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Laurent Vaillé est mort, c’est lui qui faisait la Grange des Pères

Je n’ai jamais rencontré l’homme de la Grange des Pères, sa disparition m’impressionne. J’ai appelé mon ami Antoine Pétrus pour qu’il m’en dise quelque chose.

Voilà, en quelques lignes, ce qu’il m’a dit :

« Je le connaissais depuis quinze ans, rencontré grâce à Xavier Braujou (La Terrasse d’Élise) qui avait commencé chez lui. Laurent Vaillé était un garçon de grande ouverture et sensibilité. Il était fin, spirituel, il avait rencontré et aimait nos grands hommes Chave, Bonneau, Reynaud. Il avait l’amour des vins du Sud, les manières des villageois d’antan, la pudeur et la réserve. Il était plus timide que communicant, ne voulait jamais parler de lui. Pourtant, il m’appelait parfois, nous parlions des heures, de tout, de rien, de vin, du temps. Nous nous sommes revus il y a très peu de jours. Il était content que j’ai “osé quitter Taillevent”, ce sont ses mots. Il savait conserver de l’émerveillement et de la simplicité malgré l’engouement qui entourait ses vins. Il était un homme rare et intemporel. Je ne commenterai pas son départ ou les circonstances. C’est une peine immense, voilà tout. Je me sens seul cet après-midi. »

Merci, Antoine, pour tes jolis mots. Et moi, mes pensées accompagnent mon cher Éloi Dürrbach. Laurent Vaillé avait commencé à Trévallon, Éloi l’aimait beaucoup, il doit être envahi de tristesse.

(J’ai trouvé cette photo sur le mur Facebook de Nicolas Herbin qui signe là un très bel hommage.)

Le mondovino de la semaine n°17 tourne à fond

Chaque jour a son lot de nouveautés. En voici quatre : Prendre l’air en Provence, 8.74 milliards d’euros, La côte chalonnaise en Chanson, Picpoul à la conquête des étoiles

Prendre l’air en Provence

Le confinement touche bientôt à sa fin. Place à la liberté, au soleil, à l’air frais et à la redécouverte du vignoble. Direction la Provence que nous aimons pour ses vigneronnes, ses vignerons, ses domaines et ses vignobles. Aurélie Bertin ouvre les portes de ses deux domaines qui viennent d’obtenir le label « Vignerons Engagés », premier label RSE de la filière vin, délivré par le collectif Vignerons en développement durable. On pourra découvrir le château des Demoiselles (300 hectares) avec sa bastide construite en 1830 transformée en maison d’hôtes de cinq chambres décorées dans un esprit bohême. Ou flâner au château Sainte-Roseline (110 hectares) à la découverte de la chapelle abritant les reliques de Sainte-Roseline et de l’ancienne abbaye transformée en maison d’habitation par l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Au programme : visites, dégustations, parcours artistiques, balades à vélo et pour les plus sportifs, la « Foulée des Demoiselles », une course dédiée aux femmes au profit de la lutte contre les cancers.
Plus d’informations : chateaudesdemoiselles.com ou sainte-roseline.com

8,74 milliards d’euros

C’est le chiffre d’affaire des exportations françaises de vins en 2020, soit 13,59 millions d’hectolitres. Un recul de 5 % et une perte de 1,06 milliards d’euros par rapport à 2019 constaté par FranceAgriMer. Cette baisse de volume est accompagnée par un repli de 6 % du prix moyen qui atteint désormais 6,43 euros par litre. La pandémie de la Covid-19 et les tensions commerciales avec les États-Unis sont les deux principales causes de cette dévalorisation.

La côte chalonnaise en Chanson

La maison Chanson Père et Fils, plus ancienne des maisons beaunoises, possède un vignoble de 43 hectares très bien situé avec, entre autres, des vignes dans le Clos des Mouches, en beaune premier cru. La maison est aussi présente plus au sud de la Bourgogne où elle signe ce rully 2017, remarquable de minéralité et bien élevé. Il est issu de parcelles à forte dominante argilo-calcaire sur des veines d’alluvions et de marne situées au cœur de l’appellation. Une belle affaire.
20 euros chez les cavistes

Picpoul à la conquête des étoiles

La cave de l’Ormarine et la maison Jeanjean unissent leur savoir-faire pour créer « Acaciae », un picpoul-de-pinet gastronomique dont la production ne dépasse pas 3 000 bouteilles, issu d’une sélection des meilleures parcelles de l’appellation, élevé sur lies fines pendant quatre mois en fût d’acacia. « Le bois d’acacia était une évidence pour sublimer le piquepoul. Il marque le vin avec finesse et préserve la fraîcheur et la légèreté caractéristique du cépage », explique Iain Munson, Master of Wine et créateur de la cuvée. En plus la bouteille est glamour, courte avec ses courbes élégantes et son étiquette épurée.
25 euros, disponible pour le réseau CHR et chez les cavistes

Lalou Bize-Leroy, un trésor national vivant

Elle a suivi au plus près soixante vendanges en Bourgogne. Elle a acheté, récolté, vinifié, élevé bon nombre des plus sublimes chefs d’œuvre qu’a produit la Bourgogne depuis 1955. Vigneronne éprise de son terroir, Lalou Bize-Leroy a fait de son nom l’une des signatures les plus recherchées – et les plus chères – du monde du vin. Avec des convictions chevillées au corps et un enthousiasme inentamé, elle s’est confiée longuement à Thierry Desseauve pour EN MAGNUM.

 

« Je voulais vivre en montagne, vivre de la montagne. Mon idée, c’était d’avoir un petit hôtel en montagne. » Lalou a alors une vingtaine d’années, on l’imagine forcément aussi décidée et virevoltante qu’aujourd’hui. Il faut simplement amadouer ce père chéri et respecté, Henri Leroy, aussi imposant qu’elle est menue, entrepreneur éclairé qui a su dans l’entre-deux-guerres faire de la maison familiale bourguignonne un poids lourds des eaux-de-vie et qui est également devenu copropriétaire, en 1942, du domaine de la Romanée Conti. On imagine la réaction du grand homme, père aimant, père cédant, mais tout de même les pieds sur terre. Si c’est ce que tu veux vraiment, fais au moins l’école hôtelière. « On est partis à Lausanne et, dans l’école, en attendant la directrice, il m’a dit la larme à l’œil, lui que je n’ai jamais vu pleurer : “Si tu restais avec moi tu pourrais aller à la montagne quand tu veux.” » On a aussitôt quitté l’école et nous sommes repartis vers Meursault. Le lendemain matin à huit heures, je commençais à travailler. Je me rappelle lui avoir dit, sans modestie : « Je te ferai un nom. » Nous sommes au printemps 1955, Lalou Leroy entre dans la carrière et commence son grand œuvre.

En 1955, la Bourgogne est dans une situation paradoxale. Les rendements sont faibles, les vignes sont vieilles, les cuvaisons traditionnelles, les engrais, les clones et les vinifications courtes n’ont pas encore envahi la région comme ils le feront dix ans plus tard. Bref, on y trouve beaucoup de vins formidables, mais peu de professionnels s’en soucient et les consommateurs ne sont guère plus attentifs. Lalou, toujours : « Les meilleurs vignerons vendaient leurs vins aux négociants, on avait l’embarras du choix. » Elle court d’un cru à l’autre, elle goûte, elle achète ce qu’elle aime, elle ne discute jamais le prix. « Il y avait aussi des vins moyens et je n’achetais pas tout ce que je dégustais. J’avais déjà en tête ce que devait être un bon pommard, un bon volnay. J’ai été élevée dans le respect du vin et je suis passionnée depuis toute petite. J’ai réalisé très jeune que ce n’était pas un hasard si les vins de Meursault étaient élégants comme la flèche de Meursault. Il y avait une correspondance entre la vigne, le paysage et le goût, ça je l’ai réalisé étant petite. »

Soixante ans plus tard, nous voilà à déguster ces vins devenus des mythes bourguignons ultimes, des vins de collectionneurs énamourés et d’agioteurs effrénés, le nez de Lalou entre dans le verre, le mien aussi, la fraîcheur est immense, le parfum infini, la vigueur et la profondeur donnent aux nectars une impression d’éternelle jeunesse. Ce suchots à la robe acajou mêle au bouquet de zeste d’orange confit et de fleurs séchées les senteurs du caillou chauffé par le soleil du terroir de Vosne-Romanée qui lui a donné naissance. Cet extraordinaire gevrey 1er cru les-cazetiers impose semble-t-il pour toujours sa plénitude et sa maturité. Ils sont tous là, vaillants soldats de cette première campagne, du délicat monthélie au glorieux chambertin, de la subtile romanée saint-vivant (« une belle musique », dit-elle) au lumineux mazis, du généreux richebourg au pur musigny, ils sont tous là, réécrivant à la manière œnophile le vers célèbre de Mallarmé : « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change ». En six décennies, la vie de Lalou Leroy, devenue Lalou Bize-Leroy par son mariage avec Marcel Bize, s’est indissolublement liée à celle des grands vins de Bourgogne, jusqu’à devenir le symbole et la vigie de leur génie singulier.

Il y eut plusieurs périodes dans cette existence tout entière dédiée au vin. La première, celle de la Maison Leroy et des vins qu’elle choisissait, plutôt qu’achetait, se poursuit toujours, même si de son propre aveu « c’était beaucoup plus facile en 1955 qu’aujourd’hui. Il y a maintenant beaucoup de winemaking, ce dont j’ai horreur. De ce fait, j’achète très peu, cette année je n’ai pas encore acheté de foudre. » Les spécialistes distinguent évidemment ces vins « de négoce » de ceux du domaine Leroy qui, on y viendra, naît en 1988. Une dégustation comme celle que nous avons faite de 24 crus du millésime 1955, tous vins de négoce, impressionne autant par l’homogénéité stylistique que qualitative. Un domaine n’aurait pas été plus cohérent. Lalou le justifie : « J’appliquais la même politique en tant que négociant. Je voulais des vins de très haute qualité et c’est une recherche constante. Si le vin n’est pas bon je n’en veux pas. C’est extra ou ce n’est pas. »

En 1974, elle devient cogérante, avec Aubert de Villaine, représentant de l’autre famille copropriétaire, du domaine de la Romanée-Conti. La maison Leroy, où elle a succédé à son père, distribue les vins du DRC dans le monde entier, sauf aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. C’est le germe d’une rupture qui deviendra effective en 1992. Pour autant, c’est à cette période que se refonde tant l’extrême qualité des vins du domaine de la Romanée-Conti que leur exceptionnel destin commercial. Le domaine Leroy naît en 1988 grâce à l’appui financier du groupe de distribution japonais Takashimaya  qui entre dans le capital de la maison Leroy à hauteur de 33%. L’affaire fit grand bruit à l’époque, le ministre de l’Agriculture Nallet enfourchant le grand air de la défense de l’intérêt national avec ce ton aussi impérieux que ridicule que seuls sont capables de prendre les politiques et les journalistes. Takashimaya est une institution japonaise, un « Galeries Lafayette » en plus luxueux, mais certains n’ont voulu y voir qu’un prédateur inculte. Le représentant en France de Takashimaya, aujourd’hui à la retraite, s’étonne encore des réactions à leur arrivée. Vingt-sept ans plus tard, Takashimaya est toujours là, à la même hauteur, et peu d’actionnaires auront été aussi respectueux du trésor qu’ils auront contribué à bâtir.

L’acquisition en 1988 du domaine Charles Noellat, essentiellement basé en côte-de-nuits, mais avec aussi quelques parcelles à Savigny, vient compléter les parcelles historiquement détenues par la famille, à Pommard, Volnay-Santenots, puis d’autres crus sont achetés dans la foulée, Corton-Renardes, Corton-Charlemagne, un peu de Musigny. Quelques mois plus tard le domaine Philippe Rémy complète le nouveau domaine Leroy, installé à Vosne-Romanée et constitué aujourd’hui de 22 hectares avec neuf grands crus. Lalou et son mari vivent au domaine d’Auvenay, une belle et ancienne ferme sur les hauteurs de Saint-Romain dotée elle aussi d’un petit, mais précieux, patrimoine de vignes.

Devenue vigneronne, Lalou prend vite la décision de convertir l’ensemble du vignoble à l’agriculture biodynamique. Un choix iconoclaste dans la Bourgogne engraissée, désinsectisée et désherbée de l’époque, mais le choix d’une vie, de la vie. Elle n’hésite pas : « J’avais compris depuis bien longtemps que tout était vivant, le raisin, le vin. Je ne voulais pas qu’on tue la vigne avec des pesticides, fongicides, insecticides, c’est un crime. J’ai découvert la biodynamie dans un article de Patrice Potier publié dans la Tribune de Genève auquel mon mari, qui était Suisse, était abonné. On est alors allé voir Nicolas Joly à la Coulée de Serrant et j’ai vu que c’était ce que je recherchais. La biodynamie, c’est du bon sens finalement. Et c’est une façon de vivre et de penser. Moralement et physiquement, j’étais incapable de faire autrement. Pythagore a dit il y a 2 600 ans que tant que les hommes ne respecteraient pas les animaux et les règnes inférieurs, ils ne connaîtraient ni la joie ni l’amour. On amène à la plante et au sol une force de vie. Elle est très contente et ça se voit tout de suite à ses feuilles. Elle respire, elle vit. Au début, on rognait et le rognage abattait les vignes. Je me suis alors mise à leur préparer des tisanes de camomille et j’ai tout de suite vu les bienfaits de cette plante sur la vigne. Encore aujourd’hui, je prépare des tisanes très variées selon la saison, le temps, la forme des vignes. »

C’est une philosophie exigeante. On l’interroge sur l’attaque terrible de mildiou qui faillit réduire à néant son millésime 1993 et qui fit beaucoup jaser dans un vignoble sceptique et routinier. Pas plus aujourd’hui qu’à l’époque, elle ne se démonte. « J’ai manqué de surveillance et nous avons raté un traitement à cause de la pluie. L’eau de Vosne-Romanée était très argileuse, l’argile s’est agglomérée à la bouillie bordelaise et nous aurions dû, au lieu de répandre de l’eau, répandre de la bouillie qui nous aurait évité une terrible attaque de mildiou. Désormais, chaque semaine, nos vignes reçoivent une tisane, une décoction, un peu de cuivre et de soufre. » On arrive là au plus profond du mystère des vins des domaines Leroy et d’Auvenay. À plus de quatre fois vingt ans, Lalou garde une modestie de débutante quand il s’agit d’expliquer cette incroyable énergie qui émane de chacun des vins, des plus simples, si tant est que l’on puisse ainsi qualifier ses auxey, aux grands crus. « On a 27 ans (d’expérience de la biodynamie, NDLR) et beaucoup de choses devant nous. Ce n’est pas du savoir-faire, c’est la terre. Le minéral devient suc, le suc devient sève, la sève nourrit les feuilles, c’est donc tout à fait normal qu’on ait des vins pleins de vie et d’énergie. Nos vins vont grandir. Il ne faut pas confondre géologie et agriculture, on commence seulement à en percevoir les effets. Avec cette préparation que Rudolf Steiner a baptisée “préparation 500” et qui s’adresse aux racines, on fait un travail absolument incroyable. »

Elle a pour ses vignes des attentions d’éleveur amoureux de son troupeau, ce qui l’amène sur certains sujets à se distinguer de pratiquement tous les autres vignerons de la planète : « Je ne veux pas arracher de vigne. Un vignoble c’est comme un village, il faut des vieux, des adultes, des jeunes et des nouveau-nés, ils vivent ensemble, se parlent, s’aident. » Cette volonté de prendre la vigne pour un être vivant, intelligent et autonome, influe aussi sur sa politique de rendement, notoirement minimaliste. « Je veux que le rendement soit bas et que le message soit dense. Certains producteurs pratiquent la saignée, selon moi c’est la vigne qui fait son rendement, c’est elle qui commande. On prend ce que donne la vigne. On ne fait pas de vendanges vertes. » Pour tout dire, on a l’impression qu’il lui coûte d’abandonner ses raisins, qu’elle amène grappe entière en cuve. « On enlève la verdure de chaque grappe, c’est un travail de titan. On ne veut pas abîmer les raisins en les arrachant à la grappe et, de plus, la grappe permet au jus de bien circuler dans la cuve. La maturité de la vigne permet également de ne pas donner cette sensation de raideur au vin. » La tension, l’énergie naissent aussi d’une vendange démarrée assez tôt, pour avoir une acidité convenable et haute plutôt que de devoir ajouter de l’acidité. Lalou Bize-Leroy n’a pas le culte du degré et n’hésite d’ailleurs pas à chaptaliser. « C’est comme un tuteur qu’on met sur une plante. Il faut que le vin soit au moins à 13° pour qu’il ait la force de passer le temps. En général nos vins se trouvent entre 12° et 12,5° et je les chaptalise pour arriver à 13°. » Le reste, c’est-à-dire la vinification, est littérature. Jusqu’à la mise en bouteille. « C’est le vin qui décide. En rouge, quand il est clair, on le tire. J’aime les vins qui sentent encore le fruit, le raisin et pas le tutti-frutti. Je ne filtre pas et je ne pratique pas le collage. Pour exemple, je trouve que le dépôt du volnay fait partie de la magie du vin. »

Demeure la rareté et la durée, puisque ces vins-là sont éternels. En regardant ses bouteilles, Henri Leroy disait à sa fille : « Oublie-les, sois patiente. » Elle l’est devenue. Elle sait que sa vie mêlera jusqu’au bout le yin et le yang du vigneron, l’extrême responsabilité et le respect le plus complet de la puissance de l’univers. « Je m’implique dans toutes les étapes. Pour avoir des beaux vins il faut avoir des beaux raisins. Il ne faut pas forcer la nature, mais l’apprivoiser. »

Albéric Bichot : « La Bourgogne est la région qui souffre le moins »

Albéric Bichot, vous êtes le président de la maison Albert Bichot, l’un des cinq grands négociants de Beaune. Comment la maison a-t-elle passé 2020 ?

C’est une année exceptionnelle et historique, l’année de tous les dangers et de toutes les remises en question. Comme je suis d’un naturel optimiste, je dirais que c’est aussi l’année de tous les rebonds. La Bourgogne continue d’être bénie des dieu. Si l’on regarde le chiffre d’affaires global de l’année, on constate une baisse d’environ 7 à 8 % pour le vignoble dans son ensemble, coopérateurs, viticulteurs et négociants confondus. Au printemps 2020, au moment du début de cette crise, tout le monde en Bourgogne aurait signé des deux mains pour ce résultat. Est-ce qu’il y a un modèle bourguignon de résilience, je ne sais pas. Nous essayons de trouver des solutions. L’offre de la Bourgogne reste quand même très large. Certes, il y a les grands crus, les noms connus et les climats célèbres, il y a aussi tous les autres vins de Bourgogne, les mâcons, les chablis, les hautes-côtes et les vins de la côte chalonnaise.

 

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L’addition, s’il vous plaît

Les restaurants sont fermés depuis si longtemps, trop longtemps. Le manque qui creuse. Des plus petits caboulots aux plus grands étoilés, le plaisir ordinaire du « partage et de la convivialité », comme disent les banals, fait gravement défaut. À un point tel qu’on ne sait plus vraiment si cette mesure d’exception devenue la norme a encore un sens. Je ne m’engagerais pas sur la remise en question périlleuse des décisions sanitaires du gouvernement et de ses multiples antennes. Comme d’autres, je ne suis sûr ni de la réalité de mon diplôme d’immunologiste ni de mes compétences de Président de la République. Je passe mon tour avec un gros soupir de lassitude, on entend tout et le contraire de tout, c’est épuisant. Je pense tous les jours à ceux que j’aime, à leur avenir, à la suite de leur aventure. Comment sortir de là ? Dans quel état allons-nous les retrouver ? Vont-ils seulement réussir à surmonter l’épreuve ? Nous, déjà, nous avons du mal à nous passer d’eux, peuvent-ils se passer de nous ? Certains, en pure perte, se sont levés avec vigueur contre le traitement qui leur est réservé, nous les soutenons du fond du cœur avec l’impatience des retrouvailles sans cesse reportées. Et nous saluons leur courage et leur implication. D’autres ont ouverts, « pour les amis » et puis, ils se sont faits plus prudents devant les menaces proférées à leur encontre par le ministre des punitions. Et je ne parle pas de l’histrion grotesque qui a bien failli faire vaciller le régime.

 

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Le mondovino de la semaine n°16 tourne à fond

Chaque jour a son lot de nouveautés. En voici cinq : Un numéro d’équilibre ; Le gel, parole de vignerons ; La déclaration de Noval ; Rosé perpétuel ; 8 639 414…

Un numéro d’équilibre

« Les bordeaux savent être aussi de vrais vins de plaisir et révéler un fruit expressif. » Avec L’Équilibriste, la nouvelle cuvée de Château de Parenchère, le domaine fait un pas de plus vers le bordeaux qu’on aime. Croquant et gourmand, fait sans sulfites ajoutés, issu d’une viticulture en route vers l’agriculture biologique respectueuse de l’environnement. 9 euros sur parenchere.com

Le gel, parole de vignerons

« Oui, les dégâts sont très importants. D’après nos premières estimations, il semblerait que plus de 80 % de la récolte 2021 soit détruite, en blanc comme en rouge ; étant donné la douceur de l’hiver que nous venons de traverser, tout était « sorti », ce qui n’arrange rien à l’affaire. Bref, c’est un coup supplémentaire, en ces temps où nous sommes tous déjà bien éprouvés. Nous sommes en train d’étudier toutes les possibilités, avec nos fournisseurs, nos banques et les autorités (qui brillent souvent par leurs effets d’annonces et ensuite par leurs absences), nos vignerons partenaires pour activité de négoce (Le Loup dans la Bergerie) et nos partenaires dans la distribution pour affronter cette crise. Nous les remercions encore pour leur soutien, leur amitié… » Famille ORLIAC, domaine-hortus.fr

La déclaration de Noval

« Je suis très heureux d’annoncer la déclaration à Quinta do Noval de nos trois exceptionnels Portos Vintage 2019 : Quinta do Noval Nacional Vintage 2019, Quinta do Noval Vintage 2019 et Quinta do Passadouro Vintage 2019 », déclare Christian Seely, directeur général de Quinta do Noval. Le Nacional (environ 820 euros) est un field blend de plusieurs cépages traditionnels de la vallée du Douro. Frais, puissant, structuré, long et élégant, Vintage 2019 (environ 90 euros) est un vin parfaitement harmonieux, fin, concentré et délicat, à inscrire dans le style pur et classique de la maison. Quinta do Passadouro Vintage 2019 (environ 60 euros) est la grande nouveauté. C’est le premier millésime de cette Quinta vinifié par l’équipe de Noval après son acquisition en 2019. Les vins seront disponibles cet été. Plus d’informations sur quintadonoval.com ou [email protected]

Rosé perpétuel

Les beaux jours sont là, les bons champagnes rosés sont de sortie. Comme le rosé Solera de Champagne Palmer. Ce qu’en disent nos experts ? « Finement framboisé, impeccable de fraîcheur et de souplesse, ce champagne rosé est remarquablement maîtrisé. 15/20 ». Au travail soigné de cette maison s’ajoute un assemblage de qualité. Une belle affaire pour le prix. 37 euros sur boutique.champagnepalmer.fr

8 639 414

…euros, est le montant total réalisé par la vente aux enchères intitulée La Romanée Memories 1865-2005 organisée par Baghera/wines le 19 avril 2021 à Genève. Les 332 lots de « La Romanée » proviennent de la cave privée de la grande maison beaunoise Bouchard Père & Fils. « La Romanée Memories », le lot n°325 composé de 12 bouteilles du millésime mythique 1865, a été adjugé à 1 769 192 euros soit plus de quatre fois son estimation haute. « Ce résultat extraordinaire exprime l’enthousiasme non démenti des amateurs de grands vins pour la Bourgogne. Il consacre aussi de manière éclatante la reconnaissance du savoir-faire inégalé de Bouchard Père & Fils, grand domaine historique et emblématique de la Bourgogne viticole. Nul autre partenaire que Baghera/wines ne pouvait nous conduire à un résultat aussi remarquable », précise Gilles de Larouzière Henriot, Président Bouchard Père & Fils. Plus d’informations sur bouchard-pereetfils.com

Grenache, mystères, surprises et malentendus

Le roi des cépages qui bordent la grande bleue est capable de tout. des finesses de dentelière aux puissances les plus décoiffantes. C’est le sol et le vigneron qui font les différences

De tous les cépages méditerranéens, entendons qui prospèrent tout autour de la Méditerranée ou sous le même type de climat, le grenache est de loin le plus planté. Un peu moins de 200 000 hectares dans le monde, sans qu’on puisse connaître de chiffre plus précis, dont une petite moitié en France, une autre petite moitié en Espagne, et un petit cinquième dans le reste du monde, avec quelques micro-secteurs privilégiés, en Sardaigne, en Australie ou dans le sud de la Californie. Il était encore proportionnellement plus important dans les pays latins il y a trente ans, mais il est très injustement victime du snobisme de nombreux amateurs et d’une méconnaissance inquiétante des professionnels de l’agriculture.

Trop d’amateurs jugent son vin trop lourd, trop vulgaire dans sa saveur, trop peu buvable en raison de sa richesse en alcool. Mais ils ne font pas beaucoup d’efforts pour mieux connaître ses grandes expressions, à quelques exceptions glorieuses près. Les professionnels pensent gagner plus d’argent en plantant à sa place des cépages plus à la mode, comme les grands classiques internationaux, ou plus rares, parmi les variétés locales, en se donnant la bonne conscience de les préserver. Au sujet du grenache, les généticiens ne savent pas grand-chose. La seule nouveauté qu’ils ont apportée est la création, par hybridation avec le cabernet-sauvignon, d’un nouveau cépage, le marselan, qui semble trouver en Chine des expressions plus convaincantes qu’en France, où pourtant on l’a conçu. Pour mieux comprendre ce cépage, nous n’avons donc que le savoir empirique de ceux qui le cultivent depuis des générations.

Son origine divise les observateurs, facilement aveuglés par leur chauvinisme. Son nom officiel, grenache ou garnacha en Espagne, dérive probablement d’un mot de dialecte basque voulant dire cépage local, un peu comme sauvignon ou savagnin dérivent de sauvage, et connotent des cépages qui se plaisent bien depuis toujours dans des secteurs précis. En Rioja, on le nomme depuis longtemps tinto aragonese. Le royaume d’Aragon, au milieu de l’Espagne, s’est étendu considérablement vers l’est à partir du XVe siècle. La Sardaigne a fait partie des territoires annexés et on ne sera pas surpris d’y retrouver le grenache sous le nom de cannonau. Les Sardes en sont si fiers qu’ils s’attribuent même son origine et prétendent que les Aragonais, charmés par la qualité de leur vin ont importé ce cépage chez eux. Ils tirent leur certitude de restes datant de 3 000 ans dans la vallée de Tirso, mais qui ne peuvent être soumis à une analyse génétique fiable.

La première hypothèse apparaît tout de même nettement plus plausible et je serais tenté de défendre comme véritable origine de notre cépage, à l’intérieur de l’Aragon, sa zone nord, proche de la Navarre et de la Galicie, tant le raisin semble à l’aise dans ces vignobles et sa saveur, délicieuse. D’autres secteurs du pays l’ont adopté, la Rioja Baja, le Priorat en Catalogne, la Ribeira Sacra en Galicie. Il semble en revanche curieusement absent dans la continuation du Duero, sous le nom de Douro, au Portugal. Mais ses expressions les plus mémorables, ou en tout cas les plus connues dans le monde, proviennent de son importation progressive dans le sud de la France à partir du XVIIIe siècle notamment à Châteauneuf-du-Pape, ex-Calcernier.

Partout dans le monde, le grenache est un cépage naturellement vigoureux qui, sur des sols fertiles, peut facilement atteindre des rendements de cent hectolitres par hectare avec des densités de plantations moyennes ou faibles. Mais ce type de vin peu coûteux à produire, souple, facile et de degré convenable par rapport à sa générosité en jus, ne permet pas d’expression véritable du terroir ou du micro-climat. Vinifié seul, le grenache manque de couleur, de milieu et de fin de bouche, avec une tendance à la fragilité et à l’oxydation. On améliore un peu les choses en l’assemblant en vinification ou en vin fait avec des variétés plus tanniques, et heureusement bien plus qu’un peu, en réduisant considérablement son rendement par le choix de sols moins fertiles et d’une conduite de la vigne plus stricte.

À quarante hectolitres par hectare, ou moins pour de très vieilles vignes (le cépage est doué d’une grande longévité et les plants centenaires ne manquent pas), on change complètement d’univers, avec des vins d’une ampleur de saveur mémorable, d’un velouté de texture sensue, d’un appel universel, d’une capacité mystérieuse à équilibrer en bouche leur richesse en alcool naturel (15° ou plus). Ce qui n’enlève en rien sa capacité à se marier à d’autres cépages aimant le soleil.

La syrah poivre un peu son bouquet et apporte plus de finesse aromatique et un soutien tannique et réducteur qui l’épaule. Le mourvèdre encore plus tannique et réducteur, et sans doute plus complémentaire dans sa saveur, serait un partenaire idéal s’il n’était limité dans sa maturité par son besoin en humidité dans le sol, parfois incompatible avec les étés torrides et secs mieux supportés par son compagnon. Les vieux carignans, au jus plus énergique, profitent en retour de la plus grande aptitude des peaux du grenache à donner des tannins fins et complexes.

Enfin, une proportion de raisins blancs plus acides et de moindre degré aide à la régularité des fermentations et surtout à la diminution du degré final des vins et au sentiment de fraîcheur et de finesse supplémentaire que cette diminution autorise. Lui-même semble comme le pinot noir assez instable génétiquement et se décline en de nombreuses sous-espèces. Les plus visibles le sont par leur couleur de peau, avec des grains blancs, rosés (appelés localement gris), rouge clair, rouge grenat et parfois même rouge cardinal. Cela influera sur la couleur finale du vin mais surtout sur le type de vinification à adopter. Le grenache gris sera idéal pour l’élaboration de vins doux naturels de type rancio, où l’on recherche une teinte fauve, ambrée.

Pour des mises en bouteilles plus rapides, porto Vintage, maury et banyuls Rimage, on préfèrera le grenache noir. Pour des vins blancs mutés ou non mutés, le grenache blanc, particulièrement sur des sols calcaires qui lui transmettent leur énergie, donne souvent des résultats étonnants qu’on commence enfin à apprécier à leur juste mesure.

Toutes ces qualités méritent d’être défendues. Il y eut en 2006 les journées internationales du grenache à Collioure, à l’initiative des vignerons du Roussillon et de leurs voisins. En 2010, Nicole Rolet organisa dans sa propriété du Chêne Bleu le premier symposium international du grenache, réunissant des agronomes, des œnologues, des viticulteurs de trente pays pour faire le point sur nos connaissances actuelles. Avec mon ami Steven Spurrier, j’ai eu l’honneur d’en être parrain et de voir le dynamisme de ses initiateurs se concrétiser en un “Grenache Day”, voire un “Grenache Night”, rendez-vous festif et gustatif annuel et mondial de tous les amateurs du cépage.

L’objectif de ces associations est simple. Défendre la présence de ce cépage trop souvent victime d’arrachages inspirés par des décisions politiques stupides : on ne produira pas de meilleurs vins en climat chaud et sec avec les variétés internationales qu’on souhaite planter à sa place. Syrahs compotées, méconnaissables et à la survie bien peu probable dans des sols qu’elles n’aiment pas et vins dilués par les apports d’eau nécessaires. Cabernets et merlots rustiques, eux aussi alourdis et méconnaissables, vins blancs issus de raisins vendangés verts et sans arômes dopés au bois neuf ou aux copeaux. Confronter ensuite et surtout les tours de mains empiriques des meilleurs vinificateurs et cultivateurs pour adapter sa maturité au réchauffement climatique.

On devra jouer sur la conduite de la vigne (taille et palissage) pour atteindre des maturités satisfaisantes, mais avec moins de production de sucre, sur le retour à des plantations plus denses et mieux encore à des complantations plus denses, associant les trois types principaux (noir, gris, blanc) à plus de cépages blancs ou moins producteurs d’alcool, issus d’une large liste de variétés oubliées, en leur redonnant vie dans des conservatoires expérimentaux. En travaillant sur la vendange entière qui affaiblit un peu le degré potentiel d’une vendange égrappée, sur les températures de fermentation et leur influence sur les levures, sur la sélection de levures moins actives. Vaste programme dans lequel on n’oubliera pas la promotion des meilleurs vins, dans les caves des amateurs et sur les cartes de vins des restaurateurs avisés et des cavistes passionnés.

Retrouvez cet article dans son intégralité dans En Magnum #15.

Le mondovino de la semaine n°15 tourne à fond

Chaque jour a son lot de nouveautés. En voici quatre : Bel avenir, Les vignerons ont besoin de vous, Passage de flambeau, L’e-shop du maître sommelier

Bel avenir

Le château d’Agassac, propriété de Groupama depuis 1996, vient d’être vendu à Beautiful Life Group, qui appartient à Gérard Jicquel, déjà propriétaire du château Fourcas Dupré. Ce groupe hôtelier vient de créer un pôle viticole, dirigé par Lucas Leclercq. Groupama avait entrepris la restauration de la propriété médocaine, le renouvellement des installations techniques et une profonde restructuration du vignoble et du parc. Ce vignoble de graves, récemment promu cru bourgeois exceptionnel, est l’un des plus importants du Sud-Médoc, avec une quarantaine d’hectares. Le château produit quatre belles cuvées.
Plus d’informations agassac.com

Les vignerons ont besoin de vous

Solidarité, c’est le maître mot de la vente aux enchères organisé entre les 15 et 29 avril sur idealwine.com.  Une idée née de la rencontre entre le site de vente en ligne et l’association Vendanges Solidaires. Les bénéfices de cette vente seront reversés à de jeunes domaines en situation financière difficile, notamment en raison des aléas climatiques. Le sévère épisode de gel qui frappe le vignoble français vient accentuer leurs difficultés. Plusieurs centaines de flacons sont proposés. Ils proviennent de dons de cavistes, de vignerons ou de grossistes. La liste complète des vins en vente est disponible sur idealwine.com et vendangessolidaires.com

Elisabeth Sarcelet et Carine Bailleul.

Passage de flambeau

Une femme en cache une autre chez Champagne Castelnau. Elisabeth Sarcelet, la chef de caves et directrice des vins et œnologie fera valoir ses droits à la retraite en fin d’année après 37 ans de beaux et loyaux services au sein de la maison champenoise. La période de transition a déjà débuté. Elisabeth Sarcelet laissera sa place à Carine Bailleul qui a débuté sa carrière dans la maison comme stagiaire en 2003. Œnologue en charge de la vinification des rouges en 2004, elle a ensuite endossé un rôle managérial élargi dans le suivi des vinifications et participé activement aux travaux œnologiques et aux créations de la maison. La cuvée de prestige Hors Catégorie en fait partie. Un beau parcours.
Plus d’infos champagne-castelnau.fr

L’e-shop du maître sommelier

D’or et de vins est un nouveau site de vente en ligne qui propose des perles rares, des crus originaux hors des sentiers battus et des cuvées exclusives proposées à des tarifs préférentiels, minutieusement sélectionnées par Jean-Luc Jamrozik, maître sommelier et président de l’Association des sommeliers de Paris. Le site références environ 250 vins. L’offre y est volontairement restreinte pour faciliter vos choix. Vous êtes encore perdu ? Pas de panique. Posez vos questions à travers l’onglet chat du site et des experts vous répondent « en moins de cinq secondes ». D’or et de vins vous donne aussi les fiches de dégustation des vins que vous achetez. La livraison est offerte et assurée en moins de trois heures à Paris sans minimum d’achat. Comptez deux à trois jours pour le reste de la France.
doretdevins.com

Rayas, la légende du Sud

Emmanuel Reynaud, et tous les Reynaud avant lui, ont construit rayas, le mythe de Châteauneuf-du-pape et de toute une région. Décryptage et dégustation

« MON ARRIÈRE-GRAND-PÈRE a acheté ce lieu en 1880 – j’y pense souvent ces jours-ci – parce que c’était un peu la lumière. Il y avait le mys-tère qui s’en dégageait, mais c’était quand même une sacrée lumière ces vignes qui sur-gissaient au milieu des bois. Ils n’ont jamais été défrichés parce qu’ils étaient à nous. Au-jourd’hui encore, il y a trois fois plus de bois que de vignes. » Toute la singularité de Rayas et de la famille qui le possède sont dans ces mots d’Emmanuel Reynaud, successeur en 1997 de son oncle Jacques qui avait poursuivi depuis 1978 l’œuvre de Louis, lui-même fils d’Albert Reynaud, l’arrière-grand-père dont Emmanuel parle ici. « Quand je suis arrivé, la vigne était jeune. Elle avait vingt ans de moins. C’est vrai qu’oncle Jacques avait replanté pas mal de vignes pour renouveler un petit peu, parce qu’il voyait la jeunesse qui arrivait, donc il avait envie de l’encourager. Elle avait une dizaine d’années à l’époque. » Emmanuel Reynaud a pris brutalement la direction de Rayas et de Fonsalette, quand sa famille l’a appelé. Rayas, c’est d’abord un lieu unique. Une oasis de bois au milieu des plateaux de galets roulés qui font la gloire de Châteauneuf. Une faille de fraî-cheur entre deux océans de vignes assommées de soleil et de vent. Il y a des vignes ici aussi, bien sûr, mais on ne les voit pas tout de suite : « Rayas, ce sont des clos de vignes au milieu des bois. Toutes ces essences qui fleurissent à dif-férentes périodes apportent des parfums. De la délicatesse, du parfum et de la fraîcheur. Tou-jours la fraîcheur. La fraîcheur par le sable, la fraîcheur par les bois, la fraîcheur par le versant nord. Dans cette cuvette au nord, on a l’ombre qui est encore sur une partie ce matin, vous voyez, alors qu’il est onze heures. Le soir à huit heures, on est tout à l’ombre, on a des tempéra-tures fraîches. Quand je quitte le château des Tours à sept ou huit heures du soir en plein été, il fait chaud. J’arrive ici, j’ai perdu dix degrés. » Lorsqu’on avance dans la propriété, l’image de l’oasis prend un autre sens, celui du sable, ce sol étonnant de sable dur qui n’est pas, pré-cise Reynaud, le safre dont on parle souvent à Châteauneuf. « On n’a pas d’argile et le safre, c’est de l’argile dur. Ici, c’est le sable de la mer. La longueur de la finesse est la longueur du sable : elle est sans fin. Et ce sable est un maté-riau qui reprend vite sa température, alors que s’il y avait de l’argile, il garderait beaucoup plus la température de la journée. Donc vous avez vraiment la légèreté du sable. Entre les doigts vous avez les grains de ce sable qui est ce qu’on boit quand on boit un Rayas. On a ce petit grain. Si vous mettez la main au soleil, vous verrez que ça chauffe. Et vous la mettez au cœur de l’ombre, vous verrez que c’est très frais. » Dans ce paysage d’ombre et lumière, le cépage grenache déploie un génie longtemps sous-estimé. «  Le grenache est le seul cépage qui peut se débrouiller sans argile. Tous les autres cépages ont besoin d’argile. Mettez du cinsault au milieu, ça ne fera rien d’intéres-sant. Mettez de la syrah, c’est pareil. L’origi-nalité du grenache, c’est vraiment la finesse et dans un sol comme ça, c’est très complexe. Après, un vin c’est quand même un puzzle de beaucoup d’éléments, c’est le fruit dans son environnement. Ça, c’est irremplaçable. Le grenache est pour moi le seul cépage idéal pour le sable en acceptant d’avoir des petits rendements, d’avoir des petits volumes, d’avoir des sols pauvres qui vont naturellement pro-duire peu. En année classique, on va avoir entre trois et six grappes par souche. Avec une faible densité, deux mètres sur deux, ça fait partie de l’originalité de ce lieu, on n’a que 2  500 pieds par hectare contrairement à la mode où l’on met beaucoup de pieds partout. On ne peut pas nourrir plus. Naturellement, ça va produire d’une façon très irrégulière. Mais on est toujours content de ce qu’on ramasse chaque année, même s’il n’y a rien. Une fois qu’on a accepté ça, on peut faire de très belles choses. Il faut être très philosophe pour mener ce domaine. »

UN JARDIN FAMILIAL
Emmanuel est vigneron, de ceux qui connaissent leur vocation dès leur prime jeu-nesse : « Je savais que j’étais le seul à continuer. La vigne m’a toujours passionné. Je n’aimais pas les études, donc j’ai commencé très tôt à travailler dans les terres. À 14 ans, j’allais tout le temps dans les vignes, il n’y avait que ça qui m’intéressait. Donc dès que j’ai fini ma petite formation, dès 18 ans, je m’occupais du château des Tours (la propriété de Sarrians, en appellation vacqueyras, où il vit, ndlr). Le but du vigneron, c’est d’essayer de comprendre le terroir, mais surtout de s’adapter et de se mettre à sa portée sans vouloir le transformer ni le corriger. La richesse de ce domaine, c’est la pauvreté. Cette longueur de légèreté fait la grande originalité de ce lieu. Le sable, c’est un grand jardin à travailler, qui reste facile. L’herbe repousse vite, on n’a pas d’eau, il faut à tout prix que l’humidité reste par le travail du sol. C’est pour ça qu’on travaille régulièrement le sol pendant l’été, pour garder la fraîcheur. » Dans ce jardin familial, ses vignes trouvent pour longtemps une place harmonieuse. « Depuis vingt-cinq, trente ans, on complante. J’aime beaucoup cette diversité d’âges des vignes. Tous les quatre ou cinq ans, on passe et on fait les remplacements des souches qui sont mortes. Donc on a vraiment des vignes de toutes les époques. On a des raisins sages, des raisins moins sages, des raisins très fous et puis des très sages, ceux des souches les plus âgées. On récolte toujours tout en même temps. C’est comme un repas de famille avec toutes les générations autour de la table. Je constate qu’il est certain que tous les jeunes plants, les quatre ou cinq premières années, vont quand même produire moins qu’une jeune vigne replantée entièrement. Ça fait un peu moins de couleur, mais comme dans les vieilles souches il y a des grains très concentrés, voire trop concentrés, ce jus permet de diluer un peu ce surplus de concentration. En même temps, ça permet de capter tout ce qui est intéressant dans cette concentration. Ce mélange de fruits fait l’ori-ginalité d’un vin. »

Tout se passe dans la vigne, dit-il. Dans le rai-sin, plus exactement  : « Le vin, c’est le raisin à 99 %. Après, la plus grande technique, c’est de respecter. Et on respecte beaucoup ce qu’on nous confie, donc on agit le moins possible et c’est le terroir qui l’emporte. Et je constate avec les années que plus le vin vieillit, plus c’est le ter-roir qui reprend le dessus. » Aussi, l‘instant de la récolte est primordial. À l’heure des vendanges, même s’il s’en défend, Emmanuel Reynaud prend sa part de risques. En goûtant le raisin jusqu’à ce qu’il lui paraisse à parfaite maturité. « Ça peut durer longtemps. Par exemple en 2017 – c’est vrai qu’on a eu une année avec une fin d’été très chaude et très sèche – on sentait bien que la pulpe était rétractée par rapport à la peau, qu’il y avait de l’air entre la peau et la pulpe. Et les premiers grains étaient bons, mais au bout du vingtième grain, c’était très amer. Donc j’ai dit : “Tant qu’il ne pleuvra pas, je ne ramasse-rai pas”. Après, il faut être têtu. Et comme on a eu une année particulière parce qu’il a fait beau pour la Saint-Michel – et Saint-Michel fait quarantaine, donc ça apporte jusqu’à la Tous-saint – il fallait être prêt à attendre et dépasser la Toussaint. Un raisin, après quarante jours sans pluie, ça ressemble toujours à du beau raisin, avec une peau de plus en plus épaisse prête à recevoir, et à accepter, beaucoup de pluie d’un coup. Il n’y a pas grand risque. Mais quand on a vu que le 8 novembre, il ne pleuvait toujours pas, on a fini par un peu désespérer. Et la pluie est arrivée, on a eu 40 millimètres d’eau. On a attendu trois jours que ça sèche et on a ramassé notre rayas. C’est sûr que ça dilue, mais le but c’était de diluer. Le but, c’est d’avoir un fruité et un arôme toujours meilleur. Et des tannins fon-dus. Il n’y a rien d’âpre ni de brûlant. Rien qui accroche. Tout est arrondi, et c’est ce qui doit l’emporter quand même. Un vin, ça doit rester un verre de plaisir. »

RAYAS EST UN MYTHE QUI SE CULTIVE
Une fois les raisins cueillis, le travail au chai est simple. « Tout est foulé, non éraflé pour Fonsa-lette, Rayas et Pignan. Je n’aime pas ce mot de “grappe entière” qu’on entend souvent. Chez nous, ce n’est pas grappe entière, c’est foulé. La grappe est entière, mais elle est foulée. Ça fer-mente en cuves béton et ensuite, quand c’est fini, ça passe trois mois en cuve émaillée. Après, ça descend en tonneaux pendant un an. Des tonneaux qui sont vieux, mais qui sont toujours aussi jeunes. Et qu’on aime beaucoup parce que quand j’ai repris en 1997, il y en avait beau-coup qui avaient des faces toutes tordues. Je me suis dit : “ils ne vont jamais tenir”. Aujourd’hui, ils sont toujours aussi tordus, mais pas plus. Ils sont toujours là. Donc, je me dis que dans vingt ans, ils seront encore là. Et c’est vrai qu’un fût, pour qu’il rentre ici, il faut qu’il ait au moins vingt ans pour ne plus marquer. Certains ont cent ans. Il faut ne jamais les laisser vides.  » En dégustant les vins de Rayas, Fonsalette ou les Tours, on a l’impression qu’un jeu sub-til avec l’oxydatif surgit toujours. Ceux qui ne connaissent pas ce style unique sont surpris par le caractère « évolué » des rouges comme des blancs. Et puis, en vieillissement en cave ou dans un simple carafage, le vin se révèle moins évolué que d’autres vins qui avaient l’air beaucoup plus réductifs au départ. « C’est une volonté ou c’est l’originalité de nos vins, mais si vous prenez un fruit – n’importe quel fruit – ra-massé mûr, proprement, sur des arbres qui sont cultivés d’une façon saine sans des tas de pro-duits chimiques, il va parler, il va être frais. Et si vous laissez ça dans votre corbeille de fruits, vous allez voir qu’avec le temps, il va se dessé-cher, mais il ne va jamais pourrir. C’est pareil avec le raisin. Il a besoin d’air, il est fait pour résister à l’air, il a ses résistances personnelles qui sont fortes. »

Emmanuel en est bien conscient, Rayas est un mythe. À sa façon, il le cultive. « Moi, je garde, je garde, je garde. Je me souviens toujours que quand on était petit, on se frottait les épaules contre les piles de bouteilles. Après, on ne l’a plus vu ça. Donc je dois beaucoup tenir de mon oncle et j’ai envie d’avoir des caves pleines de bouteilles, pour en faire profiter, dans trente ou quarante ans, des gens du vin. »

Article publié dans En Magnum#18.
Photos : Leif Carlsson

Nuit noire

La catastrophe du gel nocturne qui a frappé de très nombreux vignobles n’a épargné quasiment aucune région. Cette « gelée noire », c’est-à-dire un épisode de plusieurs heures de températures négatives, souvent pendant deux nuits consécutives, surgissant au moment où le cycle végétatif s’était déjà mis en route, résume de manière dramatique l’un des effets paradoxal du réchauffement climatique : précocité du cycle végétatif d’un côté, épisodes climatiques ravageurs (gels de printemps, grêle de début d’été, tempêtes, etc.) de l’autre. Très peu de moyens physiques peuvent lutter contre plusieurs heures de gel nocturne, et encore moins sont accessibles à des économies viticoles, souvent précaires. Au final, reste la détresse, parfois le désespoir : en hommage aux vigneronnes et vignerons, nous publions ici le beau et émouvant texte publié par le groupe Parole de Femmes sur Facebook. Il concerne trois vigneronnes de grand talent, Nan Ping Gao au château la Bastide à Escales, Delphine Maymil du château Maylandie à Ferrals, Laurence Rigal du château du Grand Caumont à Lézignan, mais possède une portée universelle pour l’ensemble de la communauté vigneronne dont nous partageons la détresse.
Thierry Desseauve

« Aude noire en une nuit d’encre prolixe à fusiller tout un territoire viticole laissant exangue vigneronnes et vignerons.
La veille en balade dans la nature, j’ai éprouvé un plaisir immense à voir s’habiller d’un très beau vert prometteur Mesdames les souches. Joie de pouvoir immortaliser cet instant sur la pellicule.
Ce vert donnant espoir d’une future récolte de beaux fruits en grappes, matière première à faire naitre de beaux nectars pouvant se décliner en blanc, rosé, rouge en Corbières, Minervois et autres appellations de chez nous.
Dans le monde professionnel lié au bon vouloir de Dame nature, rien n’est jamais acquis et cette perfide Dame, capricieuse à souhait et maitresse absolu a fait la très forte tête en décidant se s’habiller de noir et d’innonder de sa peste brune nos vignobles.
En seulement quelques heures elle a su anéantir des mois de travail.
Certes tout ceux qui n’ont pas les pieds ancrés dans la terre vont dire (je les entend … ils sont assurés, ils vont avoir des aides, ils se plaignent tt le temps, mais ils vivent bien, ils sont mécanisés et ne se tuent pas au travail) … les éternels clichés qui ont la vie dure.
Cette promptitude humaine qui fait que l’on soit propice à critiquer et juger. Pourquoi ? Et de quel droit ?
Pour le comprendre, la terre il faut l’aimer et l’avoir foulée.
Loin de moi de me porter en donneuse de leçon, mais témoin par les liens du sang et par amitié vraie envers 3 de nos vigneronnes adhérentes de notre réseau Parole de femmes Aude, ma blessure est aussi profonde.
Soutien inconditionnel envers Nan Ping Gao vigneronne du Chateau la Bastide à Escales dont j’ai pu constater la détresse dans ses yeux , Delphine Maymil du château Maylandie à Ferrals de sa voix émue, Laurence Rigal du château Grand Caumont à Lezignan, soucieuse puisque pour l’instant à distance en lien avec son régisseur qui touché en plein coeur, n’a pas eu la force de prendre des photos.
Toutes les 3 impactées sur leur vignoble respectif : de 90% Pour Nan Ping, 50% pour Delphine et autour de 70% pour Laurence.
Victimes depuis plus d’un an, comme toutes les professions de ce fléau Covid aux lourdes répercussions, les voilà maintenant frappées par cette satanée gelée noire.
Pour l’instant, nous ne pouvons que les soutenir par la pensée, un petit mot, un sourire … songeons à des jours plus heureux où nous réunir sera revenu dans le domaine du possible et ensemble nous mènerons la danse d’un hymne à leurs vins.
Courage et soutien indéfectible envers toutes les 3 et toutes les vigneronnes et vignerons de l’Aude et d’ailleurs impactés, ainsi que tous les arboriculteurs et tous les autres métiers en lien avec la terre.
Écoute et solidarité vaincrons. »
Photo : Parole de femmes