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Le grand vin en deux services

Un court exposé assez magistral et les 20 bouteilles qui définissent le grand vin

La notion de grand vin et même son existence ne sont plus à la mode aujourd’hui. Ou plutôt est-il moins admiré et défendu que par le passé. Une nouvelle génération de consommateurs, et les prescripteurs dans lesquels elle se reconnaît, se méfie, en matière de goût comme en bien d’autres domaines, de l’émotion. Mais l’émotion est inévitable et propre à notre condition. Alors on remplacera l’émotion liée à la sensation par celle liée à la satisfaction. L’émotion sera donc soumise aux dogmes des idéologies. Le bon, le beau seront de plus en plus un bon et un beau politiquement ou moralement corrects par autoproclamation. D’où le succès du vin dit « nature », du concept du rapport qualité-prix ou celui de l’exception par rapport à la règle, la règle étant liée à l’obéissance, avec comme seule échappatoire la rébellion.

Dans notre environnement idéologique, le grand vin représente donc un scandale anti-démocratique. L’inégalité naturelle qui donne à certains lieux une supériorité reconnue de longue date dans les vins qu’ils produisent devient un fait non admissible. Le talent plus ou moins partagé par les hommes à en comprendre la valeur et à la perpétuer constitue une injustice qu’il faut combattre. Mon Dieu, que de bonheurs perdus par ces modernes puritains. Heureusement, ils ne sont pas seuls et c’est aux gourmands sans préjugés, avec leur enthousiasme et leur capacité à s’émerveiller devant les beautés et les bontés de la nature associées au perfectionnisme des hommes, qu’il revient de défendre et de maintenir ce qui leur a donné et leur donnera du plaisir.

Rappelons que lorsque le climat le permet, il est possible avec le savoir-faire moderne de produire des vins de qualité en de très nombreux endroits de la planète. Des vins boissons, d’une séduction immédiate, correspondant aux souhaits des consommateurs locaux, accessibles en prix et, surtout, d’un caractère défini et régulier. Leur avenir dépendra de leur capacité à être préférés à tous les autres types de boisson. Évidemment, il n’y a aucune obligation, même patriotique, à les boire. En France et dans quelques pays voisins, leur consommation est confortée par l’habitude, largement partagée, de les associer à nos traditions alimentaires. Le vin participe du repas à la française, tel qu’il a été défini et inscrit au patrimoine mondial par l’Unesco.

Naguère cinq à dix fois plus chers
que le vin de base, les crus les plus réputés peuvent l’être cent fois plus, et même davantage

À l’intérieur de cet ensemble, des conditions particulières donnent aux raisins de vignobles privilégiés la capacité de donner des vins de plus forte personnalité. Le plus souvent, leur caractère s’amplifie avec le vieillissement et parfois ne se révèle que par lui. Leur existence a évidemment été étudiée depuis l’Antiquité. De la nature du terroir, concept inventé pour la viticulture et désormais élargi à de nombreuses autres productions agricoles, aux techniques de culture et de vinification à mettre en œuvre.

Des générations de buveurs ont essayé de définir la nature de leur plaisir à les boire, mais aussi à les classer, voire à les hiérarchiser, avec toute la diversité des goûts qu’on imagine. Le commerce leur a donné une prime inévitable, fort variable selon les aléas de l’histoire et de l’économie nationale et internationale, étant largement exportés. L’accumulation de richesse actuelle, à laquelle s’ajoute le snobisme des consommateurs nouveaux riches, en distingue une toute petite minorité et entraîne une spéculation effrayante sur leur prix.

Naguère cinq à dix fois plus chers que le vin de base, les crus les plus réputés peuvent l’être cent fois plus, et même davantage. Au grand désespoir de ceux qui n’ont plus les moyens de les boire, ayant oublié qu’ils ont la chance d’en acheter beaucoup d’autres, qui à leur tour échappent au pouvoir d’achat de buveurs moins favorisés. Pour ce type de vin, la notion de rapport qualité-prix n’a pas de sens dans une société où le marché est libre. On peut certes définir le coût de production de ces vins d’élite. Ce prix se situe pour l’essentiel de leur production dans une fourchette de 10 à 50 euros, selon le type du climat et la générosité des récoltes. Ensuite plus rien n’est contrôlable. Heureusement, on ne spécule pas encore sur tous les vins de grand caractère qui, d’ailleurs, ne sont pas l’objet d’une consommation quotidienne.

On admettra qu’il est bon que leur prix en protège l’usage, en évitant le gaspillage ou la banalisation. Ils sont faits pour le partage et les moments heureux de la vie, forcément liés à une gastronomie de même niveau. On aimerait simplement que leur valeur culturelle et pas seulement économique soit mieux prise en compte par les pouvoirs publics. La dictature, moins scientifique qu’elle ne le prétend, de ceux qui ont en charge les politiques de santé publique continue à les diaboliser. Leur crime est de contenir une proportion d’alcool, produit addictif et dangereux si on en abuse, mais innocent en ce qui les concerne.

On connaît peu de vies écourtées par l’abus de grands crus et on oublie volontairement de préciser tout ce qu’ils apportent de bénéfique à la santé, avec une consommation modérée et éduquée. Bienfaits reconnus, eux, par la science et que quelques médecins lucides continuent à défendre malgré l’omertà des politiques. Le vin dit grand, souvent issu d’une discipline de production plus contrôlée, les possède au plus haut degré. Alors buvons-les modérément, mais sans modération.

Retrouvez la sélection dans En Magnum N°18.

Photo : Si le grand vin est l’expression d’un lieu et pas seulement d’un concept, il a des saisons. Dont l’hiver qui fait tellement de bien aux vignes. Ici, en Bourgogne.©Aurélien Ibanez

Un champagne 2003 en pleine forme

Palmer, Grands Terroirs, champagne 2003

Pourquoi lui
Issu d’une coopérative de haut niveau, connue aussi pour faire les vins, ou une partie d’entre eux, de quelques marques célèbres, le champagne Palmer est une pépite assez méconnue. Intéressons-nous.

On l’aime parce que
Tous les vins de la gamme respirent la belle exécution, le savoir-faire, la précision, l’envie d’être tout en haut de l’affiche.

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Le mondovino de la semaine n°11 tourne à fond

Chaque jour a son lot de nouveautés. En voici quatre : un champagne, un aligoté, une belle action et 18 pièces

 

Un vieux champagne récemment dégorgé

Bollinger, la célèbre maison de champagne vient de dévoiler le millésime 2007 de sa cuvée de prestige R.D. « Le 2007 incarne la fidélité de la maison au travail et à la vision de Madame Bollinger. Il marque notre attachement à l’authenticité des savoir-faire qui nous sont propres. Le contraste entre la fraîcheur en bouche et l’intensité des arômes épicés de Bollinger R.D. 2007 vient offrir une nouvelle expérience de la cuvée aux amateurs de grands vins. », explique Charles-Armand de Belenet, directeur général de Champagne Bollinger. L’histoire de cette cuvée commence en 1963. Elle est imaginée par Lily Bollinger pour créer la cuvée de prestige de la maison. Le succès est au rendez-vous dès le premier millésime commercialisé. Le 1952 sur le marché anglais, le 1953 en Suisse et en France, et le 1955 aux États-Unis et en Italie. La singularité de la cuvée R.D. ? Un vieux millésime récemment dégorgé et dosé comme un extra-brut. Cette indication est fièrement affichée sur l’étiquette, avec une date de dégorgement mentionnée à chaque fois.

Le coffret Bollinger R.D., 300 euros, chez les cavistes.


L’aligoté de 10 à 90 ans

Le Domaine du Comte Armand est installé à Pommard, au cœur de la Côte de Beaune, depuis 1826. Le vignoble de neuf hectares (appellations pommard, auxey-duresses, volnay et bourgogne-aligoté) est exploité en biodynamie et les vins produits sont certifiés Ecocert depuis plus de 30 ans. Le domaine possède 0,65 hectare de vignes en appellation bourgogne-aligoté. Ce 2019 est un assemblage de jeunes vignes âgées de 10 ans plantées à Volnay qui apportent fraîcheur et vivacité et de très vieilles vignes de 90 ans d’aligoté dit « doré » plantées à Meursault qui lui confère complexité, richesse et précision.

Domaine du Comte Armand, Bourgogne aligoté, 25 euros, chez les cavistes.


© Lycia Walter

L’humain d’abord

Si le travail à la vigne et au chai reste un vrai plaisir et une vocation, force est de constater que la pénibilité de certaines tâches peut engendrer des troubles musculosquelettiques. Faire du bon vin tout en se souciant des personnes qui y participent, c’est la réflexion entamée au Château Lagrange, troisième cru classé de Saint-Julien. Des dispositifs d’assistance à certains mouvements qui ont pour but de soulager les opérateurs et de s’adapter à différents postes sont peu à peu mis en place pour améliorer les conditions de travail des employés. Château Lagrange a plus que jamais le souci du bien-être au travail.

Plus d’informations : chateau-lagrange.com


18 pièces

La 60e vente des vins des Hospices de Nuits-Saint-Georges s’est déroulée avec succès le dimanche 15 mars dernier au Château du Clos de Vougeot en battant tous les records de l’édition précédente. Les 114 pièces mises en vente ont été vendues pour un résultat de 1 923 000 euros. La maison Albert Bichot était, bien sûr, au rendez-vous pour cette vente annuelle et a acquis dix-huit pièces pour un montant total de 325 000 euros. Elle devient ainsi le premier acheteur avec 17 % des ventes. La maison beaunoise mettra certains lots en vente à la bouteille pour le plus grand bonheur des particuliers qui ne peuvent pas s’offrir une pièce entière.

Plus d’informations : albert-bichot.com

Six belles idées du riesling d’Alsace

En Alsace, le riesling est roi. Dans les mains de ces six grands talents du vignoble, le monde nous l’envie

 

Domaine Agathe Bursin, riesling Bollenberg 2019, alsace grand cru

Le domaine : Agathe Bursin signe des cuvées de haut vol. Dans son arrivée à la tête de petit domaine à Westhalten, elle n’a cessé de progresser et pratique une viticulture soignée.
Le vin : Aromatique précise et raffinée, nez sur l’iode, la salinité et les épices douces. Tension et vivacité en bouche, raisin parfaitement mûr. Une réussite.
Le détail : Si ce riesling sec a attiré notre attention, il ne faut pas oublier ses gewurztraminers et ses excellents liquoreux remarquables.
17/20. 14 euros. 03 89 47 04 15

Cave de Ribeauvillé, riesling Osterberg 2017, alsace grand cru

Le domaine : On ne s’indignera pas de trouver la coopérative de Ribeauvillé dans une sélection aussi réduite. C’est une offre solide qui réserve d’excellentes surprises à un bon rapport qualité-prix.
Le vin : Grande précision de nez et profil cristallin, droit, tendu. On aime cette verticalité et cette allonge en bouche. Plus qu’une simple introduction à ce terroir.
Le détail : La cave possède un monopole. Les 124 ares du clos du Zahnacker, dont l’existence remonte au VIIIe siècle, au cœur du grand cru Osterberg.
15/20. 18,70 euros. 03 89 73 20 35

Maison Louis Sipp, riesling Kirchberg 2018, alsace grand cru

Le domaine : Les vignes de ce domaine sont situées autour de Ribeauvillé. Quarante hectares, dont quelques parcelles sur les grands crus Kirchberg et Osterberg, permettent de signer une gamme large où le riesling est au premier rang.
Le vin : Précision du nez qui révèle avec classe la typicité du cru. Fruité immédiat, élégance, longueur, racé, sans lourdeur. Finale aérienne.
Le détail : Sur la boutique en ligne, un choix de millésimes, une chance pour qui cherche des grands crus prêts à boire.
17/20. 25 euros. 03 89 73 60 01

Domaine Marcel Deiss, riesling Schoenenbourg 2018, alsace grand cru

Le domaine : Chef de file, Jean-Michel Deiss a fait bouger les lignes. Il a conduit ce domaine vers le sommet. Mathieu, son fils, aussi doué que le père, a repris le flambeau.
Le vin : Le riesling est majoritaire dans cet assemblage où l’on retrouve les cépages complantés. Nez marqué par des notes de quinoa, vibration extraordinaire, immense matière, très grande longueur. Spectaculaire.
Le détail : La complantation est une histoire alsacienne. Il faut consulter le site internet du domaine pour tout savoir à son sujet.
19/20. 70 euros. 03 89 73 63 37

Domaine Weinbach, Cuvée Sainte-Catherine, riesling Schlossberg 2018, alsace grand cru

Le domaine : Un de ceux qui font la renommée mondiale de l’Alsace. Ce vignoble en biodynamie propose une gamme conséquente qui exprime la complexité de la région.
Le vin : Grand nez, grande sève et parfaite typicité, c’est long et complexe. La noblesse d’arômes d’un grand vin en devenir.
Le détail : Théo, Colette, Laurence, certaines cuvées portent le nom des membres de la famille.
18/20. 65 euros. 03 89 47 13 21

Domaine Zind-Humbrecht, riesling Brand 2018, alsace grand cru

Le domaine : Olivier Humbrecht incarne un idéal absolu du grand vin blanc alsacien. Grâce à une biodynamie soignée, il livre des partitions émouvantes sur les plus grands terroirs de la région, comme Rangen ou, ici, Brand.
Le vin : Épicé, long et généreux en bouche, grande complexité digne du cépage et de ce terroir. Une immense réussite.
Le détail : Les vins du domaine sont certifiés Biodyvin, dont le cahier des charges est l’un des plus rigoureux parmi ceux de l’agriculture biodynamique.
18/20. 79 euros. 03 89 27 02 05

Le cornas, on en parle ou jamais ?

Domaine Alain Voge, Les Vieilles Vignes, cornas 2018

Pourquoi lui
Alain Voge a longtemps porté sur ses seules épaules la gloire et d’abord l’existence même de l’appellation cornas. Il en est le grand auteur, celui qui a défini les standards de beauté des vins de ces coteaux rudes et somptueux qui regardent le Rhône du haut de leurs terroirs uniques.

On l’aime parce que

Un grand cornas est un incontournable des tables qui ont du quant-à-soi. 99,99 % des gens que vous côtoyez ignore tout des cornas, n’ont jamais entendu parler d’Alain Voge. Aucune importance, vous êtes le sachant, assumez.

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24 mai 1976, cette « petite dégustation entre amis » devenue le Jugement de Paris

Steven Spurrier vient de nous quitter, après plus de cinquante ans de carrière. Entre autres faits d’armes, il est l’homme derrière le Jugement de Paris. L’occasion de se rappeler qu’avant de devenir une date importante, l’organisation de cette dégustation parisienne pour happy few est miraculée

Mai 1976 est beaucoup plus calme que mai 68. Giscard d’Estaing est Président de la République, LIP (les montres, pas la brasserie) est en liquidation et il fait anormalement chaud dans le Sud-Ouest. C’est déjà ça qui préoccupe le monde agricole français. À Paris, Steven Spurrier, anglais bien né, 34 ans, dirige un petit business florissant. Voilà deux ans qu’il a fondé les Caves de la Madeleine, cité Berryer dans le 8e arrondissement, une ruelle piétonne qui donne rue Royale. II vient de fonder l’Académie du Vin et donne un cours de six semaines à destination des chefs et sommeliers. Une révolution à l’époque et la première initiative privée d’une formation jusque-là réservée aux écoles hôtelières. Pour la diriger, il fait appel à son amie Patricia Gallagher, rencontrée deux ans plus tôt et correspondante pour l’International Herald Tribune. C’est cette passionnée de vins qui a l’idée d’organiser une dégustation de vins californiens à l’occasion du bicentenaire de la Révolution américaine. Spurrier essayait de vendre des vins californiens aux Parisiens sans avoir rien d’extraordinaire à leur proposer. Le Parisien est aussi français, il est chauvin. Lors d’un voyage en Californie l’été précédent, Patricia rencontre Robert Finigan, auteur d’un guide de vins qui lui fait découvrir quelques domaines remarquables. À son retour, elle pique la curiosité de Steven qui lui emboîte le pas en avril 1976 et embauche Joanne Dickinson DePuy, fondateur du Wine Tours International (NDLR, une agence spécialisée dans la visite des wineries). L’impression de Gallagher est confirmée. Il y a bien quelques pépites confidentielles en Californie capables de surprendre les grenouilles butées de l’avenue des Champs-Elysées. Faire venir en France les bouteilles des douze domaines californiens est une aventure. Spurrier sait que les contraintes douanières ne vont pas lui permettre d’importer les vins officiellement en temps et en heure. Dans le même temps, DePuy s’apprête à faire visiter la France viticole à quelques vignerons californiens. Il accepte de transporter les vins. En catastrophe, il faut rassembler les bouteilles, quitte à passer prendre soi-même les dernières sur la route de l’aéroport. Les vignerons californiens embarquent avec eux leurs deux bouteilles de consommation personnelle de chacun des domaines sélectionnés. Une seule sera cassée pendant le voyage. La dégustation du bicentenaire peut avoir lieu.

De la dégustation à la compétition
Au départ, il s’agit simplement de faire goûter des vins californiens à ces Français entêtés qui ne jurent que par leurs bordeaux et leurs bourgognes. Redoutant les aprioris de son panel, Steven Spurrier décide, deux semaines avant, d’inclure à la dégustation quelques crus français du même acabit. L’après-midi du lundi 24 mai, dans la véranda de l’hôtel Intercontinental, se réunit un panel de ce qui se fait de mieux parmi les professionnels de la restauration et du vin. Ils sont neuf. Parmi eux, Raymond Oliver, chef très influent du Grand Véfour, ou Aubert de Villaine qui vient de reprendre un petit domaine familial bien connu de Vosne-Romanée. La dégustation commence par les blancs. Des chardonnays. Quatre bourgognes, six californiens. Spurrier a la mauvaise idée d’annoncer les résultats avant la dégustation des vins rouges. Avec 14,14 de moyenne, le château-montelena devance un meursault-charmes du domaine Roulot. Catastrophe pour les Français. Le jury reprend ses esprits. Il affute ses palais pour la série de rouges. L’accident ne doit pas se reproduire. Malgré leurs efforts, c’est encore un californien qui se classe premier, signé par Stag’s Leap Wine Cellar.

« Stunning success in Paris »
Cette dégustation aurait pu rester un sympathique rendez-vous parisien pour initiés. Odette Khan, alors rédactrice en chef de La Revue du Vin de France, comprend intuitivement le danger du résultat et tente en vain de récupérer ses notes auprès de Spurrier. Pas de chance, George Taber, journaliste du Time, qui avait initialement décliné l’invitation, est finalement présent. Comme le résultat est particulièrement inattendu, en plus d’être favorable aux Américains, le Time décide que cette petite histoire de dégustation parisienne vaut la peine d’être publiée. Dans l’édition du 7 juin 1976, page 58, dans la rubrique « Modern Living », la dégustation du bicentenaire se transforme en « Judgement of Paris ». Titre anodin. L’histoire fera le reste. Pas grâce à Patricia Gallagher. Ennuyée par le résultat, elle a peur d’avoir froissé ses hôtes, qui sont aussi ses clients et restera discrète sur le sujet. Spurrier, lui, assume parfaitement. Ce sont surtout les vignerons californiens concernés, au départ même pas au courant de l’événement, qui vont en tirer profit. « Stupéfiant succès à Paris » écrit Jim Barrett, propriétaire de Montelena, faisant partie du voyage organisé par DePuy, dans un télégramme envoyé à son winemaker Mike Grgich.  Leur région, la Napa Valley, apparait soudainement sur les radars, y compris des consommateurs américains, pas spécialement amateurs de vins à l’époque. Si des crus de chez eux ont pu battre la fine fleur du vin français, la success story a de l’avenir. Les investisseurs arriveront en Californie comme si on y avait trouvé de l’or. Les wineries ne vont cesser de se développer, passant de 300 à l’époque à plus de 3 000 aujourd’hui.

« Dans l’édition du 7 juin 1976, page 58, dans la rubrique « Modern Living », la dégustation du bicentenaire se transforme en « Judgement of Paris ». Titre anodin. L’histoire fera le reste. »

Une défaite humiliante ?
L’événement aura été bénéfique pour les Français. Piqués dans leur orgueil, ils comprennent que Dieu n’a pas béni la France et qu’il faut aller voir ailleurs ce qui s’y passe et se remettre en question. De nouveaux concurrents arrivent. Pourtant, quand on regarde de près les résultats, les vins français n’ont pas démérité. En blanc, Roulot ne manque la première marche que de très peu (0,35 points), même si la Californie classe trois vins dans les quatre premiers. En rouge, le résultat est plutôt favorable aux Français. Stag’s Leap ne gagne qu’avec 0,05 points de plus que Mouton-Rothschild, qui est suivi de Montrose et de Haut-Brion (1). La légende est lancée. Personne ne s’attendait à un score pareil. L’histoire est trop belle pour ne pas être racontée, voire enjolivée ou déformée. Jancis Robinson, dans sa récente nécrologie de Steven Spurrier, écrit : « La Californie a triomphé de la façon la plus convaincante/humiliante et alors l’histoire du vin fut réécrite ». Comme quoi les vieilles rivalités historiques ne sont pas totalement oubliées. Cette dégustation a symboliquement montré au monde qu’il était possible de mettre en valeur des terroirs et de faire des grands vins ailleurs qu’en Europe de l’Ouest. C’était il y a 45 ans. Les Français n’ont pas disparu du paysage. Ils sont même très présents dans la course aux vins prestigieux. Mais la production de vin est désormais une affaire mondiale. Laissons la conclusion à Jean de la Fontaine, fabuliste de génie : « Tout vainqueur insolent à sa perte travaille. Défions-nous du sort et prenons garde à nous après le gain d’une bataille. » (2)

Finir la semaine avec Brio

Ce brio 2009, deuxième étiquette du château Cantenac-Brown, troisième grand cru classé de Margaux, séduit par sa finesse. Les raisins, issus de plusieurs parcelles sélectionnées en fonction de leur évolution, sont spécialement cultivés pour répondre aux exigences de ce vin. Inutile de rappeler que 2009 est un très bon millésime. Les raisins ont bien profité du soleil et expriment des arômes de fruits rouges plaisants et charmeurs. Brio joue l’équilibre entre le cabernet-sauvignon et le merlot avec 10 % de cabernet franc. L’assemblage profite d’un élevage soigné de douze mois en barriques de chêne français (25 % en barriques neuves et 75 % en barriques d’un an). Résultat ? Un boisé délicat, des tannins bien fondus et de la complexité. Coup de cœur.

Prix public : environ 45 euros.
En vente sur chateaunet.com

Retrouvez l’ensemble des commentaires de dégustation de Château Cantenac Brown dans notre moteur de recherche.

Un chablis grand cru de première classe

William Fèvre, Côte Bouguerots, chablis-grand-cru-bougros 2018

Pourquoi lui
Nous avions pris la défense de Joseph Henriot et de William Fèvre injustement attaqués par la bienpensance pinardière et, ainsi, nous avions découvert une maison productrice de beaux vins. Grâce leur soit rendue. 

On l’aime parce que
On n’est jamais à l’abri d’un beau chablis. Les premiers et grands crus sont des vins d’exception au prix du tout venant ou presque, comme c’est souvent la règle à Chablis, paradis des grands crus pas chers. Ce qui mérite une attention soutenue.

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Steven Spurrier s’en est allé

Steven Spurrier s’en est allé dans la nuit du 8 au 9 mars 2021, à 79 ans, et c’est toute une époque du vin qui part avec lui. Anglais amoureux de Paris, il s’était installé dans notre capitale pour y établir d’abord un magasin de vin, les Caves de la Madeleine, puis assez vite ensuite une école de dégustation, l’Académie du vin. Dans une France d’alors qui picolait beaucoup mais ne s’intéressait que de très loin au bon vin, il avait apporté ce sens très britannique de la connaissance et de la sélection.

Les meilleurs domaines trouvaient aux caves une ambassade essentielle, leurs propriétaires venaient expliquer verre à la main leur démarche et leurs convictions à l’Académie. Spurrier, qui ne s’est jamais départi de ce que Jancis Robinson qualifie avec justesse de « youthful enthusiasm », savait déjà mieux que quiconque apporter au monde du vin à l’époque bien routinier un cocktail de gaieté, d’élégance, de romantisme et d’impertinence dont il avait bien besoin. Ce fut lui qui organisa, en juillet 1976, pour le bicentenaire de la naissance des Etats-Unis, le fameux « Jugement de Paris » qui lança les meilleurs crus de la Napa Valley mais aussi réveilla les crus bordelais.

A l’Académie, les œnophiles se précipitaient pour suivre des cours et des master class en français ou en anglais dont l’un des principaux professeurs fut bientôt Michel Bettane. Steven continua à travailler à Paris tout au long des années quatre-vingt et l’une de mes grandes fiertés restera d’avoir constitué, pour le premier numéro de La Revue du vin de France dont j’eu la charge en tant que rédacteur en chef, un comité de dégustation d’une extraordinaire compétence et d’une formidable complicité : Michel Bettane, Pierre Casamayor, Michel Dovaz, Georges Lepré et Steven Spurrier.

Quelques temps plus tard, Steven m’annonça son retour à Londres, mais le respect et l’amitié qui l’unissait à Michel comme à moi-même perdura. En Angleterre, Steven continua, avec l’équipe de Decanter en particulier, son œuvre brillante d’exégète et de défenseur des fine wines, français en particulier. Curieux de tout, spirituel et délicieusement bien élevé, ce gentleman du vin symbolisait à lui tout seul ce que l’Angleterre a apporté au vin : elle en a fait une civilisation.

Photo : Presse

Le cabernet franc fait la tendance

Le cabernet franc, le cépage père de tous les cépages, devient peu à peu le chouchou des meilleurs vignerons du monde. Revue de détail

On commence à mieux s’intéresser à l’origine et à la lente évolution de tous nos grands cépages. En Europe de l’Ouest, ils sont certainement nés de métissages et de mutations entre un très vieux matériel végétal venu de l’Est (Asie Mineure et Mésopotamie), les fameux membres de la famille Vitis vinifera pontica, et les lambrusques ou vignes sauvages, soit autochtones, soit redevenues sauvages après la destruction des vignobles plantés par les Romains à la suite des invasions barbares. Un des métissages les plus intéressants sur le plan qualitatif est probablement né entre la Navarre et le Pays basque, on ne sait pas exactement trop quand.

À l’origine des Carmenets
Ce qui est sûr, c’est qu’il est à l’origine de la passionnante famille des Carmenets qui a essaimé en France, transportée par les hommes par mer ou sur les fleuves et rivières, remontant dans le Bordelais, puis dans la Loire, et passant les frontières vers l’Italie du nord, le Hongrie, l’Europe centrale. Nos grands voyageurs, voulant retrouver du vin de qualité dans les nouveaux mondes, l’ont naturellement plantée en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique du Sud, en Australie et partout où c’était possible.

Le plus ancien membre connu de cette famille (on ne lui connaît pas de parents précis) est le cabernet franc, franc voulant certainement dire vrai ou authentique, parce qu’on savait observer à défaut d’avoir déchiffré l’ADN de la vigne, par opposition avec ses nombreuses progénitures. Car il en a eu, ce sacré gaillard, par métissage avec d’autres lambrusques locales, donnant après union avec le basque fer servadou, le gros cabernet, puis la carmenère, avec le sauvignon, cette fois-ci en Bordelais, le cabernet-sauvignon (mais oui), avec l’obscure magdeleine noire des Charentes, le merlot noir, et avec la folle-blanche, le rare merlot blanc. Bref Dieu le père par rapport à Dieu les enfants, pour la plus grande gloire du classement de 1855.

Un statut d’ancêtre est des privilèges
Son statut d’ancêtre lui donne quelques privilèges, mais aussi un caractère pas toujours commode. Sa saveur forte, étonnante, épicée, presque poivrée à maturité, riche en pyrazine, qui donne des notes de poivron vert en sous-maturité, est sans doute celle qui se rapproche le plus des baies de raisin des lambrusques, mais aussi celle qui offre la plus grande complexité de saveur possible si les levures font bien leur travail. Il est aussi plutôt robuste, peu sensible aux maladies cryptogamiques qui ravagent ses descendants plus faibles, le mildiou et l’oïdium. Il a aussi parfaitement supporté le greffage sur bois américain après le phylloxera, ce qui est loin d’être le cas de ses enfants. En revanche, il n’aime pas tous les types de sol et tous les climats.

Il lui faut de l’eau et surtout pas de stress hydrique, et donc si on le plante sur des sables, l’été ne doit pas être trop sec. Il préfère logiquement les sols calcaires ou argilo-calcaires où ses peaux réagissent au moindre changement de composition du sol et du sous-sol, ce qui est un signe de noblesse puisque sans cette plasticité la notion de cru exprimant un terroir n’existerait pas. Voilà pourquoi, malgré ses éminentes qualités et son statut ancestral, il est bien moins planté dans notre pays et dans le monde que ses enfants merlot et cabernet-sauvignon, entre 35 et 40 000 hectares dans notre pays contre 120 000 ha pour le premier et 55 000 ha pour le second. C’est pareil à l’étranger, même s’il est en progression en Hongrie et si les meilleurs vignerons de la Napa, de la Sonoma et du Washington State commencent à en faire un cépage culte.

Des expressions les plus complètes
Dans notre pays, ses deux contrées d’élection sont la Touraine, qui lui apporte finesse et fraîcheur, avec un corps qui prend de plus en plus d’ampleur avec le réchauffement climatique et une meilleure viticulture, et la rive droite de la Garonne où il prend le nom local de “bouchet”. C’est dans ce secteur, associé au merlot, qu’il obtient ses expressions les plus complètes, parfois vraiment extraordinaires, s’il trouve des vignerons idéalistes.

Car cette qualité, née d’une maturité optimale du raisin, ne s’obtient qu’avec des rendements beaucoup plus faibles, trente hectolitres à l’hectare ou moins, ce qui explique que le merlot est encore trop souvent trop présent dans les assemblages. En Europe, récemment, la Toscane, le Frioul et quelques rares cuvées d’Europe centrale comme le fameux Kopar hongrois d’Attila Gere à Villany, se rapprochent en corps des meilleurs saint-émilion sans égaler encore leur raffinement de texture. Mais c’est aux Etat-Unis qu’on commence vraiment à rivaliser avec nos grandes expressions, particulièrement dans l’Etat de Washington, au nord de l’Orégon.

Lire l’article en entier dans En Magnum #10.