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« French Cancan, c’est l’état d’esprit d’une France joyeuse »

French Cancan est votre dernière création, qu’est-ce que c’est ?
C’est l’aboutissement d’un travail mené par mes équipes depuis plusieurs années. Nous avons commencé par sélectionner des vins de réserve. Nous avons ensuite associé les techniques de vinification traditionnelle et ancestrale avec celles modernes d’aujourd’hui. Pour aboutir à ce résultat, nous avons aussi sélectionné des vignes et des terroirs cultivés en agriculture biologique et nous avons retenu des vignobles situés dans des terroirs propices à la production de vins effervescents, notamment ceux situés aux pieds des Pyrénées et dans les Cévennes.

Avec quels cépages ?
Nous avons utilisé des cépages intéressants pour les effervescents comme le chardonnay et le pinot noir. Et pour donner une certaine typicité, nous avons choisi quelques cépages locaux et méditerranéens indigènes comme le grenache blanc, le viognier et le cinsault. La gamme French Cancan est élaborée à partir du cœur de cuvée ou de la première presse, là où se trouvent la noblesse et la pureté d’un vin. Ensuite, nous avons fait un élevage sur lie pendant plusieurs mois pour parfaire la texture et affiner les arômes avant d’opter pour un dosage zéro afin de mettre en valeur la qualité des raisins sélectionnés.

Pourquoi ce nom ?
Charles Trenet qui est de Narbonne et Toulouse-Lautrec qui a vécu vingt ans au château de Sevran à côté de Narbonne étaient aussi amoureux de Montmartre. Ces grands artistes français et leurs parcours nous ont inspirés dans nos choix.

Et pourquoi maintenant ?

Dans les temps un peu difficiles que l’on vit en France et dans le monde, il est important de se rappeler d’où l’on vient. L’esprit de cette gamme French Cancan est celui d’une France joyeuse, sûre d’elle, insouciante et impertinente. L’incarnation aussi du sud de la France avec cette volonté de pouvoir simultanément régaler les gens et être dans l’excellence. En bref, l’art de vivre comme nous le pensons et comme nous l’aimons.

La gamme French Cancan
19,90 euros (la bouteille)
Disponibles chez les cavistes Nicolas, les Bateaux Parisiens, les brasseries du groupe Bertrand, les restaurants Hippopotamus, au terminal 2 de l’aéroport de Roissy ainsi qu’en grande distribution.

Les piliers de la terre de Cantenac-Brown

Photo Mathieu Garçon

Permettons-nous d’émettre un jugement personnel, partagé d’ailleurs par l’ensemble de notre équipe, à propos des nouvelles infrastructures du château Cantenac-Brown : il s’agit peut-être du plus beau chai au monde. Cette propriété de Margaux n’en avait pas besoin pour être considérée comme l’une des plus remarquables du Médoc. Il y avait déjà ce magnifique château de style Tudor, témoin des origines écossaises de John Lewis Brown, le fondateur de ce cru classé en 1855. Il y avait aussi ce parc à l’anglaise datant de 1806, exceptionnel par ses dimensions et sa beauté, avec ses grands arbres majestueux, son petit étang plein de charme et ses nombreuses dépendances qui forment un petit hameau à l’extrême nord du plateau de Cantenac, l’un des plus qualitatifs parmi les terroirs margalais. On comprend bien que la famille Le Lous, propriétaire du château depuis 2019 ne s’est pas lancée dans un chantier aussi monumental pour des raisons esthétiques. En 2021, pour le supplément vins et spiritueux du Journal du Dimanche, Tristan Le Lous, ingénieur agronome et passionné de vins qui représente sa famille dans la gestion de la propriété, nous détaillait ses ambitions : « L’idée est de viser le plus haut niveau possible en termes de qualité environnementale. L’un des éléments importants à prendre en compte (…) était de ne pas utiliser de ciment dans la construction. À lui seul, le ciment est responsable de 20 % de la production de gaz à effet de serre dans le monde. Nous sommes donc obligés de construire avec des matériaux alternatifs, en l’occurrence de la terre, avec une construction en pisé qui consiste à piler à la main de la terre pour la solidifier ». L’annonce de ce chantier inédit avait attiré la lumière sur un cru qui avait pour habitude d’être plutôt discret et suscité de nombreuses attentes envers cette marque qui évolue dans un univers de concurrence très fort. Trois ans plus tard, en prenant la mesure de ce qui a été réalisé, l’effet escompté est sans doute décuplé tant ce chai entièrement construit en bois brut et en terre crue est une merveille architecturale.

Un travail d’équipe
Pour la réaliser, la famille Le Lous a pu compter sur deux grands artisans. D’abord, Philippe Madec, architecte pionnier en matière de projets écoresponsables. La contrainte donnée par la famille était de taille : réaliser ce nouveau chai uniquement avec des matériaux biosourcés, naturels et non traités, en provenance de la région Nouvelle-Aquitaine afin de limiter le bilan carbone d’une telle construction. Pour se passer de ciment, il a donc eu recours à la technique du pisé qui consiste à compresser de la terre afin de la solidifier. L’inertie thermique donnée par ces nouveaux murs d’enceinte larges d’un mètre par endroits permet aussi d’éviter le recours à la climatisation. « Faire mieux avec moins », résume Tristan Le Lous. L’autre grand monsieur de cette réussite s’appelle José Sanfins. Ce Médocain d’origine portugaise a passé son enfance sur une île de l’estuaire. Il aime la presqu’île, sa lumière, ses habitants. Fils de vignerons (il a encore un peu de vignes au Portugal en plus d’une jolie propriété à Margaux, le château Chantelune), l’homme est la mémoire de Cantenac-Brown, présent sur place depuis 1989. S’il a connu plusieurs gouvernances, dont celles d’Axa Millésimes, le projet de la famille Le Lous a trouvé en lui de quoi s’enrichir. Avec son expérience, son bon sens et son humilité, José Sanfins a suivi chaque étape du chantier et accompagné les différents corps de métiers et les ouvriers souvent locaux qui ont participé à la construction. Vinificateur de talent, il a aussi insisté pour avoir un outil technique ultra performant afin de pouvoir donner le meilleur du potentiel du terroir et révéler avec encore plus de panache et plus immédiatement la force des grands cabernet-sauvignon, ce qui est le cas avec l’excellent vin du millésime 2023 présenté cette année en primeur. Concrètement, l’outil a complètement été revu. Cantenac-Brown s’est d’abord doté d’un nouvel espace de réception de la vendange, récemment agrandie avec les acquisitions du château Charmant et du château La Galiane, lui permettant de trier avec plus de soin les raisins issus de ses 75 hectares de vignes.

Une charpente pour l’avenir
Tout l’itinéraire technique s’effectue ensuite par gravité, comme l’acheminement des baies jusqu’aux nouvelles cuves tronconiques, dont l’intérieur est recouvert d’une couche d’inox poli miroir, nécessitant deux fois moins d’eau lors de leur nettoyage. Soixante-dix cuves de 50 à 120 hectolitres contre trente-trois auparavant permettent à l’équipe technique de vinifier séparément chaque parcelle. Moments décisifs dans la vinification, remontages et écoulages ne nécessitent plus aucune pompe grâce à quatre cuves élévatrices qui assurent tous les transferts de vin. Enfin, que dire du au chai à barriques ? Qui le découvre ne peut rester indifférent devant le spectacle de sa charpente majestueuse en bois massif, digne des plus belles forêts de cathédrale. En forme de coque de bateau renversé, elle a été assemblée par des Compagnons du Devoir. Une fierté pour José Sanfins que « cet ouvrage qui, en plus de profiter au vin de Cantenac-Brown, montre aussi la qualité et le savoir-faire de l’artisanat français ». Tout, par ailleurs, dans ce nouveau chai silencieux, a été pensé avec soin en gardant à l’esprit qu’il s’agissait d’un endroit de travail et qu’il devait répondre aux défis exigeants posés par l’élaboration des grands vins, notamment en ce qui concerne les conditions de ceux qui y travaillent. La propriété, qui produit trois vins (en plus de son grand vin, un deuxième nommé Brio et le blanc Alto), a vu les choses en grand pour basculer dans une autre dimension sans renier son identité ni s’éloigner des objectifs du projet initial : s’engager vers l’avenir via une voie d’excellence à la hauteur des attentes des consommateurs en matière de développement durable. Sans aucun doute, le projet inspirera d’autres vignobles, partout dans le monde. Tant mieux, c’est tout Bordeaux qui en sort grandi et plus brillant que jamais.

Ostiane Icard, le visage du mythe


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Importateurs, cavistes, bien d’autres encore, voient Éloi dans son visage. Il est là, dans les traits sans doute, dans cette rondeur pouponne dégagée par une queue de cheval et égayée par deux grands yeux couleur noisette. Dans les expressions bien sûr, comme toutes les filles qui ressemblent terriblement à leur papa. Pour Ostiane, Éloi n’est jamais vraiment parti. Le créateur du domaine de Trévallon est là, comme il était là avant sa mort soudaine entre la cave et la fontaine de la cour, en novembre 2021. « On n’avait pas besoin de parler », raconte-t-elle, loquace et enjouée. « J’ai appris en l’écoutant parler aux clients, au banquier, aux employés. Je crois que j’ai pris une partie de sa personnalité. » Une relation exceptionnelle, faite de silences complices et de confiance mutuelle : « Je m’en suis rendu compte après l’avoir perdu. Il disait qu’il fallait accepter les choses que l’on ne maîtrise pas ». Dans le mas entouré de platanes vit désormais seule sa mère, Floriane. Ostiane s’est installée avec son mari et ses deux enfants, Lauriane, 12 ans, et Lilian, 9 ans, dans un cocon à quelques kilomètres de là. Des trois enfants des Dürrbach, c’est elle qui a mordu à l’hameçon, très jeune, même si Isoline et Antoine restent très attachés au domaine familial. Elle goûtait volontiers, passait son temps à la cave, étiquetait et enveloppait les bouteilles du précieux papier de soie. Elle s’est formée en commerce et en jobs variés qui lui ont donné de l’expérience pour ce métier multitâche. En 2009, elle a 24 ans, elle se sent mûre : « Papa était ravi que je revienne. Il venait de rompre avec son importateur américain, Kermit Lynch, et avait besoin d’aide ». Elle est habitée par ses grands-parents, les artistes René et Jacqueline Dürrbach, qui avaient donné la terre où tout a commencé, dans les années 1970. « Ils m’ont transmis la patience, l’écoute, la connexion de l’art à la nature, à la matière, aux éléments naturels, au mariage plante, terre, bois. » Nous faisons le tour du domaine. Les treize hectares sont morcelés entre trente-cinq parcelles que la jeune femme me décrit par le menu. À chaque tournant se trouve une nouvelle vigne avec son cépage, sa personnalité propre, chaque pied unique issu d’une sélection massale orchestrée par le pépiniériste Lilian Bérillon.

Une simplicité biblique
Le Gaudre, ruisseau qui court entre les communes de Saint-Etienne-du-Grès et de Saint-Rémy-de-Provence, sépare aussi le mas Chabert – où se dore essentiellement la syrah – des vignes de Trévallon. Là s’enchaînent des poches de calcaire plantées de cabernet-sauvignon, mais aussi une parcelle de cinsault car « c’est le moment de ce cépage », déclare Ostiane, trois cents pieds de muscat, « la touche d’épice pour le blanc », jubilait Éloi, et plus loin encore, le chardonnay. La vigneronne est soucieuse du réchauffement climatique qui menace Trévallon malgré la fraîcheur naturelle apportée par la pinède et les chênes blancs des Alpilles. Elle veille sur chaque cep, surveille la moindre faiblesse ou signe d’esca. Plus le temps avance, plus elle arpente les rangs et s’adonne à la taille, là où « tout se passe ». Dans la fraîcheur de la cave, elle aime aussi s’immiscer et décider, épaulée par son frère Antoine. Elle a, là aussi, gardé la philosophie paternelle, celle qui gagne et qui a fait la force de Trévallon dès ses débuts, en 1973. Un seul vin rouge, un seul, ni second vin, ni cuvée spéciale. Tout dans 45 000 bouteilles bon an mal an, 3 000 magnums dès les années 1980, 300 jéroboams (3 litres), 60 impériales (6 litres) depuis 1995. Syrah et cabernet-sauvignon à parité, envers et contre l’AOC baux-de-provence qui interdit, depuis sa création en 1995, l’utilisation de plus de 25 % du cépage bordelais. Passé de la dénomination vin de pays des Bouches-du-Rhône à celle d’IGP alpilles aujourd’hui, le vin se fiche de ces querelles imbéciles. Il s’offre, grandiose, dans ce terroir magique taillé à coup de dynamite et de convictions pour donner vie à des rouges subtils, d’un rare équilibre et qui se savourent après des années de garde. Elaboré dans une simplicité biblique, il ne connaît ni égrappage, ni soufre (sauf après malo et à l’embouteillage), à peine un contrôle de température, une lampée de soutirage, un long vieillissement en foudre, une clarification au blanc d’œuf, pas de filtration. Changera-t-elle le style des vins d’Éloi ? « Les vignes évoluent, le climat change », reconnaît-elle. « Inévitablement, on fait moins d’extraction qu’avant, les vins gagnent en finesse et élégance. » Est-ce dû à l’âge des vignes ?, questionne-t-elle avec raison. Il est encore tôt pour le dire.
Le 2012 se livre, très élégant, à point, nourri de patience et de réserve, ciselé par le calcaire et la garrigue. Quant au blanc 2022, confidentiel, il mêle agrumes, fleurs et verveine dans un bouquet puissant et bougrement rafraîchissant.

Un peu de folie au Clos de Vougeot


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« Il subsiste une bicoque dans le Clos de Vougeot (…) qui devrait être démolie depuis longtemps », écrivait Jean-François Bazin dans son Dictionnaire universel du vin de Bourgogne (2010). L’édifice, en ligne de mire du château restauré, était à l’abandon depuis des décennies dans l’indifférence de la majorité de ses nombreux copropriétaires. Deux d’entre eux pourtant ne supportaient plus de voir cette ruine à quelques grains de raisins du fleuron le plus célèbre du patrimoine bourguignon : Frédéric Drouhin, président du directoire de la maison Joseph Drouhin, et Étienne de Montille, propriétaire du domaine de Montille. Ils sont devenus les actionnaires principaux de ce nouveau lieu qu’est La Folie de Vougeot. Avec l’assentiment de la Confrérie, de l’édile local et le soutien financier du Canadien Greg Pelling, œnophile et mécène (du festival Musique & Vin au Clos de Vougeot, notamment), ils ont tirée cette petite bâtisse remarquable de l’oubli. Parquet Versailles et pièces d’Art nouveau français d’origine ont été restaurés et l’endroit a été paré de nouveaux atours à la faveur de la vague d’œnotourisme de luxe qui gagne la Bourgogne depuis l’inscription de ses climats au patrimoine mondial et les ouvertures de la cité de la Gastronomie (Dijon) et des cités des Climats (à Dijon, Beaune et Chablis), sans oublier les beaux hôtels. Cette folie qui fut parfois appelée chalet et même châtelet de Vougeot se distingue d’emblée par son architecture, ni Belle Époque, ni Art nouveau, ni régionale. Elle est curieusement flanquée d’une tour, « d’où l’on peut voir toute la côte de Nuits et la côte de Beaune, Les Echézeaux, Musigny, le Clos et même le Mont-Blanc par temps clair », s’enthousiasme Frédéric Drouhin. Bref, elle est résolument unique en Bourgogne.
C’est le négociant Paul Martini-Rosé, acquérant des parcelles du clos de Vougeot en 1890, qui la fit construire. On ne connaît ni la date exacte, c’était entre 1891 et 1901, ni l’architecte. Lovée au sein du plus grand clos viticole de Bourgogne, offrant des vues spectaculaires, disposant d’entrées séparées pour le personnel et les invités, elle garantissait à ces derniers « une intimité discrète sans que personne ne puisse savoir qui se trouvait réellement là ». Ou ce qui s’y passait. Frédéric Drouhin a mandaté un historien pour lever le voile sur son histoire. Pas trop cependant. Il faut, dit-il, « comme pour nos vins, garder une part de mystère ». Celui qui a grandi et qui travaille dans des lieux historiques (la maison Joseph Drouhin est assise sur les caves du parlement des Ducs de Bourgogne, à Beaune, et a acquis notamment un joyau architectural en Saône-et-Loire, le château de Chasselas, l’an dernier, NDLR) dit aimer les vieilles pierres. « Je suis depuis toujours sensibilisé au patrimoine, je voyage beaucoup et immanquablement lorsque je rentre, je m’émerveille encore de toutes les beautés de la Bourgogne », confie-t-il. C’est toujours une expérience rare que de pouvoir déguster, déjeuner, dîner au cœur d’un grand cru. À La Folie de Vougeot, les vins proposés sont issus d’une cave aux références prestigieuses en partie alimentée par la maison Drouhin et le domaine de Montille. Les clients pourront également apporter leurs flacons préférés. Les passionnés pourront consulter la plus grande collection privée de livres et de littérature sur le vin et la gastronomie de Bourgogne et, privilège des privilèges, passer une nuit à la folie. En Bourgogne, dormir au sein d’un grand cru est encore inédit. Il faudra montrer patte blanche et un portefeuille bien garni.

Renseignements et réservations : [email protected]

Cinq raisons de découvrir le Roussillon cet été


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Le sens de la fête
Tout au long des heures les plus longues de l’été, jamais la fête ne cesse. Elle court le long des rues, des plages, mais aussi des domaines viticoles. Du 6 au 9 juin, le Bacchus Festival, « 100 % épicurien et circuit court », ouvre le bal au château de Valmy (Argelès-sur-Mer). Trois concerts par soir (Manu Chao, Etienne Daho, Olivia Ruiz, etc.) se succèderont sur fond de vignes et de mer. Les 14 et 15 juin, place à Maury et à son festival Voix de femmes. Côté bar, il sera rythmé par plus de vingt cuvées issues de la haute vallée de l’Agly. Le 22 juin, au château l’Esparrou (Canet), l’événement Bouteilles à la mer mettra en avant des millésimes vieillis dans l’étang de Leucate à plus de trois mètres de profondeur pendant huit mois. Un repas signé Ruben Gomez, Toque blanche du Roussillon, sera servi au coucher de soleil entre mer et étang. Autre rendez-vous haut en saveurs le 30 juin avec Les Caminades. Le principe ? Cheminer dans les collines de Collioure et Banyuls à la rencontre de huit chefs, dont Laurent Lemal (La Balette) et Aurélien Laget (Le Quintessence), et vingt-et-un vignerons, muni de son kit de dégustateur : plan, chapeau, verre et couverts.

Découvrir une architecture de vignoble unique
S’il faut attendre l’Antiquité pour que Vitis vinifera soit exploitée sur les pentes de schistes dévalant vers la Méditerranée de Collioure à Banyuls-sur-Mer, c’est au Moyen Âge que les Templiers lui donnent sa structure en terrasses si caractéristique avec ses murets en pierre sèche et ses canaux d’irrigation en peus de gall (pieds de coq). Une véritable œuvre humaine, « sculptée » et entretenue, depuis, par des générations de vignerons. Ces moines-soldats auraient aussi rapporté du Moyen-Orient la technique du mutage (parachevée et popularisée vers 1300 par le médecin Arnaud de Villeneuve) et découvert les vertus d’un élevage en plein soleil. Autant de techniques toujours utilisées, dévoilées chez Terres des Templiers (Cave coopérative de Banyuls regroupant plus de 800 vignerons exploitant 700 hectares plantés essentiellement de grenache).

Faire un grand bond dans le temps
À quelques minutes du « centre du monde » (dalien), on se rapproche aussi des premiers hommes. En 2019, l’année où Perpignan était capitale du vin, le célèbre musée de Tautavel consacrait une exposition aux origines de la vigne. On y apprenait notamment que dans la caune de l’Arago, « des pollens de vigne sauvage ont été identifiés, permettant d’affirmer que la vigne s’épanouissait déjà ici, il y a 700 000 ans », explique Anne-Sophie Lartigot-Campin, palynologue au Centre européen de recherches préhistoriques de Tautavel. Bien plus tôt que ce que l’on avait imaginé jusque-là !

Ne pas choisir entre mer et montagne
Ce n’est pas pour rien que de nombreux artistes sont venus trouver l’inspiration ici, sur la côte comme dans les reliefs de l’arrière-pays. « Les paysages du Roussillon sont à couper le souffle, un cadre terre et mer idyllique pour la dégustation de vins », nous confie Anne-Laure Pellet, directrice du conseil interprofessionnel des vins du Roussillon (CIVR). « La diversité géographique est mise en avant par douze itinéraires qui arpentent les trois vallées viticoles de l’Agly, de la Têt et du Tech. » Ils sont jalonnés de moments de partage et d’échanges qui se multiplient, comme s’en réjouit Vincent Garel, le président du comité régional du Tourisme et des Loisirs d’Occitanie. « Une expérience œnotouristique fait presque toujours partie de la to-do list du vacancier dans le Roussillon, qu’il soit néophyte ou connaisseur. Outre les visites classiques, on peut dormir dans une cuve comme à l’ancienne coopérative de Bélesta, participer à des ateliers autour de cocktails à l’objectif assumé de rajeunir l’image des vins doux naturels, voire participer à des fêtes typiques comme celle des vendanges de Banyuls, avec une arrivée spectaculaire du raisin en barque, depuis la mer. »

Mettre un peu d’art dans son vin
« Il n’y a pas en France de ciel plus bleu que celui de Collioure. Je n’ai qu’à fermer les volets de ma chambre et j’ai toutes les couleurs de la Méditerranée chez moi », confiait Matisse, qui ne fut pas le seul grand maître à s’émerveiller dans cet extrême sud de la France. La cité des peintres fourmille aujourd’hui de galeries d’art et son musée d’art moderne (Du 8 juin au 29 septembre, exposition Plein soleil, Collioure 1945-1985. Autre haut lieu artistique, Céret, dont le musée inaugure le 29 juin l’exposition Max Jacob, le cubisme fantasque) est l’occasion de savourer le vin sous un autre angle, à travers une aquarelle de Valentine Prax (Vendanges à Collioure, 1927) ou une installation contemporaine de verres à pied d’Amandine Artaud. À Banyuls, c’est Maillol qui nous fait signe avec un musée situé à 700 mètres du domaine familial Berta-Maillol, aujourd’hui conduit par les fils d’Yvon Berta. Celui-ci, arrière-petit-neveu de l’artiste, n’est jamais à court d’anecdotes. « Débarqué à Paris, Maillol voulait entrer aux Beaux-Arts. N’étant pas inscrit, il s’est débrouillé pour y entrer en auditeur libre en offrant une bonne bouteille de banyuls au gardien ! D’ailleurs, en catalan ancien, une jeune vigne se dit malhol. »

Jean-Pierre Cointreau, éloge de la raison

Photo Mathieu Garçon

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La pondération lui va bien. Patron de Iconic Nectars, un groupe familial présent sur trois univers, Jean-Pierre Cointreau ne se départit jamais de son calme et semble poser toutes ses réponses et ses décisions au trébuchet d’une longue réflexion préalable. Il l’annonce d’ailleurs sans ambages : « L’un des leitmotivs de notre groupe familial en matière de gestion est de répartir les risques. C’est mon principal objectif et c’est pour cette raison que notre portefeuille de marques s’est constitué, en plus du cognac d’origine, de liqueurs et de la maison Gosset en Champagne ». Mais la méthode lui réussit.
Sagement, il a hissé le cognac Frapin et le champagne Gosset au rang de pépites recherchées et a su faire preuve d’une certaine prescience en reprenant des liqueurs à l’époque un rien oubliées, mais aujourd’hui au cœur des recettes des mixologues. « Avec mes parents et frères et sœurs, nous avons construit à partir de 1984 une activité autonome en Charente, où sont nos racines maternelles. Avec les cognacs Frapin, nous sommes propriétaires de 240 hectares de vignes. Avec mon frère, on s’est dit qu’il fallait diversifier nos activités, d’abord avec la reprise de la société Pagès au Puy-en-Velay qui fabriquait la verveine du Velay ».
Ensuite, reprise de Salers, « un produit fabuleux » et de Vedrenne, fameux pour son cassis mais produisant aujourd’hui de nombreuses autres liqueurs de fruits. Jean-Pierre Cointreau et sa famille n’ont cessé d’explorer cette France des savoir-faire authentiques et ancestraux. « Reprendre des marques ne fonctionne pas à tous les coups. Il faut retrouver leur culture d’origine pour réussir à les développer, notamment à l’export. Nous avons bien réussi avec Vedrenne parce que le phénomène des cocktails, qui a toujours existé aux États-Unis, s’est répandu progressivement dans le monde. Aujourd’hui, on dépasse les quarante parfums dans la gamme, ce qui permet de s’adapter au zapping entre les produits de la part des consommateurs. Ce que l’on observe, c’est que depuis vingt ans, le mixologue a progressivement remplacé le barman. Ce dernier était derrière son comptoir à servir un whisky pur malt ou un cognac en digestif. Aujourd’hui, le mixologue invente quasiment tous les jours de nouvelles créations. C’est ce qui a fait la popularité de certains de nos produits tout en créant des risques importants liés notamment à ce zapping permanent. C’est bien plus difficile qu’autrefois de fidéliser un consommateur. »

Des spiritueux en effervescence
Pour faire renaître cette excellence, Cointreau a souvent mis en compétition ses liqueurs dans des concours internationaux, où peut se démontrer une supériorité qualitative, et a surtout obtenu le label Entreprise du patrimoine vivant (qui concerne aussi le cognac et le champagne). « C’est intéressant pour nous d’arriver devant un importateur et de lui annoncer que l’État français nous a attribué un label qui atteste de ce savoir-faire d’excellence. Il y a eu, au total, plus de 3 000 entreprises labellisées, mais seules un peu moins de la moitié ont obtenu le renouvellement de ce label. Non seulement il faut convaincre, mais il faut le faire dans la durée, pour chacun de nos métiers. »
Cette exigence l’a conduit à rechercher l’âme et les racines de ses produits. « C’est important que les gens qui travaillent ici sachent d’où vient l’excellence de nos marques. Je me suis beaucoup penché sur l’histoire de chacune de nos sociétés de manière à établir un arbre généalogique des dirigeants qui en ont eu la responsabilité. C’est essentiel de connaître la vision du fondateur, celle qu’il a transmise et comment celle-ci a évolué. En ce qui concerne le goût, nous travaillons avec deux équipes R&D, l’une à Nuits-Saint-Georges, l’autre à Turenne, en Corrèze, au sein de nos principaux pôles de fabrication. C’est une bonne manière savoir ce qui se passe sur le marché et de montrer qu’on a une capacité d’évolution importante. Par exemple, nous avons beaucoup travaillé sur la tendance no-low dont tout le monde parle. » Même les spiritueux ancestraux évoluent. « D’abord, pour des questions réglementaires. Quand on exporte un produit vers le Japon, la Chine, les États-Unis ou l’Europe, les règles ne sont pas les mêmes. Au XXIe siècle, les produits sont moins sucrés qu’ils ne l’étaient au début du XXe. Modifier cette quantité de sucre ne se résume pas simplement à enlever un peu de sucre, c’est aussi rétablir un équilibre gustatif. »
Ces transformations sont essentielles dans un univers en pleine ébullition. Jean-Pierre Cointreau s’y est beaucoup impliqué et assume aujourd’hui la présidence de la fédération française des spiritueux (FFS). Le sage Cointreau s’enflamme en évoquant « l’engouement pour la création de nouvelles distilleries, de nouvelles sociétés de fabrication de liqueur ou d’autres types de spiritueux depuis la pandémie. Le phénomène des distilleries de whisky, par exemple, est phénoménal. À tel point que la fédération a émis l’idée d’accompagner ces nouveaux entrants dans le métier lors des cinq premières années qui suivent la création de l’entreprise, afin de les aider à connaître la règlementation. Depuis trois ans, il n’y a pas eu un seul conseil d’administration de la FFS sans cooptation de nouveaux adhérents, ce qui est assez extraordinaire. Beaucoup de gens ont fait de leur passion un métier. L’idée est de faire en sorte que ces nouvelles entreprises perdurent, y compris dans la conjoncture actuelle difficile ».

Un pied en Champagne
L’une des grandes dates du groupe demeure l’année 1993, lorsque la famille a fait l’acquisition de la maison Gosset. « Être présent en Champagne est quelque chose auquel nous songions depuis longtemps. Le champagne est un produit diffusé mondialement, comme les spiritueux. Nous voulions nous développer encore plus vers le haut de gamme et il y a eu une continuité naturelle vers cet objectif avec Gosset, qui était positionné sur ce segment. On nous a présenté le dossier et j’en ai discuté avec ma sœur Béatrice. C’était la crise des années 1990, donc c’était un risque. Béatrice s’est occupée tout de suite de développer le marketing et la partie commerciale, en relation étroite avec Jean-Pierre Mareigner (disparu en 2016, ndlr), le chef de cave de la maison à l’époque. C’est lui qui a organisé la continuité avec Odilon de Varine, l’actuel chef de cave. »
L’une des plus anciennes maisons familiales, avec une identité forte et un style assumé, Gosset était détenue par la même famille depuis sa création en 1584. Des circonstances privées inopinées et les conséquences de la crise ont amené les héritiers Gosset à céder leur maison à une famille aux racines également profondes. Dès la reprise et jusqu’à aujourd’hui, trente ans plus tard, le bilan est spectaculairement positif. « Quand on reprend une entreprise, on se fixe des objectifs et on essaye de s’y tenir. Sur ce point, je crois que la situation de Gosset a dépassé nos espérances. L’accueil de mes confrères en Champagne a été le plus beau que j’ai eu dans ce milieu. Nous travaillons dans cinq régions en France. En Champagne, même si nous sommes tous concurrents, il y a une convivialité et une confraternité qui n’existent pas ailleurs. Pour la plupart, les gens dialoguent entre eux et ont l’amour du champagne avant de penser à leurs marques. La Champagne est un monde de gens raisonnables, habitués à un luxe qui n’est pas ostentatoire. »

« La cave commande »
Cet accueil correspond aussi au respect scrupuleux de l’ADN des marques et de leur écosystème, un processus bien compris chez les Cointreau. « L’une des règles chez Gosset, c’est de dire que c’est la cave qui commande. Et la cave, ça veut dire les approvisionnements, les cépages, la méthode d’élaboration et les dates de sortie. C’est fondamental. Par exemple, il y a eu chez nous une évolution vers plus de chardonnay dans les assemblages pour répondre à une certaine demande des consommateurs pour ce type de vins. Cela s’est fait naturellement, au fur et à mesure des années. Il faut être attentif aux consommateurs et aux approches que l’on cherche à avoir quant aux cuvées. On me reproche parfois d’avoir trop élargi la gamme. Sur le plan commercial, je l’accepte, mais nous sommes des artisans et ce que nous avons dans la cave doit dicter la création. »
Alors qu’il dispose d’un important domaine familial à Cognac, Jean-Pierre Cointreau assume clairement le fait que Gosset ne possède que très peu de vignes. « La maison possède un demi-hectare de vignes. Gosset travaille avec le vignoble champenois dans son ensemble depuis les années 1950. Aujourd’hui, nous collaborons avec environ 160 familles de vignerons. En 1952, André Gosset, le grand-père d’Antoine, a séparé Gosset en deux sociétés, l’une viticole, l’autre de négoce. Certains membres de la famille Gosset nous livrent d’ailleurs des moûts ou des raisins. Ce partenariat entre la vigne et le négoce fonctionne ainsi depuis des années. Pourquoi changer ? Au regard du prix de l’hectare en Champagne, où est la motivation économique pour investir dans le foncier ? Je suis ravi de cet équilibre. En outre, quand on discute avec les vignerons, on apprend beaucoup de choses sur l’évolution de la Champagne, sur les enjeux en matière de RSE, de nouvelles pratiques environnementales, etc. Les vignerons sont des gens qui réfléchissent au quotidien à leur travail. Et ils nous donnent un avis objectif sur la façon dont ils veulent que le vignoble soit géré. »
Tout comme cette relation avec le vignoble, le dialogue avec la cave, incarnée par le talentueux Odilon de Varine et aujourd’hui Gabrielle Malagu, paraît essentiel pour Jean-Pierre Cointreau. « Il y a un échange permanent entre Odilon et moi-même. Après, ce n’est pas un hasard si nous avons recruté Gabrielle Malagu. Elle apporte une autre manière de déguster. Elle n’est pas de la même génération et elle nous permet d’avoir une autre expérience des vins, ce qui permet d’avoir plus de diversité dans nos jugements. Clairement, chez nous, ce n’est jamais un ordinateur qui élabore les cuvées. Pour bien le connaître, Odilon a constamment des idées très claires sur ce qu’il veut. C’est une force dont la maison bénéficie. Et c’est aussi quelqu’un avec qui c’est très agréable de parler et qui ne s’interdit pas d’évoluer. Par exemple, aujourd’hui, il y a un peu plus de chardonnay dans nos assemblages, mais aussi plus de bois que par le passé. La maison change sans perdre cette identité. » En Champagne, Gosset réussit très bien sans posséder de vignes. À Cognac, en revanche, la force de Frapin, c’est son vignoble. « L’art de l’assemblage champenois implique de chercher dans des crus différents le goût particulier et diversifié des cépages. En Charente, c’est différent. Nous avons la chance d’être propriétaire d’un vignoble acquis par les différentes générations de la famille et situé dans les meilleurs secteurs, notamment en Grande Champagne. L’autre force, c’est de pouvoir bénéficier de stocks et d’une vraie continuité dans la mesure où seulement trois maîtres de chai se sont succédé à la tête de la maison depuis la Deuxième Guerre mondiale ».

L’innovation à Cognac
Frapin est la seule marque de cognac de notoriété internationale s’appuyant uniquement sur son propre vignoble, et cette particularité remonte à loin. « À la fin du XXe siècle, Pierre Frapin, le grand homme de la maison et mon arrière-grand-père, a vécu la crise du phylloxéra. Quand il s’est rendu compte que le vignoble dépérissait, il a pris deux mesures. La première a été de replanter, avec deux autres Charentais, des millions de pieds de vignes pour trouver une solution contre le phylloxéra. La deuxième a été de créer une vraie maison de négoce alors qu’il était viticulteur et distillateur. Dès 1993, nous avons mis en place des pratiques d’agriculture raisonnée pour mieux intervenir au vignoble et utiliser moins d’intrants. S’adapter aux évolutions climatiques est un travail de tous les jours que nous avons commencé il y a trente ans. Les gens à Cognac sont passionnés par ce qu’ils font. L’idée c’est aussi de communiquer sur ce savoir-faire. »

Assurer la transmission
L’autre des spécificités les plus intéressantes de Frapin est de faire vieillir ses eaux-de-vie dans des chais aux conditions d’hygrométrie opposées, soit humides, soit sèches. L’effet sur l’évaporation (la part des anges) et la maturation des eaux-de-vie est évidemment différent : « Patrice Piveteau, l’actuel maître de chai, s’appuie en effet sur cette spécificité. Nos eaux-de-vie vont ainsi d’un endroit à l’autre dans le but d’être vieillies différemment, ce qui permet d’obtenir une excellente diversité ».
Rare représentant d’un groupe familial présent sur l’ensemble de la filière des vins et des spiritueux, Jean-Pierre Cointreau regarde assez sereinement l’avenir d’une filière en quête d’équilibre. « Mandela disait “Je ne perds jamais. Soit, je gagne, soit j’apprends”. Certains secteurs de la filière vont être obligés de se remettre en question en raison du contexte lié à de nouvelles conditions climatiques et d’une réglementation encore lourde même si elle se simplifie. Moi, je suis toujours resté optimiste parce que j’ai commencé mon activité en rencontrant de nombreuses difficultés. Je termine ma carrière en ayant donné une situation à mon entreprise. »
Il n’oublie pas non plus l’un des problèmes récurrents de cet univers de PME, la transmission. « Aujourd’hui, nous sommes trois associés, mes deux sœurs, Anne et Valentine, et moi. Amaury, mon neveu et Julien, mon fils, sont tous les deux vice-présidents du groupe et sont en train de progressivement prendre la suite. Il faut savoir préparer la transmission. Beaucoup de sociétés négligent ce point. Le problème en France est aussi celui de la fiscalité. C’est compliqué d’organiser une succession familiale. »
Mais faisable, si l’on sait se montrer raisonnable : « Si je disais aujourd’hui que je veux devenir aussi important qu’un groupe comme LVMH, personne ne me croirait. En revanche, si l’ambition est de continuer à développer progressivement un groupe de marques familiales de vins et spiritueux qui ont un objectif qualitatif, les gens nous suivront ».

Vin blanc, le grand remplacement


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Le consommateur veut de la fraîcheur. Philippe Pellaton, qui a rempilé pour un deuxième mandat à la présidence d’Inter Rhône fin 2023, l’a bien compris. Le nord de la région a déjà tiré son épingle du jeu avec ses blancs. Le succès de Condrieu et de son appellation qui rend le viognier élégant, est un bon exemple. Hermitage produit un tiers de vin blanc. Et les appellations crozes-hermitage et saint-joseph une proportion significative de blancs, respectivement 10 % et 14 %. La situation n’est pas la même dans le sud, très majoritairement rouge. « J’ai été un accélérateur quand j’ai pris la présidence en 2020. On était à moins de 200 000 hectolitres de blanc. On est désormais à 230 000 hectolitres et notre objectif, c’est 300 000 en 2030 », explique Philippe Pellaton. « Le Rhône, c’est plus de 80 % de rouge. L’idée, c’est d’amortir le risque en développant le rosé et le blanc. Concernant le rosé, on est déjà la troisième région française, mais sur le blanc, on doit progresser. On a travaillé sur deux leviers. Le premier, c’est d’avoir une vision globale de la vallée du Rhône plutôt que de travailler au niveau des appellations et indications d’origine contrôlées. Cela permet de massifier les budgets, d’avoir un vrai discours blanc au niveau régional. À l’export, le budget est de 500 000 euros par an sur trois ans pour promouvoir ces vins. Le deuxième levier, c’est une cartographie des types de blanc avec trois profils, vif et frais, fruité et aromatique, généreux et complexe. C’est une segmentation qu’on peut retrouver dans les appellations. C’est assez novateur. On ne va pas transformer des appellations qui marchent bien en rouge en appellations de blanc, mais on va chercher à le développer là où il y a du potentiel de croissance, sur les crus du Rhône sud. Gigondas peut faire du blanc depuis 2023. Rasteau, vinsobres, beaumes-de-venise vont suivre. Là où ça n’existait pas avant, il faut en passer par l’Inao. L’idée, c’est de planter du blanc sur les terroirs adaptés, plus frais. C’est aussi d’aller chercher des cépages qui apportent de la fraîcheur, comme la clairette, ou même des cépages oubliés comme le bourboulenc ou le picpoul. »

Jouer sur les deux couleurs
Dans le Rhône, au niveau des appellations, la prise de conscience est là. Certaines, comme l’AOC cairanne, ont déjà pris de l’avance. Aujourd’hui comme hier, quand il faisait partie de l’aire d’appellation côtes-du-rhône, ce cru reconnu depuis 2016 a toujours produit une part de vins blancs. Ils représentent 6 % des volumes produits par l’appellation. Mais cela s’accélère et lors de l’événement récemment organisé pour la presse à Paris, elle a présenté autant de vins blancs que de vins rouges. Le phénomène n’est pas nouveau, rappelle Denis Alary, vigneron emblématique du village : « Il y avait beaucoup de blanc avant la Seconde Guerre mondiale, plus de 50 %. J’ai même retrouvé un vieux diplôme de l’exposition universelle de 1868 qui distinguait les vins blancs du domaine. Puis les marchés se sont portés vers les vins rouges. Quand on a déposé un dossier à l’Inao pour que cairanne devienne un cru, il a fallu prouver cette antériorité de production de vin blanc et prouver que la qualité ne concernait pas que les rouges ». Le domaine Alary a toujours proposé une bonne proportion de vin blanc, dont les profils sont très frais, avec des degrés naturels de 13 ou 13,5 degrés d’alcool. « De 15 % de vin blanc environ, je suis passé à 30 %, notamment avec le retour de mon fils Jean-Étienne qui aime les blancs et les rouges avec de la fraîcheur. On a quatre hectares de blanc et deux sont à planter. L’Inao a autorisé la clairette, la roussanne et le grenache blanc en cépages principaux (au moins 70 % de l’encépagement, ndlr), mais on a aussi droit à des cépages complémentaires. On fait des entrées de gamme en appellation côtes-du-rhône, sur la fraîcheur et le fruit et des cairannes plus structurés. Mais on vendange très tôt pour garder l’acidité. On ne part pas en vacances en août. Les vendanges sont de plus en plus précoces. Je rame pour dire à tout le monde de ramasser plus tôt. Ce n’est pas la tradition de la région, qui valorisait plutôt les vins riches. »

Même combat à Bordeaux
Ne dites surtout pas à Philippe Pellaton que cette stratégie « vin blanc » est opportuniste, ça l’agace. « Je me bats contre cette idée reçue qu’on ferait du blanc parce que ça marche. On a toujours eu des cépages emblématiques de blanc, comme le viognier et la clairette. Ce qu’on fait chez nous, dans le Rhône, ça n’est pas ce qu’on fait ailleurs. Le grenache blanc et la clairette apportent de la tension. Le viognier et la roussanne, plus de gras. Je dirige Maison Sinae, bien implanté en appellation côtes-du-rhône villages Laudun, qui deviendra une appellation à part entière en 2024. Aujourd’hui, on a déjà un tiers de blanc. Nos terroirs y sont propices. » À Bordeaux, la production de blanc, qui a toujours existé, devient un réel enjeu. Le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) vient d’ailleurs de produire un petit argumentaire sur le vin blanc. Il y a douze appellations qui produisent du vin blanc sec à Bordeaux, ce qui représente plus de 8 000 hectares avec une nette domination du sauvignon blanc (45 %) et du sémillon (44 %) pour 56 millions de bouteilles au total. Nicolas Guichard, œnologue conseil, qui est intervenu lors d’une conférence organisée par l’Agence Force 4 sur le blanc à Bordeaux, décidément dans l’air du temps, explique la situation de la région : « Dans les années 1950, 70 % du vignoble bordelais était planté en blanc, surtout dans l’Entre-deux-Mers. Cela donnait du vin de table ou de comptoir qui partait vers l’Europe du Nord par la gare de Coutres, à l’est de Libourne. Mais les Anglais buvaient surtout les rouges, qu’ils payaient plus cher. La région s’est alors mise à arracher ses vignes de blanc pour planter du rouge ou à surgreffer. Aujourd’hui, on se retrouve à arracher des milliers d’hectares de vigne de rouge parce que ça ne se vend plus, parfois sur des terroirs fabuleux pour le blanc et qui ont un potentiel face au réchauffement climatique. Heureusement, il y a plein d’initiatives pour inscrire le blanc dans les cahiers des charges. L’AOC fronsac a fait une demande, l’appellation castillon-côtes-de-bordeaux devrait suivre, bordeaux-côtes-de-francs en fait déjà. »

Le Médoc en avance
Une de ces initiatives vient de l’organisme de défense et de gestion (ODG) des appellations médoc, haut-médoc et listrac-médoc, dirigé par Hélène Larrieu : « On veut inscrire le blanc dans l’appellation médoc. On a déposé un dossier auprès de l’Inao. Il est bien soutenu, y compris par le négoce. On espère qu’il aboutira à partir de 2026. C’est une réflexion ancienne portée d’abord par l’appellation listrac, qui fait pas mal de blanc. Le blanc représente actuellement 208 hectares et cette surface augmente. L’idée, c’est d’avoir une spécificité médocaine. Aujourd’hui, les blancs sont en appellation bordeaux. Nos sols de graves ou calcaires apportent une typicité qui supporte l’élevage et on a la fraîcheur grâce à la situation de l’estuaire ». Le mouvement semble bien général. À Saint-Estèphe, on plante du blanc au château Tour des Termes. Suite à son récent rachat par l’Irlandais Eddie O’Connor, cela fait partie des missions confiées au directeur de la propriété, Julien Brustis. « On a fait six mois d’analyses de sols. On a goûté tous les blancs de la région avec la famille O’Connor pour déterminer ce que l’on voulait. Plutôt que d’aller planter en appellation haut-médoc sur des parcelles peu qualitatives, on a arraché deux hectares de rouge en appellation saint-estèphe pour avoir de beaux terroirs argilo-calcaires. L’intention est de faire en blanc un vin bien meilleur que ce que l’on sortait en rouge au même endroit. On a planté 50 % de sémillon, 40 % de sauvignon blanc, et 10 % d’albariño pour l’apport floral. C’est un cépage qui est autorisé à titre expérimental dans le cadre des Vifa (variétés d’intérêt à fin d’adaptation, ndlr). Les jeunes qui reprennent des propriétés ont envie de faire du vin blanc. Aujourd’hui, on est très nombreux à se poser beaucoup de questions. » Le même questionnement a déjà eu lieu quelques années auparavant au château Fourcas-Hosten à Listrac-Médoc. Éloi Jacob, le directeur général de la propriété, raconte : « En 2006, Renaud et Laurent Momméja ont racheté la propriété. Il y a eu une grande étude des sols. Un peu plus de deux hectares sur calcaire étaient en jachère. On a laissé reposer les sols et on a replanté en blanc. C’est un projet qui a mobilisé l’équipe. C’était aussi le début du bio pour nous. Il a fallu tout choisir, les cépages, les porte-greffes. On a fait plein d’essais, du micro-parcellaire, des élevages différents. Ce laboratoire d’expérimentations nous a aussi fait progresser en rouge. Aujourd’hui, on produit 8 à 10 000 bouteilles de blanc et on le vend plus cher que le rouge parce que c’est beaucoup de travail. Je suis tombé amoureux de ce blanc dès que je l’ai dégusté. Et il est devenu, je crois, une référence du Médoc. Mes confrères de châteaux prestigieux m’échangent volontiers une bouteille de leur rouge contre une de notre blanc. »

À Saint-Émilion, des premiers résultats
Sur l’autre rive, du côté de Saint-Émilion, le questionnement est plus récent ou il a mis plus de temps à aboutir. Au château Fleur Cardinale, Caroline Decoster donne une illustration de ce parcours : « En 2011, on nous propose d’acheter le château Croix Cardinale, 8,5 hectares en appellation saint-émilion et 2,5 hectares en castillon-côtes-de-bordeaux. C’était surtout la partie saint-émilion qui nous intéressait. Notre voisin et ami Jean-Luc Thunevin a pris les vignes en côtes-de-castillon. Quand mon mari Ludovic a pris la direction technique de la propriété en 2017, il avait envie de faire du blanc. Jean-Luc nous a gentiment rétrocédé la parcelle de 2,5 hectares, terroir idéal pour ce projet qui nous tient à cœur et sur lequel on travaille avec l’œnologue Axel Marchal : calcaire, exposé nord, enclavé de forêt. On a arraché et replanté avec des cépages blancs. À notre grande surprise, on n’a mis que trois récoltes à obtenir ce qu’on voulait, un vin blanc qui soit à la hauteur du rouge de Fleur Cardinale. Notre 2023 sera le premier millésime de Fleur Cardinale blanc. On va encore investir dans le chai et les contenants, des foudres en provenance de Sancerre ». Le blanc, dont le prix était en cours de fixation au moment des primeurs, sera plus cher que le rouge. « Il sera vendu au consommateur plus de cinquante euros. C’est un grand vin de terroir, un vin de lieu, en petite quantité (3 000 bouteilles au début, ndlr), avec des investissements importants. »

Faire des pas de côté
Le tempo a été presque le même chez les frères Todeschini au château Mangot, avec une réflexion un peu différente. C’est Yann qui explique : « On avait envie de faire du blanc depuis longtemps. Dès 2014, on a fait un assemblage de chardonnay, roussanne et colombard pendant trois ans, mais on n’était pas content. Ce n’était pas assez identitaire. On avait entendu parler du cépage merlot blanc, quasiment disparu. On s’est lancé grâce à un stagiaire dont le père en avait trois rangs dans le Cognaçais. On a fait des essais, une sélection massale et on a planté en 2019. On ne savait pas trop où on allait. Le cépage avait plutôt mauvaise réputation auprès des anciens. Mais les enjeux des années 2020 ne sont pas ceux des années d’après-guerre. On a aussi planté un peu de sauvignon gris, ce que nous regrettons parce que nous adorons notre merlot blanc. Il n’est pas très aromatique, mais on s’est rendu compte qu’il prenait de l’ampleur si on le laissait reposer, raison pour laquelle on lui laisse six mois en bouteille avant commercialisation. Autrement, il ne voit que la cuve inox pour garder la fraîcheur. On l’a appelé Préface, comme la préface d’un livre à écrire ». L’expérience est originale et le vin se démarque des canons habituels de l’assemblage sauvignon blanc et sémillon. Avec pour force et facteur clef du succès, ce mot qui revient sans cesse : la fraîcheur. Il est commercialisé en dénomination vin de France car le cépage, qui a été très présent dans la région, n’est plus reconnu par les cahiers des charges. « Aujourd’hui, on fait 3 200 bouteilles de blanc. À terme, on compte en faire 8 000. Si on avait planté du rouge, on ne vendrait pas 8 000 bouteilles de plus. Là, en blanc, ça va se vendre sans problème. On est à moins de vingt euros et en bio. Le but, ça n’est pas de faire du vin de riche. »

Feuille blanche
À Bordeaux comme dans le Rhône, deux régions préoccupées par la déconsommation des vins rouges et celle, plus générale, des vins quelle que soit leur couleur, le bon vin se reconnaît simplement. C’est celui qui se vend. Dans ces vignobles qui étaient dominés par leurs rouges, l’avenir devra répondre à une tendance de consommation mondiale. Si le vin blanc fait encore parfois l’objet de méfiance, souvenir des époques où il était systématiquement très sulfité, il est, comme le rosé, plus facile à consommer. Au-delà de ces évolutions de la consommation, l’idée de se diversifier, de faire des choses nouvelles, est également un puissant moteur pour les opérateurs. Comme un peintre qui voudrait élargir sa palette, infléchir son style, le vigneron qui ne faisait jusqu’ici que du rouge trouve là un nouveau territoire à explorer, une occasion de se remettre en question et d’utiliser d’autres techniques. Laissons ainsi le mot de la fin à Caroline Decoster, pour qui il s’agit de « faire quelque chose à nous ».