sur leur complémentarité pour recréer « l’année parfaite ». Ici, les millésimes 2012, 2008 et 2007 expriment une fois réunis une sorte d’harmonie et une verticalité peut-être jamais atteinte encore dans la cuvée, hors tirage en magnum et tirage « réserve ». Elle conserve tout ce qui fait que nous l’aimons tant et que nous la recommandons : la droiture de ses origines nobles et l’évidence de son harmonie.
230 euros

Palmer, Grands Terroirs 2015
Aucune surprise, cette année encore, à retrouver la cuvée Grands Terroirs de Palmer & Co dans notre cave à champagnes idéale. Par on ne sait quel prodige, la marque parvient toujours à saisir l’éclat de chaque millésime qu’elle intègre à sa collection tout en préservant les fondamentaux d’un style fondé sur la profondeur et la vinosité. La forte proportion de chardonnay, pour moitié dans cet assemblage, souligne avec complexité le caractère ensoleillé du millésime. Sans tomber dans l’excès, la vendange 2015 de la maison a donné un grand vin de Champagne, irréprochable dans son équilibre et dans son caractère crémeux et large en bouche. Comme tous les grands-terroirs de Palmer, il porte la promesse d’une émotion forte que les plus impatients auront du mal à attendre. On leur conseille au moins d’essayer.
74 euros

Philipponnat, Clos des Goisses 2013
Sa seule provenance fait naturellement de la cuvée de prestige de la maison Philipponnat un champagne de lieu, expression fidèle d’un terroir délimité, par quatre murs en l’occurrence. C’est pourtant un endroit dont il faut parler plus amplement tant ses caractéristiques naturelles sont singulières. Reconnaissable parmi tous les autres coteaux de Champagne par l’inclinaison de sa pente (45°), cette parcelle plantée majoritairement de pinot noir et d’un peu de chardonnay (15 %) donne l’un des vins les plus admirés de toute la région. Un peu moins de six hectares de vignes très bien tenues, exposées plein sud et plantées dans un sol où la craie affleure, offrent des raisins formidables en goût et en texture. La moitié d’entre eux sont vinifiés sous bois, profitant du savoir-faire de la maison en la matière et de sa précision dans la gestion des oxygènes. L’ensemble est patiemment attendu huit ans en cave. Elégant et floral, toujours intense, on retrouve avec
ce millésime 2013 ce qui fait la grandeur de cette parcelle : ses notes iodées, son élégance et sa noblesse. On prendra beaucoup de plaisir à le boire dès maintenant, ce qui relève du prodige tant le potentiel de garde est immense. C’est d’ailleurs sans doute là que se trouve son génie, empruntant les marqueurs du grand champagne autant que ceux du grand vin.
330 euros

Pol Roger, Vintage 2016
Même s’il ralentit quelque peu, le dynamisme du marché des champagnes a sans doute accéléré ces dernières années la sortie des millésimes de la décennie 2010-2020. La maison familiale Pol Roger a décidé de suivre cette tendance en rendant disponible son millésime 2016, année sur laquelle nous avons encore peu écrit, mais qui s’était distinguée par une météo binaire : hiver et printemps plutôt froid et pluvieux, été sec et ensoleillé (qui a tout sauvé, comme souvent). Reste que l’hétérogénéité de maturité constaté entre les différents secteurs de la Champagne obligeait à une vigilance accrue au moment de la vendange. Fidèle au style ouvert et séducteur des champagnes de la maison, ce 2016 construit ses nuances aromatiques autour d’une solide colonne vertébrale, renforcée par une acidité intégrée mais présente. Très jeune, il faudra attendre pour profiter pleinement de son caractère savoureux et de sa richesse pleine de promesse.
75 euros

Pommery, Cuvée Louise 2005
Sommet de la production de cette maison parmi les plus célèbres, notamment pour ses bâtiments situés avenue de Champagne à Reims, la cuvée Louise est sans doute le vin qui symbolise le mieux le travail accompli par la famille Vranken en Champagne. Sous son impulsion, cette cuvée de prestige, hommage à la fondatrice de la maison, a retrouvé le niveau qu’on attendait d’elle. Elle réunit avec justesse les meilleurs chardonnays de la maison, plantés à Avize et Cramant, et ses meilleurs pinots noirs situés à Aÿ, avant de profiter d’un vieillissement de quinze ans en cave – ce qui explique le décalage de millésime par rapport à d’autres cuvées de la catégorie. Somptueux dans cette version extra brut, ce louise rappelle à tous la finesse et la subtilité propres aux raisins de l’année 2005. Notes florales précises, arômes de fruits blancs, bouche sur la noisette grillée, c’est délicieux.
187 euros

Rare 2013
Nous ne manquons pas une occasion de donner à l’ancienne cuvée de prestige de Piper-Heidsieck la place qu’elle mérite dans l’univers des meilleurs vins de Champagne. C’est ainsi qu’elle est pensée depuis son premier millésime en 1979. En libérant de ses caves le millésime 2013, l’équipe en place (Maud Rabin en directrice, Emilien Boutillat en chef de cave) n’a pas dévié de cette voie. On sait, à la suite d’une grande dégustation verticale de la cuvée, que le champagne Rare peut attendre des sommets d’intensité et de structure. On sait aussi qu’il peut prendre, certains millésimes, un caractère intimidant en raison de sa charpente et de son intensité. Il nous a semblé que les derniers millésimes présentés (comme l’exceptionnel 2008 en blanc et le parfait 2012 en rosé) attestent d’une petite inflexion de style, sans doute entreprise à l’époque où il était encore en fonction par Régis Camus, immense chef de cave. Il s’agit là des réglages d’une Formule 1. Et ce 2013, certes un rien moins monumental au nez que ses aînés, exprime les grandes origines qui le composent autant qu’il interprète l’année par ses amers subtils. En bref, c’est un rare plus séducteur que jamais.
250 euros

Roederer, Collection 244
La maison avait fait parler d’elle en inaugurant cette nouvelle collection de champagnes multimillésimes. Le concept, simple et astucieux, permettait aux équipes de la maison, sous la direction de son chef de cave Jean-Baptiste Lecaillon, de continuer à exprimer son savoir-faire en matière d’assemblage tout en ne s’enfermant pas dans la catégorie de plus en plus réductrice des bruts sans année. Concrètement, ce 244e assemblage de Roederer s’appuie sur les vins issus de la vendange 2019 (54 % de l’assemblage), sur une réserve perpétuelle débutée avec le millésime 2012 (36 %) et sur 10 % de vieux vins de réserve élevés en foudres. Ce qui donne dans le verre un champagne harmonieux, raffiné et frais dans ses arômes citronnés et floraux. Il hérite aussi, dans ce millésime, de l’intensité des grandes cuvées de cette maison, dont le vignoble historique (115 hectares) est certifié en agriculture biologique.
59 euros

Taittinger, Comtes de Champagne 2013
On a beaucoup parlé l’année dernière et au début de celle-ci du millésime 2013 en Champagne, présenté parfois avec une pointe de nostalgie par certains observateurs comme le « dernier millésime d’octobre ». La maison Taittinger, qui aime prendre le temps qu’il faut quand il s’agit de sa cuvée de prestige, a révélé un peu plus tard que bon nombre de ses consœurs son interprétation de l’année 2013. Trop d’amateurs ignorent encore le formidable travail de sélection qui se cache derrière chaque bouteille de Comtes de Champagne, reconnaissable entre toutes. Les meilleurs cuvées qui la composent – comprendre les meilleurs presses – sont sélectionnées en fonction de leur potentiel de finesse et d’expression plutôt que pour leur structure et pour leur profondeur. Magie du terroir et génie du champagne, la complémentarité des matières entre ces différentes origines et dix années de lent vieillissement donnent, inexorablement et qu’importe le millésime, un style inimitable à cette cuvée. Dans ce millésime 2013 où dominent les fruits blancs mûrs et un caractère aromatique profond (notes pâtissières et de sous-bois), ce comtes déploie comme toujours sa formidable énergie et cette austérité saline qui nous plaît tant. Avec les années qui passeront tout doucement sur lui, il se rapprochera d’un grand vin, incomparable et émouvant.
160 euros

Thiénot, La Vigne aux Gamins 2010
La forte énergie dégagée par cette maison a toujours été, pour nous, une raison de nous intéresser de près à l’offre large qu’elle propose. Mais on se tromperait en la résumant aux cuvées classiques de sa gamme, d’ailleurs toutes de bons rapports qualité-prix bien distribués. La montée en gamme de Thiénot s’est accompagnée de la création de quelques cuvées prestigieuses comme cette production en quantité confidentielle (3 300 bouteilles) qu’est La Vigne aux Gamins. Elle concrétise le travail de la nouvelle génération Thiénot pour rendre à cette parcelle d’Avize la place qui doit être la sienne dans l’univers fermé des champagnes parcellaires. Pur chardonnay élevé onze mois sur lattes et dosé à 4 g/l, ce champagne affiche, comme dans le millésime 2009, une intensité et une profondeur qui le rapprochent d’un grand vin blanc de Bourgogne, complexe et savoureux avec ces notes de fruits confits et de citron mûr. Il éteindra les bûchers préparés à la hâte par ceux qui continuent de penser que le blanc de blancs est forcément un champagne léger, dénué de profondeur.
146 euros

Veuve Clicquot, La Grande Dame 2015
Accomplie, la refonte stylistique des champagnes Veuve Clicquot a sans doute commencé au moment où la maison a réaffirmé le pinot noir comme élément différenciant de sa vision. C’est vrai avec les dernières éditions de la cuvée La Grande Dame (2013 et 2015), mais c’est aussi le cas avec le brut Carte Jaune, plus largement distribué et aujourd’hui en phase avec les cuvées de prestige. Jouant sur l’assemblage de ses crus historiques, la direction technique de la maison affine encore, avec le millésime 2015, sa lecture des millésimes solaires. Et ses merveilleux pinots noirs de la montagne de Reims remplissent une nouvelle fois leur fonction à merveille, apportant éclat, élégance et tension spectaculaire à l’ensemble. On s’émeut toujours de la manière avec laquelle les notes florales et le goût profond de ce vin de gastronomie arrivent en bouche avec autant de précision. Jamais, dans un millésime chaud, un grande-dame n’a semblé aussi athlétique et élancé.
210 euros

Veuve Fourny, Clos du Faubourg Notre-Dame 2012
En Magnum a toujours été impressionné par la faculté avec laquelle cette petite maison de Vertus parvient, pour l’ensemble de ses cuvées, à exprimer un goût à la fois si universel et si particulier. Ce prodige est sans doute dû à la précision et à la volonté de transparence propres à la famille qui s’en occupe et aux deux frères, Charles-Henry et Emmanuel, qui la représentent en France comme dans le monde avec la même joie contagieuse et la même élégance naturelle. Leur vignoble impeccablement tenu comporte une rareté, le clos du Faubourg Notre Dame, parcelle de 0,29 hectares située à Vertus. On y produit certaines années quelques centaines de bouteilles d’un champagne grandiose, expression idéale du chardonnay sur calcaires, toujours ciselé et racé. Au nez, une grande envolée de notes d’agrumes frais lui donne ce caractère aérien et subtil qu’on ne retrouve que dans cette cuvée, plus sapide que jamais et d’une folle intensité dans ce millésime. L’âge des vignes (60 ans en moyenne) et le vieillissement en cave (neuf ans) finissent de l’habiller des attributs de la grandeur. On les retrouve sous d’autres formes, toutes aussi captivantes, dans l’ensemble des cuvées proposées par les Fourny.
135 euros

Photos : Fabrice Leseigneur

Axel Heinz : « C’est l’amateur qui décide »


Retrouver cet article dans En Magnum #34. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Axel, vous voilà de retour à Bordeaux après une expérience en Italie dans un domaine mythique de Toscane, Ornellaia. Pourquoi avoir dit oui à Lascombes ?
Ce n’est pas de gaieté de cœur que l’on quitte la Toscane. Le projet à Lascombes était ambitieux et attirant et cela avait du sens dans mon parcours. Une carrière se compose de plusieurs chapitres, en voici un nouveau pour la mienne qui coïncide avec un nouvel épisode dans l’histoire du château. Et puis je reviens chez moi, j’ai vite retrouvé mes repères.

Le rachat de la propriété par le groupe Lawrence Wine Estates a beaucoup fait parler. Quelle feuille de route vous attend ?
C’est important de souligner que cet investissement est familial. C’est un concept qui est loin d’être abstrait. La famille est souvent sur place et active dans les décisions à prendre. Je me suis engagé sur l’excellence à long terme. Il n’y a pas de feuille de route stricte, mais la confiance et l’autonomie sont clés dans mon travail. Je suis libre de toutes tentatives tant que celles-ci ont du sens. Et le but est d’aller dans une direction à laquelle je crois, faire de Lascombes une des têtes d’affiches de l’appellation margaux.

L’objectif est de taille.
En effet, il faut tout repenser. Mais cela ne me fait pas peur. Déjà, je suis heureux d’arriver après le chantier de la nouvelle cuverie et de pouvoir disposer d’un matériel de pointe. L’équipe en place a montré une grande ouverture d’esprit malgré le fait que nous ayons tout de suite tranché avec certaines habitudes. Je suis dans de bonnes conditions. Tout sera guidé par le souci du détail et de la qualité. C’est d’ailleurs déjà le cas avec cette vendange 2023 que nous avons choisi de travailler en ce sens.

Et côté vignes, quels sont les chantiers ?
Il suffit de se promener dans le vignoble de Lascombes pour saisir son potentiel, notamment grâce au rare patrimoine de vieilles vignes à notre disposition. Un premier travail de restructuration doit être fait. Sans trahir le lien historique entre la propriété et le merlot, l’idée est de favoriser le cabernet-sauvignon et le cabernet franc. Je suis particulièrement attaché à ce dernier et je pense qu’il apporte une touche flamboyante aux vins lorsqu’il est bien maîtrisé. De façon complémentaire, et fort de mon expérience toscane, nous avons aussi envie de développer une biodiversité plus forte dans nos vignes.

Tout ceci se traduira comment dans les vins ?
Nous serons très attentifs à la question des assemblages en engageant un travail de recherche en interne. Ce souci de justesse passera par l’isolement de certains rangs et par le recours à des micro-vinifications pour sublimer la diversité intra-parcellaire. La précision, c’est ce qui fera la différence, notamment pour le grand vin que l’on souhaite très margalais et inscrit dans le classicisme.

Un style « très margalais » suffit-il à rendre désirable un cru classé de Margaux ?
Le margaux, c’est le charme. Un vin au caractère médocain, avec une forme de sérieux, mais aussi une signature incarnée par le soyeux. Ce style rejoint ma conception des grands vins, ceux qui arrivent à être lisible dans leur jeunesse – à ne pas confondre avec une forme de facilité – tout en affichant une capacité évidente de vieillissement. Le vin de Margaux est attirant par cette faculté à évoluer et à assumer une certaine forme de classicisme qui n’intimide pas.

Ces ambitions nouvelles portent aussi sur le marché ?
En matière de vin, les consommateurs ont de plus en plus de mal à se projeter sur le long terme. À nous d’être capables d’offrir des vins à maturité. En mettant, pourquoi pas, différents millésimes en même temps sur le marché. Lascombes n’a conservé que peu de vieux millésimes par le passé. Nous mettrons en place une politique d’archivage. Quant à notre positionnement, notre message devra être cohérent avec la qualité des vins, de façon raisonnable et raisonnée. Au final, c’est l’amateur qui décidera.

On imagine que l’idée est de mettre en place ces projets rapidement.
Nous avons à cœur de montrer que le changement se fait. Pour nous, la première étape sera d’être satisfaits des vins que nous proposons. On verra ensuite pour le reste et le succès de ces objectifs. Prendre notre temps est nécessaire, mais il ne faut pas confondre « avoir le temps » et « aller lentement ». Nous irons vite. D’une référence solide à Margaux, nous voulons être une évidence.

Photo : Mathieu Garçon

Les masterclass « Génie du vin » du Grand Tasting Paris sont gravées à jamais


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Château Batailley 1961, pauillac
1961 est devenu une année mythique grâce à la naïveté, mais aussi l’appât du gain, du grand négoce bordelais, inspiré par sa clientèle et sa distribution anglaise. En effet, et de façon spéculative, il avait pris l’habitude d’acheter en février un millésime « sur souche », soit plus de six mois avant la vendange, en espérant obtenir un meilleur prix, ou du moins une plus forte augmentation de ses marges, si le millésime à venir s’annonçait remarquable. Un gel de fin de printemps a détruit les deux tiers de la récolte. Un phénomène excellent pour la qualité car la petite récolte va bien mûrir, même s’il n’y a pas eu un été aussi beau ou aussi chaud qu’en 1949 ou 1959. Beaucoup de châteaux ont vendu plus de vins qu’ils n’en ont produits. Heureusement, les millésimes voisins en cave, 1960 et 1962, sont abondants et pour le premier, peu attractif. Peu de vin donc, peut-être pas toujours pur, et une forte demande. Les crus qui ont respecté l’intégrité du millésime sont étonnants dès le départ, pulpeux, complexes, avec un cachet très spécial. Ils vont le conserver jusqu’à aujourd’hui et pour quelques années encore, comme l’a montré ce magnifique batailley 1961, épanoui, profond, sensuel même (ce qui est rare à Pauillac) dans sa texture et sa persistance. Il dominait tous les vins des deux décennies 1960 et 1970 lors d’une grande dégustation comparative faite au château. Comme quoi, il y a toujours un peu de mystère dans un vin « génial ». M.B.

Bouchard Père et fils, chevalier-montrachet 1998
Avant même la reprise par le groupe Henriot, et bien sûr plusieurs décennies avant celle d’Artémis Vignobles, nous avons eu la chance de suivre et de connaître la géographie et l’histoire particulièrement mouvementées de ce monument de la Bourgogne. Dans le patrimoine exceptionnel de terroirs bourguignons que possède la maison depuis parfois plusieurs siècles, le grand cru Chevalier-Montrachet, vaste et divers, occupe une place particulière. J’ai toujours considéré que cette cuvée ou celle issue de la parcelle de La Cabotte représentaient l’essence même du grand bourgogne blanc, à la fois par la plénitude de saveurs, l’ampleur de texture, mais aussi l’intensité, la finesse, la fraîcheur et la profondeur que peut offrir le chardonnay sur ces terroirs uniques. 1998 est un très grand millésime, remarquablement réussi chez Bouchard. Le déguster au cours d’une master class a constitué un moment inoubliable pour tous ceux qui ont eu la chance d’y participer. T.D.

Bouchard Père et fils, montrachet 2005
Pendant longtemps, Montrachet fut un cru mythique, une oasis de chardonnay au milieu d’un océan de pinot noir donnant un vin, comme l’écrivait Alexandre Dumas, que l’on peut s’estimer heureux d’avoir bu une fois dans sa vie. Il a fallu dans notre état de droit le délimiter avec précision en 1935 et 1936. Le législateur a d’abord accordé un peu plus de sept hectares, répartis presque à parts égales entre les communes de Puligny et de Chassagne, qui avaient déjà allongé leurs noms de cette mention prestigieuse. Peu après, on y ajouté quelques rangs de vignes sur Chassagne, sur le lieu-dit Dents de chien, montrant ainsi que lieu-dit, climat et parcelle sont en Bourgogne des identités différentes, sujettes à des modifications conjoncturelles. Ce qui fut vérifié quand un géomètre, ce jour-là mal inspiré, retira deux grandes ouvrées (10 ares) à la propriété de la maison Bouchard. Elles produisent aujourd’hui peut-être le vin le plus fin de Bourgogne, le mythique chevalier-montrachet La Cabotte. Puligny et Chassagne ont des expositions et des micro-climats différents, comme on l’a vu quand l’un produit alors que l’autre gèle. À Puligny, où se trouvent les vignes Bouchard, en exposition sud-est, le vin a toujours eu la réputation d’être le plus fin, moins solaire que sur le plein sud de Chassagne. Ce qu’a prouvé ce 2005 vinifié avec maestria. M.B.

Bouchard Père et fils, volnay 1er cru Les Caillerets 2003
Une des premières vignes achetées par Joseph Bouchard fut une grande parcelle dans la partie supérieure du climat Caillerets appartenant à une grande famille historique bourguignonne, ce qui explique la mention « d’ancienne cuvée Carnot » sur l’étiquette. Elle n’a jamais cessé de produire un vin de grande finesse et de grande longévité que l’on considère à juste titre comme le plus accompli de la commune. En 2003, année d’une grande canicule, un peu plus au nord, à Savigny, les vignes précoces ont beaucoup souffert. Mais dès qu’il y avait un peu d’argile, leur résilience a étonné tout le monde et dès les vendanges – les plus précoces depuis 1893, fin août, chez Bouchard – on savait qu’on tenait un très grand millésime. Profondeur de la couleur, de la matière, densité de la texture, concentration d’arômes nobles, le vin possède toutes ces qualités, sans doute inconnues depuis 1959 ou 1947, pour encore plusieurs décennies si le bouchon ne trahit pas. Mais les années exceptionnelles ont un caractère exceptionnel et non « classique ». Avis à ceux qui ne comprennent pas cette distinction. M.B.

Domaine Cazes, Aimé Cazes 1963, rivesaltes
Le domaine Cazes, installé à Rivesaltes – et aujourd’hui intégrée au groupe Advini – est depuis longtemps un extraordinaire ambassadeur du rivesaltes (de type rancio), vin désormais trop méconnu. Cette cuvée Aimé Cazes est élevée trente ans dans des foudres centenaires. J’ai eu souvent l’occasion de la déguster et elle m’a à chaque fois subjugué par la munificence de son parfum, jouant sur les fruits secs, les fruits confits, les épices, le cuir fin, mais aussi par sa dimension profonde, son velouté et sa suavité. Ce sont évidemment des grands vins d’autrefois. Avoir la possibilité de les goûter aujourd’hui constitue un moment incroyable qui démontre amplement la diversité de saveurs et de conception qui compose les très grands vins. T.D.

Maison Champy, corton-charlemagne 2003
Dimitri Bazas, brillant et prolixe directeur technique de la plus ancienne maison de Bourgogne, a choisi l’un des vins dont il était le plus fier et qu’il a réalisé dès son arrivée, dans un millésime compliqué marqué par une canicule qui a fait date. Mais dans ce terroir formidable qu’est le grand cru Corton-Charlemagne, où la maison dispose d’un approvisionnement remarquable, la fraîcheur du vin reste un marqueur essentiel de cette dégustation. Profond, plein, suave et complexe sur le plan aromatique, ce corton-charlemagne brille par son équilibre et sa dimension élancée. Le vin, dégusté en magnum, semble parti pour une éternelle jeunesse. C’est le génie des grands pinots noirs bourguignons. T.D.

Domaine Jean-Louis Chave, hermitage 2005 (rouge)
Comprendre avec Gérard puis Jean-Louis Chave toutes les nuances qu’apporte la géologie complexe de la colline de l’Hermitage en dégustant chacun des différents climats qui composent leur domaine est certainement l’une des expériences les plus marquantes de ma vie de dégustateur. Il était bien entendu impossible de réaliser une telle dégustation lors du Grand Tasting, mais nous avons pu, avec la complicité de Jean-Louis, présenter ce magnifique 2005 au public du Carrousel du Louvre. La droiture et l’élégance naturelle de la cuvée, relevée par de subtiles nuances aromatiques, placent immédiatement ce vin au cœur des plus grands. Mais déguster un hermitage de chez Chave, c’est aussi recevoir le témoignage intense de Jean-Louis, sa conception humble et exigeante de son métier de vigneron, sa sincérité et sa fidélité à ses racines et à sa famille. T.D.

Château Cos d’Estournel 1990, saint-estèphe
Le réchauffement climatique n’a pas commencé hier. Dès le milieu des années 1980, on retrouvait et dépassait les maturités de raisin des millésimes de légende de la première moitié du siècle. Même dans une année abondante comme 1990 et même à Saint-Estèphe, où l’argile des sols permet des rendements parmi les plus confortables et réguliers du Médoc. Bruno Prats était encore copropriétaire et directeur de ce cru célèbre, voisin immédiat de Lafite. Technicien remarquable, il était à l’avant-garde de l’œnologie, ce que les idiots de service lui reprochaient évidemment. En dehors du caractère puissant et racé que donne son grand terroir, ce vin a bénéficié d’une rigueur dans le contrôle microbiologique pendant les vinifications qui lui a permis d’éviter les déviations animales, liées aux levures Brettanomyces, que tous ses voisins attribuaient au terroir. On a ainsi la dimension de corps de l’année, la complexité d’un vieillissement d’un bon quart de siècle et une pureté de saveur exemplaire. Le terroir sans l’intelligence humaine n’est rien. Mais sans grand terroir, tout le savoir humain ne peut faire de miracles. M.B.

Château Ducru-Beaucaillou 2009, saint-julien
J’ai toujours suivi avec beaucoup d’intérêt et de plaisir la vie de ce cru hors norme, incarné par l’attachante famille Borie depuis plus de quatre-vingts ans. Dès 2003, le premier millésime dont il a eu la charge, Bruno Borie lui a apporté une nouvelle dimension qui a frappé les palais comme les esprits. On l’attendait au tournant du millésime glorieux et généreux que constitue 2009 et, dès les premières dégustations, le vin a démontré un immense potentiel. Lors de sa dégustation à Paris, il révéla une maturité de constitution, une ampleur veloutée et fraîche qui développent un pouvoir de séduction unique. Ce grand seigneur si parfaitement incarné par son flamboyant propriétaire avance avec une simplicité médocaine et un naturel de constitution aristocratique et épanoui. T.D.

Château Gillette 1990, sauternes
Poussé peut être par la mévente des sauternes autant que par une intuition géniale, le père de Julie Gonet-Médeville, qui présenta avec nous ce vin aussi singulier qu’exceptionnel, avait eu l’heureuse idée de conserver vingt ans en cuve les sauternes de ce petit cru merveilleux de Preignac. Quand nous avons dégusté ce 1990, la jeunesse de ses arômes, sa couleur, étaient éclatantes. Vingt ans d’élevage n’avaient fait que renforcer son intensité et sa personnalité. Onctueux et velouté, frais, pur et élancé, cet éternel jeune homme semblait parti pour une jeunesse infinie. L’ayant dégusté récemment, je peux confirmer que celle-ci se poursuit. T.D.

E. Guigal, La Mouline 2009, côte-rôtie
En 1966, je crois, Etienne Guigal achète à une vigneronne d’Ampuis une jolie vigne dans le bas du secteur de la côte Blonde, sur une parcelle au nom ingrat, La Grosse Roche, dont le vin était vendu sous la marque de Mouline, créée par elle. Ce bas très pentu exige une culture en terrasses et l’ensoleillement y est le plus intense de l’appellation, comme on le voit à la fonte précoce des premières neiges. Le sol permet d’associer de vieilles serines et une petite proportion (aujourd’hui un peu plus de 10 %) de viognier, qui donnent au bouquet un parfum floral inoubliable. Chez Guigal, on vendange aussi tard que possible pour une maturité optimale. On égrappe peu le fruit de cette parcelle et on l’élève longtemps en barrique, souvent quarante-huit mois. Le vin naît avec une plénitude et une sensualité uniques, plébiscitées par un public international vraiment amoureux du cru. Comme il n’y a que 6 à 7 000 bouteilles produites, un peu comme à la Romanée-Conti, cela fait naître toujours un peu de frustration. Ce ne fut pas le cas pour le public du Grand Tasting, bien chanceux avec cet étonnant 2009 possédant au plus haut degré tout le caractère de ce premier « la » des « la la la » historiques de la maison. On en annonce d’ailleurs un quatrième pour bientôt. M.B.

Famille Hugel Père et fils, riesling Sélection de grains nobles 1989, alsace
Le cahier des charges de l’appellation alsace Sélection de grains nobles fut voulu par Jean Hugel et rédigé selon ses instructions, avec une obligation de vendanger grain par grain, avec une richesse en sucre initiale des raisins différente d’un cépage à l’autre (d’ailleurs augmentée pour correspondre au réchauffement climatique et au perfectionnisme des bons producteurs). La maison en produisait bien avant la création du décret. Il n’est pas étonnant qu’elle en maîtrise le style avec une régularité constante. Spécialement avec le cépage riesling sur le grand cru Schoenenbourg, qu’elle s’entête à ne pas revendiquer. Elle y possède de nombreuses parcelles sur plusieurs étages et sait choisir celles qui obtiennent le plus beau botrytis. L’exposition un peu en retrait du cru, plus tardif que d’autres et plus capteur de l’humidité matinale, favorise le développement incroyable du potentiel aromatique du raisin, de sa richesse en sucre, tout en maintenant une fraîcheur dans la liqueur qui le font admirer de tous les amoureux des grands vins liquoreux. Ce 1989 est sans doute le vin le plus accompli depuis 1976 et dans une forme glorieuse. M.B.

Laurent-Perrier, Réserve Grand Siècle n°17 (en jéroboam)
Grand Siècle est un assemblage savant et spirituel de trois années, avec toujours une dominante de la plus jeune. Chaque itération (nom donné par la maison à chaque série de millésimes) démontre l’incomparable talent de cet assemblage. Le brillant et complet 1995, le méconnu mais remarquable 1993 et l’éblouissant 1990 ont composé ici un trio formidablement expressif, d’une élégance juvénile et persistante. La générosité de la famille de Nonancourt, qui nous permit de déguster ce vin en jéroboam, a ajouté une dimension d’émotion et d’éblouissement qui demeure dans les mémoires. T.D.

Château Léoville Las Cases 1996, saint-julien
En Médoc, les années en six sont en général favorables à la maturité plus tardive des cabernet-sauvignon. Un été indien peaufine l’évolution des peaux et des pépins et permet d’obtenir dans les vins finis une qualité exemplaire du tannin. L’enclos de 50 hectares, qui chaque jour salue son vis-à-vis Latour, possède une grande proportion de vieux cabernet-sauvignon, plantés sur les meilleurs porte-greffe et cultivés avec intelligence. Le grand vin de Léoville est produit exclusivement sur ce terroir privilégié. Son microclimat de bord de Gironde aide encore à la lenteur et à la beauté de l’évolution du raisin, en maintenant entre le jour et la nuit une combinaison idéalement complémentaire de chaleur. Le bouquet magique de ce 1996 enrobe les notes de cèdre et de tabac havane, qui font le charme des vins de Saint-Julien nord et Pauillac sud, de réglisse et de senteurs océaniques uniques, avec un raffinement de texture idéal. Ce qui clouera le bec à ceux qui pensent qu’il n’y a pas de vrai terroir en Médoc. M.B.

Château Mont-Redon 1967, châteauneuf-du-pape
Propriété mythique s’il en est, Mont-Redon tire son nom de ce fameux plateau de galets roulés qui illustre si souvent l’appellation châteauneuf-du-pape. Longtemps, et c’était le cas en 1967, la propriété n’a produit qu’un seul vin qui porte le nom du château. Plus que d’autres, Mont-Redon est une expression de Châteauneuf fondée sur l’élégance de texture et sur l’équilibre en bouche plus que sur la puissance et le degré d’alcool. Ce 1967 conserve une intensité et une profondeur, mais aussi une fraîcheur qui en font un grand vin de pleine maturité. La générosité de Pierre Fabre, l’actuel représentant de la famille propriétaire, a permis de partager ces flacons rares et précieux avec un auditoire passionné. T.D.

Clos du Mont-Olivet 1978, châteauneuf-du-pape
L’un de mes premiers grands souvenirs avec les vins de Châteauneuf-du-Pape reste ce clos-du-mont-olivet 1978, en magnum, que l’on pouvait acheter (pas très cher) à la cave Reflets au cœur du village. Cette année, particulièrement réussie dans une décennie compliquée, possède le caractère à la fois chaleureux et racé des vins de la propriété, avec une structure tannique brillante et intense, mais aussi une générosité de saveur et une élégance de texture rares. J’ai souvent dégusté ce 1978 au cours des années 1980 et 1990. Le retrouver au Grand Tasting près d’un demi-siècle après sa naissance, démontrant une vigueur et une profondeur inentamées, constitua un grand moment. T.D.

Château Montrose 2003, saint-estèphe
Dans cette année fameuse de canicule, et non de sécheresse puisqu’il y eut au printemps ce qu’il fallait de pluies, Bordeaux a connu deux millésimes. Celui du « pin grillé », comme le surnomme Jacques Thienpont avec un bel humour, avec des merlots asséchés par six semaines de canicule et les vendanges les plus précoces depuis 1893 après les bonnes pluies de fin août et des deux premières semaines de septembre. Entre ces pluies, un soleil radieux pour les cabernet-sauvignon médocains, particulièrement sur les graves argileuses de Pauillac et de Saint-Estèphe. Grande vendange comparable à 1947 ou 1949. Montrose a bénéficié de cette chance et a veillé à la pureté aromatique du vin fini, malgré les acidités basses, justement échaudé par ce qui lui était arrivé avec son millésime 1990, pourtant triomphalement accueilli par la critique peu sensible à la chose. Le vin possède au plus haut niveau ce qu’on attend de ce cru : l’intensité du tannin, l’équilibre parfait du corps, l’ampleur du bouquet et ce petit quelque chose qui fait que l’on ressent le caractère unique donné par la climatologie de l’année. M.B.

Quinta do Noval, Nacional Vintage 1994, Porto
Nacional est un mythe. L’une des rares vignes pré-phylloxériques ayant résisté à cette invasion européenne de la fin du XIXe siècle. Ce vignoble installé en terrasse, qui fait face à une belle quinta qui domine la vallée du Douro, sur les hauteurs de Pinhão, est d’abord un souvenir extraordinaire pour ceux, dont je fais partie, qui ont eu la chance de visiter cet endroit et même d’y rester quelques heures. Vient ensuite la force des grands vintages du Douro. 1994 est un millésime légendaire, taillé pour vieillir largement un demi-siècle au moins avec une vigueur, une intensité et une profondeur sans pareil. Vin unique par sa dimension de finesse et de fougue qui n’appartient qu’à lui. Le bonheur de le partager rend le moment inoubliable. T.D.

Château Pavie 1999, saint-émilion grand cru
Tout dans la dégustation de ce vin renvoie bien sûr aux débuts extraordinairement brillants de Gérard Perse à Pavie, qu’il avait acquis un an plus tôt seulement. Dévoué corps et âme à sa viticulture et à ses crus, Perse étonna le monde avec un 1999 qui aujourd’hui encore n’impressionne pas seulement par son intense constitution, mais aussi par sa race, son élégance et son équilibre brillant. Bousculant les habitudes de l’époque, Perse et Pavie ravissaient les uns et troublaient les autres. Vingt ans plus tard, Pavie 1999 démontre avec classe que le travail de Gérard Perse ne faisait que révéler l’extraordinaire grandeur de son terroir. T.D.

Dom Pérignon, P2 Rosé 1995
Servi en magnum et raconté avec verve par son créateur Richard Geoffroy, à l’époque chef de cave de la maison, ce plénitude témoigna ce jour-là du magnifique éclat des rosés propre aux champagnes de la maison et de sa réussite spectaculaire dans ce millésime 1995. Élégant, aérien, complexe au nez, le vin révèle une saveur en bouche d’une richesse foisonnante. Malgré cette luxuriance d’arômes et de saveurs, sa fraîcheur demeure absolument unique. C’est une représentation quasi idéale du grand champagne spirituel. T.D.

Promontory 2012, Napa Valley
Bien avant de le présenter au Grand Tasting, nous avions dégusté ce vin à l’aveugle et sans le connaître préalablement. L’extraordinaire association de puissance et de finesse qu’il dégageait ainsi que l’impression aussi étonnante de déguster un grand vin comme on n’en avait jamais bu auparavant demeurent uniques. Création de la brillante famille Harlan, également créatrice du vin culte Harlan Estate, ce promontory est né sur les coteaux de schistes et d’ardoise qui enserrent la Napa Valley. Nous sommes fiers d’avoir fait découvrir au public français ce cru la fois extrême et civilisé, transmettant une inédite impression de dégustation. T.D.

Taittinger, Comtes de Champagne 1995
Comtes est une cuvée qui sait conjuguer deux notions rarement compatibles : celle du plaisir et celle de la complexité. Le plaisir de la dégustation, le ravissement de son bouquet, l’allégresse joyeuse de la bouche, la profondeur distinguée et veloutée et la parfaite fraîcheur finale s’y associent avec une diversité de nuances aromatiques florales, fruitées, minérales, une persistance longue et une spiritualité formidable de cette grande expression de la côte des Blancs. En révélant au vieillissement une distinction unique, la cuvée brille ici dans un grand millésime onctueux et profond, parfaitement épanoui. La déguster est toujours un moment revigorant, plein d’énergie, en particulier lorsqu’on le fait en compagnie de la famille qui lui a donné son nom et son destin. Elle sait en parler, avec éloquence et gaieté. T.D.

Vega Sicilia, El Unico 1994, Ribera del Duero
Chacun connaît le prestige unique de Vega Sicilia, cet incroyable cru de la vallée du Duero, en Espagne, repris par la famille Alvarez il y a maintenant plus de quarante ans. Son élevage, la puissance de ce terroir, ses vignes de cabernet-sauvignon et de tempranillo vinifiées dans des cuves de bois avant un séjour de plusieurs années dans des contenants en bois de taille et de nature différentes, puis en bouteilles avant une mise dans le commerce au minimum dix ans après la récolte, font de El Unico un vin d’une profondeur et d’une puissance inégalées. Il possède aussi une capacité à exprimer une palette aromatique riche et nuancée ainsi qu’une qualité de texture tannique d’une incomparable finesse. Si nous avons plusieurs fois présenté le domaine au public parisien, ce 1994 constitue un souvenir formidable de singularité et de personnalité. T.D.

Château d’Yquem 1949, sauternes
Au-delà d’un vin, c’est un lieu, un moment, une ambiance, une atmosphère, une pérennité extraordinaire que l’on déguste. Quand on se retrouve face à un tel monument, de surcroît dans un millésime aussi légendaire, on est à la fois impressionné, excité et subjugué. Le plus formidable est que la réponse correspond exactement à ce que l’on en attend. Richesse, onctuosité, nuances complexes de parfums éblouissants et interminables, d’une telle persistance en bouche que longtemps après, on se souvient de sa saveur et de ses arômes. Faire déguster un tel vin avec Pierre Lurton, le directeur du cru, et Sandrine Garbay, à l’époque en charge de la propriété, devant un public de grands amateurs, accentue encore l’émotion. Avec cette générosité du partage, sa dimension de complexité et de diversité nous envahit tous au même instant. T.D.

Photos : Fabrice Leseigneur

Michel Dovaz, une lumière du vin s’éteint

J’apprends avec une profonde tristesse le décès de Michel Dovaz. Je lui dois beaucoup et certainement le commencement d’une seconde vie professionnelle consacrée à l’univers du vin. Il était l’un des derniers acteurs survivants du fameux « jugement de Paris » de 1976 et de la large victoire des vins américains sur les vins français. Il fut en 1977 mon professeur de dégustation à l’école créée par son ami Steven Spurrier. Mon parcours personnel l’amusait. Sa personnalité faisait mon étonnement et mon admiration. Né dans une famille intellectuelle et libérale de la Suisse romande, sa culture était impressionnante et variée, aussi bien sur des sujets historiques, politiques, philosophiques – il était un voltairien convaincu – automobiles et jazzistique.

Formé à l’école polytechnique de Zurich, il n’ignorait rien de la mécanique non pas horlogère mais automobile et collectionnait les voitures remarquables sur ce critère. Il savait fouiller dans leurs moteurs même s’il les laissait se rouiller dans son vaste garage de Villemaréchal. Il avait même participé aux Mille Miles, l’une des courses les plus célèbres du monde, avec l’un des bolides de Fangio dont il était propriétaire. Il se passionnait pour les concerts de bon jazz avec ses amis suisses. « Castellomaniaque », il était incollable sur la plupart des châteaux privés ou publics de France, de Suisse ou d’Italie qu’il visitait à bord d’une de ses voitures de collection. Il avait logé Jean-Luc Godard lors de sa première venue en France dans le « garage littéraire » dont il était actionnaire et où l’on parlait alternativement mécanique, cinéma, jazz et littérature. Sauf erreur de ma part, je crois d’ailleurs que le grand cinéaste s’en est inspiré au début de Pierrot le Fou.

C’est dans le domaine du vin qu’il aura laissé la plus grande trace. Avant de le connaître comme professeur, j’avais lu ses livres et étais impressionné par la précision factuelle et presque chirurgicale de son style qui contrastait avec la boursouflure ampoulée propre à la tradition française du genre. C’est avec une même précision et par la recherche de l’exactitude dans la connaissance des faits qu’il cherchait à transmettre dans son enseignement.

En 1981, nous rencontrions tous les deux Chantal Lecouty qui venait de racheter une Revue du vin de France moribonde. Elle apprenait à déguster à l’école de Steven Spurrier et nous demanda de venir l’aider à remonter le contenu et la diffusion de la revue. Je pense que Michel et moi-même y avons plutôt réussi, particulièrement avec l’arrivée de Thierry Desseauve en 1989. Dès 1993, Michel avait progressivement cessé de participer à nos dégustations. Il était en charge de toute la Champagne dans le Guide Hachette et s’occupait aussi brillamment de la rubrique livre où ses comptes-rendus cinglants savaient parfaitement reconnaître la compétence dans une marée de prétention ou d’inculture. Il me manquera.

Ses parents et son frère Claude ne sont plus de ce monde mais je tiens à transmettre à son ancienne compagne Muriel de Potex avec laquelle Thierry Desseauve et moi-même avons longtemps collaboré ma sympathie dans ce moment difficile.

Photo : Mathieu Garçon