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Philippe Blanc, monsieur Parfait

Photo : Mathieu Garçon.

Retrouvez cet article dans En Magnum #38. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Pour sa trentième vendange, la météo n’a pas fait de cadeau à Philippe Blanc. Globalement exécrable jusqu’aux vendanges, le climat océanique s’est rappelé avec fracas au bon souvenir des vignerons bordelais après plusieurs années de beau temps et de soleil. Lucide et honnête, l’homme qui dirige ce cru classé en 1855 sait bien que le millésime ne sera pas celui du siècle. Mais il n’empêchera pas les saint-julien de cette propriété sublime de continuer à occuper une place de choix dans les caves des amateurs de vins fins de Bordeaux grâce au travail mis en place ici depuis le début des années 2000. Acquis en partie (avec l’assureur GMF) en 1986 par Suntory, l’une des principales sociétés japonaises de spiritueux, rejoint au capital par le groupe Castel en 2011, Beychevelle a traversé l’histoire au gré des différentes familles qui se le transmirent, des comtes de Foix-Candale au Moyen-Âge jusqu’aux Achille-Fould à la fin du XIXe siècle, qui en accrurent considérablement le prestige.

Une identité forte
Le terroir de Beychevelle, qui s’étend sur 250 hectares, dont 90 de vignes, est posé sur deux plateaux de graves garonnaises capables de restituer au cours de la nuit la chaleur des journées chaudes. Il est planté depuis longtemps avec une forte proportion de merlot (40 %), ce qui est assez rare dans le Médoc où le cabernet-sauvignon est roi. Plus étonnant, ces merlots sont plantés sur les meilleures croupes de graves, propices aux cabernets. Leurs excellents résultats sur ce terroir ont toujours incité les équipes techniques de la propriété à ne pas les arracher, même si Philippe Blanc reconnaît qu’elles ne les renouvelleront sans doute pas quand leur heure viendra. Tout au long de son mandat (en cours), Philippe Blanc a contribué à faire de Beychevelle un saint-julien de grande classe autant qu’une marque forte sur la place de Bordeaux. Sous son impulsion, le nouveau cuvier réalisé en 2016 par Arnaud Boulain a permis la mise en place d’un travail de vinification sur mesure, adapté à chaque parcelle identifiée dans le vignoble et capable de prendre en compte les écarts de maturité entre elles. Innovant pour l’époque, il répond aux enjeux énergétiques actuels puisque son design et sa structure semi-enterrée permettent de réguler naturellement la température intérieure. C’est dans cet écrin ultra précis que naissent le grand vin, et son second, Amiral, issu d’un vignoble distinct et rigoureusement sélectionné.

Seul compte le travail
Les deux vins, médocains par leur sève, leur race et leur fraîcheur, séduisent aussi par la finesse aromatique florale (violette, rose, pivoine, etc.) dont ils font preuve dans leur jeunesse. Modernes en cela, ils portent pourtant en eux les facultés de garde des meilleurs vins de la rive gauche, prompts à émouvoir pendant des décennies. La propriété cultive cette spécificité avec une collection d’anciens millésimes, pour certains vieux d’un siècle au moins. Performants sur les marchés, notamment en primeur, les vins de Beychevelle sont aussi un modèle commercial à suivre. Deux raisons peuvent expliquer ce succès : une politique tarifaire encore abordable pour cette catégorie (moins de 150 euros TTC la bouteille du grand vin dans le millésime 2020) et une visibilité renforcée par la création d’une offre œnotouristique pour les particuliers comme les professionnels, « ni hôtel, ni chambre d’hôte, mais maison de famille », notamment La Table de Beychevelle. « Les sorties primeur témoignent de notre succès : 12 euros en 1995 et 56 euros en 2022. Toutes nos campagnes ont été des réussites incontestées », constate Philippe Blanc avec son humilité naturelle. Pas question de prendre de grands airs. Il sait que Romain Ducolomb, le directeur technique qui l’accompagne, a fort à faire pour maintenir ce niveau d’excellence. Avant de partir un jour à la retraite, Philippe Blanc a encore des projets, création d’un vin blanc, agroécologie, réduction de l’empreinte carbone, réévaluation de la quantité de barriques neuves, maîtrise des datas, etc. « L’intelligence artificielle pourrait bouleverser les méthodes actuelles, et il sera difficile d’y échapper », anticipe-t-il. Prendre de l’avance, voilà comment résumer les trente vendanges de ce passionné de sport, marathonien accompli, aussi intransigeant et exigeant que jovial et accessible. Trente ans et soixante pays parcourus pour faire briller le style intemporel des vins de Beychevelle, l’élégance des vins de Bordeaux et cette flamme qui brûle en lui, sans faiblir. Qui peut se flatter d’avoir pareil bilan ?

Aberlour, l’étoile du Speyside

Photos : Mathieu Garçon.

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Nichée au cœur du Speyside, la région emblématique de l’industrie du whisky écossais, la distillerie Aberlour s’est imposée comme une référence de sa catégorie dans l’esprit des amateurs. Parvenir à ce niveau de reconnaissance n’aura pourtant pas été un long fleuve tranquille pour cette maison qui doit son existence à la vision de James Fleming, un entrepreneur philanthrope et visionnaire. L’homme rêve de produire un whisky de qualité tout en participant au développement de sa région. Il comprend rapidement qu’il n’y a pas de grand single malt sans avoir à disposition une eau douce, fraîche et limpide, comme celle qui ruisselle dans les collines du mont Ben Rinnes jusqu’à la rivière Lour, près de laquelle il installe sa distillerie. Cette source d’eau pure est idéale pour la production de whisky. Un incendie dévastateur ravage les installations en 1898. Et la reconstruction partielle de la distillerie lui fait sans doute prendre conscience de la fragilité de la nature sauvage dans laquelle elle s’inscrit.

Le mont Ben Rinnes.

S’engager pour la nature
Pour la protéger activement, Aberlour a depuis adopté des pratiques durables à chaque étape de sa production, organisant une gestion responsable de ses ressources naturelles, en particulier l’eau et l’orge. Utilisée lors du processus de distillation et aujourd’hui purifiée à l’aide d’une technique de micro-filtration biologique et mécanique, l’eau a toujours été au centre de toutes les attentions d’Aberlour, conformément à l’impératif de James Fleming : « Une fois l’eau purifiée, elle est immédiatement restituée à la rivière d’où elle provient ». Le fondateur souhaitait que l’orge nécessaire à la fabrication des single malts soit « cultivée et récoltée localement, au cœur du Speyside ». Aujourd’hui, Aberlour collabore étroitement avec les producteurs d’orge de la région, mais aussi en collaboration avec la Scottish Whisky Association, dans le but d’améliorer les pratiques agricoles et d’installer des méthodes durables. La distillerie s’est engagée à réduire son empreinte carbone en adoptant une gestion éco-responsable de l’énergie dont elle a besoin et des déchets qu’elle génère. Elle privilégie ainsi désormais le recours à une électricité produite par des énergies renouvelables (hydraulique et éolienne). Une démarche vertueuse où les nouvelles technologies sont mises à contribution. Un projet permettra bientôt la mise en place d’un procédé novateur de recompression mécanique des vapeurs (MVR) afin de les récupérer et de les revaloriser, notamment pour chauffer les alambics lors de la distillation. Toujours dans ce souci de protéger son environnement, Aberlour s’est également investie dans des projets locaux de conservation et de reboisement du secteur.

La rivière Lour, près de laquelle est installée la distillerie. Cette source d’eau pure est idéale pour la production de whisky.

Un style riche et complexe
Actuel master distiller d’Aberlour, Graeme Cruickshank a donné une touche personnelle et très contemporaine au style classique des whiskys de la maison, sans changer la tradition d’excellence à l’œuvre ici depuis toujours. Exigeant et précis, il rappelle que « l’attention portée aux détails est primordiale, de la sélection des fûts jusqu’au contrôle de chaque étape de production. Chaque whisky est le fruit d’un équilibre subtil entre tradition et innovation ». Fruité caractéristique, richesse aromatique, profondeur et intensité, les qualités distinctives des whiskys Aberlour sont aussi dues en grande partie à leur vieillissement en fûts de chêne ayant contenu à la fois du sherry Oloroso et du bourbon. Une double spécificité qui leur confère une complexité unique, mariant notes de fruits secs, de chocolat, d’épices et de caramel. Large, la gamme de whiskys proposée par la maison s’adresse aux débutants comme aux connaisseurs exigeants. Parmi les références, le 12 ans d’âge accessible et équilibré est une bonne introduction au style de la distillerie, tandis que les 16 et 18 ans d’âge, complexes, séduisent par leur richesse et leur profondeur.

Les alambics utilisés par Aberlour sont inhabituellement larges à la base et s’affinent vers le haut comme un col de cygne. Ils contribuent à façonner le style unique de ses whiskys.

La dégustation
A’Bunadh, l’esprit Aberlour
C’est sans doute le whisky qui incarne le mieux l’esprit d’Aberlour. Non filtré à froid et embouteillé brut de fût, il s’adresse aux amateurs en quête de malts vieillis en fûts de sherry. Robuste et puissant, son taux d’alcool est souvent supérieur à 60 % en raison de sa méthode d’élaboration traditionnelle. Aberlour partage aussi certains des trésors qui dorment dans ses chais (voir ci-dessous pour le dernier en date).
77 euros

Small Batch 17 ans, single time
Dernière exclusivité proposée par Aberlour (seulement 432 bouteilles pour la France), ce Small Batch 17 ans est élaboré à partir d’une orge fraîchement sélectionnée dans
un périmètre de 24 kilomètres autour de la distillerie et d’une eau pure provenant de la source de Birkenbush. Ce single malt non filtré à froid résulte d’un assemblage minutieux de fûts de chêne américain de premier remplissage (42,6 %) et de fûts de sherry (57,4 %), embouteillé à la force du fût à 58,8 %. Le résultat : une richesse remarquable mêlant douceur, notes d’agrumes et épices et un équilibre parfait de saveurs témoignant du savoir-faire de la maison. Sa double maturation, en fûts de sherry et de bourbon, est la signature de la marque.
225 euros

En haut de la colline

Photo : Mathieu Garçon.

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L’histoire commence avec un splendide parcellaire, près de 29 hectares, dont 22 hectares en propriété, légués par Louis Gambert de Loche, fondateur et premier président de la cave. Tous les quartiers de la colline sont représentés, les plus reconnus (Bessards, Méal, Ermite, Maison Blanche, Greffieux, Rocoules) comme d’autres (Les Murets, L’Homme, La Croix, Torras, Les Signaux, Dionnières ou Petite Pierrelle), ce qui constitue certainement la palette la plus vaste à disposition d’un producteur de vins de cette appellation. À l’initiative de Daniel Brissot, l’ancien responsable du vignoble (également coopérateur), aujourd’hui à la retraite, les rouges sont en bio depuis 2012. Pour les blancs, la conversion a été lancée à l’hiver 2023. La vendange manuelle est effectuée à l’aide de petites caisses avant d’être tout de suite prise en charge dans le centre de vinification situé au pied des vignes. Au troisième étage de celui-ci, une nouvelle cuverie opérationnelle depuis la vendange 2014 et rendue possible par l’extension du site décidée par Xavier Gomart, l’ancien directeur général de la cave, permet désormais de tout vinifier séparément. Auparavant, même si le travail à la vigne était soigné, le nombre de cuves était insuffisant pour élaborer les cinq cuvées d’hermitage rouge. Aujourd’hui, Xavier Frouin, le chef d’orchestre en cave depuis 2005, vinifie une vingtaine de cuves d’hermitage (treize en rouge et sept en blanc) à chaque millésime. Après une sélection du raisin par tri optique, les cuves sont remplies par gravité, pour une macération de 25 à 30 jours en cuve béton. Jus de goutte et jus de presse sont séparés et les seconds sont parfois réincorporés, ce qui ne fut pas le cas lors des millésimes 2022 ou 2023. Les vins sont entonnés dans des pièces de 228 litres ou de 400 litres (bois neufs ou bois jusqu’à sept ans). Un premier soutirage à la sortie du premier hiver évacue les lies issues de la fermentation malolactique, puis les vins sont à nouveau entonnés pour douze mois supplémentaires, rifflés (c’est-à-dire bonde sur le côté). Les assemblages ont lieu au second printemps, pour une mise en bouteille début juillet. Les assemblages des hermitages rouges (Nobles Rives, Exploration, Gambert de Loche ou Epsilon) se décident en une journée, après dégustation des vins à l’aveugle. Xavier Frouin précise : « Sur la paillasse, je ne veux pas connaître le nom des terroirs, même si ce sont souvent les mêmes qui ressortent. On met de côté le travail qu’on a pu faire en élevage, en cave, afin de toujours revenir aux origines des terroirs ». Si la cuvée Nobles Rives rouge représente, en moyenne, 250 à 300 hectolitres (soit 40 000 bouteilles), la sélection Gambert de Loche est bien plus restreinte (environ 8 000 cols). Née en 1992, la cuvée n’est pas produite chaque année et manquent ainsi à l’appel les millésimes 2002, 2008, 2012, 2014, 2017 et 2021. Au sommet de la gamme, la cuvée Epsilon, née en 2004, est encore plus confidentielle avec seulement 1 400 à 1 500 bouteilles lorsqu’elle est produite. Tous les derniers millésimes dégustés illustrent de manière spectaculaire les progrès réalisés par la cave. Au-delà de l’implication des équipes et des investissements consentis, l’évolution du climat a certainement aussi joué un rôle.

La dégustation
Gambert de Loche 2020
Xavier Frouin : « 2020, c’était chaud, heureusement qu’on avait les parties granitiques (43 % d’Ermite). Le vin affiche 14,8 degrés, ce qui commence à être assez élevé pour un hermitage. »
Du corps et du raffinement avec un tannin d’une grande délicatesse. Le fruité noir reste frais et équilibre bien une pointe d’alcool en fin de bouche. Un vin harmonieux, même
dans ce millésime chaud qui lui donne une finale presque sucrante.
95/100

Gambert de Loche 2019
X. F. : « En 2019, les pellicules étaient un peu plus épaisses. »
Nez puisant et intense (encre, poivres, touche de camphre). Toucher velouté en bouche avec plus de fraîcheur que ne le laissent supposer les arômes. Le tannin n’est pas aussi magnifiquement ourlé qu’en 2020, en raison sans doute d’un petit blocage de maturité.
93/100

Gambert de Loche 2018
Fruité gourmand, plus sur les fruits rouges que les fruits noirs, ce qui traduit un basculement par rapport à la haute maturité du millésime 2019. Plus souple en bouche, mais affichant tout de même un bel équilibre glissant.
91/100

Gambert de Loche 2016
X. F. : « J’avoue que j’ai quelques regrets quant à cette cuvée dans ce millésime. Dans les millésimes compliqués, Epsilon ou Gambert, on peut toujours le faire. Mais il ne faut pas oublier nos autres hermitages plus abordables. »
Il a bien évolué en bouteille et affiche un registre légèrement animal avec des tannins plutôt caressants et une finale sur l’encre. Mille bouteilles seulement puisqu’il fallait renforcer la qualité de la cuvée Nobles Rives.
93/100

Gambert de Loche 2015
X. F. : « On avait fait un assemblage assez complexe de 20 000 cols, ce qui est une performance à ce niveau de qualité. »
Sur un registre aromatique d’évolution (fruits secs, écorce de pin, balsamique). Tannins caressants et une sève gourmande qui glisse en bouche, avec un peu de chaleur en finale mais sans excès.
94/100

Gambert de Loche 2010
X. F. : « 2010 est un de ces millésimes assez tardifs avec une belle maturité. »
La robe commence à tuiler. Parfums sur un registre tertiaire, fruits noirs, réglisse, tabac, en bouche avec des tannins caressants. La finale harmonieuse prolonge cette sensation d’élégance, tout en fraîcheur. Dans ce millésime tardif, le génie de l’Hermitage s’exprime dans le verre.
94/100

Gambert de Loche 2005
X. F. : « C’est mon premier millésime. À l’époque, on vinifiait deux cuves, pour se donner une possibilité d’assemblage. »
Le nez est un peu évolué, avec des nuances camphrées et végétales, la bouche manque un peu de fond. Pas au niveau des réussites récentes de la cave, mais à l’époque, l’outil ne permettait certainement pas d’aller plus loin.
89/100

Gambert de Loche 2000
X. F. : « Je n’ai pas vinifié ce millésime, mais en termes d’acidité, je pense qu’il y avait ce qu’il fallait. Vingt-quatre ans plus tard, le vin a super bien tenu. »
Robe tuilée, acajou. Les arômes sont gourmands (pruneau, raisin sec, viande fumée), les tannins glissent en bouche, la longueur n’est pas inoubliable, mais le charme demeure. La finale est sur des nuances de menthol rafraîchissantes qu’on ne retrouve pas sur d’autres millésimes plus récents.
93/100

Ludovic du Plessis : « Le vin est bon si la terre est belle »

Photo : Céline Bregand.

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Propos recueillis par Valentine Sled

Comment a débuté votre histoire avec la Champagne ?
J’ai débuté ma carrière dans le monde des cigares. Il m’a permis de découvrir celui du champagne lors d’une dégustation d’un cigare Trinidad en accord avec une cuvée de Dom Pérignon. Richard Geoffroy, le chef de cave à cette époque, était présent pour cet événement. Je suis tombé amoureux de l’homme et de sa vision. J’ai démissionné pour travailler avec lui et je suis devenu responsable marketing France de la maison trois mois plus tard. J’y ai travaillé pendant dix ans, dont cinq aux États-Unis. On m’a ensuite proposé de m’occuper du cognac Louis XIII de Rémi Cointreau. J’y ai passé quelques années, mais l’envie de revenir vers le champagne m’a rattrapé.

Pourquoi Telmont ?
En 2019, j’ai eu envie de devenir moi-même entrepreneur, en cherchant à acheter une maison de champagne. Mais pas n’importe laquelle, le projet devait répondre à quatre critères primordiaux. D’abord, avoir une histoire. Telmont est née en 1912 à la suite de la révolution des petits vignerons de Champagne de 1911. Ensuite, je voulais un family business, une entreprise marquée par un héritage familial. Bertrand Lhopital, mon associé chez Telmont, est le représentant de la quatrième génération de la famille fondatrice de cette maison-domaine. Il fallait aussi de très bons vins et la bulle aérienne et le style minéral de Telmont m’ont tout de suite conquis. Enfin, je recherchais une maison en cours de conversion bio, pour donner du sens à mon projet. Et c’était quasiment impossible dans un contexte où la Champagne n’avait que 5 % de ses vignes certifiées bio à l’époque.

Comment s’est structuré ce projet ?
J’ai convaincu Bertrand de s’associer avec moi, puis j’ai présenté le projet à Rémi Cointreau qui a tout de suite été séduit, surtout par la volonté de ne faire aucun compromis environnemental. Début 2020, nous étions donc trois actionnaires, dont Rémi Cointreau, majoritaire. En 2022, j’ai proposé à mon ami Leonardo di Caprio, que j’ai rencontré il y a quinze ans à Los Angeles, de rejoindre le projet. Nos échanges sur la question environnementale ont toujours été très intéressants, c’est d’ailleurs lui qui m’y a initié. Il m’a paru évident de lui parler de Telmont car il est devenu l’une des figures les plus influentes sur le sujet du réchauffement climatique via sa fondation Rewild, avec laquelle il lève des millions. Il a adhéré au projet et il est ainsi devenu le quatrième partenaire.

Certains ont vu dans ce rapprochement avec la star hollywoodienne une opération de communication. Était-ce le cas ?
Absolument pas. Telmont est tout sauf le champagne de la célébrité. Leonardo n’est pas le visage de la marque, c’est un investisseur, et son engagement envers le climat a du sens pour nous. Mais tout cela n’a d’importance que si le vin est bon. Et Telmont, pour moi, fait partie des meilleurs champagnes au monde. Je peux l’affirmer après avoir passé dix ans chez Dom Pérignon.

Comment définiriez-vous le style Telmont ?
Ce sont des champagnes très peu dosés, avec une belle tension, tout en ayant de la matière. On le doit à notre choix de privilégier le chardonnay pour sa minéralité et le meunier pour son fruit, en intégrant un peu de pinot noir, surtout de premiers crus, pour donner de l’envergure et de la profondeur. Les bulles sont extrêmement délicates, elles donnent cette légèreté aérienne au vin. Nous poussons aussi les vieillissements, au minimum trois ans, pour aller chercher de la gourmandise là où on évite le surdosage. Je suis particulièrement fier de notre cuvée Réserve de la Terre, certifiée bio. La démarche est assez similaire à celle qui donne notre brut classique, avec une majorité de pinot meunier dans l’assemblage et une recherche de terroirs qualitatifs, notamment à Damery, fief historique de la maison. Ce vin est vivant, lumineux, énergique. Je l’appelle le happy wine, il est pour moi le futur de Telmont. L’année dernière, on en a produit environ 65 000 bouteilles et plus de 200 000 cette année.

La conversion au bio est donc déjà bien engagée. Où en êtes-vous ?
Les 26 hectares de Telmont sont déjà certifiés ou en conversion. Nous travaillons avec des partenaires sur environ 65 hectares répartis sur différents terroirs de Champagne, dont une bonne partie nous ont suivi dans ce projet. Sur ce total de 92 hectares, nous pouvons affirmer aujourd’hui que près de 70 % sont en voie d’être certifiés et que seulement 30 % restent en conventionnel. Au niveau de nos cuvées, sur un total de 650 000 bouteilles, plus de la moitié sont bio aujourd’hui.

Et un peu plus que ça, même.
Nous avons décidé de supprimer les coffrets cadeaux, d’arrêter l’utilisation de bouteilles transparentes au profit de bouteilles vertes 100 % recyclables, issues à 85 % de verre recyclé, plus légères que les bouteilles classiques champenoises, de nous approvisionner intégralement en énergie renouvelable et de nous tourner vers des modalités d’expédition plus vertes.

Ce discours peut être considéré par certains comme une forme de green washing. Que leur répondez-vous ?
Que l’enjeu est d’agir concrètement, sans faire aucun compromis. Nous voulons diminuer notre empreinte carbone de 90 % à l’horizon 2030. Cela commence par le sol. On tient avant tout à respecter la biodiversité, ce qui implique forcément de passer intégralement en bio. Nous sommes pour l’agriculture régénérative, mais aussi pour une viticulture « organique ». Les deux sont liées. Quant à nos bouteilles et nos packagings, je considère que c’est notre devoir d’initier le mouvement. Si ce ne sont pas les grandes maisons qui montrent l’exemple, personne n’osera le faire. Nous sommes d’ailleurs la maison la plus engagée sur le plan des actions environnementales et cet engagement ne me semble pas incompatible avec la production d’un certain volume. Il suffit juste de faire preuve de bon sens.

Vous considérez qu’il est urgent de se pencher sur ces sujets.
Il n’y a pas de petites actions. Certaines peuvent apparaître comme du détail alors qu’elles ne le sont pas, d’autant plus quand on produit des quantités importantes. En tant que marque de luxe, nous nous devons d’être irréprochables d’un point de vue environnemental. C’est notre mission d’anticiper les devoirs, pour répondre à tous ces défis. On ne cherche pas seulement à réduire notre empreinte carbone, nous voulons changer radicalement l’essence de notre démarche. En cela, nous ne pouvons pas être soupçonnés de faire du green washing.

L’effet post-pandémie se ressent sur les ventes de champagne. Comment s’en sort Telmont ?
Grâce au repositionnement de notre marque, nous avons la chance de pouvoir traverser cette dépression sans être trop affecté. Notre croissance est à deux chiffres depuis trois ans. Si 70 % des ventes se faisaient en France il y a quelques années, nous exportons désormais 90 % de notre production. Comme nous sommes atypiques sur le marché du champagne, notre discours résonne à l’étranger, notamment au Japon et aux États-Unis, pays très demandeurs de champagnes à forte valeur ajoutée.

Quelle est votre rôle au sein de la maison ?
Je suis l’un de ses ambassadeurs. Je pense que mon véritable atout est ma capacité fédératrice. Je cherche à insuffler une énergie positive et je veille à ce qu’elle soit partagée par tous nos collaborateurs. D’ailleurs, j’ai initié le collectif Telmont qui rassemble des artisans, des entrepreneurs, des cuisiniers, autour de cette sensibilité commune « au nom de la Terre ». Ce collectif ressemble à nos raisins, il est organique. Pas de contrat ni de contribution exigée. Nous voulons simplement partager nos expériences et nos ondes positives. On se réunit une fois par an pour réfléchir à nos problématiques respectives et s’inspirer mutuellement. Tout cela est encore une fois possible si le vin est bon. Et le vin est bon si la terre est belle, c’est un cercle vertueux.