Accueil Blog Page 87

Le cognac, un spiritueux et des savoir-faire uniques

Les cognacs résultent de savoir-faire uniques. Ceux de femmes et d’hommes qui œuvrent au quotidien pour élaborer un produit haut de gamme. Leur défi ? Conjuguer créativité et innovation dans le respect des traditions. La filière réunit aujourd’hui 4 200 viticulteurs, 120 bouilleurs de profession et 270 négociants de l’appellation. Chaque profession est un maillon indispensable de la production de cette eau-de-vie.

Le travail de la vigne et la distillation
Chaque année, au début de l’automne, dès que le raisin arrive à maturité, les vendanges commencent et durent un mois. Un nouveau cycle débute alors dans un souci croissant de protection de l’environnement et de préservation des ressources. Les viticulteurs interviennent dès la genèse en assurant la plantation et le renouvellement des ceps de vignes.

Après les vendanges, les viticulteurs vinifient les raisins blancs destinés à l’élaboration du cognac, transformant ainsi le sucre en alcool. Le vin est ensuite distillé par les bouilleurs de cru ou bouilleurs de profession selon la technique dite de la distillation charentaise ou de la double distillation. Le distillateur est un véritable alchimiste. Son rôle est de sublimer le vin en eau-de-vie, en concentrant les arômes et en gardant le meilleur de la vendange. Il vend ensuite sa récolte distillée au négoce ou la garde pour élaborer ses propres cognacs.

L’art du maître de chai
Le maître de chai est le garant des choix aromatiques. Sur les 270 maisons de cognac, les styles et arômes diffèrent d’une maison à l’autre. Le maître de chai supervise la production du cognac, de la sélection des eaux-de-vie jusqu’à l’assemblage. Il veille et élève les eaux-de-vie tout au long de leur vieillissement, entre fûts neufs ou fûts roux, chais secs ou chais humides. Il déguste régulièrement les eaux-de-vie pour identifier celles qui seront prêtes à assembler.

Le chêne, le cuivre et le verre
Le Cognac vieillit uniquement au contact du chêne. De la sélection du bois à l’assemblage du fût, les tonneliers détiennent un savoir-faire séculaire pour équilibrer les échanges entre le bois, l’eau-de-vie et l’air, permettant au cognac de développer naturellement ses arômes.

D’autres métiers gravitent autour de ce spiritueux réunissant ainsi sur un seul et même territoire tous les savoir-faire associés : la chaudronnerie, qui repose sur la conception et la fabrication de l’alambic charentais pour équiper les distilleries, la tonnellerie, qui consiste à partir du merrain extrait du chêne et par l’assemblage des douelles à fabriquer les fûts destinés au vieillissement du cognac, et enfin la verrerie, véritable art qui permet d’habiller l’or ambré des Charentes.

La transmission
Du travail du viticulteur à celui du maître de chai, des gestes du bouilleur de cru à ceux du tonnelier ou encore du chaudronnier, les savoir-faire autour du cognac se transmettent au fil des siècles. Tous animés par des exigences communes : la qualité, l’authenticité et le souci du détail.

Véritable patrimoine vivant, la transmission peut se traduire par la connaissance d’un terroir, d’un alambic, la connaissance d’un chai et ses eaux-de-vie, et avant tout la passion et la volonté de bien faire.

La filière cognac est un véritable poumon économique dans sa région. Avec 60 000 personnes vivant du cognac dont 17 000 en emploi direct, elle représente 50 % de la population agricole locale ce qui en fait un secteur employeur majeur dans les deux Charentes. Avec ses perspectives de croissance, la filière envisage même de créer 15 000 emplois supplémentaires, d’ici à 2035 dans sa région de production.

Crédit photo : © BNIC / Benoit Linero

Le mondovino de la semaine n°39 tourne à fond

La nouvelle égérie. À table. Turckheim sur son 31. Wine Explorers en magnum. Au cœur du volcan. Chaque jour du nouveau, en voici cinq

La nouvelle égérie

Après dix ans de sommeil en cave, c’est le retour de la cuvée égérie signée par la maison Pannier. Les plus belles parcelles, les meilleures grappes et le savoir-faire du chef de cave Yann Munier sont au rendez-vous de cet assemblage à part égale de chardonnay et de pinot noir complété par une pointe de meunier. Ce champagne, très peu dosée, enchante par sa complexité, sa finesse, son équilibre, sa délicatesse, sa fraîcheur et sa longueur. La cuvée joue, comme d’habitude, dans la cour des grands.

Égérie 2012 de champagne Pannier
96 euros, disponible sur champagnepannier.com

À table

Du 16 au 31 octobre 2021, Ruinart invite à sa table. Deux semaines durant laquelle la maison champenoise ouvre son restaurant éphémère. Au menu, brunchs, dégustations, ateliers et cours de cuisine, échanges avec des chefs et des créateurs culinaires. Parmi eux, Alexandre Gauthier, Antonin Bonnet, Alessandra Montagne, Cathy Paraschiv, Julien Sebbag, Céline Pham ou Valentine Davase, bref, que du beau monde.

Unconventional Restaurant, 36, rue Chévert, 75007 Paris
Réservations : www.ruinart.com

Turckheim sur son 31

C’est la Fashion Week à Paris et c’est aussi la troisième édition de la cuvée Cousu-main, rencontre entre le monde du crémant signé par la cave de Turckheim et celui de la mode avec le créateur William Arlotti qui a dessiné sa robe Blossoming Cachemire, ultra glamour.

Cousu-main, 11 euros sur cave-turckheim.com

Wine Explorers en magnum

Il fallait le talent et l’expérience de Jean-Baptiste Ancelot, fondateur globe-trotter de Wine Explorer, pour dénicher des pépites aux quatre coins de la planète. Pari tenu quatre cuvées servies uniquement en magnum, à l’occasion d’un magnifique dîner dans le somptueux restaurant étoilé Lalique au Château Lafaurie-Peyraguey. Une chance.

115 euros le dîner avec accord mets et vins
lafauriepeyragueylalique.com

Au cœur du volcan

Un clos de 10 hectares divisé en quatre parcelles, un terroir basaltique et argilo-calcaire marneux au cœur d’un cratère endormi, une villa de style Renaissance, des belles chambres d’hôtes, tout ça est né de la volonté sans limite de son propriétaire Pierre Guénant et du savoir-faire de Stéphane Derenoncourt. Côté vin ? Un rouge ample, aux tannins soyeux et qui s’achève sur les fruits des bois. Un blanc ambitieux, gourmand et long en bouche.

Villa Baulieu, 29 euros sur villa-baulieu-vignoble.plugwine.com

Un grand cru de la colline de Corton

Domaine Arnoux Père et Fils,
Le Rognet, corton grand cru 2017

Pourquoi lui
On ne le sait pas assez, mais la colline de Corton recèle mille et un trésors que Michel Bettane a dévoilé avec gourmandise dans le numéro 23 de EnMagnum. La même gourmandise …

Lire la suite ici sur le blog bonvivant

La nouvelle manière des jolis bordeaux

Château Bonnange,
Pourpre, vin-de-France 2018

Pourquoi lui
Le château Bonnange a été repris des mains d’un célèbre publicitaire par un entrepreneur chinois épatant. Il voulait en faire sa maison pour les vacances, le vin est le plus fort et le voilà impliqué jusqu’au cou dans le développement de son vignoble. Créatif, il imagine des cuvées sans cesse. On se souvient de son étiquette « Rosé de province », vite interdite. Ce 100 % merlot élevé pour un tiers en barriques neuves et pour le reste…

Lire la suite ici sur le blog bonvivant

Vins du Liban, gloire et brouillard

Ce n’est plus un secret, le Liban produit des vins appréciés des amateurs à travers le monde. Si le vin n’a pas été inventé par les Libanais, son origine connue remontant à 8 000 ans avant notre ère en Géorgie, l’histoire viticole du pays est bien riche de quelques millénaires et son avenir, comme celui du pays, très flou


Cet article est paru dans En Magnum #21. En Magnum #25 est actuellement en kiosque. Vous pouvez également l’acheter sur notre site ici. Ou sur cafeyn.co.


Légende photo d’ouverture : Dessin réalisé par O. Bruderer. Il montre l’activité du pressoir à l’époque des Phéniciens. Ce dernier a été découvert dans le Sud-Liban sur le site archéologique de Tell el-Burak, à environ huit kilomètres de la grande ville côtière de Sidon.

La culture viticole du pays du Cèdre remonterait au VIIe siècle avant notre ère, au temps des Phéniciens, ancêtres des Libanais. Ces derniers étaient présents sur un territoire qui correspond en grande partie au Liban actuel. L’empire Ottoman est venu anéantir ce savoir-faire pendant des siècles et les Jésuites l’on réintroduit au XIXe siècle. Dès 1857, les moines installés dans la plaine de la Bekaa cultivent et produisent un vin destiné à leur consommation personnelle. En 1898, une grotte longue de deux kilomètres datant de l’époque romaine est découverte. Elle appartient désormais au château Ksara.

Les caves de Château Ksara, longues d’un kilomètre, datent de l’époque romaine. Elles abritent une collection de vieux millésimes.

Un passé glorieux
Les fouilles archéologiques entreprises dans le Sud-Liban sur le site de Tell el-Burak, à environ huit kilomètres de la grande ville côtière de Sidon, ont confirmé cette hypothèse phénicienne. Elles ont même apporté une nouvelle certitude, celle de la fabrication du vin par les Phéniciens eux-mêmes, grâce à la mise au jour d’un pressoir vieux de 2 600 ans. C’est une équipe composée d’archéologues libanais et allemands, qui étudie le site depuis 2001, qui a fait cette découverte. Le président de l’Union vinicole du Liban, Zafer Chaoui, explique que du fait de ses dimensions largement supérieures à une production familiale, ce pressoir phénicien constitue « une preuve supplémentaire que le Liban produisait du vin à cette époque, et même avant. On estime que la production de vin au Liban date d’environ 6 000 ans. » Un nombre important de pépins a été trouvé sur le site, montrant que le raisin, cultivé à proximité, était transporté jusqu’au pressoir afin que les baies y soient foulées en soumettant les grappes à une pression légère exercée par la force des pieds pour éclater les peaux et laisser sortir le jus. Cette opération se déroulait dans le grand bassin en pierres enduit de plâtre d’une capacité de 4 500 litres. Le moût ainsi obtenu finissait sa course dans une grande cuve. La gravité était, déjà, au centre du procédé. Les jus étaient ensuite versés dans des amphores en terre cuite et la fermentation et la maturation pouvaient commencer. Ces mêmes amphores servaient pour le transport du vin et son exportation. Peuple de navigateurs et de commerçants hors pair qui a étendu son terrain de jeu sur tout le pourtour méditerranéen, les Phéniciens ne commercialisaient pas uniquement du vin, qu’ils ont rendu très populaire en Grèce et en Italie, mais aussi de l’huile d’olive, du bois de cèdre, du verre et bien d’autres marchandises. Ils ont également répandu l’alphabet. « Cette découverte proche des ports de Sidon et de Tyr confirme que les Phéniciens exportaient le vin vers la Haute-Égypte, Carthage et l’Europe. Pionniers, ils ont propagé la plantation de la vigne et la vinification dans le sud du continent européen », souligne Zafer Chaoui. Célèbre, le vin phénicien en provenance de Sidon est même mentionné dans des textes religieux de l’Égypte antique. Le vin a été utilisé lors des cérémonies et des sacrifices religieux phéniciens. Cette tradition héritée des Cananéens a été reprise par les Juifs et les Chrétiens par la suite.

Les vestiges de plusieurs habitations situées à proximité du pressoir de Tell el-Burak.
Le pressoir phénicien découvert au Sud-Liban sur le site de Tell el-Burak.
Les objets (tablette, etc.) donnent l’échelle.

Le vin victime des crises
Mais l’aventure du vin au Liban ne s’arrête pas à cette glorieuse histoire. Il faut aussi parler d’avenir dans un pays qui subit aujourd’hui la plus longue et grave crise politique et économique jamais connue depuis son indépendance en 1943. « Le secteur vitivinicole souffre à cause de la diminution considérable du pouvoir d’achat, de l’instabilité politique et de la crise engendrée par l’épidémie de Covid-19 qui a restreint les déplacements et contraint à la fermeture des restaurants, bars et divers lieux de consommation. Nous estimons à 20 % la baisse de la consommation locale de vin », précise Zafer Chaoui. Ce chiffre a été confirmé par Edgard Bou Acar, directeur du site de vente en ligne de vins libanais cavisteduliban.fr. Pour ne rien arranger, la crise libanaise est accompagnée d’une crise économique mondiale. Cette dernière a également frappé le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et des cafés et entraîné une réduction certaine et importante des exportations libanaises durant le premier semestre de l’année. Zafer Chaoui reste cependant optimiste : « Une reprise durant le troisième trimestre est à signaler, les vins libanais jouissant de niches dans plusieurs pays et comptant plus que jamais sur l’export pour faire face à la crise interne. »

Karim et Sandro Saadé dans leur vignoble situé à l’ouest de la plaine de la Bekaa.

Le chemin de croix
Propriétaires du château Marsyas dans la plaine de la Bekaa et du domaine Bargylus en Syrie, Sandro et Karim Saadé font partie de cette nouvelle génération de vignerons qui se battent pour continuer à produire du bon vin dans un pays où le quotidien est semé d’embûches. C’était déjà le cas avec la gestion de leur domaine syrien qui subit les conséquences du conflit depuis une dizaine d’années. Les deux frères n’ont pas pu s’y rendre depuis le début de la guerre et le dirigent depuis leurs locaux situés dans la capitale libanaise : « La situation est très difficile en Syrie. Pour décider de la date du début des vendanges à Bargylus, des échantillons de raisins sont transportés quotidiennement par taxi pour être goûtés à Beyrouth. La décision de vendanger ou non est alors prise en concertation avec Stéphane Derenoncourt, notre œnologue-conseil. » Comme la plupart de la jeunesse libanaise, les frères Saadé croient encore à un avenir meilleur au pays du Cèdre. L’explosion survenue le 4 août dernier dans le port de Beyrouth a détruit une partie de la capitale et a eu raison des locaux de l’entreprise familiale situés à quelques centaines de mètres de là, mais pas de leur détermination. « Nous sommes chanceux. Toute l’équipe est sous le choc, mais nous poursuivrons notre travail et nous produirons des vins qui continueront, avec ceux d’autres producteurs, à véhiculer une image positive du Liban à travers le monde. »

Fabrice Guiberteau (œnologue), Édouard Kosremelli (directeur général) et Émile Majdalani (directeur commercial) dans le vignoble de Kefraya. Au fond, l’Anti-Liban, la chaîne de montagne qui sépare le Liban de la Syrie en guerre.

Un avenir meilleur
Malgré les crises qui traversent le Liban, certains viticulteurs ne se contentent pas de survivre, mais cherchent à donner une identité à leurs vins. « Un peuple qui n’a pas d’histoire, n’a pas d’avenir », telle est la devise de Fabrice Guiberteau, l’œnologue du château Kefraya. Ce Français installé au Liban depuis 2006 est un fervent défenseur d’une viticulture paysanne. Après avoir entrepris un travail considérable d’étude des sous-sols de Kefraya, il a divisé ce domaine de 300 hectares en micro-parcelles. Le travail, respectueux de l’environnement, lui a permis d’obtenir le label Agriculture Biologique. Le choix des cépages internationaux, qui était une évidence quelques années auparavant, est remis en question avec la recherche que Guiberteau a menée sur des cépages autochtones, aussi bien en blanc (obeidi, merwah, meksessé) qu’en rouge (assouad karech, asmi noir). La dernière vague de chaleur que la Bekaa a connue cet été montre bien que ces derniers sont plus adaptés au climat de la région. « Certaines grappes de syrah commençaient à souffrir de la chaleur et de la sécheresse alors que celle d’assouad karech étaient parfaites », souligne l’œnologue. D’autres vignerons, après avoir suivi des études d’agronomie dans des universités à l’étranger reviennent au pays pour créer leur propre domaine ou reprendre les rênes d’un domaine familial. C’est le cas, par exemple, de Sébastien Khoury qui a créé le domaine de Baal à Zahlé après avoir étudié et travaillé quelques années à Bordeaux. Après avoir terminé ses études en France, Roland Abou Khater, fils d’un grand vigneron libanais décédé accidentellement, n’a pas hésité une seconde à perpétuer l’aventure familiale : « C’est une évidence de revenir au Liban et de faire ce que j’ai toujours voulu faire. La situation économique et politique ne m’empêchera pas de réaliser mon rêve aux côtés des gens que j’aime et de poursuivre l’œuvre de mon père. » Cette nouvelle génération de vignerons remercie la nature, si favorable à la culture de la vigne, se bat contre la bêtise humaine et espère en finir avec cette instabilité permanente. Ils n’ont qu’un seul désir, avoir une vie semblable à celle que leurs parents ont connue quelques décennies auparavant ou à celle qu’ils ont vécue pendant leurs séjours en France ou ailleurs.

Roland Abou Khater et Tamara Gebara dans les caves de leur domaine Coteaux du Liban à Zahlé.

Six domaines incontournables

Château Kefraya
La belle histoire de Château Kefraya commence en 1946 dans le village du même nom, au pied du mont Barouk, à plus de mille mètres d’altitude, par la construction d’une grande demeure sur une colline artificielle édifiée par les Romains pour surveiller les mouvements de troupes sur la plaine de la Bekaa. En 1951, Michel de Bustros débute la plantation de vignes. Le vignoble s’étend désormais sur 300 hectares. Château Kefraya est considéré comme l’ambassadeur et le porte-drapeau du vin libanais à l’étranger. Les vins sont fruités, fins, précis, élégants et harmonieux. Disponible chez cavisteduliban.fr

Château ksara
Ce domaine historique est créé en 1857 par les Jésuites dans la ville de Zahlé. Depuis 1973, il appartient à un groupe d’investisseurs privés. Avec plus de 2,7 millions de bouteilles par an et une gamme très large, Ksara fait partie des plus importantes caves au Liban. La visite de ses caves romaines est indispensable.

Château Marsyas
Le domaine libanais de Karim et Sandro Saadé, également propriétaires de Bargylus en Syrie, s’étend sur 50 hectares dans la plaine de la Bekaa. Les alluvions accumulées ont engendré un sous-sol calcaire compact, une roche-mère couverte par une pellicule de terre de 40 à 50 centimètres. Le premier vin est fin, structuré, avec un fruit pur. Il est taillé pour la garde. La cuvée B-Qa, un vin de plaisir immédiat, a vu le jour en 2013.

Coteaux du Liban
Cette propriété familiale a été créée par Nicolas Abou Khater sur les hauteurs de Zahlé, dans la plaine de la Bekaa, à 1 100 mètres d’altitude. Après son décès accidentel (en 2009), elle a été dirigée par sa femme Roula. Aujourd’hui, c’est leur fils Roland qui écrit l’avenir du domaine. Le sol est argilo-calcaire et la conduite du vignoble est respectueuse de l’environnement. Toute la gamme vaut le détour à commencer par la cuvée Rouge Passion.

Domaine des Tourelles
Créé dans les années 1860 par François-Eugène Brun, ingénieur français installé au Liban et travaillant dans la plaine de la Bekaa, ce domaine produit du vin depuis 1868. Les vignes sont plantées sur des terres graveleuses et argileuses. Cette historique propriété appartient depuis 2000 à Nayla Issa el-Khoury et Elie F. Issa qui ont largement développé et amélioré la gamme des vins tout en restant fidèles à l’esprit des lieux.

Ixsir
Faire des vins qui ressemblent au Liban et à sa mosaïque de cultures et de religions, telle est la philosophie d’Ixsir, domaine né grâce à la volonté de Carlos Ghosn et de son ami Étienne Debbané. Les vins sont issus d’assemblages de raisins venant de terroirs du Sud, de la Bekaa et de Batroun. Pour les aider, les propriétaires font appel à Hubert de Boüard, consultant et copropriétaire du château Angélus à Saint-Émilion.

Les vins sont disponibles sur le site
cavisteduliban.fr

Le mondovino de la semaine n°39 tourne à fond

Le livre aux 1 200 climats. C’est de la dentelle. Montagne ou bord de mer ? Une blonde du Sud. Au cœur des vendanges avec Champagne Deutz… Chaque jour du nouveau, en voici cinq

Le livre aux 1 200 climats

Avec son Grands vins de Bourgogne, Guide des meilleurs crus et climats de Côte d’Or au XIXe siècle, Frédéric Villain plonge son lecteur au cœur de l’âge d’or de la Bourgogne. L’ouvrage retrace le long processus qui a permis la mise en place d’une viticulture et d’une œnologie toujours utilisée aujourd’hui et revient sur les raisons de la hiérarchisation officielle des vins établie par le comité d’agriculture de Beaune en 1862. Un travail de recherche et de cartographie remarquable, récompensé par le Prix 2021 de l’OIV. « Par une approche de l’histoire des vins, et en particulier au XIXe siècle, l’auteur expose les fondamentaux de la réussite de la viticulture des « hauts lieux », regroupant 84 AOP et 1200 « Climats de Bourgogne » : un exemple remarquable ».

Grands vins de Bourgogne, Guide des meilleurs Crus et Climats de Côte d’Or au XIXe siècle (Terres en Vues)
25 euros, disponible sur terre-en-vues.fr

C’est de la dentelle

Tout proche des Dentelles de Montmirail, à Cairanne, le domaine Brusset produit douze cuvées issues de 70 hectares de vignes en terrasses, répartis sur quatre appellations. Une mosaïque de terroir qui permet au domaine de signer de jolis vins, comme le rasteau la-bastide 219, assemblage de grenache et de mourvèdre plantés sur un sol très argileux. Nez complexe de fruits noirs, bouche puissante et juteuse avec une finale longue et persistante.

Domaine Brusset, La Bastide 2019, rasteau
16 euros sur domainebrusset.fr

Montagne ou bord de mer ?

Disons les deux pour Le Petit Ballon. Avec sa box composée de deux bouteilles du même vin, l’enseigne s’associe avec un vigneron iconique des Pyrénées Orientales, William Jonquères d’Oriola. L’astuce ? Une première bouteille élevée un an à 1 800 mètres d’altitude après sa mise en bouteille, la seconde élevée au bord de la mer. Parfait pour l’amateur curieux à la recherche de nouvelles sensations.

Le Petit Ballon, Box expérientielle – élevage mer et montagne
19,90 euros sur lepetitballon.com

Une blonde du Sud

83, c’est le nom de la nouvelle bière blonde signée par le château Saint-Maur, célèbre cru classé de Provence, pensée et élaborée avec le même soin que les vins du domaine. Une bière où chaque ingrédient est choisi avec exigence : les malts sont fabriqués à partir d’orge de printemps français et le houblon vient d’Alsace. Finesse aromatique, amertume discrète, puissance aromatique et moelleux en bouche.

Vendue en carton de 24 bouteilles, 5,50 euros à l’unité
chateausaintmaur.com

Au cœur des vendanges avec Champagne Deutz

« L’année 2021 contraste avec les millésimes “très solaires” précédents ; et la vendange, sous une météo capricieuse, a été à l’image du cycle : compliquée ! ». La suite en image.

Plus d’informations sur champagne-deutz.com

Côte de Beaune, l’appel du nord : huit vins indispensables

Difficile de se faire une place à côté des grands crus corton et corton-charlemagne. Les villages et les premiers crus autour de la colline ont pourtant de sérieux atouts pour réjouir les amateurs des grands vins de Bourgogne. Ces climats d’Aloxe-Corton, de Beaune, de Pernand-Vergelesses, de Savigny-lès-Beaune ou encore le méconnu Chorey-Lès Beaune sont capables du meilleur quand ils sont entre les mains de vignerons talentueux. Voici sept rouges et un blanc qu’on ne peut plus ignorer

Manuel Olivier, aloxe-corton 2019
Du fond, du style et un tannin élégant, aérien pour un aloxe civilisé que l’on pourra commencer à déguster dans deux ou trois ans.
91/100
33,50 euros
Contact
03 80 62 39 33
[email protected]

Domaine du Comte Senard, Les Valozières, aloxe-corton 1e cru 2019
De la dynamique et de l’allant dans ce premier cru. Réputé pour sa délicatesse native, il a trouvé dans le millésime 2019 une plénitude de constitution qui le rend complet. Belle réussite.
93/100
62 euros
Contact
03 80 26 40 73
[email protected]

Champy, Aux Cras, beaune 1e cru 2019
Nez de griottes, de baies rouges. C’est une version épurée du beaune, pure, tendue, racée, salivante, d’une longueur remarquable.
93/100
50 euros
Contact
03 80 25 09 99
[email protected]

Domaine Jean-Pierre Guyon, Les Bons Ores, chorey-lès-beaune 2019
Nez épicé, charnu, gourmand, bouche complexe bien juteuse, ce chorey dépasse largement le standard de cette appellation méconnue.
91/100
Prix NC
Contact
03 80 61 02 46
[email protected]

Domaine Michel Gay et Fils, chorey-lès-beaune 2018
Jolies notes de cerise noire, d’airelle, bouche charnue et élégante. On est ici aux antipodes du style parfois lourd des choreys.
91/100
17 euros
Contact
03 80 22 22 73
[email protected]

Domaine Rapet Père et Fils, Île de Vergelesses, pernand-vergelesses 1e cru 2019
Climat de mi-coteau à maturité tardive bordant la commune de Savigny-lès-Beaune qui a su tirer tout le parti possible de 2019. Nez et bouche racés, déliée, un rien sauvage, intense, florale et exquise. C’est le meilleur millésime de ce climat que nous ayons goûté au domaine.
94/100
40 euros
Contact
03 80 21 59 94
[email protected]

Domaine Chandon de Briailles, Les Lavières, savigny-lès-beaune 1e cru, rouge 2019
Suite logique du 2018, ce 2019 représente encore un modèle de savigny, d’une impressionnante délicatesse de tannin. Un jus racé d’une élégance rare.
94/100
60 euros
Contact
03 80 21 50 97
[email protected]

Bonus : un joli blanc de Pernand
Domaine Françoise André, Sous Frétille, pernand-vergelesses 1e cru, blanc 2019
On aime ses amers délicats, sa fine acidité et la complexité de cette cuvée rafraîchissante.
92/100
38,50 euros
Contact
03 80 24 21 65
[email protected]

Le mondovino de la semaine n°38 tourne à fond

L’excellence, évidemment. Le Trophée Gosset 2021. Tous chez les vignerons. Au cœur des vendanges. Le vin, une boisson hors du commun. Une histoire, un vin… Chaque jour du nouveau, en voici six

L’excellence, évidemment

C’est un moment attendu. La soirée organisée par le guide Lebey  (le 4 octobre au Pavillon Gabriel) célèbre l’excellence gastronomique française. Le dîner, signé par quatre grands chefs réunis pour l’occasion, est mis en scène de façon féérique par l’équipe de Potel & Chabot. Retrouvez le programme complet et le menu ici. Les douze Prix Lebey de la gastronomie seront décernés lors de cette soirée.

Réservez vos places sur https://www.lexcellencegastronomique.com/la-billetterie/ et bénéficiez du tarif préférentiel avec le code : PRIVILEGE

Le Trophée Gosset 2021

La 26e édition du Trophée Gosset vient de distinguer Stéphane Bern. Elle veut mettre ainsi en lumière la richesse de notre patrimoine immatériel et matériel. « Amoureux et fervent défenseur du patrimoine historique français, je suis honoré et heureux que le champagne Gosset, qui incarne le patrimoine immatériel de la France, m’attribue ce Trophée 2021. C’est pour moi une invitation à continuer ce combat pour soutenir l’art de vivre et l’élégance à la française autant que les joyaux de notre histoire », affirme Stéphane Bern.

Informations sur champagne-gosset.com

Tous chez les vignerons

Plus d’une cinquantaine de vignobles labellisés Vignobles & Découvertes et répartis dans six régions viticoles françaises vous accueillent du jeudi 14 au dimanche 17 octobre 2021. Quatre journées en Alsace, Auvergne-Rhône-Alpes, Bordeaux, Champagne, Occitanie et Provence seront dédiées à l’œnotourisme pour découvrir ou de redécouvrir des traditions paysannes, des sites magiques. Des rendez-vous festifs pour profiter de moments uniques et conviviaux avec les vignerons. Plus de 600 activités sont prévues.

Informations sur fascinant-weekend.fr

Au cœur des vendanges

Les vendanges sont là, un peu partout en France. Souhaitons le meilleur aux vignerons et beaucoup de courage. Voici une vidéo qui vous plonge au cœur des vendanges en Champagne. On y suit Lison, éducatrice en vin, à la découverte des secrets d’élaboration de la maison Veuve-Clicquot.

Informations pratiques et inscription sur veuveclicquot.com

Le vin, une boisson hors du commun

Fruit d’une thèse de doctorat en sciences de l’éducation, cet ouvrage nous montre comment le vin est devenu un produit si particulier. L’objet d’une construction sociale qui évolue au fil des lieux et de l’histoire. Bien plus qu’une simple boisson alcoolisée, le vin, à travers son apprentissage, permet de savourer des moments d’histoire, de géographie et de culture. Pour dévoiler ses facettes historiques, géographiques, politiques, agronomiques, médicinales, religieuses, Laurence Zigliara mène son enquête jusqu’aux origines de la vigne. Un livre où l’éducation du vin s’érige en maîtresse de cérémonie. À consommer sans modération.

« Le vin, une boisson hors du commun », éditions Apogée, 12 euros sur editions-apogee.com

Une histoire, un vin

Belle-des-vignes est la nouvelle cuvée créée par le domaine Cauhapé. Une adresse incontournable à Jurançon. Henri Ramonteu a fait des liquoreux sa marque de fabrique sans pour autant négliger les vins secs. C’est une histoire pleine d’émotions qui a donné naissance à un vin dessiné à son image. Le cadeau d’un père à sa fille. Un vin plein d’audace, d’amour, d’originalité, de finesse, d’équilibre, de longueur et de tendresse.

Belle des vignes est disponible sur jurancon-cauhape.com

La trace des grands

Depuis 30 et 40 ans, nous suivons leurs parcours impeccables. Voici ceux qui nous ont le plus impressionnés. plus et moins connus, nous ne les oublierons pas

Par michel bettane et thierry desseauve


Cet article fait partie du dossier intitulé « Le peuple des vignes » paru dans En Magnum #25, actuellement en kiosque. Vous pouvez également l’acheter sur notre site ici. Ou sur cafeyn.co.


 

« Difficile de choisir dans l’élite de la viticulture française un “top dix” des grands vignerons. Il y en a évidemment bien plus. Certains, dans une vie de journaliste, comptent un peu plus que d’autres pour de multiples et différentes raisons. Voici les miennes. »
Michel Bettane

Lalou Bize-Leroy
Sans doute, grâce à une santé physique et intellectuelle qui fait l’admiration de tous, la doyenne de l’élite de notre viticulture. Certes, elle le doit aux grands terroirs qu’elle cultive, mais qui au monde possède un lien plus fort à ses terres et à ses vignes ? Avec le désir d’en produire l’expression la plus naturelle, mais aussi la plus complète, quoi qu’il en coûte, comme on dit aujourd’hui. Et la satisfaction d’y avoir réussi plus et plus souvent que tout autre. Au-delà de ses convictions intimes qui l’ont conduite à adopter les principes de culture inspirés par Rudolf Steiner, elle doit cette réussite rare – et qui m’a tant appris – à ses dons de dégustatrice, exacerbés par soixante ans ou plus d’activité de négociant choisissant ses achats exclusivement sur dégustation. Et à son admiration pour la grandeur de la nature qui a créé en Côte-d’Or les conditions permettant de produire des vins exceptionnels, du simple bourgogne au grand cru le plus prestigieux.

Yves Confuron
Ses parents m’ayant presque adopté quand j’étais un jeune journaliste qui souhaitait comprendre de l’intérieur le vin de Bourgogne, en le vivant avec ceux qui le produisent, je l’ai connu en culotte courte. Tout comme son frère Jean-Pierre. Mais Yves a besoin d’être un peu plus défendu, sa passion pour l’authenticité et son idéal élevé de qualité ne sont plus à la mode ces temps-ci. Aujourd’hui, des vins plus superficiels produisent un effet immédiat que des dégustateurs riches, manquant de culture, surestiment et surpaient pour la plus grande joie d’un négoce spéculateur. Si Yves est souvent perçu comme ombrageux ou grincheux, le vrai amateur ne met pas beaucoup de temps à le mettre en confiance. Il peut alors déployer un savoir agronomique et œnologique rare dans le petit monde des propriétaires viticulteurs de son village et mieux faire comprendre les vins magnifiques, exempts de tout compromis, qu’il a le courage de concevoir et produire avec son frère, sur de grands terroirs soignés comme ils le méritent.

Mathieu Cosse et Catherine Maisonneuve
Voici un binôme garçon-fille hors norme qui permet de vérifier, une fois de plus, une complémentarité permettant d’aller plus loin et plus haut. Leur talent, ils l’ont mis au service du cépage malbec et de l’appellation cahors qu’ils ont largement contribué à réveiller de la routine et de la léthargie. Au départ, il y a une passion pour le grand vin, pour son goût et pour sa morale. Ils se ruinent à acheter les meilleurs et à les partager avec leurs amis. Il y a aussi une intuition, celle du potentiel formidable d’un cépage et d’un terroir stupidement sous-estimé, hélas aussi trop souvent mal mis en valeur. Partis de rien, par la force de leur travail et le rayonnement de leurs cuvées auprès des vrais amateurs, ils disposent désormais d’un grand vignoble magnifiquement cultivé. Et leurs vins fixent un idéal de vérité et de beauté pour tout le Sud-Ouest. Nous sommes en effet quelques-uns à penser que les cahors La Marguerite ou Les Laquets rivalisent aujourd’hui avec les plus grands pomerols, qui ont perdu le parfum merveilleux de violette donné par le malbec à son meilleur.

Jean-Luc Thunevin et Murielle Andraud
La plus belle création de marque de l’histoire récente du Bordelais – à Bordeaux, un vin de lieu est d’abord une marque commerciale – est le fruit d’un petit hectare donnant un “vin de garage” formidable, inspiré par la vision du grand vin d’un ami et voisin, Alain Vauthier. La progression est fulgurante dans le petit monde pourtant si fermé du commerce libournais. Le vin est superbe, l’aventure humaine d’un couple de vignerons passionnés ne peut que séduire. L’une, infirmière de métier, a la main verte et comprend instinctivement la maturation d’un pied de vigne mieux qu’une armée de docteurs en agronomie tout en goûtant le vin avec un palais supérieurement affûté. L’autre cache bien une âme d’esthète infiniment savant et cultivé derrière un sens de la communication et du commerce que tous envient sans jalouser, chose infiniment rare. Le vignoble est agrandi, doté avec un flair incomparable de terroirs sublimes jamais mis en valeur auparavant, et Château Valandraud passe en moins de trente ans du statut de saint-émilion grand cru a celui de premier grand cru classé. Goûtez son 2020, visitez son prodigieux nouveau chai et vous comprendrez pourquoi.

Alphonse Mellot junior
Le don, dans cette magnifique famille de Sancerre, se transmet de père en fils et d’Alphonse en Alphonse depuis plus de vingt générations. Alphonse dit junior a pris depuis longtemps déjà la place d’Alphonse senior, sans que cela ne change rien à leur affection réciproque : le père a simplement reconnu que son fils était encore plus capable que lui de continuer à produire les vins blancs les plus nobles de Sancerre. La viticulture certifiée bio, tendance biodynamique, sur plus de trente hectares – vous excuserez du peu – et un souci de tous les instants de travailler avec la plus grande rigueur et la plus grande précision donnent désormais toute la mesure de terroirs exceptionnels, même au sein des meilleurs de l’appellation. Ici, on déteste l’à-peu-près ou le laisser-aller dans le contrôle de la pureté aromatique et de la capacité à vieillir avec grâce, pour les blancs comme pour les rouges. Et on sait se confronter avec les meilleurs vins du monde qu’on partage souvent avec les amis, les proches et, évidemment, les vignerons du domaine. On sait aussi ce que bien manger veut dire. Mais il y a en plus une dynamique, une force dans l’ancrage local, qui force le respect et même l’admiration. On peut passer à côté de cette recherche de la perfection, et la trouver froide ou convenue, mais je suis reconnaissant envers cette famille de m’avoir permis de progresser à leur rythme et à leur image dans la compréhension du grand vin. J’oubliais, dans l’avenir il y a de fortes chances qu’une Alphonsine prenne la suite d’un Alphonse.

Francis Egly
Un homme tranquille qui cache bien ses colères ou ses angoisses de grand perfectionniste. Un travailleur qui aime les choses droites et bien faites. De magnifiques vignes à Ambonnay ou ailleurs qui ont eu la chance de ne jamais connaître herbicide, insecticide ou engrais chimique grâce à l’individualisme et aux convictions de son père, Michel. Un souci d’honnêteté envers le consommateur qui a fait de lui le précurseur de la seconde étiquette, celle qui donne tous les détails sur l’assemblage, la longueur de l’élevage, la date de dégorgement. Enfin, un flair qui lui a fait créer le premier blanc de noirs de terroir et de prestige et le premier coteaux-champenois rouge digne de rivaliser avec un grand bourgogne. Le courage de limiter ses ventes pour allonger les élevages avant dégorgement a porté ses fruits : la régularité de la qualité et du caractère des vins depuis vingt ans déjà en a fait une référence admirée par les directeurs techniques des plus grandes maisons au moins autant que par moi. Les enfants sont à la hauteur, sa fille au commerce épaulant un frère au tempérament plus terrien, et qui ne compte jamais ses heures de travail.

Olivier Humbrecht
Chez les Humbrecht, on tutoie les sommets d’abord par la taille et la carrure, qui avoisinent les deux mètres et le quintal, du grand-père au petit-fils. Avec la même passion pour la diversité et l’originalité de leurs grands terroirs d’Alsace, accumulés grâce au flair de Léonard, père d’Olivier. Ce dernier a ajouté un savoir œnologique et agronomique très rare aujourd’hui : il a choisi fermement la voie de la biodynamie, sans rien oublier de sa formation scientifique et rationnelle. Comme chez les Mellot à Sancerre, il n’y a pas de place ici pour la métaphysique ou la superstition. On regarde la plante, on cherche à la comprendre, à l’aider à donner le meilleur d’elle-même et à exprimer l’individualité de son sol et son climat. Sans perdre à la vinification ce qu’un an de travail méticuleux, exécuté par des vignerons passionnés, parfois recrutés à bac plus cinq, a produit à la vigne. Ici, les vins ont un corps, un gras, un parfum, une définition qui les mettent à part. On imagine presque une appellation d’origine Zind-Humbrech qui peut servir d’exemple à toute l’Alsace, ou plutôt qui a réellement servi puisque l’élite des jeunes vignerons du secteur a souvent fait un stage au domaine et révolutionné la viticulture familiale à son retour au bercail. Olivier sait en effet distiller son savoir aussi noblement que ses whiskies ou ses eaux-de-vie. Pierre-Emile, son fils est parti pour faire de même.

Alain Brumont
Être authentiquement Gascon ne se résume pas à galéjer. On rêve de conquérir le monde et il arrive qu’on y réussisse. Alain Brumont a d’abord voulu montrer à son père qu’on pouvait, au fin fond du pays, dans une région qui ne l’avait jamais tenté, à partir de cépages qui passaient pour rustiques, produire des vins égalant les meilleurs de la planète. Une ambition démesurée, activée par une force de travail hors du commun, un sens de la communication et du commerce ravageurs, une adresse tactique qui l’a fait rebondir plusieurs fois d’un désastre annoncé aux sommets planétaires. Des vins modernes par leur intensité, leur volume de bouche, leur adaptation à l’évolution de la gastronomie et la chance d’avoir cru à la valeur des meilleurs terroirs du secteur, trop durs à travailler pour les locaux ou simplement négligés. Alain les a accumulés et a su créer un modèle local de viticulture avec l’aide d’un brillant pack d’avants, à ses côtés à la vigne comme au chai. Et il ne s’endort pas, les vins progressent encore en raffinement de texture, en harmonie de constitution dans les derniers millésimes et des centaines de visiteurs peuvent admirer des installations techniques éblouissantes qu’on aimerait voir plus souvent dans nos plus prestigieux vignobles.

Fabien Duperray
Il est parti de rien et il est devenu riche en distribuant dans le monde, avec flair et ambition, les vins devenus les plus recherchés de notre pays. Sa passion pour l’art lui a fait accumuler une collection permettant à n’importe qui d’autre de vivre sans travailler. Mais ce serait mal le connaître. À cinquante ans, il a voulu rendre à la viticulture ce qu’elle lui avait donné. Son flair, encore, avait deviné le potentiel extraordinaire des meilleurs terroirs du Beaujolais et la possibilité de retrouver une confiance perdue par les erreurs passées. Il a choisi son modèle de production, celui de Lalou Bize-Leroy, et pour aussi étonnant que cela paraisse, il a appliqué la même philosophie aux vignes acquises depuis 2007 : biodynamie intelligente et certainement ni paresseuse, ni routinière, à la vigne ; rendements infimes, souvent inférieurs à vingt hectolitres à l’hectare ; vinification perfectionniste, mais ne négligeant rien de ce que la technique moderne apporte au contrôle de la qualité. Ce nouveau grand paysan arpente quotidiennement ses vignes très difficiles à travailler et paie de sa personne pour ne rien laisser au hasard. Le bois a été provisoirement abandonné pour conserver une extrême pureté de fruit en attendant la construction de nouvelles installations rendant le travail plus aisé, mais jamais la beauté de fruit d’un gamay de terroir récolté à maturité optimale ne s’est exprimé avec autant d’éloquence. Quant à la capacité de vieillissement de ces vins, elle rivalisera avec ce qui se fait de meilleur au monde.

Jean-Baptiste Lécaillon
Le modèle champenois, comme celui des grandes propriétés bordelaises, n’a pas bonne presse auprès des ignorants. On imagine qu’ici, l’argent ou l’ambition ne sont pas au service de ce qu’on fantasme être “le terroir” et que seuls des viticulteurs paysans sont capables encore de morale par rapport à leur vin. Mon expérience m’a très souvent prouvé le contraire. Certains paysans peuvent être aussi obstinés qu’incultes ou affabulateurs. Certains directeurs techniques au service de grandes propriétés peuvent, à l’inverse, perfectionner ce que le meilleur de la tradition a accumulé en deux siècles de viticulture, inspirés par la science expérimentale sans oublier des milliers d’années d’observation. Les responsabilités de Jean-Baptiste Lécaillon sont immenses, à la mesure des propriétés de Roederer en Champagne, à Bordeaux, dans la vallée du Rhône, en Provence, sans parler du Portugal et de la Californie et pourquoi pas, dans l’avenir, ailleurs en France et dans le monde. Son savoir et sa force de travail et de conviction ont su les adapter à l’éthique d’une viticulture de progrès, à l’avant-garde de la vraie écologie. Conversion bio de vignes prestigieuses avec l’acceptation de tous les dangers qui lui sont liés dans des climats difficiles, perfectionnement permanent de l’outil de travail et de la construction d’un style commun, axé sur la finesse et le plaisir de consommation, intelligence de la communication, tout cela aurait été impossible sans la confiance de Jean-Claude Rouzaud, puis de son fils Frédéric, les administrateurs propriétaires. Frédéric et Jean-Baptiste forment un binôme unique dans l’univers hexagonal et leur entente se partage avec les équipes brillantes et motivées qu’ils ont mises en place.


« Il y a mille raisons qui vous font préférer tel ou tel vigneron. Pour moi, c’est l’impression qu’ils m’ont laissée et qui dure encore. Voici les miens. » Thierry Desseauve


Aubert de Villaine
Certains vignerons ont une gueule qu’on n’oublie pas, d’autres s’identifient tant à leur cru qu’on imagine presque voir leur visage sur l’étiquette de leurs vins. Aubert de Villaine est à la fois l’un et l’autre, jusqu’à, au-delà de son mythique domaine de la Romanée-Conti, incarner une certaine idée de la Bourgogne. Il y a, dans l’imaginaire commun, deux Bourgogne. L’une est rubiconde, paillarde et goulue, l’autre relève de l’ascèse. Avec son allure et son visage de moine cistercien, Aubert appartient certainement à cette seconde représentation, mais cette dimension dépasse largement ces caractéristiques physiques pour s’inscrire dans sa volonté permanente de maintenir un idéal vigneron dans lequel la pratique, le cadre de travail, la préservation des paysages sont au cœur d’une vie en harmonie avec l’histoire et la nature d’une région. Bien sûr, le “DRC” affole en permanence les compteurs du wine business, mais lui a su montrer que l’essentiel est ailleurs. Chaque fois que je l’ai rencontré, j’ai été convaincu que sa simplicité n’était pas feinte et ses convictions, non plus : au service de son terroir, il est, modestement et humblement, au service de la planète. Et cette leçon-là, chacun peut la mettre à profit, même sans être copropriétaire de la Romanée-Conti.

Marcel Richaud
On oublie à quel point les vignobles de France (et d’ailleurs) pataugeaient dans une routine médiocre il y trente ou quarante ans. Les structures interprofessionnelles ou syndicales, loin de montrer la marche à suivre, tentaient de ménager chèvre et chou, défendaient des chapelles moribondes, mais encore soutenues par des producteurs-électeurs peu au fait des évolutions de la technique comme de celles du marché. Et la vie de village, ses jalousies non avouées et ses rancœurs ancestrales, ne facilitaient pas les évolutions drastiques. Seules des personnalités hors norme, au final, ont fait bouger les choses. Certains étaient mus par l’ambition, d’autres par le perfectionnisme. Marcel Richaud, dans son village de Cairanne, avance par idéalisme. Je l’ai rencontré très tôt quand ses vins – et ceux de son ami Frédéric Alary, au domaine de l’Oratoire Saint Martin – constituaient quasiment à eux seuls l’expression idéale du côtes-du-rhône que l’on avait envie de boire. Les deux compères s’étaient, un temps, consacrés aux activités syndicales de Cairanne, qui était alors un côtes-du-rhône villages. Ils étaient venus me voir, à Paris, pour me parler de leur cru et de son potentiel. Je crois les avoir prévenus qu’ils n’auraient que des coups à prendre dans une telle aventure. Je ne m’étais hélas pas trompé et l’aventure syndicale de Marcel s’est bien vite arrêtée. Mais pas cette volonté de faire bouger collectivement les choses et les mentalités : par la simple force de l’exemple et de la passion partagée, Richaud a inspiré nombre de vignerons et de vigneronnes et a réveillé sa région et ses vins.

Hubert de Boüard
Au fil des années, Saint-Émilion est devenu bien plus qu’un village, bien plus qu’une appellation, bien plus qu’un vin, un symbole du mondovino, où les milliardaires de tous horizons se battent pour dénicher quelques hectares bien placés, où le style et la réputation des vins évoluent spectaculairement à chaque nouveau millésime, mais aussi où des bouteilles vendues difficilement quelques euros portent la même appellation que des flacons s’arrachant à plusieurs centaines d’euros. Cet incroyable microcosme du vin moderne a ses figures tutélaires. J’ai eu la chance de rencontrer l’une d’entre elles pratiquement à ses débuts. Hubert de Boüard se chicanait encore avec son père pour lui expliquer que limiter les rendements, retarder les dates de vendanges et sélectionner drastiquement le grand vin n’allait pas à l’encontre de la prospérité d’Angélus, bien au contraire. J’ai rarement rencontré un vigneron aussi habité par l’idée – effectivement d’une ambition sans limite – qu’il se faisait du vin et des améliorations incessantes qu’il pouvait y apporter. Aussi loin que la mémoire de nos rencontres me ramène, je me souviens d’avoir toujours parlé avec lui de viticulture, de cépages, de maturité de raisin, de méthodes ou d’options de vinification, de principe d’élevage, de millésime. Cette volonté de toujours faire mieux est une caractéristique des grands vignerons. Chez Hubert de Boüard, elle a suscité son lot de jalousie, d’incompréhensions, de contre-vérités. Elle est pourtant indissociable du personnage, depuis qu’il s’est senti vigneron. Et pour bien le connaître, je crois qu’il s’est senti vigneron dès qu’il a pu gambader tout gamin dans les rangs de vignes d’Angélus.

Gérard Bertrand
Les journalistes sont comme tout le monde (et peut-être même encore plus que tout le monde), ils sont plein de préjugés. Moi comme les autres. Quand Gérard Bertrand a commencé à écumer la grande distribution avec une flopée de vins bon marché et bien marketés, mon snobisme d’amateur m’a fait à peine lever un cil. Quand mes confrères américains ont commencé à mettre des notes incroyables à des cuvées de vieux carignans élevés en barrique neuve, j’ai qualifié logiquement ces vins de « bons pour les Américains » et j’ai continué mon chemin. Pendant une bonne dizaine d’années. Malgré sa stature de colosse, cela n’a pas semblé mettre en colère Gérard Bertrand, mais au contraire aiguisé sa ténacité. Chaque fois que nous nous croisions, il m’invitait à venir voir ce qu’il faisait, et je répondais évasivement. J’ai fini par y aller. En quarante-huit heures, j’ai dégusté des dizaines de vins en bouteille et bien plus encore prélevés directement à la cuve ou à la barrique, visité cinq ou six domaines, rencontré des équipes motivées et compétentes et discuté jusque très tard dans la nuit avec ce grand type intarissable sur les valeurs qui l’ont construit. Dès cet instant, j’ai balayé le soupçon d’insincérité pour comprendre que je me retrouvais face à un personnage hors norme, comme l’on en rencontre peu dans une vie professionnelle. J’encourage tous ceux qui, comme moi, peuvent parfois sombrer dans les a priori et le conformisme intellectuel à aller visiter ces onze domaines (à ce jour) tenus avec une précision et un respect environnemental supérieurs à bien des crus classés, à déguster ces vins qui interprètent avec une précision bluffante toute la diversité des terroirs du Languedoc et à suivre les innovations incessantes de l’homme dans toutes les dimensions de son entreprise. Ils ne seront pas déçus.

Pierre-Emmanuel, Vitalie et Clovis Taittinger
Une des plus douloureuses leçons de mon expérience de journaliste du vin a été de me rendre compte à quel point les familles sont fragiles et mal préparées à la transmission de leur patrimoine, aussi bien physique (le vignoble, les installations) que moral (les marques, le savoir-faire, le nom parfois). J’ai rencontré tant de familles se déchirant après la disparition du patriarche, tant de vignerons incapables de préparer leur succession ou de passer la main de leur vivant. Ces questions rarement évoquées, tant en interne que par la presse, sont pourtant au cœur de la dynamique de la filière du vin, essentiellement animée par des entreprises familiales. Elles prennent en outre une acuité plus terrible encore quand la notoriété et la valeur de l’entreprise sont élevées. À ce titre, la vente de la maison de champagne Taittinger par la famille éponyme puis sa reprise, quelques mois plus tard, par un autre membre de la famille, Pierre-Emmanuel Taittinger, fait figure, selon le moment et l’humeur avec laquelle on l’apprécia en 2005, de drame shakespearien ou d’une démonstration très aboutie du panache à la française. Avec autant d’enthousiasme que de constance et d’humilité, Pierre-Emmanuel a remis l’ADN de cette maison en place. Mais il a fait autre chose, que j’ai hélas plus rarement constaté, il a tenu parole sur sa promesse, souvent répétée, de se retirer et de transmettre les rênes à ses enfants. En proposant Vitalie à la fonction de présidente, Clovis devenant directeur général marketing et commercial, il a assumé un choix clair et accepté par ses deux enfants et l’équipe de Taittinger. Cet esprit de famille tant revendiqué dans le monde du vin a trouvé là une traduction impressionnante de sincérité et d’efficacité.

Richard Geoffroy
Jeune retraité du monde du vin, très loin d’être devenu inactif puisqu’il s’est lancé dans la création au Japon d’un saké haute couture (Iwa), Richard Geoffroy fut pendant plus d’un quart de siècle le chef de cave de Dom Pérignon. Non content de piloter avec un doigté extraordinaire le développement de la plus célèbre cuvée de Champagne et de prendre avec succès des risques que lui seul avait calculés (comme lorsqu’il millésima le 2003 délaissé par pratiquement toutes les autres maisons à cause de l’atypisme de l’année de la canicule), il a aussi créé un nouveau personnage en Champagne et dans le monde du vin. Inspiré de ce qui se fait depuis longtemps dans l’univers de la mode, le chef de cave de Dom Pérignon est passé insensiblement du statut de technicien doué et prolixe à celui de créateur. Au-delà de la transformation physique, avec ses désormais éternelles vestes cintrées enfilées sur un polo sombre, ce changement veut dire beaucoup dans cet univers si codifié : il représente l’affirmation du winemaker comme garant d’un style et d’une permanence de la marque et de son esprit. Avec sa vivacité d’esprit, ses fulgurances et sa capacité d’abstraction, Richard Geoffroy a dessiné les contours d’un nouveau métier essentiel, le créateur de bonheur.

Jean-Christophe Granier
On m’a souvent demandé si je n’avais jamais été tenté de passer de l’autre côté, c’est-à-dire de devenir vigneron. Quand on a eu la chance de rencontrer nombre de très grands vignerons ou producteurs et de déguster certains des plus grands vins jamais produits, il est difficile d’espérer se rapprocher, ne serait-ce que de très loin, de ces exemples merveilleux. Certains de mes collègues ont franchi ce pas. Parmi eux, celui dont je suis resté le plus proche et dont j’admire absolument la ténacité et la force de conviction est le propriétaire du domaine des Grandes Costes, à Vacquières en Languedoc. Il y a maintenant plus d’un quart de siècle, Jean-Christophe Granier était un commercial doué et déjà tenace et vendait des espaces publicitaires aux producteurs dans le journal que je dirigeais alors. Il vivait à Paris. Ce Languedocien d’origine se languissait de son village et de sa terre, je le savais. Un beau jour, il a lâché le job pour reprendre les cinq hectares de vignes que ses parents confiaient auparavant à la coopérative locale. J’avais pris ce départ soudain pour un coup de tête et prévoyais un retour au bercail rapide. Mais Jean-Christophe s’est accroché et a surmonté une à une les difficultés humaines, techniques, financières, sociales, commerciales, administratives, et tant d’autres qu’un livre ne suffirait pas à les raconter. Il a fait de son domaine et de ses vins de sûres références d’une région qui les cherche encore. Ses cheveux ont blanchi prématurément, ses traits se sont durcis, ses mains ont été transformées par les travaux de la taille. Sa volonté et son respect de la terre, de sa terre, méritent mon infini respect.

Cécile Tremblay
Parmi toutes les personnes évoquées ici, Cécile Tremblay est celle que j’ai rencontrée le moins souvent. Quelques visites dans son petit chai de Morey-Saint-Denis, quelques dégustations partagées de cuvées qui m’ont toujours fasciné par leur dimension vibrante ont construit une perception de son travail. Au cours de ces brefs moments, j’ai chaque fois été impressionné par la compréhension intime qu’elle pouvait exprimer à l’égard de ses vins. Certains vignerons expliquent leur œuvre par leurs actions à la vigne, d’autres dans les chais, d’autres encore par l’histoire de leur cru. Avec Cécile Tremblay, on a littéralement l’impression de rencontrer une pianiste face à sa partition. La vigneronne semble interpréter chaque terroir avec une sensibilité non feinte et un investissement personnel impressionnant. Si le vin n’est pas un art, mais peut-être bien un artisanat d’art, ses plus belles expressions exigent une intimité entre celle ou celui qui le produit et le terroir dont il est issu. Cécile Tremblay illustre avec éclat cette relation quasi magique.

Henry Marionnet
Je connais Henry Marionnet depuis maintenant très longtemps, mon admiration pour son travail n’a cessé de se confirmer et de se renforcer. Au départ, j’ai apprécié, dans un des nombreux bistrots ou brasseries parisiennes, ses gamays si fruités et glissants. Puis j’ai rencontré l’homme, aussi accessible que ses vins, et son terroir tellement étonnant, ces sables du pays solognot où ce fichu phylloxéra n’avait jamais mis – et ne mettra jamais – les pieds. Marionnet n’a jamais cessé d’innover, pratiquant le sans soufre avant tout le monde, remettant au goût du jour des cépages oubliés et, surtout, replantant certaines parcelles franches de pied pour retrouver le goût d’une authenticité vigneronne qui le taraude depuis ses débuts. Henry Marionnet est fier de produire ce qu’il appelle lui-même des “vins de soif”. Ce n’est pas faux, c’est à mon sens trop modeste. Les vins de la Charmoise possèdent un naturel d’expression, une liberté de ton et, au final, une modernité de définition (le fruit, la fraîcheur, l’équilibre) qui en font des modèles pour le vin d’aujourd’hui. Marionnet le paysan ne saurait s’ériger en gourou, ses leçons méritent d’être comprises, ses vins d’être appréciés pour ce qu’ils sont, de grands vins.

Bordeaux 1982, le millésime de tous les débuts

Quarante ans plus tard, En Magnum fait le point sur l’année où tout a basculé. Propriétaires, œnologues, négociants, critiques, tous reviennent sur ce chef d’œuvre inattendu et décisif dans cette époque de tous les dangers pour la viticulture et le marché des vins fins. Parenthèse enchantée, 1982 annonce l’entrée de Bordeaux dans l’ère de la modernité. Elle donne aussi à la critique internationale un nouveau visage, celui de l’Amérique et de Robert Parker.
C’est la grande enquête de ce numéro (En Magnum #22) par Louis-Victor Charvet
Avec la participation amicale d’Ariane Brissart-lallier, Véronique Sanders, Philippe Castéja, Jean-Michel Cazes, Dominique Renard et Michel Rolland

 

« Printemps précoce et lumineux, végétation et floraison précoce, chaleur de l’été, tout annonçait une belle abondance et une qualité exceptionnelle. La nature a peut-être été, dans certains cas, trop généreuse. De mars à septembre, le soleil a brillé, la sécheresse et la chaleur de l’été ont été exceptionnelles, si bien que la réputation du millésime a été établie avant même le début des vendanges. Les vins présentent généralement un charme incomparable et même s’ils sont déjà séduisants, ils devraient avoir un avenir assuré. » Cette note concise de Jean Sanders suffit à résumer l’attente de l’ensemble vignoble bordelais pour les vendanges de l’année 1982. Le propriétaire du château Haut-Bailly à l’époque ne s’y trompe pas. Ce qu’il constate à Léognan se vérifie dans l’ensemble de la région. Cette météo, c’est du jamais vu. Dans son journal, il la raconte plusieurs fois par mois, écrivant dès le mois de mai que « la période exceptionnelle de beau temps sec se poursuit depuis le 26 mars », notant en juin, au moment de la floraison, le « beau temps chaud » qui s’est installé sur la région, puis « si ce temps dure quelques jours nous allons vers une grosse récolte ». En juillet, « la vigne est magnifique, il y a une grosse récolte sur pied. Nous allons vers une récolte record ». On ne surprendrait personne de nos jours en disant que les grands vins sont le résultat de grands raisins et que cette qualité s’obtient, en premier lieu, quand la météo le permet. C’est d’ailleurs à celle-ci, plutôt clémente cette dernière décennie, que l’on doit les bons millésimes récents du Bordelais, à quoi s’ajoute le savoir-faire vigneron, la technique œnologique en progrès constants et le changement climatique qui harmonise d’une année sur l’autre les maturités atteintes par les cépages bordelais.

L’année parfaite
En 1982, la météo est exceptionnelle, au sens premier du terme. « Il fait beau au bon moment, il pleut quand il faut. C’est un millésime sur catalogue », s’amuse Philippe Castéja, propriétaire de plusieurs grands crus classés (Batailley, Lynch-Moussas et Trottevieille) et directeur de la maison de négoce Borie-Manoux. Même discours sur la Rive droite où Michel Rolland, qui a commencé sa carrière dix ans auparavant, n’était pas encore l’œnologue de référence qu’il deviendra par la suite : « Au printemps, pas de gel. Du beau temps, de la chaleur sans excès, pas de grêle, pas d’accident climatique majeur, de l’eau quand il faut pour éviter la sécheresse, des conditions de vendanges optimales. Je crois que les gens dans le vignoble se sont demandé ce qui allait bien pouvoir leur arriver. Après dix ans de millésimes malheureux, forcément on s’attendait à ce que ça flanche une fois de plus ». Cette fois-ci, c’est la bonne, le millésime sera grand pour les vins rouges et les vendanges que l’on réceptionne dans les chais n’ont pas d’équivalent dans les millésimes de la deuxième moitié du XXe siècle. Présent dans le vignoble dès l’été 1982, Michel Bettane confie qu’il faut certainement remonter au millésime 1929 pour trouver des raisins dans un état sanitaire aussi parfait : « Même les courtiers âgés que je rencontre sont unanimes, on n’a jamais vu ça ». Sur le plan technique, les raisins atteignent des maturités jusqu’ici jamais entrevues. Maturité technologique, comme le relève Jean Sanders dans ses notes au moment des vendanges à Haut-Bailly, autour du 17 septembre (« Les poids des moûts sont très élevés, 12,5 à 13° dans les merlots, 12 à 12,5° pour les cabernets »), suivie de près par une maturité phénolique inespérée, qui atteint sa plénitude avec des niveaux d’anthocyanes élevés et des tannins parfaitement mûrs qui feront grande impression quelques mois plus tard lors de la dégustation des vins en primeur. Les très grands raisins assurent définitivement la réputation du millésime. En dépit de quelques accidents de parcours, notamment dans certains crus des Graves, et des difficultés de fermentation constatées dans l’ensemble du vignoble en raison de la chaleur du mois de septembre et de l’absence de thermorégulation des cuves, Bordeaux est enfin prêt à annoncer l’arrivée de sa grande année.

« C’est Robert Parker lui-même qui raconte que Michel Bettane l’a mis sur la voie en lui expliquant les qualités du millésime 1982 et son potentiel de vieillissement. La scène se passe pendant les dégustations des vins du millésime alors même que la plupart des négociants tordaient le nez en ne trouvant pas dans le verre matière à s’extasier sur la longévité possible des 1982. Anecdote que l’on retrouve dans de nombreux ouvrages consacrés à Parker. Toujours rendre à César… » Nicolas de Rouyn

Dix ans plus tôt
Avec leur succession de millésimes catastrophiques, les années 1970 marquent les propriétés bordelaises au fer rouge. La décennie noire pour le vignoble est aussi particulièrement douloureuse pour l’économie mondiale. Les Trentes Glorieuses s’arrêtent brutalement. Le monde fait face à une période de crises qui commence avec la hausse de l’inflation dès 1969. Tandis que l’homme marche sur la Lune, le chômage augmente partout dans les pays industrialisés. La crise du dollar en 1971 puis le choc pétrolier de 1973 dégradent les principaux indicateurs économiques. La croissance chute. Dans ce contexte, le marché des vins de Bordeaux vit des heures sombres. La relation entre le négoce et les propriétaires se tend, jusqu’à atteindre un point de rupture en 1973 lors d’un retentissant scandale. Tout s’écroule, les faillites s’accumulent. Au sujet de cette période trouble, Dominique Renard, l’homme derrière Bordeaux Millésimes, filiale de Duclot, spécialisée à l’époque dans les ventes à l’export, dresse un constat amer : « C’était très dur. La décennie a été particulièrement compliquée. Après la crise de 1973, on assiste à un bouleversement total. Les maisons de commerce font faillite les unes après les autres. Sur le plan commercial, rien n’était simple. Ajoutons à cela qu’il n’y avait pas la technologie d’aujourd’hui. Il fallait écrire toutes les offres de vente et les envoyer par la poste jusqu’aux États-Unis. Ça prenait des semaines ». Même ressenti chez Philippe Castéja, qui précise : « La crise du pétrole coïncide avec l’arrivée de la grande distribution et la disparition d’un certain nombre de petits magasins sur lesquels les vins de Bordeaux s’appuyaient. Il faut se rendre compte que le changement est radical dans la vie des gens et dans la société ». Dramatique, la situation installe la misère dans certaines propriétés, les éloignant dans leur travail des standards de qualité nécessaires à l’élaboration d’un bon vin. D’autant que les millésimes se suivent et se ressemblent. Michel Rolland, qui a commencé sa carrière en 1973, se souvient de ces débuts difficiles : « 1972, mauvaise année. 1973, mauvaise année. 1974, mauvaise année. 1975, c’est un beau millésime, mais les gens ont tellement peur de se tromper qu’ils se précipitent sur les vendanges, sans attendre la pleine maturité des raisins. 1976, 1977, 1978, ça reste compliqué. En 1979, il y a du volume avec une qualité hétérogène. 1980 et 1981, ce n’est pas super. À part l’épisode 1975, pendant dix ans de suite, Bordeaux ne connaît pas un grand millésime. Je commençais sérieusement à trouver le temps long. Heureusement que j’étais au début de ma carrière. Sinon, je pense que j’aurais abandonné ». Unanimement reconnue comme décourageante, la période connaît toutefois une éclaircie avec le millésime 1975, première étape de la lente reconstruction du commerce des vins de Bordeaux, qui permet aux propriétés de venir endiguer les pertes des trois années précédentes. Bien aidés par la presse, les vins se vendent. Pourtant, selon Michel Rolland, les raisins ont été vendangés trop tôt dans de nombreux crus : « Les vins ne se sont jamais ouverts parce que les tannins n’étaient pas mûrs. Il y a quelques 1975 qui sont bons, notamment sur la Rive droite, parce que les merlots sont toujours un peu plus charmeurs ». On est loin de ce qu’on obtiendra en 1982. Décrété grand millésime, 1975 a une réputation qui continue d’interroger. « Il fallait absolument sortir de cette succession de millésimes terribles du début des années 1970. La campagne 1975 a permis de faire repartir un peu les prix », explique Dominique Renard. « Mais comme 1976 et 1977 ont été des millésimes plus que moyens, le commerce est vite revenu à une situation d’embourbement. » Une joie de courte durée, donc, qui laisse tout de même entrevoir un changement, notamment dans le rapport de force entre propriétés et négoce, à l’époque encore largement dominé par ce dernier. La fenêtre s’ouvre pour remonter un peu les prix, notamment si le marché américain, alors en plein développement, continue à acheter. Dans le même temps, on note une amélioration générale du niveau de l’œnologie dans le vignoble, notamment sous l’impulsion de l’équipe d’Émile Peynaud. Jean-Michel Cazes, propriétaire du château Lynch-Bages à Pauillac, se souvient : « Tout le monde a commencé à faire attention, c’était un mouvement général. Les progrès de l’œnologie ont été suivis par des progrès dans la culture de la vigne. C’est une tendance qui a mis du temps à s’imposer comme une évidence, apparue dès les années 1960 et qui s’amplifie doucement dans les années 1970. Dans la mesure où elle marque de grands progrès dans ce sens et une reprise du commerce, 1978 est une année charnière ». Bon millésime, en particulier sur la Rive droite, l’année 1978 vient confirmer cette intuition et les prix sont à la hausse. « L’emballement a eu lieu en 1979, au moment de la mise en marché des 1978. C’est ce qui marque la sortie de crise. Il y a eu une augmentation des prix de 25 % », précise Cazes.

Big is beautiful ?
Si le millésime 1982 est extraordinaire au niveau de la qualité des raisins, il l’est encore plus quant à la quantité. Dès le début de ses vendanges, Jean Sanders s’étonne de ce qui s’annonce : « Probablement la plus grosse récolte produite en Gironde en rouge ». Partout, les vignes donnent et les rendements s’affolent. Sur la Rive droite, au château Bon Pasteur, Michel Rolland, alors propriétaire du cru, admet volontiers que c’est la plus grosse production dans l’histoire de la propriété : « Depuis, je n’ai jamais refait autant de vin qu’en 1982. On a déclaré le maximum autorisé dans l’appellation, c’est la seule année où ça m’est arrivé. » Cette quantité écarte définitivement 1982 d’une comparaison avec 1961, millésime lui aussi exceptionnel, peut-être le plus grand de l’après-guerre, mais ridicule en volume en raison des gels de printemps qui réduisent la récolte de moitié. Pas de sélection au profit des seconds vins, absents du paysage à l’époque. Toute la récolte va aux grands vins et les propriétés, désœuvrées par la crise des années noires et pour beaucoup d’entre elles sous-équipées en cuveries, doivent trouver de la place pour accueillir cette abondante vendange. Pour cette raison, les cuvaisons de cette année-là comptent parmi les plus courtes. « Les cuviers étaient trop petits, il fallait décuver au bout de huit jours et étaler les vendanges », précise Michel Bettane. À la fin de l’année, tout est en place pour faire un événement de la campagne des vins en primeur, institutionnalisée pour la première fois sous l’impulsion du Baron Philippe de Rothschild qui faisait goûter son vin à mi-élevage à la propriété depuis quelques années. Si, globalement, l’année est une réussite, les propriétaires, accompagnés dans cette idée par Émile Peynaud et ses disciples, prennent conscience de la manière de conduire leur vignoble. Pour Michel Rolland, élève du maître à penser de l’œnologie moderne : « 1982 est un déclic qualitatif, parce qu’on s’est posé beaucoup de questions à partir de ce moment-là. Les vendanges en vert se généralisent après 1982. Avant, personne ne le faisait vraiment. Entre 1982 et 1990, la viticulture prend conscience du travail à faire et de ses chances de mieux vendre. C’est à cette époque que ce raisonnement s’installe ». À pas feutrés, Bordeaux commence sa révolution.

L’heure du doute
La génération de vignerons qui accueille le millésime 1982 n’a pas de points de repère pour comparer cette récolte à quelque chose de connu et de compréhensible. Hors normes par leur quantité, spectaculaires par leur maturité et enthousiasmants quant à leur potentiel d’équilibre, du fait de leur acidité basse, les raisins de l’année questionnent. On doute de cette nature qui a peut-être été trop généreuse, selon la note de Jean Sanders. Interrogée sur les réserves de son grand-père, Véronique Sanders, actuelle directrice du cru, admet qu’il n’aimait pas présenter son haut-bailly 1982 : « Il redoutait l’avis des gens. Le millésime a produit des vins puissants et massifs, surtout dans le Médoc. Haut-Bailly n’a jamais été dans ce style et 1982 n’a pas fait exception. Mon grand-père m’avait mise en garde sur l’attente que le public aurait de ce 1982 à cause des vins imposants produits cette année-là. Il y avait tellement de puissance dans les 1982 du Médoc qu’il avait peur que l’élégance et la discrétion qui caractérisent Haut-Bailly peinent à convaincre le public. Ce n’était pas tellement une question de style, plus une question d’attentes. Le style était déjà défini et plaisait beaucoup ». S’il est accueilli comme le messie, ce millésime remet en question le style des vins dans les propriétés, qui découvrent pour la première fois depuis longtemps des raisins parfaitement mûrs, aptes à développer leur palette aromatique complète et capables d’accepter des extractions tanniques soutenues. « La caractéristique des grands millésimes, c’est que les vins sont délicieux à tous les âges. 1982 était superbe et très bon à boire même quand il était encore en barriques. Pour cette raison, certaines personnes étaient inquiètes et se demandaient si les vins tiendraient dans la durée », explique Philippe Castéja. Un constat à l’exact opposé de ce que beaucoup de Bordelais de l’époque pensaient quand ils soutenaient, souvent pour se défendre, qu’un vin devait user ses défauts avant de devenir grand, même si cela devait prendre vingt ans. Le potentiel de garde des vins du millésime 1982 a été une question longuement débattue, entre les propriétaires et les négociants, au sein de la presse spécialisée. C’est principalement autour de cette question que le millésime forge sa légende et celle d’un certain Robert Parker (lire page 43). De son côté, Jean-Michel Cazes explique avoir eu les mêmes doutes concernant ce qu’il avait produit à Lynch-Bages. « J’avais la peur au ventre. Ce qui nous a tout de suite frappés, c’est que les vins avaient une acidité trop basse au moment des écoulages. Le critique américain le plus influent de l’époque s’appelait Robert Finigan. Selon lui, le vin manquait de colonne vertébrale et de ressort. Il y avait de l’inquiétude. À l’époque, je travaillais avec Émile Peynaud. On avait constitué un petit groupe de travail avec d’autres propriétaires, comme Bruno Prats, Claude Ricard, Michel Delon et Thierry Manoncourt. Peynaud nous avait proposé, juste après les écoulages, de nous retrouver à Bordeaux pour déguster nos vins ensemble. Je suis parti avec mes échantillons, j’étais très angoissé. Il y avait tellement de gens qui émettaient des doutes. À mon grand soulagement, les vins de mes collègues avaient le même caractère et cette acidité basse. Je me rappelle m’être précipité sur le téléphone pour appeler Daniel Llose, notre directeur technique, et le rassurer en lui disant que le vin n’était pas différent des autres. » Plus que le marqueur de l’effet millésime, même si celui-ci apportait un caractère totalement inédit dans les vins, c’est bien la touche Peynaud qui s’inscrit en filigrane dans les impressions de Jean-Michel Cazes sur ce millésime rond et d’apparence un peu fragile. La vinification des années 1970 et celle des années 1980 constituent deux mondes différents qui se heurtent de plein fouet sous le soleil de l’année 1982. Les bouleversements qui y sont liés sont impressionnants. « Avant 1975, il n’y avait pas d’œnologues sur le terrain », indique Jean-Michel Cazes. « Même si les maîtres de chai étaient expérimentés, on ignorait beaucoup de choses. Quand, au début des années 1970, on a découvert la fermentation malolactique, je peux vous assurer que personne ne savait ce que c’était. » Loin d’être un aboutissement complet des changements constatés dans le vignoble dès les années 1960, le millésime 1982 constitue une étape décisive dans le processus de remise en question à l’œuvre dans le Bordelais, phénomène qui ne s’arrêtera plus.

Le négoce est frileux
« C’est le premier millésime où les vignerons bordelais vont vraiment gagner de l’argent. » Très impliqué dans la défense du millésime, Michel Bettane, alors à La Revue du vin de France, insiste sur l’attitude difficile du négoce. Dans un contexte économique toujours très tendu, ce dernier ne voit pas le potentiel de ce millésime providentiel. « Le démarrage des ventes n’est pas foudroyant, les vins se vendent à peu près au prix des 1981. Le négoce traditionnel n’y croit pas, emmenant dans sa réserve certains critiques de vin. » Puissant auprès des journalistes anglo-saxons, ce négoce était encore au centre du marché, notamment dans son rapport de force avec les propriétés, dont la notoriété et la portée internationale restaient très limitées. Sur ce point, Dominique Renard précise : « Il donnait l’orientation aux propriétés. Celles-ci n’avaient pas encore la puissance acquise aujourd’hui. La mondialisation n’avait pas commencé. Le négoce détenait cette force et cette puissance de distribution ainsi qu’une bien meilleure connaissance des marchés. Ce rapport de force s’est équilibré ensuite, à partir du millésime 1985, avec l’arrivée d’une nouvelle génération de propriétaires. Comme la mise en bouteille à la propriété était devenue systématique, les crus ont pris conscience qu’ils livraient un produit fini. C’était donc à eux que devaient revenir les bénéfices de son élaboration ». L’aubaine du millésime 1982 n’est pas immédiatement perçue par le négoce lors de la campagne des primeurs de 1983. Le début de la décennie marque l’arrivée d’une nouvelle forme de négoce dit sélectif, en opposition aux maisons traditionnelles qui avaient survécu à la crise des années 1970 et étaient encore en convalescence au moment de la mise en marché des 1982. À partir de 1984, les comptes-rendus de Robert Parker font monter les cours. Les négociants, qui n’avaient pas tout vendu, commencent alors à gagner beaucoup d’argent. « C’est le point de bascule », insiste Michel Bettane. « À partir de là, Bordeaux va devenir quelque chose de très intéressant commercialement. » On peut suggérer que les gains générés par la vente de ces 1982 stockés en réserve va introduire une nouvelle donne dans la relation entre la propriété et le négoce. La possibilité de générer de l’argent pour des entreprises qui en perdaient beaucoup depuis plus de dix ans. C’est aussi un moment fondateur pour toute une nouvelle génération de critiques qui déplacent soudainement le débat sur la qualité des vins dans la presse grand public, soulignant désormais de manière évidente le manque d’indépendance de certains journalistes anglo-saxons. « C’est la naissance d’une nouvelle génération de critiques américains », explique Michel Bettane. « Avant Parker, la critique était très influencée par le marché. Les influenceurs de cette époque étaient les Masters of Wine. Certains d’entre eux étaient aussi marchands de vins. Parker était indépendant. C’est ce qui a plu aux gens. » Plus généralement, l’arrivée du critique américain coïncide avec une sorte de plénitude du marché nord-américain qui sera, à terme, fortement aiguillonné par l’homme du Maryland. Lucide sur la situation et sur le rôle de Parker, Michel Rolland admet que son influence a été capitale pour le marché des vins de Bordeaux : « La presse est devenue à ce moment-là un vecteur de vente important. En défendant ce millésime contre beaucoup de ses confrères, Parker a eu une grande importance pour ce marché qui devenait le nôtre. La réputation de millésime 1982 s’est faite aux États-Unis et les acheteurs ont pris conscience qu’il fallait en acheter ». Si, en 1982, l’influence de Parker commence tout juste à s’établir, il faut regarder le chemin accompli par le critique et son rôle décisif dans la promotion des vins de Bordeaux sur l’ensemble des marchés internationaux, avec au premier rang d’entre eux ceux de la Rive droite, pomerols ou saint-émilion, et se souvenir qu’il aura contribué à les faire connaître outre-Atlantique, au Japon, en Chine.

La confirmation
L’aura du millésime 1982, bien qu’un peu moins éclatante à la fin des années 1980 lorsque les vins ont tendance à se refermer en bouteille, ne se démentira plus. Jean-Michel Cazes le confirme : « Plus le temps a passé et plus l’opinion de ceux qui pensaient que 1982 était un grand millésime a pris le dessus ». Aux oubliettes de l’histoire de la critique, ceux qui ont attaqué le millésime sur son potentiel. Tous ont disparu de la circulation. Le grand débat n’aura épargné personne. Toutefois, il faut relativiser ces attaques tant le profil des 1982 était atypique et constituait un saut dans l’inconnu, y compris pour les critiques anglo-saxons de renom. C’est le triomphe de l’œnologie moderne et l’avènement de l’école Peynaud, qui ne faisait alors pas l’unanimité parmi ses pairs, dont les réalisations dans l’année 1982 comptent parmi les plus abouties. « L’opinion des œnologues modernes a prévalu. Leur discours était simple, mais dur à entendre à l’époque. Les raisins devaient être le plus mûr possible et d’acidité assez basse », poursuit Jean-Michel Cazes. Avec Peynaud, Ribéreau-Gayon, Rolland, le vin cesse d’être mauvais quand il est jeune et seulement bon une fois vieux. Une idée difficile à déraciner, aussi bien à Bordeaux que dans d’autres vignobles, notamment en Bourgogne. Au fond, c’est Philippe Castéja qui résume avec le plus de pertinence ce que nous pensons de ce millésime : « Si on faisait le 1982 aujourd’hui, ce serait l’un des millésimes du siècle ». Les raisons différentes qui ont poussé ce millésime à ce niveau de notoriété sont multiples. La grande qualité des raisins, la récolte abondante, la fin des années noires, la confirmation de l’œnologie moderne, etc. On peut aussi souligner l’importance des travaux de replantation entrepris dans les vignobles, notamment après le grand gel de 1956, comme l’explique Véronique Sanders : « Le vignoble de Haut-Bailly a beaucoup changé au début des années 1960. Même si les très vieilles vignes n’avaient pas gelé en 1956 et que le cru a pu garder son patrimoine de pieds centenaires, il a fallu arracher de nombreuses parcelles. Entre 1959 et 1965, il y a eu beaucoup de replantations. Évidemment, ces vignes jeunes ont commencé à montrer tout leur potentiel au début des années 1980. Le terroir de Haut-Bailly implique que le vin mette toujours du temps à atteindre sa plénitude et son expression. Quand c’est enfin arrivé, j’ai compris que haut-bailly 1982 irait au-delà de 1983, contrairement à ce qu’avait imaginé mon grand-père. 1982 a fait son retour tardivement et de manière flamboyante ». Sans pousser la comparaison, il est certain que le génie de ce millésime est éclipsé par ceux de notre époque, même dans des millésimes dits intermédiaires. La grande force de 1982 a été de redonner au vignoble bordelais confiance en lui-même. C’est un point de bascule où il recommence à attirer et à séduire, lui permettant d’obtenir les moyens financiers nécessaires pour mener à bien sa révolution. La décennie 1980 marque son entrée dans une ère de renouveau des pratiques viticoles et de questionnements importants, parfois insolubles et toujours en suspens de nos jours. Brisés et ruinés par les années 1970, les propriétaires s’aperçoivent de l’importance de faire du bon vin pour le vendre mieux. « L’année est le début d’une renaissance au niveau des prix des vins sur les deux rives de Bordeaux. C’est une renaissance au niveau de la valeur commerciale », dit Michel Rolland. Bon avant d’être grand, le messie 1982 aura cristallisé tous les enjeux, entre peur et incertitude des uns et enthousiasme des autres. Une chose est sûre, par l’engouement médiatique et les débats qu’il a fait naître, il est le premier millésime véritablement commercial de l’histoire des vins de Bordeaux. Presque quarante années plus tard, Ariane Brissart-Lallier, directrice du département vins et spiritueux de la maison de vente aux enchères Tajan, résume bien la situation à son sujet : « Ce n’est pas qu’une année de collection. Aujourd’hui encore, dans nos ventes, les gens qui achètent des 1982 sont nombreux. Les vins constituaient une affaire exceptionnelle et les amateurs en ont acheté beaucoup. C’est pour ça qu’on en retrouve encore facilement sur le marché. Il n’y avait pas de limitation à l’achat. C’est très étonnant, mais le caractère spéculatif n’est pas ce qui ressort du millésime. Les gens l’achètent pour en boire, ils savent que c’est très grand et ils ont envie de se faire plaisir ». Au fond, durant toute la fin du XXe siècle, plus ou moins par contrainte, le vignoble de Bordeaux aura mis au cœur de ses préoccupations l’héritage de ce millésime 1982, entre recherche de la grandeur et du plaisir. Au regard de ce que nous voyons ces derniers millésimes, nous ne sommes pas loin de penser que cette quête est sur le point d’aboutir de manière triomphale. C’est en tout cas notre souhait le plus grand.

Légende photos de une : Michel Bettane et Thierry Desseauve, chez Alain Senderens, dans leurs jeunes années de dégustateur. 1982 n’était pas loin.

Cet article est Extrait d’En Magnum #22, pp. 36 à 43.