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La Gaffelière, Saint-Émilion de caractère

Alexandre de Malet Roquefort a succédé à son père au Château la Gaffelière. avec autant de talent que d’énergie, il porte son cru au meilleur niveau

Après quarante ans de dégustations régulières, on imagine que j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de grandes bouteilles. Peu m’ont autant marqué que les extraordinaires gaffelière 1952 et 1953, un peu liées à ma date de naissance et vraiment uniques par leur style et leur incroyable état de conservation. De là mon affection pour cette magnifique propriété aux mains de la même famille depuis 1705 et le mariage d’un membre de la très noble et ancienne famille Malet, dont un aïeul avait glorieusement pris part à la bataille d’Hastings. L’exposition sud-sud-ouest, à l’entrée sud du cœur de Saint-Emilion, sur trois étages, plateau, coteau et piémont de coteau, a certainement été repérée par les Romains. Léo de Malet Roquefort n’a donc pas été étonné en 1969 de découvrir sur sa propriété la trace d’une grande villa romaine au lieu-dit Palat, avec des fragments superbes de mosaïques qu’on peut admirer désormais au château. On imagine aisément qu’il s’agissait de la villa d’Ausone, dont le terroir jouxte celui de La Gaffelière. Le vignoble actuel couvre 22 hectares, planté pour 75 % en merlot, et 25 % en cabernet franc, dont la proportion pourrait encore augmenter. Alexandre de Malet Roquefort a intelligemment fait appel à Stéphane Derenoncourt et son équipe pour conduire le vignoble avec rigueur et respect de l’environnement. Un nouveau cuvier et un nouveau chai, aussi beaux qu’efficaces, permettent de vinifier dans des conditions idéales, ce que démontre cette magnifique dégustation où les derniers millésimes offrent un évident supplément de précision et d’harmonie. Le style inimitable des beaux millésimes du château associe la minéralité propre aux grands sols calcaires à un velouté et une douceur de texture qui le démarquent des vins un peu plus austères issus du pur plateau. Seuls Ausone à son meilleur et Bélair depuis son extension sur la côte Magdeleine, ses immédiats voisins, peuvent partager ce caractère. Les prix restent sages à ce niveau suprême, surtout comparés à quelques marques plus ambitieuses. Chez les Malet Roquefort, le sens de l’honneur est dans le vin, pas dans le prix.

2017
Très jolie robe vive, beaucoup de fraîcheur et de finesse au nez, corps suave, tannin soyeux, long, complexe, raffiné, ce qui n’exclut ni la tension ni l’expression forte du lieu. Harmonie totale pour un vin immédiatement séducteur.

2016
Texture un peu plus enrobée et tendue, mais chair veloutée : belle résolution de contraires apparents et grande longévité probable, d’autant que les bouchons sont bien meilleurs que ceux des années 1990. Une mise en bouteille récente l’a un peu serré.

2015
Grand millésime complet, riche et gourmand, avec – ce qui signe le grand terroir – un retour de fraîcheur presque mentholé malgré la haute maturité évidente du raisin et des amers racés venus du sol argilo-calcaire. Vin de très grand potentiel, remarquablement vinifié et élevé.

2014
Encore un vin complet pour le millésime, qui sera longtemps sous-estimé, en raison du 2015. Il pourrait cependant le surpasser en complexité aromatique et subtilité dans l’expression du terroir, après vingt ans de garde, un peu comme les 1948 ou les 1950 par rapport à leurs prestigieux millésimes voisins.

2013
Un peu plus de maigreur, mais le millésime fut on le sait difficile, avec malgré tout de la précision dans les arômes épicés, de la fraîcheur, et un tannin habilement extrait. Il pourrait prendre un peu d’étoffe avec l’âge.

2012
Joli coup de nez truffé, délicieux dans son demi-format, harmonieux, suave, parfait à boire en ce moment. Le charme des millésimes intermédiaires réussis à Bordeaux.

2011
Assez nerveux en bouche et un peu lourd sur le plan aromatique, avec des notes de réduction moins élégantes que celles du 2012 et encore un peu d’austérité.

2010
Encore très jeune, ample, riche, plus marqué par le merlot que ne le seront les grands millésimes plus jeunes, mais toujours un retour de fraîcheur qui équilibre l’alcool. Rétro-olfaction longue et racée. Il n’est pas encore prêt.

2009
On aimera moins le nez, un peu réduit et sauvage, malgré une grande matière. Deux bouteilles ouvertes et identiques, et un début d’oxydation.

2008
Dense et énergique, mais le tannin sèche un peu. Pour amateur de textures dites “classiques” dans le vin de Bordeaux.

2007
Vin gourmand, mais bien plus simple que dans les millésimes plus jeunes. Quelques notes florales à la bourguignonne. On peut le boire.

2006
Excellent corps, texture serrée, de la matière, mais pas l’harmonie souhaitable avec en fin de bouche une sensation sucrée.

2005
Il fait un peu plus vieux que son âge avec des notes un peu décadentes au nez, mais le velouté de texture du millésime est présent. Corps puissant et charnu. Le type même du vin entre deux âges qui cherche son second souffle.

2004
Matière plus ferme que celle du 2005, dense, réglisse-anis et truffe. Evolue noblement à l’air, dans un style un peu plus rustique que dans les meilleurs millésimes plus récents. Plus droit et marqué par son terroir que le 2005.

2003
Etonnant pour le millésime de concentration et de densité, sans lourdeur, et une saveur étonnamment florale. Il va surprendre.

2002
Vin à point, frais, gourmand, raffiné, subtil, tannin encore jeune. Bien plus séducteur en ce moment que les 2005 et 2004.

2001
Dans ce millésime réussi rive droite, ce vin déçoit un peu par son manque de “centre” et une texture peu sensuelle. Le bouchon a peut-être simplifié la donne.

2000
Elégant et intense avec un terroir bien lisible, saveur réglissée noble, grande droiture. Incontestablement bien supérieur ici au 2001.

1999
Pas le plus réussi du secteur, qui a parfois été victime d’une méchante grêle à la veille de la vendange. Il ne sera jamais vraiment équilibré.

1998
Bouteille imparfaite sans doute à cause du bouchon ou du bouchage.

1996
Nez facile et sympathique de truffe, remonté par le calcaire du sol, tannins fondus, très agréable à défaut de grande complexité.

1995
Manquant de générosité de texture et doté d’un tannin tendu, le vin séduit moins que le 1996. A-t-il été vendangé à parfaite maturité ?

1982
TCA évident au nez, comme hélas souvent avec les bouchons de l’époque. Ce qui nous fait pleurer car, derrière, il y a une évidente finesse de texture et une grande persistance.

1970
Enfin un corps et un bouquet de grand premier cru, avec toutes les nuances épicées, terriennes (truffe et iris) qu’on attend, et une très longue persistance. Dans le cadre de ce millésime si favorable sur le plan climatique, mais trop souvent dilué à Saint-Emilion (et ailleurs), une grande réussite.

1961
Sublime coup de nez, matière d’un satin grandiose, long, complexe, magique, le grand terroir parle. Peu de 1961 sont restés aussi nets et intacts.

1955
Très beau parfum où le floral ressuscite après tant d’années sur la truffe et le cuir, allant vers la rose et l’œillet. Ici, le corps est parfum et le parfum est corps, quadrature idéale du cercle vertueux des beaux terroirs. Mais seul l’âge et un bon bouchon conduisent à ce résultat.

1943
Nez à l’ancienne avec de l’acidité volatile, mais le vin est plus qu’un souvenir, avec du caractère et du style.

Photo : Leif Carlsson

Le charme tactile unique des vins du Domaine des Croix

Le domaine
Après des années en tant que vinificateur de la maison Camille Giroud, David Croix se concentre sur un petit domaine propriétaire, étendu sur quelques jolis terroirs du secteur de Beaune et de Corton. Après un 2016 exceptionnel aux tannins ultra fins, profonds et aériens à la fois, d’une folle subtilité, un 2017 dans un registre plus immédiatement accessible, 2018 sera de garde tout en préservant le charme tactile habituel des vins du domaine. Toute la gamme montre une remarquable réussite des différents terroirs du domaine.

Le vin
Domaine des Croix, Beaune premier cru Les Grèves, rouge 2018
Puissant, terrien et très raffiné, il a du fond et est clairement destiné à la garde mais son charme opère dès maintenant. Très belle bouteille de ce terroir d’exception.

Le note

17/20

Le prix
59 euros

Les coordonnées
03 80 22 41 81 // [email protected]

Bernard Lartigue est mort

C’est avec la plus grande tristesse que nous apprenons le décès à 71 ans de Bernard Lartigue, terrassé par une crise cardiaque. Bernard Lartigue était l’un des derniers viticulteurs médocains de l’ancienne école : celle des propriétaires engagés personnellement dans la viticulture et la vinification de leur propriété. Il avait peu à peu agrandi et embelli sa propriété de Listrac, château Mayne- Lalande, qui était devenu le vignoble phare de son appellation, même si le dernier classement des crus bourgeois n’avait pas su le reconnaître.  Nous garderons chez Bettane et Desseauve un souvenir ému de la récente dégustation verticale, couvrant toute sa carrière, faite en son active présence, rien ne laissant soupçonner la fragilité qui l’a trop rapidement emporté. Les vins avaient tous une personnalité généreuse, authentique, donnée par des raisins impeccablement cueillis et vinifiés, très rare dans ce secteur. En plus des qualités éminentes de ses vins il avait su faire de son château un des plus accueillants du Médoc, avec des chambres d’hôte d’un parfait confort, et une qualité de restauration exceptionnelle. Nous espérons tous que son œuvre pionnière et si nécessaire à la viticulture locale sera poursuivie par son épouse et sa fille qui peuvent compter sur une équipe fidèle et très compétente à la vigne et au chai.

Photo : listracmedoc.com

Henri de Villamont, l’un des trois meilleurs terroirs du grand cru corton

Le domaine
Installée à Savigny-lès-Beaune, cette maison de négoce appartient au grand groupe suisse Schenk. Son vignoble en propre compte dix hectares, principalement à Savigny mais aussi sur la côte-de- nuits. Les rouges, solides et bien construits, sont très réguliers depuis plusieurs millésimes. Les blancs, notamment les savignys et savignys premier cru, issus du domaine maison, ne manquent pas de personnalité.

Le vin
Henri de Villamont, Corton – Renardes grand cru, rouge 2018
Représentation fidèle de ce climat avec des tannins fins et une allonge intense mais empreinte de délicatesse.

La note
17/20

Le prix
68,90 euros

Les coordonnées
03 80 21 50 59 // [email protected]

Domaine Antonin Guyon, au sommet des cortons, le Clos du Roi

Le domaine
Avec quarante-sept hectares sur vingt-cinq climats, ce domaine familial assemblé à partir d’innombrables parcelles dispose d’un patrimoine viticole unique, avec une représentation de premier choix des alentours de la colline de Corton. Les vins sont fidèles à leurs terroirs d’origine, sans artifice et sincères. Le domaine est géré par Dominique Guyon, conduit en bio et certifié à partir du millésime 2018. Les rouges, issus de raisins partiellement égrappés, allient maturité de fruit et tannins fins. Ils sont de fidèles représentants de leur terroir d’origine avec en 2018 une gamme de rouges bien réussis où le corton clos-du-roi fait la course en tête, ce qui n’a rien d’inhabituel. En blanc, remarquables meursault Charmes Dessus et pernand-vergelesses Sous Frétille.

Le vin
Domaine Antonin Guyon, Corton – Clos du Roi grand cru, rouge 2018
Ce n’est pas en 2018 que la prééminence du clos-du-roi sera remise en question à la cave. Bien que située juste sous le chemin des Bressandes, cette parcelle apporte au vin une finesse encore supérieure à celle du corton-bressandes du domaine, le tannin est ici plus aérien, plus racé, plus subtil.

La note
18/20

Le prix
84 euros

Les coordonnées
03 80 67 13 24 // [email protected]

Les moules & le raisin

Les accords mets-vins d’Antoine Pétrus ont le mérite de rebattre les cartes. Toujours. Et encore

Les moules
Il y a autant de préparations que de bassins de production, que de bords de mer. Avec des moules marinières, Antoine nous recommande un vin « avec beaucoup d’allonge, une chair et une texture pleine, des saveurs d’agrumes et d’herbes fraîches pour faire pièce à la rusticité de la cuisson. » C’est la cuvée Les Jardins de Babylone 2015, un jurançon sec de Benjamin Dagueneau, un vin « qui gagne en précision et en éclat à chaque millésime. » En mouclade, comme à La Rochelle, cuites sur des aiguilles de pin qui apportent une pointe de fumé, voilà l’épatant pouilly-vinzelles de Jules Desjourneys, la marque de Fabien Duperré. Des moules au curry ? Oui, mais un curry vert et seulement cette épice. « Un vacqueyras blanc, la cuvée Complicité 2017 de Cécile Dusserre au domaine de Montvac, une propriété dans le trio de tête de Vacqueyras. » Et avec un rouge, Antoine ? « Des moules à la diable en version améliorée, avec des tomates et du jambon fumé qui vont aider l’accord avec un grenache rouge du Roussillon, poussé sur des schistes, travaillé en vendange entière et élevé en amphores. » C’est la cuvée La Truffière 2016 des frères Danjou-Banessy.

Le raisin
Quel vin avec du raisin, c’est amusant, non ? Nous, ça nous a fait rire et Antoine ne s’est pas démonté du tout. Il précise toutefois qu’il s’agira de raisins blancs, « le chasselas de Moissac et le muscat du Ventoux. » Bon, bien. En trois services. Avec du poisson : « Une aile de raie à la vigneronne, un poisson ligneux, fondant, moelleux qui semble fait pour le sauvignon de Vincent Pinard, sa cuvée Le Château 2017. » C’est un sancerre (blanc, bien sûr). Avec de la viande : « Essayons un filet de veau aux raisins avec un gamay poussé sur du granit et élevé en amphores, c’est la cuvée Chez Coste 2017 du domaine Sérol. » Sous nos applaudissements, Antoine. Ici, on adore les côte-roannaise de Stéphane Sérol et Carine Montoya et ce choix enthousiasme la rédaction de En Magnum. Finissons avec un dessert, c’est logique puisqu’on est déjà mort de faim, juste en bavardant avec Antoine. « Je propose une recette corse, des beignets aux raisins. Chaud à l’extérieur, frais à l’intérieur, le raisin qui explose et libère son jus. On devrait s’en sortir avec les honneurs et avec un viognier qui donne de l’ampleur et de l’enveloppe, la cuvée parcellaire Verlieu 2018 d’Yves Cuilleron en condrieu. » Partons pour la Corse, alors.

Château Nénin, la race du pomerol

La montée en puissance régulière du cabernet franc dans l’assemblage fait de Château Nénin un pomerol de plus en plus intéressant. Voici une verticale 1961-2017 qui en dit long

La famille Delon achète Nénin à ses cousins Despujols en 1997, pour diversifier ses propriétés viti-vinicoles qui étaient jusque là exclusivement médocaines (Potensac et Léoville Las-Cases). Elle agrandit cette propriété, qui était déjà la seconde en taille de son appellation, avec quelques parcelles de l’ex-château Certan-Giraud qui la jouxtaient pour la porter aux trente-deux hectares actuels. Pratiquement d’un seul tenant, l’ensemble se situe sur la partie haute de l’appellation et voisine Trotanoy et Le Pin, sur des terres plus graveleuses et sableuses qu’argileuses, mais avec une grande complexité superficielle liée aux apports alluviaux de la Dordogne. Le merlot (75 % de l’encépagement) y puise sa générosité et sa race pendant qu’un programme ambitieux de replantation de cabernet franc commence à produire ses effets dans les derniers millésimes, qui gagnent en finesse, en droiture et en complexité. Dans une dizaine d’années, on devrait voir ce cépage entrer pour un tiers dans le grand vin. En vingt ans, le vignoble a été complètement restructuré avec une discipline de viticulture propre à la famille et l’imposant château, sans équivalent à Pomerol à part Sales, a été complètement et superbement restauré, tout comme les installations techniques. Parce qu’il appartient à des Médocains, le cru est resté un peu à l’écart de la vie locale. Désormais, sous l’impulsion de Jean-Hubert Delon et de son fidèle directeur Pierre Graffeuille, les vins se dégustent à la propriété et révèlent leur éminente noblesse de style et capacité de vieillissement.

2017
Grande couleur. Le vin le plus accompli de toute la dégustation, aussi bien dans les composants aromatiques que dans la texture et le soutien tannique, et certainement un point de référence pour les années à venir. La part de cabernet franc commence à bien marquer l’ensemble de son raffinement et de sa fraîcheur et harmoniser tous les apports du terroir. Vin de grande race.

2016
Corps excellent, notes de réglisse de zan, finale sur un retour de fraîcheur mentholée, caractère pomerolais affirmé. Vin bien représentatif de son millésime. Petite préférence pour l’élégance du 2017.

2015
Charmeur, solaire, moelleux, peut-être consensuel et adapté au goût international, mais moins précis et original que 2016 ou 2017.

2014
Le dernier millésime à étiquette jaune, plus sérieux et classique dans son corps et sa texture que le 2015, marqué par la tension et les épices apportés par 32 % de cabernet franc. Moins harmonieux que le millésime 2017, mais racé et complet pour l’année.

2013
Bien sélectionné et tout à fait honorable pour l’année, très propre au nez, un peu court en bouche.

2012
Très joli nez aromatique, sur le cuir fin, la truffe, les fruits noirs. Belle maturité de raisin. Peut-être un peu trop boisé encore, mais généreux et avec du style.

2011
Il n’a pas l’élan ou le charme aromatique du 2012 et il termine plutôt court. Dans le contexte du millésime, on attendait mieux.

2010
Vin de grande classe, et de grand format, au nez merveilleux de réglisse, de fleurs épicées, d’une étoffe somptueuse. Bref, ce qu’on attend d’un beau pomerol en très grande année et, surtout, aucune trace de surmaturité ou de lourdeur alcoolique. Il donne une belle idée du potentiel du cru.

2009
On sent plus l’alcool, mais le nez est généreusement truffé, en pomerol de race et de style, ce qui surprendra une minorité de détracteurs locaux, en puissance et en chair. Dans son duel avec le 2010, ce dernier l’emporte haut la main par son équilibre plus saisissant et surtout sa complexité.

2007
Excellente surprise. Le nez ravit par ses éléments à la fois très terriens (truffe noire évidente) et porteurs de fraîcheur, à l’inverse de tant d’autres 2007 vieillissants. Difficile de ne pas être séduit par la finesse des sensations tactiles et surtout par son intense persistance. Très merlot, mais un merlot de beau pomerol. Il est à point.

2006
Différent du 2005, presque opposé. Le boisé fin est encore sensible, pas du tout asséchant, le vin est assez aérien, frais, réglissé, pur, mais sans la sensualité du 2007.

2005
Puissant et truffé au nez, mais avec des notes de pruneau un peu lourdes pour les amateurs de vins fins. Il a du volume et de la suite en bouche. Dans son état actuel, il appelle la table et le gibier à plume, qui lui permettra de s’exprimer avec plus d’assurance.

1998
Nez harmonieux, boisé bien fondu, étonnante finesse de texture, chaleureux mais frais en fin de bouche, et toujours ce va-et-vient entre réglisse et truffe qui signe la partie Certan du terroir.

1978 et 1975
Deux bouteilles imparfaites, liées à des bouchons qui ont mal tenu et peut-être marqués par les déviations chlorées si fréquentes à l’époque. Sans doute la netteté des millésimes précédents accentuait ces différences.1970
Beaucoup plus agréable que 1975, raisin mûr, réglissé, souple, évolué sans décadence, sans avoir l’ampleur ou la race d’un gaffelière, par exemple, dans ce même millésime ou d’un trotanoy.

1966
Comme souvent dans cette décennie, le raisin vendangé trop tôt sans doute explique la conservation des notes végétales, typées poivron, plus de quarante ans plus tard.

1961
Plus riche évidemment que le millésime 1966, avec une robe d’un somptueux acajou, super terrien au nez, iris, sous-bois, truffe, et aussi menthol. Petit rancio de vieillesse, parfaitement acceptable et donnant à la fin de bouche une intéressante complexité où les éléments terriens se complètent par du tabac, voire du cèdre, et une évolution constante dans le verre. Beau vieux vin à réserver aux connaisseurs.

Domaine du Comte Senard, un Clos du Roi en majesté

Le domaine
Entre tradition et modernité, Lorraine Senard-Pereira a entrepris depuis 2005 des changements radicaux afin de procurer à ses vins l’élégance nécessaire pour une consommation plus immédiate, tout en préservant le potentiel de garde et la qualité intrinsèque des grands cortons dont le domaine possède aujourd’hui une représentation sur pas moins de six climats ! Nous ne cessons de nous étonner devant la finesse de tannins des vins depuis le millésime 2016. 2018 en est un exemple brillant sans que l’intensité possible dans ce millésime n’ait été occultée, bien au contraire. Ceci mérite une quatrième étoile au domaine.

Le vin
Domaine du Comte Senard, Corton – Clos du Roi grand cru, rouge 2018
Comme toujours au sommet de la cave par cette vision aérienne du corton qui n’appartient qu’à lui, un mélange d’intensité et de délicatesse aux nuances florales uniques, lilas, pivoine, violette, rose ancienne. Il est aux antipodes du bressandes et de ses muscles, le clos du roi incarne la délicatesse ultime de Corton.

La note
18,5/20

Le prix
93 euros

Les coordonnées
03 80 26 40 73 // [email protected]

Domaine Jean Fournier, le fixin nouvelle génération

Le domaine
Laurent Fournier, avec son humour, son intelligence et sa délicatesse est un des talents les plus brillants de la nouvelle génération bourguignonne. Il nous fait plaisir en cherchant et réussissant à retrouver les secrets des très grands vins d’autrefois, vinifiés à partir de raisins entiers en démarche bio. Les terroirs se montrent ainsi avec une grande précision. Ses côtes-de-nuit-villages et plusieurs marsannays bousculeraient bien des gevrey-chambertin. Tout est réussi en 2018, c’est l’une des adresses idéales pour les amoureux de la belle Bourgogne à des prix encore accessibles.

Le vin
Domaine Jean Fournier, Fixin Les Petits Crais, rouge 2018
Ce 2018 est dans le style du réussi 2015 avec ce superbe jus au tannin aérien, très fin et cette buvabilité remarquable. Fixin est une appellation qui a beaucoup travaillé pour gommer une pointe de rusticité qui marquait ses vins autrefois. Ce nouveau style tout en séduction est à découvrir absolument.

La note
16,5/20

Le prix
29 euros

Les coordonnées
03 80 52 24 38 // [email protected]

« Le sommelier est une opportunité pour le restaurant de vendre mieux et plus »

Dans cette période très compliquée de réouverture/fermeture des bars et restaurants, on est allé interroger le « boss » des sommeliers parisiens, Jean-Luc Jamrozik. Il nous a parlé de la féminisation du métier, de vin au verre, de vin nature et du rôle essentiel du sommelier.

Vous êtes président des sommeliers de Paris depuis presque 15 ans. Quelles sont les principales évolutions que vous avez constatées dans le métier ?
Jean-Luc Jamrozik : La première évolution, et c’est une bonne nouvelle, est que la sommellerie, comme beaucoup de métiers traditionnellement masculins, s’est féminisée. Certaines femmes, dont Pascaline Lepeltier (qui a obtenu la même année le titre de Meilleur Ouvrier de France en sommellerie et de Meilleur Sommelier de France, NDLR) ont probablement contribué à cet essor ; elle est un modèle pour de nombreux jeunes sommeliers et sommelières.
La seconde est technologique, le Coravin par exemple, a permis le développement du vin au verre en France. Mais cette approche doit respecter un cérémonial assez précis pour que l’expérience de dégustation soit pleinement réussie. Coravin ou pas, le sommelier doit respecter les mêmes règles de service qu’avec une bouteille servie à table…

« On peut boire du vin bio de mauvaise qualité. »

Les vins bio et biodynamiques se sont taillé une part importante du marché. Je suis évidemment favorable au respect de terroir et au fait que le vigneron réduise au maximum son empreinte carbone, notamment en substituant les produits issus de la chimie par des produits à base de plantes qui permettent de dynamiser et de renforcer la vigne. Les clients sont de plus en plus avertis sur ces thèmes, il est donc normal que le sommelier le soit aussi et qu’il propose à sa carte des vins bio et biodynamiques. En revanche, il n’y a pas nécessairement une corrélation entre bio et qualité, on peut boire du vin bio de mauvaise qualité.
Enfin, dernier changement constaté, l’essor des vins « natures ». Je dois avouer ne pas trop me retrouver dans cette offre pléthorique car la plupart du temps, je ne ressens pas un grand plaisir à la dégustation de ce type de vin. En revanche, les sommeliers proposants des vins « naturels » doivent expliquer pourquoi certains d’entre eux peuvent perler ou être troubles. La réponse est assez simple, les vignerons qui ne mettent pas de sulfite peuvent mettre du CO2 issu de la fermentation pour conserver le vin, ce qui peut ainsi entraîner un léger perlant.

Dans beaucoup de bistrots, il n’y a plus de sommelier à proprement parler. Ce rôle, pourtant très important, incombe au serveur ou à la serveuse. En quoi le sommelier reste-t-il un personnage central de la restauration ?
J-L. J. : C’est malheureusement un constat que je partage. Le sommelier a un coût, celui du salaire. Mais mieux que quiconque, il va prodiguer aux clients les meilleurs conseils d’accords mets et vins. Le sommelier ne représente pas un coût pour le restaurant qui l’emploie mais une opportunité pour le restaurant de vendre mieux et peut-être plus. Je déjeune ou dîne souvent au restaurant et je suis à chaque fois surpris par les fautes que je vois sur les cartes vins, sur l’appellation, le nom du vigneron ou tout simplement sur le millésime. À plusieurs reprises, je me suis rendu compte que le millésime servi n’était pas celui qui était indiqué sur la carte des vins…

« La carte des vins, comme celle des plats, doit changer
en fonction des saisons. »


Aussi, il est indispensable qu’une carte des vins change en fonction des saisons, au même titre que les chefs cuisiniers vont faire évoluer leurs menus, le client ne consomme pas le même vin toute l’année.
Enfin le sommelier doit en moins de deux minutes comprendre/identifier le profil de son client(e) : est-il/elle là pour un repas d’affaire ? En famille ? En amoureux ? Le client se rend au restaurant évidemment pour bien s’y restaurer mais aussi pour y vivre une expérience agréable ; l’accueil, le service et les conseils du sommelier font partie intégrante de la réussite d’un repas au restaurant.

Est-ce que les évolutions de la manière de consommer (boire moins, boire mieux) rend ses lettres de noblesse au métier ?
J-L. J. : Pour cette question je ne fais de distinction entre le solide et liquide. Nous avons changé la façon dont nous nous nourrissons, il en va en de même sur la façon dont nous buvons. Pour répondre concrètement à votre question : oui je le pense, mais peut-être pas suffisamment encore ou pas comme je le souhaiterais. Enfin, que veut-dire boire mieux ? Est-ce boire raisonnablement ? Boire des quantités moindres mais boire de meilleure qualité ? Ou est-ce les deux ?

Quelles sont les trois principales qualités du sommelier ?
J-L. J. : Il doit être à l’écoute de son client. Prendre en compte son budget et être au théâtre sans se comparer à un acteur. Je dis toujours aux jeunes sommeliers et sommelières qui débutent : « Le client a choisi ton restaurant pour déjeuner ou dîner, fais-en sorte qu’il reparte en ayant tout simplement passé un bon moment. »