Tout l'art du Liban en une étiquette
Assemblage de cinsault, carignan, tempranillo, syrah et cabernet-sauvignon, le millésime 2012 du Château Kefraya “Les Bretèches”, l’un des vins libanais les plus appréciés de par le monde (notamment lors de la dernière International Wine & Spirits Competition de Londres), est célébré par une édition spéciale dont l’habillage a été créé par l’artiste peintre, auteur de bande dessinée et musicien libanais Mazen Kerbaj, en photo ci-dessous. « C’est un honneur pour moi de contribuer au développement de la culture du vin au Liban » a déclaré celui qui, avec son dessin Bacchanales Beyrouthines, dit avoir voulu retranscrire l’énergie épicurienne libanaise dans l’esprit du dieu romain de la vigne, Bacchus.
Fabrice Guiberteau, l’œnologue français qui a pris la direction technique de Château Kefraya en 2006 et dit avoir la chance de pouvoir réaliser au Liban « des assemblages plus étonnants avec des terroirs très différents, mais aussi complémentaires », explique que ce millésime 2012 des Bretèches est le franchissement d’une nouvelle étape qualitative. « Sans vouloir en révolutionner le style, nous avons cherché à mettre en évidence le détail des terroirs de Kefraya. Nous avons œuvré à respecter le fruit mais aussi à gagner en structure et complexité pour acquérir plus de précision sur le profil du vin. »
Spécialiste des vins libanais, l’auteur et critique Michael Karam estime quant à lui que « le monde du vin commence à prendre conscience de l’expérience gustative exceptionnelle qu’offre le cinsault du Liban. Celui-ci, associé à d’autres cépages tout aussi séduisants, font du vin ‘‘Les Bretèches” une quintessence de vin libanais, à travers des tanins naturels soyeux, un fruité intensément riche et empreint des saveurs et arômes du terroir de la Bekaa. En terme de complexité, c’est un vin qui se situe bien au-dessus de sa catégorie. » Et dont le succès reflète l’engouement croissant pour le vin du Liban, ajoute Michel de Bustros, fondateur (en 1978) et directeur général de Château Kefraya.
Bravo au meilleur de France
Chef sommelier du restaurant parisien Spring, Jonathan Bauer-Monneret est devenu en ce dernier lundi d’octobre le 28e « Meilleur Sommelier de France », titre remporté à Beaune à l’issue d’une finale à laquelle participaient également Mikaël Grou (Four Seasons George V, Paris), Jean‑Baptiste Klein (Clos des Sens, Annecy-le-Vieux) et Florent Martin (Four Seasons George V, Paris). Devant plus de cinq cents spectateurs, dans une salle de restaurant reconstituée, ces quatre sommeliers sélectionnés à l’issue de la demi-finale organisée la veille « ont donné une très belle image de leur métier. »
Connaissances pointues, savoir-faire technique et aisance, chacun avait trente minutes pour les faire valoir lors de différentes épreuves allant de la dégustation commentée à la préparation d’un repas de mariage en passant par la gestion de tables (et de clients, donc). A l’annonce du résultat, Jonathan Bauer-Monneret « a pu laisser éclater sa joie » d’avoir franchi une nouvelle étape après le titre de Meilleur jeune sommelier de France – Trophée Duval Leroy, remporté en 2009. Le jury, qui comptait notamment trois « Meilleurs sommeliers du monde », Serge Dubs, Philippe Faure-Brac et Olivier Poussier, a salué le beau « niveau » de la finale de cette compétition qui a lieu tous les deux ans.
Ci-dessus, de gauche à droite, Michel Hermet, président de l’Union de la sommellerie française, Jonathan Bauer-Monneret, 28e Meilleur sommelier de France, et Claude Chevalier, président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne. Photo : Jean Bernard.
Les grands de demain : Vallée de la Loire
Les experts Bettane+Desseauve ont sélectionné dans chaque vignoble de France les producteurs qui leur paraissent avoir le potentiel de s’affirmer au plus haut niveau de leur appellation.
Quatrième étape de ce Tour de France de l’avenir, la Loire
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Crédits photo d’ouverture : http://www.cityzeum.com/tourisme/vallee-de-la-loire
Les Crayères forever
Le prestigieux magazine de tourisme américain Condé Nast Traveler publie régulièrement l’avis de ses lecteurs (ce sont les Reader’s Choice Awards) concernant les meilleures destinations du monde. Cette année, 77 000 lecteurs ont voté pour leurs établissements préférés. Pour la France, le domaine rémois Les Crayères mené par les frères Gardinier, tout récemment récipiendaires d’un prix pour leur participation au rayonnement français (en lire plus ici sur ce sujet), arrive en 3e position.
« Plusieurs fois récompensé comme l’un des plus beaux hôtels au monde par la presse internationale, fleuron des Relais & Châteaux, le domaine conserve par delà ses cinq étoiles et les deux macarons de son grand restaurant, quelque chose de la Belle Époque qui l’a vu naître. Grâce à une implication quotidienne, l’équipe entière du Domaine Les Crayères voit ainsi récompensé un service impeccable. »
Outre la célébration d’un certain art de vivre à la française, cette distinction honore également la richesse du livre de cave – plus de 600 références – et récompense à travers lui les relations étroites entre la famille Gardinier, les viticulteurs de Champagne et les Rémois en général, des « relations entretenues et élargies à une très importante clientèle internationale, et notamment anglo-saxonne, par Hervé Fort, le directeur du domaine, Philippe Mille, son chef, Philippe Jamesse, son chef sommelier, et leurs équipes. »
Les 12 vins pour accompagner du gibier
La saison du gibier commence. A plume ou à poil, ces idéaux compagnons des grands vins ont leurs chouchous. Les voici.
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Château La Dominique
Saint-Émilion grand cru 2011 – 39 euros – 16/20
Nez sur le gibier et la fourrure, beaucoup de générosité avec un peu plus de dureté dans le tannin que 2012. Le vin a pris plus d’assurance que l’an dernier.
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Château La Commanderie
Clos des Jacobins 2011 – 17,45 euros – 15/20
Sur le musc et le cuir, avec du répondant, vin de petit gibier.
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Clos Blanc
Domaine Albert Grivault 2011 – 29 euros – 15/20
Carafé et bien mis en scène, ce village aux accents épicés avec un tannin compact se montre à son avantage sur une terrine de gibier ou sur un filet de biche.
CONTACTER LE PRODUCTEUR
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Mélusine
Domaine Vecchio 2011 – 36 euros – 15/20
Toujours original sur l’iode, le marc, les herbes aromatiques locales, expression réussie du grenache. Savoureux et long, un vin pour les gibiers d’hiver.
CONTACTER LE PRODUCTEUR
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La sauvageonne grand vin
Gérard Bertrand 2011 – NC euros – 17/20
Syrah pour 60% et grenache sur schiste uniquement. Fraîcheur, grand potentiel, longueur brillante. Beaucoup de classe.
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[su_tab title= »VIN 6″]
Les Vignes Oubliées
Terrasses du Larzac 2012 – 17 euros – 17/20
Cette cuvée développe une bouche puissante et savoureuse, très pleine avec des tannins présents mais de grande qualité. À mettre en cave si vous ne craquez pas sur sa plénitude actuelle.
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[su_tab title= »VIN 7″]
1610
Château Grand Boise 2011 – 22 euros – 15,5/20
Nez complexe où se mêlent la pivoine, la fraise des bois, les aiguilles de pin et le poivre de Sichuan, la bouche offre un tannin élancé d’une grande fraîcheur. Belle évolution, potentiel évident. Vin de lièvre à la royale.
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[su_tab title= »VIN 8″]
L’Excellence de mon Terroir
Bernard Magrez Grands Vignobles 2011 – NC euros – 14/20
Coloré, puissant, un brin sauvage au nez, un joli vin pour les gibiers.
CONTACTER LE PRODUCTEUR
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Château Montus
Château Montus – Château Bouscassé 2011 – 19,90 euros – 15,5/20
Beaucoup d’ampleur, texture remarquablement veloutée, tannin plus suave, moins extrait que naguère, vin de style, apte aux plus hautes comparaisons.
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[su_tab title= »VIN 10″]
Clos du Noyer
Domaine Grosbois 2011 – 24 euros – 17/20
Le vin a digéré son élevage, c’est désormais une référence en chinon, puissante, suave, profonde.
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[su_tab title= »VIN 11″]
Vieilles Vignes
Tardieu-Laurent 2012 – 21 euros – 16,5/20
Expression profonde de fruits noirs, ensemble avec de la gourmandise et un fruité très fin, bonne harmonie. À réserver à une cuisine de gibiers.
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[su_tab title= »VIN 12″]
Le Clos
Montirius 2004 – 30 euros – 16/20
Excellente matière encore bien constituée. Beaucoup de présence et d’allonge, arôme délicat d’airelle, superbe évolution.
CONTACTER LE PRODUCTEUR
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Clinet by Ronan
Château-clinet est un pomerol de grande renommée. Ronan Laborde est particulièrement inconnu. Rencontre avec l’homme derrière le pomerol.
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D’un château, Clinet n’a rien. Une allure d’école de filles époque Jules Ferry, une petite gare de basse province, ce genre de bâtiment municipal, ce charme-là. Un château, non. On est loin des édifices destinés à impressionner le travailleur des vignes et le client de passage. Le chai, récent, a une modernité, mais enfin, ce n’est ni Nouvel ni Portzamparc. Et on fait du vin quand même ? Oui et du bon. Château-Clinet met en marché un grand pomerol et deux vins de négoce, de fins breuvages dont les propriétaires n’ont qu’à se féliciter et nous aussi. Décryptage avec Ronan Laborde, un jeune homme pas si classique et très volontaire.
Les propriétaires
Clinet a été acquis par le père de Ronan Laborde en 1999. Ronan passait son bac et savait depuis l’âge de 15 ou 16 ans que sa voie passait par le fond d’un verre de vin. « Nous avons fait un grand tour en Argentine, je ne m’y suis pas senti chez moi. Je suis Parisien, Bordelais, pas du tout Argentin. » Ce sera Pomerol et c’est aussi la Hongrie avec deux propriétés. Ronan possède 71 % de la nue-propriété de Clinet, son père en a l’usufruit et sa sœur, les derniers 29 % que Ronan s’applique à racheter, petit bout par petit bout. C’est lui qui a la responsabilité du lieu et de son développement. Il a de cette charge une haute idée, de celles qu’on ne croise pas à tous les coins de château, de plateau. Il pousse l’engagement jusqu’à organiser aujourd’hui son déménagement personnel dans les vignes du plateau pomerolais, « La vie est courte, c’est pour ça qu’on s’installe à Clinet, pour être au plus près de ce que l’on fait. » Ils ne sont pas nombreux, les propriétaires qui habitent le vignoble, mais il ne sera pas seul, la famille Techer habite en face toute l’année, à Gombaude-Guillot. « Ils sont en bio, eux. Ils font bien. Gombaude-Guillot, c’est très bon depuis un moment. » C’est une caractéristique de Ronan Laborde, il aime bien la plupart de ses voisins, il a du respect et une forme d’admiration pour le travail entrepris, les résultats obtenus. Il encave des caisses et des caisses de leurs vins, parfois il échange avec d’autres, mais c’est compliqué les exigences, la parité n’est jamais vraiment respectée, il y a ceux qui veulent trois caisses contre une, alors il préfère acheter. Avoir tout ce qui se fait de bien comme autant d’exemples. Et du passé de Clinet, il ne fait pas table rase, il sait les grands millésimes d’avant, il cherche à s’en inspirer sans pour autant renier ce qu’il fait depuis dix ans.
De son père, de la place qu’il occupe, il a une conscience nette. « Je suis la première génération à gérer ce qu’il a acquis. Ce ne sont pas ses affaires au quotidien. Nous n’avons pas cinq siècles d’histoire familiale dans le vignoble bordelais, alors il s’intéresse, mais c’est moi qui fais. »
La propriété
11,27 hectares, une bonne taille à l’échelle de la Rive droite. Elle a été agrandie de trois hectares depuis 1999, « Mais je n’irai pas au-delà, nous n’avons pas de volonté expansionniste. Le terroir de Clinet est assez unique et il n’est pas simple de trouver des parcelles disponibles à la vente et aussi qualitatives. » En arrivant à Clinet, il a arraché et replanté 20 % du vignoble et il se félicite de l’avoir fait. Aujourd’hui, ces vignes arrivent en pleine production et château-clinet s’améliore chaque année. Le vignoble est planté à assez faible densité de 6 500 à 7 200 pieds à l’hectare. On est loin des 10 000 pieds de certaines propriétés. « Le terroir de Clinet est exceptionnel et il porte ce qu’il faut de vignes. Nous récoltons chaque année entre 38 et 47 hectolitres / hectare. Je ne suis pas fou des petits rendements, il y a un équilibre que la plante doit atteindre. » Ronan est un des très rares propriétaires de grande étiquette à travailler sans consultant. Même pas peur. « Michel Rolland s’est occupé de Clinet de 1973 à 2008. Et puis, on a fini par se séparer. J’ai pensé que nous avions des compétences en interne avec Leonardo Izzo, notre directeur technique. Il est probable aussi que Michel et moi ne partagions pas la même vision de ce que devait être le vin de Clinet ». [/col]
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Les vins
Trois étiquettes à Clinet. Le grand vin, c’est château-clinet pour 60 000 bouteilles, « On vend en primeurs avec le négoce bordelais, on fait partie des quelques grands crus qui ont ce privilège. À notre niveau de prix, on peut toucher tout le monde, c’est un grand vin qui n’est pas inabordable. » L’autre vin, fleur-de-clinet, n’est pas à proprement parler un second vin. C’est un vin de négoce, plutôt, même si 10 % de la récolte du domaine lui est destiné, « 20 % en 2013, hein. » Fleur-de-clinet représente 40 000 bouteilles et il y a ronan-by-clinet, un bordeaux de négoce aussi, pour 360 000 bouteilles environ en année pleine.
La Hongrie
Les deux propriétés hongroises gagnent « un tout petit peu d’argent depuis trois ans », une performance assez peu partagée puisque deux affaires sur les seize qui comptent sont déclarées rentables. À Tokay comme à Pomerol, Ronan Laborde a innové. D’abord, sur les 700 000 bouteilles produites, seulement 100 000 sont des azsu, des liquoreux. Le reste est du vin sec et, pour 10 % de la production, un produit nouveau, un « late harvest » à l’alsacienne qui a très vite trouvé son public.
Avant de prendre l’avion pour ailleurs, là où on vend du pomerol de belle origine, Ronan Laborde tient à expliquer qu’un vignoble est une entreprise comme une autre dont l’objectif n’est pas de frauder, mais de faire en sorte que tout le monde soit payé à la fin du mois, « Les hélicoptères de la MSA qui survolent les vignes pour repérer l’employé non-déclaré, vous trouvez ça sérieux ? Personne ne joue à ça à Pomerol, mais c’est pratique pour les gens de la MSA de justifier leur salaire en faisant de l’hélico. Je ne suis pas contre le système, je suis contre ses excès et ses facilités. Les moyens mis en œuvre contre nous, deux années de suite, sont aussi inutiles que coûteux pour les contribuables que nous sommes. Il n’y a rien à découvrir. » C’est dit, c’est écrit. Nous quittons Ronan, si peu héritier et si attentif à ce qu’il fait, avec le sentiment d’avoir croisé quelqu’un doté d’une énergie inhabituelle. D’ailleurs, avant l’avion, il a une réunion de chantier à quelques centaines de mètres de Clinet. C’est là qu’un nouveau chai va sortir de terre « pour les vins de négoce, pas pour clinet », qui sera aussi le siège de l’entreprise. Clinet avance.
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Ronan 2005 15/20
Bordeaux très harmonieux, finement construit et sans aucune lourdeur. Le fruit est très franc et assez complexe, la bouche est glissante et svelte.
Fleur de Clinet 2008 15/20
Souple, agréable, fruité, très sain et franc, à apprécier dès maintenant !
Fleur de Clinet 2010 15,5/20
Beaucoup de charme pour ce millésime aux accents de fruits noirs et de pivoine que l’on retrouve dans une bouche au tanin frais et dynamique.
Pomerol 2011 16,5/20
Densité épicée avec une allonge soyeuse, on est dans le gourmand caressant.
Pomerol 2012 17/20
Texture onctueuse avec un tannin crémeux, épicé et chocolaté.
Pomerol 2013 16/20
La gourmandise du pomerol dans le millésime, raffiné, charmeur.
Je vous ai compris…
Brève –et personnelle– histoire contemporaine du vin de France
Chapitre trois, qui indique que, né en 1958 et commençant à déguster les vins de l’année 1984, je n’ai pas été verni en matière de millésimes symboliques. Mais l’année maudite me permet de comprendre ce qui va et ce qui ne va pas à Bordeaux.
Le premier millésime bordelais que j’ai découvert, non pas à sa naissance mais immédiatement après sa mise en bouteille, fut 1984. J’avais moins de chance que Bettane. Avec 1992, 1984 est certainement le plus mauvais millésime bordelais de ces trente dernières années. Cela m’a permis d’apprendre les bons et les mauvais côtés de la modernisation du style des vins qui avait été enclenchée deux ans plus tôt. Les producteurs bordelais intelligents avaient compris qu’une révolution œnologique s’était engagée et qu’ils devaient changer de méthode. Mais à l’époque, on parlait plus de vinification et d’élevage que de viticulture. En dégustant ces 1984, j’avais été surpris par la raideur des tanins et souvent la dilution du vin provenant de raisins gorgés d’eau et souvent attaqués par la pourriture. Pourtant, cette mauvaise matière première avait subi des cuvaisons plus longues que dans les millésimes précédents – pour extraire plus de tanins et faire des vins plus charpentés – et avait été élevée dans des barriques de chêne plus récentes, parfois neuves. Avec la foi du béotien que j’étais alors, je m’étais enthousiasmé sur les vins les plus puissants et les plus boisés. Les redégustant quelques années plus tard, je découvrais des vins décharnés, aux tanins secs et verts et toujours dominés par des arômes qui rappelaient ceux d’une planche de bois. J’en ai tiré deux leçons : d’une part qu’on ne devient un vrai dégustateur qu’après avoir dégusté plusieurs fois les mêmes vins à différentes époques de leur vie, d’autre part que récolter un raisin à la meilleure maturité possible est la clé des vins réussis. Heureusement, des producteurs et des œnologues l’avaient compris aussi. L’un des hommes les plus impressionnants de cette époque était sans nul doute Michel Delon, le père de l’actuel propriétaire de Léoville-Las-Cases, Hubert Delon. L’homme était secret, impérieux, entièrement tourné vers une obsession : faire de Las-Cases l’égal, par sa qualité et son prix, des premiers crus classés.
Il y est certainement parvenu en termes de qualité (les las-cases de la fin des années 80 sont à mon sens au moins équivalents à lafite ou mouton dans ces millésimes), mais n’a jamais pu se caler sur leurs tarifs. Quand je rejoignis La Revue du vin de France comme rédacteur en chef au début des années quatre-vingt-dix, je découvrais que Michel Bettane passait chaque semaine de longues heures avec lui au téléphone. Delon connaissait tout des arcanes complexes du vin à Bordeaux et me rappelait le personnage de Marlon Brando dans The Godfather.
Une nouvelle génération de producteurs arrivait, jeunes, simples, enthousiastes et surtout conscients des progrès à accomplir pour faire retrouver à leurs vins le niveau qualitatif que leur prestige supposait. Olivier Bernard à Chevalier, Hubert de Boüard à l’Angélus, Stephan von Neipperg à Canon-La-Gaffelière, Christine Valette à Troplong-Mondot, Didier Cuvelier (Léoville-Poyferré), leurs ainés Antony Perrin (Carbonnieux), Bruno Prats (Cos d’Estournel), Jean Gautreau (Sociando-Mallet),Henri Dubosc (Haut-Marbuzet), Anthony Barton (Léoville-Barton) ou Thierry Manoncourt (Figeac) et le surdoué Jean-Luc Vonderheyden au Château Monbrison, hélas disparu prématurément, innovaient et avançaient. En même temps, de brillants œnologues émergeaient, apportant énormément à la définition du style des bordeaux modernes. Le pomerolais Michel Rolland s’attaquait avec une extraordinaire force de conviction à la recherche de la maturité du raisin et à l’élevage d’un vin charpenté dans des bonnes barriques de bois neuf, tandis que le brillant professeur d’œnologie à la Faculté de Bordeaux, Denis Dubourdieu, mettait lui-même la main à la patte pour réinventer les blancs des Graves et de Bordeaux en général.
Le Pré du Moulin : Sérignan du Comtat
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Menus à 31 euros, 49 euros ou 75 euros
Ouvert de 12h à 15h et de 18h à 00h
Fermé le dimanche et le lundi.
Route de Sainte Cécile les Vignes 84830 Serignan Du Comtat
Tél. : 04 90 70 14 55
www.predumoulin.com/menu.php [/col] [col width= »six »]
A l’écart de l’estivale N7, au nord est d’Orange, par la D 976 le village de Sérignan du Comtat abrite cet ancien moulin du XVIIe siècle d’un bucolisme virgilien. Il propose des chambres spacieuses et paisibles qui viennent d’être rénovées et où l’on respire pleinement l’atmosphère ambiante.
Le chef Pascal Alonso est un Bourguignon qui a opté pour le pays du grenache et de la roussane et depuis quelques mois il vient d’être rejoint par son épouse Caroline et son fils Maximilien.Ici, la cuisine à six mains est comme un théâtre où les scènes se suivent avec élégance.
Le chef revisite la gougère avec une texture feuilletée qui donne de l’aplomb à cet amuse bouche continental bien en phase avec le Côte-du-Rhône blanc de la Janasse 2013. Plus sudiste la version de l’olive caramélisée ouvre des perspectives provençales qui trouvent leur pleine expression avec une poêlée d’encornets aux parfums garrigue. L’aromatique du plat en même temps que la texture explosent en bouche, le tout caressé par un Domaine de Nalys blanc 2012 alliant puissance et finesse.Le foie poêlé couronné de menthe fraîche et de raisin est tonifié par sa sauce aigre douce, l’ensemble est suave, les contours sont bien dessinés avec ce qu’il faut de sûreté dans l’exécution.
Servi avec des pommes de terre croquantes, le carré d’agneau signe bien ses origines. Il entre en composition avec un Santa Duc 2011, l’un des grands classiques de Gigondas. Plus juteux, le pigeonneau saignant offre toute sa sensualité à un Clos-des-Papes 2010, un des joyaux de Châteauneuf qui répond par de longues tirades épicées. C’est une cuisine de cœur dans ses dédoublés et ses entrevins sans mauvaise surprise ou de dérobade. La carte des vins très complète rappelle qu’ici on tutoie Châteauneuf-du-Pape et les stars du Rhône; c’est également un lieu stratégique pour les grandes scènes du Comtat Venaissin.
À LA CARTE: Raviole ouverte de truffes et artichaut • Poêlée de grenouilles meunière • Baba flambé au rhum • Feuillantine chocolat et crème légère au café
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Crédits photo d’ouverture : http://fr.hotels.com/ho418114/le-pre-du-moulin-serignan-du-comtat-france/
Quelques vérités sur le vin, l’Homme et la nature
Peu de sujets concernant le vin enflamment ou abrutissent autant les esprits que le couple vin et terroir. Les « terroiristes » me font penser aux talmudistes qui inlassablement essaient de rationaliser ce qui relève du mystère ou de la foi, ce qui est peut être utile sur le plan moral et philosophique mais n’a aucun sens en matière de plaisir et de goût, et encore moins d’agriculture, malgré le mot culture. Cela fait plus de trente ans que j’essaie de comprendre avec l’aide d’innombrables vignerons et savants, un peu partout sur cette planète, la relation qui existe entre une saveur et une origine, ce qui me semble la moindre des politesses par rapport à notre tradition européenne. Car pour elle les deux concepts sont éternellement liés. Je suis encore loin de me sentir bien avancé dans cette longue enquête, mais je suis sûr au moins d’une chose, c’est qu’il faut éviter tout dogmatisme idéologique, ou crypto religieux, ou pseudo scientifique avec son jargon (le pathetic pretense cher à nos amis anglais), si l’on veut aider le public à y voir (un) peu plus clair.
Le postulat de départ ne saurait être remis en question : un vin portant un nom géographique n’a de sens ou de probité commerciale que si son goût apparait relié à une origine. Un goût reproductible au cours des âges, reconnaissable plus ou moins précisément par plusieurs générations successives de consommateurs et transmissible par des mots, malgré la différence des sensibilités et une diversité génétique, qui, on le sait, détermine toute perception des saveurs. Je laisse à des personnes forcément plus qualifiées que moi, médecins, neurologues, linguistes, le soin d’expliquer dans toute leur complexité les trois étapes que sont la perception d’une saveur, la mise en forme de cette perception et son expression par des mots. Mais la création de cette saveur par la nature, c’est-à-dire la vigne, le sol, le climat après intervention du savoir-faire humain (l’homme n’étant qu’un facteur naturel de plus), c’est quand même plus facile à faire comprendre, même si l’amoncellement de stupidités devenues lieux-communs met trop souvent l’amateur de vin sur de fausses pistes. Un vin, répétons-le, c’est une vigne, un sol, un climat, du ferment et du contrôle humain. Chaque élément n’a pas plus d’importance qu’un autre et seule la chaîne des actions (mais aussi des hasards) qui les relie a du sens. Point par point reprenons chacun de ces éléments.
La vigne d’abord. C’est une plante, un être vivant, avec ses caractères génétiques, un gène même de plus que l’être humain, si je ne me trompe, avec sa façon de s’alimenter et survivre. On met parfois trop l’accent sur l’alimentation par les racines, qui recherchent l’eau, et transmettent au raisin certains oligo-éléments contenus dans le sol. L’alimentation aérienne semble tout aussi importante. La photosynthèse par la feuille transforme la lumière, le froid, le chaud, la pluie, le vent, selon hasards de l’année et du lieu, en sucre et en arômes dans le fruit, ce qui renvoie tous les faiseurs de trous et dessinateurs de cartes géologiques à leur rôle limité, mais pas inutile, de spécialistes de la préhistoire. Outre le caractère du cépage et du matériel végétal utilisé, l’importance du millésime saute ainsi aux yeux et justifie la sagesse de l’empirisme bourguignon qui préfère le mot « climat » au mot terroir.
Le fruit c’est donc le début de l’histoire : la seconde étape c’est le ferment. Le ferment contribue au goût mais ne le détermine pas. Je sais que je vais choquer beaucoup d’esprits crédules, mais l’idéal de la fermentation est une fermentation aussi neutre, régulière et apaisée que possible, le ferment, c’est-à-dire les levures, n’ayant comme mission que de transformer en vin, aussi exactement que possible, les promesses du fruit et dans ces promesses il y a forcément l’expression de l’origine. Le terroir, au sens plein, est dans le fruit, pas dans la levure, même si la levure est présente sur le terroir, ce qui n’est pas la même chose ! Cela réduit à néant le débat byzantin sur l’incompatibilité des levures indigènes ou exogènes, surtout si l’on écarte les levures aromatiques du commerce, pour ne conserver que celles qui ont été sélectionnées pour leur neutralité et leur efficacité. Une levure indigène travaillant bien, tant mieux et qu’on la garde ! Une levure indigène travaillant mal, cela existe aussi, et elle tue le vin, et donc l’origine, terroir et climat confondus. Qu’on l’empêche donc de nuire !
On le voit, l’homme doit prendre à un moment donné la relève de la nature et donner une dimension de civilisation, par un travail d’élaboration où toute la finesse d’observation et de jugement dont il est capable joue un rôle prépondérant. La plupart du temps, quand tout se passe bien, cette élaboration peut prendre la forme minimale d’une assistance bienveillante et complice, c’est la philosophie de nombreux viticulteurs de vins célèbres qui très modestement se disent au service de leur cru. J’ai pu constater que c’est plus souvent un mensonge pieux, car de très nombreux choix décisifs relèvent d’interventions précises : détermination de la date de vendange, maintien ou non de la rafle, rapport idéal entre le volume des cuvées et le volume des cuves, longueur et régulation, de la cuvaison, manière d’extraire le tannin dans les vins rouges ou d’équilibrer oxydation et réduction dans les vins blancs, choix de l’usage ou non de la barrique, du volume de ces barriques, de leur fabrication (séchage, chauffe, montage), de l’origine des bois, durée de l’élevage, contrôle de la mise en bouteille etc… Savoir, intuition, morale, rigueur, précision, sang froid, il en faut des qualités pour réussir un grand vin, sans parler de la précision du goût, car de nombreuses décisions ne peuvent qu’être prises que sur dégustation. On comprend pourquoi de plus en plus de producteurs se sentent trop seuls pour décider et engagent le dialogue avec un ou plusieurs conseillers. Il est de bon ton de railler l’influence des œnologues gourous, mais combien de cuvées n’ont-ils pas sauvé de l’incompétence, de l’obstination ou de la routine ? Et inversement, il arrive souvent que des viticulteurs intelligents aident leurs conseillers illustres à ne pas sombrer dans les abîmes d’un narcissisme trop humain ! Et les journalistes dans tout cela ? On fabule beaucoup quand on dit qu’ils formatent le goût du public. La plupart essaient dans une presse de plus en plus faiblement idéaliste et combative de faire de la vulgarisation intelligente. Et pas seulement pour faire connaître les plus grands vins, enfants gâtés des adorateurs innombrables du veau d’or, mais aussi tous les autres à travers de la planète si on leur a accordé pendant leur élaboration le soin qu’ils méritent. Il y a encore du travail…