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Sincère et authentique, vraiment ?

Tapes dans le dos ou oreilles tirées ? Chaque jeudi, les mots doux de Nicolas de Rouyn. Cette semaine, il était de bonne humeur


Chaque jour que Dieu fait voit ma boîte mail envahie par des messages, ce qu’on appelle des communiqués de presse, qui vantent tous avec un bel œcuménisme des vignerons « sincères » qui élaborent des vins « authentiques ». Cette banalité conceptuelle mijotée dans une bassine de superlatifs me rend ces messages illisibles. Qu’est-ce que c’est qu’un vigneron « sincère » ? Ce mot, nous apprend le Larousse, signifie : « Qui exprime, sans les déguiser, ses pensées et ses sentiments. » Bon, très bien.

Au fond, je me moque des pensées de tel ou tel vigneron, de ses sentiments tant que son vin est bon ou, mieux, très bon. Il peut bien être le plus méchant homme qui se puisse trouver, ça m’est égal. Je connais des gars merveilleux qui font des vins moyens et des types épouvantables qui font des vins épatants. Et le contraire, bien sûr. Le plus comique, c’est cette idée de vin « authentique ». Retour au Larousse. Qui dit : « Dont l’origine est indubitable ». Il y a belle lurette que les cuves à roulettes se sont absentées du paysage. On a même inventé l’appellation d’origine contrôlée pour ça. Oh, je vois bien ce que l’attaché de presse ou, plus sûrement, le journaliste qui a rédigé le communiqué, veut dire. Et comment il prend un mot pour un autre. Qu’au fond, il y a redondance entre sincère et authentique et que, en toutes circonstances, il nous ennuie avec ses extases de commande. Ce n’est pas ça que nous avons besoin de savoir, d’apprendre.

Nous voulons des précisions sur les pratiques culturales, sans nous parler du sauvetage de la planète. Il nous importe de comprendre les méthodes de vinification, pas les méandres de l’âme. Nous voulons un renouvellement des discours. Au passage, avec les prix, trop souvent oubliés. C’est vulgaire ? Oui mais ça compte pour nos lecteurs.

Bref, quand il s’agit de s’occuper de la communication des vignerons, certains ont des idées. Laissons-les faire, s’ils veulent bien se montrer. Oui, les vidéos de petits formats réalisées par Thierry Desseauve sont autant de bons exemples.

Ao yun, le premier vin de nuage

Le groupe Moët-Hennessy a mis longtemps à s’installer dans le vignoble chinois. c’est fait et avec grâce

Et au milieu coule une rivière
Quatre années, c’est le temps qu’il a fallu pour trouver le lieu de naissance d’Ao Yun. Dans l’immense Chine, le défi était de taille. Le décor ? L’Himalaya majestueuse, le nord du Yunnan, les rives du fleuve Mékong et la fabuleuse cité de Shangri-La tout près. Depuis cette dernière, il faut faire une demi-journée de route sur des chemins vertigineux avant de tomber sur ce qui est peut-être le plus beau vignoble du monde. Pour faire simple et retrouver des repères qui se perdent vite sur ces hauteurs à couper le souffle, le domaine est réparti entre quatre villages (Adong, Xidang, Sinong et Shuori), tous situés entre 2 000 et 2 600 mètres d’altitude. Les paysans locaux, fermiers et éleveurs de yacks ou de moutons, cultivent de la vigne depuis le début des années 2000. Une initiative du gouvernement chinois. Quatre communes donc, et des conditions météorologiques spectaculaires qui peuvent évoluer radicalement dans une même journée en raison des ombres portées de la montagne. Si les températures, finalement assez clémentes, sont proches de celles du vignoble bordelais, l’ensoleillement est celui de la haute montagne avec une forte exposition aux rayons UV. Un peu de pluie l’été, peu de pression des maladies cryptogamiques. Bref, un domaine dans les nuages et un terroir de prédilection pour les cabernets.

300 parcelles
Avec des conditions pareilles et la volonté de faire un grand vin, le style Ao Yun s’inspire intelligemment de celui des grands vins de Bordeaux. Avec une différence notable cependant puisque les quelque 27 hectares du vignoble sont divisés en plus de 300 parcelles, elles-mêmes divisibles en plus de 900 sous-parcelles identifiées. Chacune évidemment récoltée à la main compte tenu du relief. L’encépagement partagé entre cabernet-sauvignon et cabernet franc, dont la moitié est plantée franc de pied sur des sols de sables ou de schistes en raison de l’absence du phylloxera, permet la construction d’un grand vin de garde. Il est particulièrement marqué selon les années par les conditions climatiques du millésime, notamment dans sa couleur et son intensité aromatique. Depuis 2013, année du premier millésime, le travail d’identification des parcelles a permis de gagner considérablement en qualité d’expression. Surtout, la gestion du parc à barriques et la qualité d’origine des bois retenus ont permis d’affiner le style, renforçant la grande fraîcheur des cabernets récoltés par un caractère boisé noble.

Sept ans au Yunnan
C’est à Maxence Dulou, quadra bordelais fringant et détendu, qu’on a confié les clefs du projet. Passé par le château Quinault l’Enclos à Libourne, cet ingénieur agronome a quitté la Gironde pour s’installer avec sa femme en 2013 dans cette province reculée. Des débuts mouvementés et une adaptation express à la vie des montagnes et au système chinois, assez strict en ce qui concerne la culture de la vigne et l’élaboration des vins. « L’idée, ce n’est pas de faire un vin qui imite Bordeaux. Les cépages utilisés ici ont été plantés pour la plupart par des paysans. C’est une histoire et une identité qu’on respecte et qu’on veut raconter à travers ce vin. L’identité d’un lieu et d’un vignoble. Dans le style, on ne cherche pas non plus à faire un vin du Nouveau Monde. Ao Yun a ses propres codes. »

Ao Yun, la verticale
2014
Second millésime d’Ao Yun. Dans un style immédiatement surprenant par son caractère fruité et sa grande acidité. Beaucoup de corps et de crémeux dans les tannins, on apprécie sa fraîcheur finale et son élégance. Vin d’énergie. 92/100

2015
Raffinement aromatique où l’on retrouve quelques notes fumées et de pierre à fusil et de graphite, résolument médocain dans son inspiration et son style. Seul un peu de sécheresse finale dans son tannin l’empêche d’être complètement harmonieux. 91/100

2016
Beaucoup de finesse et de tension, le vin a gagné en droiture et impose sa grande densité de matière, fraîche et harmonieuse. Un caractère un peu plus épicé au nez et en finale, induit par la présence de 4 % de syrah dans l’assemblage. L’élevage avec 70 % de barriques neuves, d’excellente facture, lui donne beaucoup d’allure et d’aplomb. 95/100

2017
La propriété trouve dans ce millésime son niveau d’équilibre de référence. Très bien construit, entre la puissance de cabernets toujours énergiques et une acidité encore mieux intégrée à l’ensemble. Du charme, de la longueur et un potentiel de garde certain tout en gardant une typicité assez unique en son genre. Grand vin. 95/100

Ao Yun, vignoble extrême, terroir inédit

« Deux jours de voyage depuis Paris (quand il n’y a pas d’éboulements sur la route qui mène de Shangri La au vignoble), des paysages à couper le souffle, un terroir inédit, c’est Ao Yun, un vin produit en Chine dans des conditions extrêmes. Maxence Dulou, directeur du domaine nous parle de ce vignoble exceptionnel… »

Le mondovino de la semaine n°50 tourne à fond

Le monde est à lui • La famille d’abord • Le chiffre de la semaine • 61e rendez-vous et toujours la même passion • Chaque jour du nouveau, en voici quatre

Le monde est à lui

Dom Ruinart rosé, cuvée de prestige de la maison rémoise, vient d’être élue « Meilleur champagne du monde » par le Champagne & Sparkling Wine World Championships. Un titre qui récompense les efforts de la maison pour faire de ce champagne rosé un flacon icônique dans sa couleur, reconnaissable par son style blanc de blancs affirmée, son raffinement, son élégance de texture et son fruité délicat. C’est la version en magnum du millésime 2004 qui remporte ce titre prestigieux. Evidemment. En magnum, c’est mieux.
Plus d’informations sur ruinart.com

La famille d’abord

En quatre décennies, Joseph Helfrich a bâti un monde vigneron, vision d’un homme, rêve d’une famille. Point d’orgue sur ce projet d’une vie, il lance désormais « Famille Helfrich », sa nouvelle « collection » regroupant ses propriétés prestigieuses. Une manière intelligente d’ilustrer la diversité des vins produits, qui démontre plus que jamais d’une idée certaine de l’exigence.

Le chiffre de la semaine

850, c’est le nombre de destinations viticoles proposées par l’entreprise Winalist, plateforme digitale spécialisée dans l’oenotourisme insolite et les séjours dans le vignoble. France, Espagne, Italie ou encore Portugal, il suffit de choisir sa destination et de se laisser guider. Pratique.
Plus d’informations sur winalist.fr

61e rendez-vous et toujours la même passion

Dans quelques semaines, la 61e vente des vins des Hospices de Nuits-Saint-Georges proposera 109 pièces de la récolte 2021, réparties en 18 cuvées. «  La pureté et l’équilibre promettent une grande capacité de garde typique d’un millésime bourguignon », précise Jean-Marc Moron, régisseur du domaine dont le vignoble s’étend sur 13 hectares. Une vente aux enchères à suivre en direct sur le site www.interencheres.com.
Quand ? dimanche 20 mars à 14h30
Où ? Château du Clos de Vougeot
Plus d’informations sur hospicesdenuits.com

Clos des centenaires, un joli blanc et une histoire

Après avoir fait les grandes heures du château du Mas neuf situé dans les Costières-de-Nîmes, Luc Baudet s’est recentré sur les sept hectares qu’il détenait et a créé le Clos des Centenaires. Son talent technique et sa connaissance du vin ont convaincu son voisin, Bruno François, propriétaire de 14 hectares au Clos des Américains de se joindre à lui dans cette nouvelle aventure, en apportant son outil de vinification ultra-moderne. Schéma de culture bio, sans rien s’interdire en cas d’attaque massive de mildiou ou de la flavescence dorée comme 2018. Des replantations en blanc permettront d’équilibrer l’offre entre les deux couleurs principales. Les vins sont impeccablement vinifiés, nets, généreux, typique de leur lieu de naissance – ils sont Nîmois après tout – et toujours frais grâce aux nuits des costières qui voient le thermomètre baisser. Si une petite activité de négoce existe (sans vocation à se développer), Luc souhaite garder un ensemble à taille humaine, qu’il peut gérer lui-même techniquement.  Bref, des vins de grande gourmandise et d’un excellent rapport qualité-prix.

Clos des centenaires, Roussanne 2020, costières-de-nîmes blanc

Le volume de la roussanne complétée par 10 % de marsanne emmène ce blanc de belle dimension, puissant, complexe, avec une finale de fruits jaunes mûrs encore sur la tension. Dégusté récemment, le 2017 montrait un volume supérieur à ce 2020. Laissons-lui un peu de temps pour rejoindre son admirable aîné. Il en prend le chemin.

91/100
Apogée : 2022-2024

Un accord ?
Pour une viande blanche, une préparation à base de poissons puissants en goût auxquels il saura répondre.

19,80 euros
clos-des-centenaires.com

Lucie Pereyre de Nonancourt, une fille dans son siècle

Lucie Pereyre pour l’état civil, Pereyre de Nonancourt au bureau, 32 ans. Petite-fille du grand homme, Bernard de Nonancourt, elle arrive dans la maison familiale Laurent-Perrier avec infiniment d’humilité, elle a tout à apprendre, elle le sait, elle sait que c’est long, très long, elle n’a pas peur, elle y va

D’où venez-vous, Lucie Pereyre ?
D’une première vie loin du vin. J’ai commencé par des études en psychologie pour travailler dans l’humanitaire et le social. Je voulais être coach, pour accompagner de manière active les gens dans leur vie, comme ça se fait aux États-Unis. Et je me suis rendu compte que j’étais un peu cloîtrée dans une bulle. Il me manquait la diversité d’informations dont j’avais besoin pour me nourrir et mieux comprendre le monde. J’ai changé de cursus pour un master en marketing en école de commerce. Une discipline où la dimension psychologique est importante. Il y avait un lien avec mes études d’avant. Pendant une année de césure, j’ai travaillé pour un distributeur américain de vins et de spiritueux. C’est là, lors d’une dégustation, que j’ai eu une révélation. Voilà ce que je voulais faire.

Évident, pourtant ?
Non, je n’avais jamais pensé travailler dans ce milieu. Dans un premier temps, je voulais m’écarter de ce chemin. Il m’a rattrapée. Quand je suis rentrée des États-Unis, j’ai fait mon dernier stage de master chez Pernod-Ricard avant de partir en Espagne travailler dans un domaine en Rioja, Marqués de Riscal. Pendant ce temps, j’ai commencé à me former à la dégustation avec le WSET. J’ai obtenu le Diploma (niveau 4). Je continue à me former, j’ai encore beaucoup, beaucoup à apprendre.

Grand Siècle va se séparer de Laurent-Perrier, comme Dom Pérignon de Moët & Chandon ?
Non. C’est le premier vin que mon grand-père a inventé. L’objectif est de mettre en avant cette cuvée, ce travail, en lui affectant une équipe pour lui assurer un succès plus grand encore. C’est pour ça qu’on m’a désignée. Pour m’occuper de Grand Siècle, mieux exprimer son identité, son élaboration son concept unique. Symboliquement, cette mission avait un sens particulier pour moi.

Le travail commence où ?
L’idée est d’expliquer plus à fond les itérations pour leur donner du contenu. Le numéro d’itération, situé sur la collerette, doit raconter l’idéal de mon grand-père. Celui de recréer le style de cette cuvée, à travers le temps, au-delà du millésime, à chaque fois. À sa création, ce n’était pas nécessaire d’expliquer cela. Le monde a changé. Le consommateur veut tout savoir, sur toutes les cuvées. Notre travail est de rendre accessible ces explications. On mentionne les millésimes présents dans l’assemblage et la proportion de chaque millésime qui compose chaque itération. Le consommateur cherche à aller plus loin dans la connaissance. Il faut trouver une solution pour parler des millésimes sans s’enfermer dans un schéma en les mentionnant sur l’étiquette. Grâce à cette information, les amateurs de Grand Siècle peuvent maintenant comparer les itérations entre elles.

Itération ?
Ce mot vient de iterare, qui signifie le cheminement. En mathématique, cela correspond au fait de répéter un processus, comme le style de Grand Siècle à travers le temps malgré des assemblages différents. Il y a eu vingt-quatre itérations en soixante ans. Cette année, pour Grand Siècle, il y a trois signatures. L’itération n°24, en bouteille, est un assemblage des millésimes 2007, 2006 et 2004. L’itération n°22, en magnum, et aussi Les Réserves, uniquement en magnum et en jéroboam. On garde un peu plus longtemps les magnums en cave, quinze ans contre douze pour les bouteilles. Notre première approche est de développer la notoriété cette étiquette. Dans l’univers des cuvées de prestige, elle est certainement parmi les moins connues des grands amateurs.

Grand Siècle, c’est signé de Gaulle ?
Mon grand-père avait soumis au général de Gaulle une liste de différents noms, dont Grand Siècle, pour avoir son avis. Le général lui a dit : « Grand Siècle, Nonancourt, évidemment ! ». Bernard de Nonancourt était dans la Résistance, sous le commandement du général Leclerc. C’est sa mère, mon arrière-grand-mère, qui a acheté la maison Laurent-Perrier en 1939. À la fin de la guerre, mon grand-père a tout repris à zéro, se concentrant sur le vignoble et sur le style des vins, fondé sur le chardonnay à une époque où tout le monde faisait du pinot noir. Comme la maison n’était pas très connue, il a eu la possibilité de créer ce style qu’il aimait, autour de la pureté, de l’élégance et de la fraîcheur. Le pinot noir ne lui apportait pas ce qu’il cherchait quand le chardonnay lui permettait d’avoir l’acidité droite et longiligne qu’il souhaitait pour que ses champagnes soient consommés à l’apéritif et très peu dosés. C’est lui qui a inventé la catégorie brut nature, avec la cuvée Ultra Brut, même si l’on trouve dans les archives de la maison l’existence d’un grand vin sans dosage. Toutefois, et en fonction des itérations, Grand Siècle est dosé entre 6 et 7 grammes par litre. Le chardonnay est toujours majoritaire, complété par le pinot noir. L’itération n°23 devrait être lancée en fin d’année, en magnum uniquement.

C’est facile pour vous d’arriver dans la maison familiale ?
Tout le monde m’a accueillie à bras ouverts. Mais il y a du challenge, on attend beaucoup de nous, de la famille. Aujourd’hui, la vision de Bernard de Nonancourt est toujours là. Il y a aussi de l’admiration. J’essaye de suivre cette vision et de la perpétuer. J’aime ce style et ce qu’il a cherché à mettre en place. C’est facile pour moi, ce n’est pas pesant. Quand mon grand-père a créé Grand Siècle, il voulait installer Laurent-Perrier au rang des grandes maisons. Pour cette cuvée de prestige, le postulat de départ était de se dire que la nature ne donne jamais une année œnologique parfaite. Par l’assemblage, on peut arriver à la recréer. Il a été un pionnier dans sa catégorie.

Toutes les vies de Gérard Perse (et Pavie)

Il s’est fait lui-même, mais pas tout seul. Depuis qu’il a 18 ans, Chantal est dans sa vie. Ensemble, ils ont enchaîné les succès. Un grand œuvre. Aussi bien pour ses propriétés que pour Saint-Émilion

C’est un homme qui marche. Et quand il ne marche pas, il court. Ou bien il s’accroche, il ronge son frein, puis il redémarre. Depuis sept décennies, Gérard Perse vit comme s’il disputait une course de vélo – son sport préféré – perpétuelle. Il sait qu’il ne gagnera pas toujours tous les sprints, ni l’escalade de tous les cols, mais il lui faut s’extraire du peloton. Quand il a « un coup de moins bien », comme on dit entre cyclistes, il reprend un instant son souffle, calme son esprit éternellement batailleur, repart de plus belle. Cette course à toute allure, ce n’est pas un choix d’homme pressé, c’est une obligation vitale. Gérard Perse a connu un destin hors du commun, il représente certainement un cas unique dans la viticulture mondiale. Celui d’un homme parti de rien, vivant enfant l’existence et les malheurs d’un Oliver Twist banlieusard, qui a construit, avec Chantal la femme de sa vie rencontrée à 18 ans, l’un des plus beaux patrimoines viticoles de Bordeaux et surtout fait de ses crus (Pavie, Pavie Decesse, Bellevue-Mondotte, Monbousquet, les Lunelles) des modèles absolus, chacun dans leur catégorie. Gérard Perse ne s’est pas contenté de consacrer une réussite sociale et entrepreneuriale par l’acquisition de ces châteaux. Ce pur self made man a bâti au cours de cette deuxième vie ou plus précisément, on le verra, de sa troisième, une œuvre de grand vigneron faite d’exigence, d’inventivité, de sens du détail et d’une ambition hors norme.

Un début difficile
Comme Maurice Chevalier, Gérard Perse est un gars de Ménilmontant. C’est là qu’il est né, dans ce faubourg parisien alors très populaire, en octobre 1949. Mère au foyer, père peintre en bâtiment, Gérard est le troisième enfant, six autres suivront. La France sort de la guerre et le Paris martyrisé est encore bien là : les conditions de vie sont déplorables et la santé du gamin n’y résiste pas. Les premiers souvenirs de Gérard Perse ne remontent pas à l’appartement misérable de Ménilmuche, mais à un sanatorium sur la Côte d’Azur où il passe plusieurs mois. Quand, à cinq ans, il retourne chez ses parents, la famille a déménagé dans un pavillon sans eau courante, dans un Carrières-sur-Seine qui n’était pas encore la banlieue bourgeoise qu’elle est devenue aujourd’hui. C’est là qu’il passera son enfance, onze personnes dans deux pièces, les enfants dormant tête-bêche sur les lits superposés, le dimanche matin aux bains-douches de Houilles pour la toilette hebdomadaire, les légumes grapillés dans les champs alentour pour améliorer l’ordinaire de patates et de nouilles, le charbon ramassé le long des voies de chemin de fer pour chauffer comme on peut une baraque pleine de courants d’air. Malgré ces conditions précaires, la jeunesse de Gérard aurait pu avoir le rythme insouciant d’un gamin vadrouilleur et débrouillard, mais elle fut tout le contraire : marquée au fer rouge du malheur et de la honte. Baratineur à l’extérieur, violent dans le cercle de famille, instable et joueur, alcoolisé en permanence, le père de Gérard fait vivre à sa femme et à ses enfants un martyre permanent qui semble sans issue. L’enfant, renfermé mais rebelle, vit son enfance et son adolescence comme une longue épreuve où il accumule des sentiments qui deviendront des convictions, puis des principes d’existence. Sa mère vit un calvaire terrible pour élever ses onze enfants tout en subissant les coups de son mari. Il en tirera la volonté farouche de construire une famille soudée, unie et aimante. Il passe la moitié de sa scolarité absent, dont le certificat d’étude, réquisitionné par son père pour lessiver les murs dans des chantiers démarrés en retard. Il se rattrapera en passant le reste de sa vie à apprendre, à perfectionner des techniques et des pratiques avec un mélange inédit de pragmatisme et d’idéalisme. Il a eu honte d’être habillé de guenilles toute son enfance, de ne pas pouvoir se laver tous les jours, d’aller à l’école avec le vieux cartable déchiré que ses sœurs aînées avaient utilisé avant lui. L’hygiène absolue des hommes, des installations et des équipements, l’attention à tous les détails des différents métiers qu’il pratiquera ensuite feront toujours partie de ses règles de base. Il s’est construit seul face une humanité parfois hostile, souvent indifférente, rarement compatissante. Il garde une sensibilité à fleur peau et conçoit la bataille pour la vie comme un exercice sinon solitaire, du moins resserré au petit cercle familial que composent sa femme Chantal, leur fille Angélique et leur gendre Henrique, leurs petits-enfants, enfin.

Le bout du tunnel
Après avoir touché le fond lors d’une adolescence sans école, sans maison, sans argent, Gérard Perse termine sa longue épreuve en montant sur un vélo. Ayant passé toute son enfance à galoper et à travailler, il possède un physique d’athlète et une endurance à toute épreuve. Quand on lui prête un vélo pour s’entraîner au club d’Argenteuil, il met aussitôt derrière lui tous les autres coureurs. Réaliste, le club l’équipe illico et lui propose une licence amateur. Perse écume les courses du dimanche, les sprints où l’on gagne un bon d’achat chez le boucher du village. C’est là, pour la dernière course de l’année, que Chantal de Jong, fille d’épiciers de Maisons-Laffitte, lui fait une bise très sage en lui remettant le bouquet du vainqueur. Et l’invite dans la foulée prendre thé et gâteaux dans la maison familiale. Puis une semaine plus tard, au cinéma. Un an après, à se marier. Exactement un demi-siècle plus tard, on a l’impression que Gérard Perse n’en revient pas qu’une telle femme, « trop belle, trop intelligente pour moi », l’ait choisi. Cela a effectivement demandé une force de caractère peu commune à cette femme blonde, grande et élancée comme les filles de Hollande d’où vient son père, que d’épouser le rejeton de la « tribu Perse » qui a si mauvaise réputation, dont les bonnes âmes disent qu’« il finira comme son père ». L’un comme l’autre ont compris, sûrement presque immédiatement, que cette union les mènerait très loin, et peut-être plus, démultipliant l’effet de leur immense volonté, de leur force de travail et de la confiance qui unit l’un à l’autre.
Le mariage de Gérard et Chantal ne résout pas pour autant tous les problèmes. La mère martyre de Gérard disparait prématurément quelques semaines après la cérémonie, le père inconséquent garde ses quatre enfants mineurs, puis les met à la porte. Ils seront récupérés et élevés par leurs frères et sœurs. Les stigmates de ces drames successifs sont toujours présents chez Perse et expliquent toujours une sensibilité d’écorché vif. Pour l’instant, il enchaîne les boulots dans le bâtiment. Il veut ouvrir un magasin de vélo, son beau-père, épicier et pragmatique, l’en dissuade. « Trop de stocks. Tu devrais plutôt acheter un cours des halles (magasin de fruits et légumes, NDLR). Il y a en a un à vendre à Boulogne. » Un emprunt bancaire et un crédit vendeur plus tard, l’aventure commence vraiment. Sur le pont de 6 heures du mat’ à 9 heures du soir, les « p’tits mignons », comme ont tôt fait de les appeler leurs clients, n’arrêtent jamais de s’approvisionner à Rungis, jusqu’à briquer les pommes dans les rayons. Le chiffre d’affaires est multiplié par cinq dès la première année et les emprunts remboursés en trois ans. La seconde vie de Gérard Perse commence, mais dans celle-ci, le travail paie.

Deux Champion, pas de hasard
En cinq ans, cinq tonnes de fruits et légumes s’écoulent chaque année dans le magasin de la rue du Point du Jour et Rungis n’a plus de secrets pour Gérard. Il est temps de découvrir autre chose. Précisément, l’époque est aux supermarchés, bientôt aux hypermarchés. Dans la France de Giscard, puis celle de Mitterrand, le petit commerce s’efface pour laisser la place à ces temples de la consommation normée, développée par des groupes d’autant plus puissants qu’ils ont été bâtis par des self made men qui intègrent souvent en leur sein d’autres self made men à qui ils permettent d’acquérir à coups d’emprunts garantis par l’enseigne un, puis plusieurs magasins. Après avoir cédé le cours des halles, voilà les Perse à la tête d’un supermarché à Pontault-Combault. On est en 1984, la France du foot vient de gagner son premier trophée, le magasin s’appelle Champion. C’est un signe, le couple apprend tous les métiers, y compris celui de manager, et ne s’arrêtera plus. Un an plus tard, ils acquièrent deux autres Champion et, trois ans après, dynamisent un supermarché à Croissy-sur-Seine. Enfin, en 1991, un hyper à Brie-Comte-Robert. Cet empire dans lequel les noms de villes de banlieue sonnent comme autant de victoires, Perse le conquérant l’a bâti en moins d’une décennie, faite de travail forcené, de négociations tendues, de prises de risques financiers permanentes, de gestion au cordeau, de rénovations et de reconstructions gigantesques, du bonheur d’entreprendre et d’une capacité d’adaptation hors du commun.

Les vignes d’un seigneur
Et le vin dans tout ça ? Perse se souvient avoir été fasciné, enfant, par l’affiche du film Les Vignes du Seigneur, un nanar avec Fernandel, mais le déclic est venu plus tard, au cours de son passage dans la grande distribution. Dans la seconde moitié des années 1980, les foires aux vins se développent et les crus de Bordeaux en sont les têtes de pont. Même si, à l’époque, les propriétaires de crus classés ne s’en vantaient pas, on reçoit comme un roi le responsable des achats d’un groupe puissant de supermarchés. Gérard Perse s’est adjugé le rôle, les visites sont concentrées dans le Médoc. La rive droite, avec ses petites propriétés et son style à l’ancienne, fait alors figure de cabinet de curiosités. En 1988, Perse fait quand même le déplacement. Comme beaucoup, il tombe sous le charme de Saint-Émilion, une autre ambiance par rapport aux bourgs sans âme du Médoc. Il entre chez l’un des cavistes du village médiéval. Il achète illico une dizaine de caisses, lui parle de son désir de trouver des bons crus pour ses magasins, le caviste tire aussitôt le rideau du sien et l’emmène déjeuner pour lui présenter l’homme qui lui faut. Cet homme, c’est Jean-Luc Thunevin, à l’époque déjà négociant en vin, mais pas encore le génial créateur de Valandraud. Entre les deux, c’est peu dire que le courant passe, ils se sont trouvés. Tous les deux ont cette caractéristique de voir plus loin que la réalité du moment. Ni l’un ni l’autre ne sortent du sérail des vieilles familles saint-émilionnaises qui tiennent la terre depuis des décennies, parfois des siècles, ils ont vite compris le potentiel de ces terroirs exceptionnels, du calcaire du plateau et de cette côte qui se dresse, spectaculaire, face au sud. Perse fait de Jean-Luc son « sourceur » attitré pour les approvisionnements de foires aux vins en matière de Rive droite, puis un jour lui demande de lui trouver une propriété pour passer là une retraite qui ne manquera pas d’arriver un jour. Les Perse vivent bien, mais là où d’autres auraient tourné les pages de Propriétés de France à la recherche d’un beau mas avec piscine en Lubéron, ils optent pour une propriété située au pied de la côte de Saint-Émilion, dans un parfait état de délabrement, avec un joli parc arboré, un étang romantique enjambé par un charmant petit pont, « parfait pour les photos de mariage » comme le remarque malicieusement Chantal Perse. La propriété s’appelle Monbousquet, nous sommes en 1992. Le retraite de Perse n’est plus à l’ordre du jour, il se passionne vite pour le métier de vigneron qu’il va insérer dans son agenda chargé de patron de grandes surfaces. Innovant tous azimuts à Valandraud, Thunevin est un aiguillon, bientôt un compagnon de recherche. Perse se prend immédiatement au jeu.

Les débuts d’un vigneron
D’abord avec les moyens du bord, il expérimente et surtout fait tout ce qu’il imagine nécessaire pour produire le plus grand vin possible. De ce vignoble de 35 hectares posé sur un sol de graves pour partie et de sable et d’argile pour l’autre, il faut tirer seulement le meilleur : vendanges en vert, sélection drastique, vinifications repensées et élevage en barriques de qualité ont tôt fait de séduire les observateurs attentifs. « Gérard Perse, un fou de vin comme on en connaît peu, a atteint le niveau de grand vin dans cette propriété si brillamment restaurée », s’enflamme Michel Bettane après la dégustation en primeur du millésime 1996, en n’omettant pas d’ajouter le coup de pied de l’âne : « Rondeur, beauté du fruit, texture et tout ce qui annonce un heureux vieillissement sont un camouflet pour des crus plus prestigieux qui se laissent vivre ». La cote de Monbousquet monte vite, Perse bouscule les préséances d’une appellation encore très largement figée dans un immobilisme d’un autre âge.
Début 1998, Gérard Perse commence sa troisième vie. Après des propositions de rachat incroyablement élevées, il vend ses magasins au groupe Promodès. Il est un homme riche, c’est le moment de tout redémarrer. Un premier cru mythique de Saint-Émilion est à vendre, il l’acquiert sans coup férir. C’est Pavie. Il y a les grands saint-émilion du plateau de Pomerol, ceux du socle calcaire sur lequel est bâti le village, et il y a la côte. Cette côte qui porte son nom, Pavie en est l’étendard. Ses vignes trônent à l’entrée du village, les seules exposées plein sud, et apportent au cru une personnalité unique. Lorsque Perse achète, il faut cependant un peu d’imagination et beaucoup de conviction pour percevoir la vraie nature de Pavie. Les millésimes des années 1980 et 1990 ont une chair si délicate qu’elle paraît parfois carrément absente et le petit goût de sous-bois qui ravit certains marchands anglais indique plutôt un élevage en vieux fûts entreposés dans les caves humides et mal ventilées. En un an, Perse va imposer à Pavie une révolution à 360°. Méthodes culturales, rendements, maturité du raisin, tri et sélection, précision des vinifications, qualité de l’élevage, tout est repensé. Dans l’édition 1998 de notre guide, avant la vente, nous écrivions : « Le 1989 semble le dernier des grands millésimes, car depuis le vin est apparu nettement plus léger ». L’édition suivante s’enflamme : « La résurrection de Pavie est entamée […], un travail incroyable a été entrepris pour remettre le vignoble en état, un nouveau chai à barriques a été construit pour éviter l’hygiène épouvantable qui régnait dans les carrières où le vin était jadis entreposé. Ce dernier a gagné en profondeur de texture et de saveur et, surtout, en netteté immédiate de définition de terroir ». Nous concluons notre dithyrambe par une remarque adressée clairement au microcosme professionnel : « À ceux qui lui reprochent l’excès de ses qualités, nous pouvons conseiller de prendre rendez-vous chez le psychanalyste pour un bilan de santé mentale ».

Pas de Petit-Village
Bien sûr, la réussite spectaculaire du cru et surtout de l’homme énerve quelques-uns. Perse n’est pas du sérail et n’en a pas les manières policées et discrètes. L’acquisition en 2000 de l’Hostellerie de Plaisance, institution locale et, à l’époque, seule table gastronomique reconnue, fait repartir les conversations sur le thème « Où s’arrêtera-t-il ? ». Perse, on l’a dit, est un homme qui marche. À l’orée du nouveau siècle, il ne marche plus, il fonce. Tellement vite qu’il ne voit pas devant lui des panneaux “chasse gardée”, puis des tranchées et, enfin, des murs s’ériger quand il veut entrer à Pomerol en acquérant Petit-Village, pépite à polir, alors propriété d’Axa. La vente est quasiment faite, les banques ont accordé les prêts, tout Bordeaux le sait, toute la presse française et internationale s’en est fait l’écho. Mais ça traîne, les banques ne répondent plus, l’angoisse et l’énervement montent, les banques tergiversent, les banques finissent par adresser un laconique “avis défavorable”. L’affaire capote. Certains s’en réjouissent, beaucoup ne disent rien, mais n’en pensent pas moins. On attend l’hallali.

Il a remis L’Envers à l’endroit
Le climax de cette période noire survient avec le millésime 2003, issu d’un fameux été de canicule, qui divise le marché et la critique internationale. Là où Robert Parker voit l’un des « trois plus grandioses vins de la Rive droite », où nous notons que « la finesse du tannin et la fraîcheur finale rappellent opportunément que nous sommes en présence d’un grand vin de Bordeaux », Jancis Robinson et avec elle de nombreux confrères britanniques parlent d’un saint-émilion aux allures de porto et même, insulte suprême, de zinfandel, ce cépage californien aussi riche que rustique. Même si Jancis fera plus tard amende honorable (avec une honnêteté intellectuelle pas si fréquente pour un critique), même si les négociants bordelais reprendront confiance dans le potentiel commercial du cru et des autres vins de la famille, même si la popularité des vins auprès des amateurs du monde entier ne s’est jamais démentie, la plaie reste ouverte. Gérard Perse avance encore et toujours. « Entreprendre, créer, construire, rénover », écrit Chantal comme un credo. On peut ajouter une autre caractéristique, l’esprit de famille. Les Perse ont eu une fille, Angélique, mariée en 2004 à Henrique da Costa. L’un et l’autre ont intégré l’entreprise, avec une humilité et une énergie à la tâche qui sont des marques de fabrique. Après Monbousquet, dont le foncier a été cédé à la Caisse de retraite des médecins (CARMF) pour assurer la transmission du reste à la génération suivante, mais dont il assure toujours l’exploitation, Pavie-Decesse, petit mais merveilleux joyau posé sur le socle calcaire qui surplombe Pavie, Bellevue-Mondotte, pépite calcaire, Clos Lunelles, l’un des plus brillants crus de Castillon depuis quinze ans, Esprit de Pavie, magnifique bordeaux issu de vignobles maisons en appellations bordeaux et castillon, le patrimoine des Perse est sans équivalent, d’autant qu’on peut y ajouter Plaisance, rebaptisé Hôtel de Pavie et le fameux bistrot L’Envers du décor, repris (sauvé) en 2017.
Cela n’empêche pas Gérard Perse d’évoluer. Les vins de la décennie 2000 étaient fondés sur la puissance ; la fraîcheur devient le maître mot de la décennie suivante, sans limiter la concentration, la charpente et la maturité légendaire du cru. Le cabernet franc, absent à la reprise de Pavie en 1998, représente un quart des assemblages, et Gérard Perse ambitionne qu’il devienne majoritaire à terme. Pour faire court, mon impression générale est assez simple. Je ne connais aucun millésime de Pavie réalisé par Gérard Perse qui m’ait un jour déçu, qu’il s’agisse de dégustations en vin jeune ou dans leur optimum de maturité. Les propriétés impressionnent autant par leur allure architecturale et technique que par la qualité du travail à la vigne. En devenant Hôtel de Pavie, la table a franchi un cap spectaculaire en étant désormais pilotée par Yannick Alléno. Et Gérard Perse, malgré une santé ébranlée ces deux dernières années, continue à faire ce qu’il a toujours fait. Il avance.

Le mondovino de la semaine n°49 tourne à fond

Terre crue • Grande champagne • Grenade • Art et gastronomie • Avoir du pif • Madame Tannat • Chaque jour du nouveau, en voici six

Terre crue

David Popa, connu pour ses œuvres monumentales en pleine nature, posera ses valises au printemps au château Cantenac Brown. Le terroir de ce grand cru classé de 1855 qui produit des vins magnifique sera l’ingrédient principal de la fresque monumentale en terre crue qui sera créée par l’artiste dans les vignes du plateau de Cantenac. À ne pas rater.
Plus d’informations sur cantenacbrown.com

Grande champagne

Pour la maison Frapin, l’année 1989 marque un changement de premier ordre. C’est le premier millésime vieilli en chai humide et non dans les greniers comme le voulait la tradition. Un cognac exceptionnel, issu du seul terroir de Grande Champagne, arrondi
et assoupli par le temps et l’atmosphère ombreuse des caves.
Cognac Frapin, Millésime 1989 – 30 ans, 175 euros, frapin.cognatheque.com

Grenade

Cette vodka élaborée avec des raisins français allie des saveurs onctueuses de grenade vivifiante et des notes subtiles d’amande amère et de griotte. Elle s’apprécie seule ou en cocktail.
Cîroc Pomegranate, 41,90 euros, drinksco.fr

Art et gastronomie

Trente-quatre chefs ont relevé le défit fixé par Sylvie Malys, l’artiste aux mille facettes. Ils ont créé un plat à partir d’une de ses sculptures. Vous pouvez ainsi découvrir l’interprétation de la délicieuse tarte sculpture « Vertige » de Pierre Sang, le dos de turbot sauvage « Pacifique » sous le signe de la finesse de Gilles Goujon ou la succulente betterave plurielle « Miroir de feu » d’Anne-Sophie Pic.
Art Sens, Sylvie Malys, Balzac, 39 euros (Fnac, Amazon)

Avoir du pif

Après le nez du vin, place au nez du bourbon. Ce livre vous permettra de faire un voyage olfactif à la découverte du bourbon, le plus célèbre des whiskeys américains.
Le nez du bourbon, Éditions Jean Lenoir, 75 euros, lenez.com

Madame Tannat

Ce magnum porte le nom d’Alice, grande dame de Madiran qui a laissé son nom à la plus emblématique des parcelles de cette propriété historique de l’appellation madiran. Sur ces galets pyrénéens déposés au quaternaire, le tannat exprime beaucoup de caractère, notamment  dans les grands millésimes.
Château d’Arricau-Bordes, Madame Alice 2018, 46,20 euros le magnum

Disparition d’Anthony Barton, le gentleman du Médoc

Avec Anthony Barton, qui vient de nous quitter dans sa quatre-vingt-douzième année, c’est tout une époque à la fois héroïque, raffinée et flamboyante des vins de Bordeaux qui disparaît. Descendant de l’illustre lignée des Barton, marchands irlandais devenus négociants à Bordeaux dès le XVIIIe siècle et propriétaires de deux crus majeurs de Saint-Julien – Langoa et puis une part du domaine de Léoville qui deviendra vite Léoville-Barton, respectivement en 1821 et 1826 –, Anthony Barton a connu le parcours des jeunes gens bien nés de ce pays : étude en Irlande puis en Angleterre, avant de faire carrière dans le négoce familial avant de succéder à son oncle Ronald à la tête des deux propriétés en 1983. Avec beaucoup de finesse mais aussi d’opiniâtreté, il fit de ces crus d’absolues valeurs sûres, d’une régularité au plus haut niveau effectivement sans faille depuis cette date. Toujours tiré à quatre épingles, d’une modestie jamais prise en défaut, il racontait volontiers les grands moments comme les plus difficiles d’une carrière exemplaire dans un français parfait toujours teinté d’un délicieux accent british qui ne l’a jamais quitté.

J’avais eu la chance, il y a quelques années, de recueillir quelques-uns des souvenirs de ce gentleman attachant, chez lui, à Léoville, dans ce Médoc où il s’était installé et qu’il aimait tant. On peut retrouver ces échanges ici :

À sa fille Lilian, à son gendre Michel Sartorius et à ses petits-enfants Mélanie et Damien qui poursuivent aujourd’hui avec une belle énergie l’œuvre familiale, nous adressons nos plus sincères condoléances.

Jacky Blot, vingt-cinq ans de taille-aux-loups

La moustache la plus célèbre de la Loire est portée par l’homme qui élabore quelques-uns des vins les plus enthousiasmants de la région. Verticale

Ici aussi, l’épisode de gel a fait des dégâts. « 50 % des vignes sont meurtries », explique Jacky Blot, docteur ès chenin de Montlouis-sur-Loire. Le panache habituel de l’infatigable vigneron des domaines de la Taille aux Loups et de la Butte repart de plus belle. Entre deux confinements, il reçoit critiques internationaux, sommeliers, chefs étoilés et sa clientèle passionnée de grands chenins. Ils sont en effet de plus en plus nombreux, célébrités comme profanes, à prendre le chemin de la cave de Husseau, où les dégustations rythment les heures de la journée. En soirée, Pierre Arditi est annoncé pour le dîner. On commence avec le montlouis village, la cuvée Rémus, qui existe depuis 1995. « Mon premier millésime, c’est 1988 », explique le maître des lieux. « J’ai enchaîné avec 1989 et 1990, deux millésimes où l’on n’avait pas trop de questions à se poser. Rien à voir avec les tristes 1991 et 1992. Je me souviens qu’on avait lancé un vin de voile, gentil mais pas à la hauteur de nos espérances. En 1993, je fais des essais sur des élevages plus longs. On a renouvelé l’expérience en 1995 et c’est dans ces conditions qu’on a créé Rémus.

Un vrai succès dès le début. À cette époque, j’intégrais tous mes parcellaires dans cette cuvée. Ça a vraiment changé à partir du début des années 2010, lorsque le domaine s’est étendu après l’acquisition du clos de Mosny et d’une partie du clos Michet. » La carte des crus change, avec un développement des cuvées parcellaires. Aujourd’hui, Rémus représente un quart des vins secs. La cuvée réunit les jeunes vignes, les plus petites parcelles et quelques lots issus de parcellaires, toujours sélectionnés avec la plus haute exigence de qualité. Comme pour l’ensemble de la production, Rémus est élaboré à partir de raisins issus de l’agriculture biologique. Côté vinification, on notera l’absence de fermentation malolactique. Année après année, Jacky Blot a beaucoup affiné son style, signant des blancs toujours plus traçants et ciselés. L’identité finement fumée et la force minérale du terroir de Montlouis s’expriment crescendo, aussi bien dans cette cuvée que dans ses clos-michet, clos-de-mosny et hauts-de-husseau.

Rémus, la verticale
1996
Couleur dorée, nez de cire, notes de safran et de miel. Dualité du grand chenin entre maturité aboutie, qui fait penser au moelleux, et immense droiture. Touche truffée bienvenue dans la finale. Un témoin d’une époque où la maturité s’effectuait sur un cycle plus long qu’aujourd’hui.
92/100

1999
Millésime de haute maturité. Quelques pluies pendant les vendanges n’ont pas permis la très grande année qui s’annonçait pour les liquoreux. Il a fallu beaucoup trier. On conserve de cette année solaire un nez d’ananas qui agrémente l’entrée au palais et la juste tension de l’ensemble qui vient redonner de l’élan. Il n’a pas la profondeur du 1996, mais contre toute attente ce millésime évolue parfaitement.
90/100

2000
Millésime plus confortable que le précédent. Le chenin a exprimé toute sa noblesse aromatique, avec des accents d’agrumes confits, d’épices et de fruits secs. Superbe fusion de l’énergie et de l’onctuosité.
93/100

2002
Le vent du nord-est a agi ici comme un chef qui fait réduire une sauce, en éliminant l’eau des baies de manière naturelle. C’est une façon de parfaire le degré sans dégrader l’acidité. Millésime de très grande pureté, avec une bouche parfaitement ciselée et une finale montante magnifique.
94/100

2005
Même si ce 2005 ne contient pas de sucres résiduels, ses arômes de vanille, de caramel blond et d’épices lui donnent un aspect confortable et gourmand. « On a vendangé cinq jours trop tard », explique Jacky Blot. « C’est l’époque on l’on prend vraiment conscience de l’importance d’être très juste dans nos dates de vendanges. » Millésime de transition, décisif pour la suite et le style futur de la cuvée.
90/100

2007
Plus équilibré que 2005 et séducteur par ses notes d’agrumes et d’abricot sec qui se marient parfaitement à la tension juteuse.
91/100

2008
Équilibre parfait permis par une juste date de vendanges. Profil tranchant et sensation minérale d’une grande pureté. À la fois dense et subtil, ce 2002 a lui aussi profité du vent de nord-est. Toujours très jeune et cristallin comme de l’eau de roche dans sa finale.
96/100

2009
Attaque onctueuse et vite soutenue par une tension qui a de la conversation.
Ce millésime de haute maturité est ramassé à la date idoine, ce qui le différencie du 2005. Les équilibres sont ici respectés.
95/100

2010
Le tranchant du rasoir, les sels minéraux du terroir, tout y est, avec ce qu’il faut d’épaisseur. Peut-être un peu en dessous du 2009 le jour de notre dégustation.
94/100

2012
Cristallin et pur, ce vin svelte dans sa jeunesse a pris de l’étoffe. Texture soyeuse et minérale digne d’un grand millésime.
93/100

2014
Millésime de maturité facile. Le style est élégant et plein avec un joli jus fruité, séveux et épicé. Il évolue assez rapidement et se livre plus que le 2012. À boire maintenant, il donne déjà beaucoup de plaisir.
91/100

2015
Accents de fruits jaunes au nez, bouche traçante avec une finale saline précise. Un rémus de classe et de garde. On sent la superbe qualité de raisin, ramassé au moment opportun. À attendre au moins cinq ans.
94/100

2016
On sent le minéral s’installer progressivement en bouche, avec une belle intensité et une finale saline. Dans la logique et le style très minéral du 2008.
95/100

2017
Flaveurs de citron vert, tension élégante en bouche. Il se livre facilement.
On prend déjà du plaisir avec ce rémus.
91/100

2018
C’est ample en attaque, plein de tension subtile et parfaitement dynamique grâce à un rebond final charmeur. Encore sur la retenue, ce qui est parfaitement normal.
92/100

2019
Plus lisible que le 2018 dès son attaque, un rémus monumental qui ouvre la cage thoracique. Son intensité pure se révèle pleine de vitalité. Finale de cathédrale gothique poussant à l’élévation.
96/100

Le domaine en 2019

Clos Michet
Parcellaire le plus solaire du domaine. Très séducteur, il se révèle dense en matière au premier toucher de bouche. La suite, tout en relief, offre à la fois sensualité et retenue.
97/100

Clos de Mosny
Le silex apporte un tranchant qui pousse les caudalies loin dans le temps. Beaucoup d’éclat dans ce vin qui rebondit en permanence en bouche, c’est superbe. Futur exceptionnel en prévision.
98/100

Les Hauts de Husseau
Ce terroir froid tire pleinement partie de ce millésime solaire. On sent le calcaire qui étire le charnu raffiné de la bouche. Grande fusion entre tous les éléments, finale d’une parfaite pureté. Compter les secondes ne sert à rien, passons aux minutes.
99/100

François des Robert, l’homme qui vend des beaux vignobles

Notre homme, un physique pas éloigné d’un rugbyman, en plus chic, travaille dans la banque depuis quarante-cinq ans, dont trente années chez Edmond de Rothschild. Prendre sa retraite n’est pas un sujet. D’abord directeur du développement et fort de son succès dans ce domaine, il s’oriente assez vite vers la branche Vin qui gère les fusions, les acquisitions et le conseil auprès des familles. Dans le même temps, il préside l’Association française du family office, ce qui lui permet de développer un impressionnant carnet d’adresses parmi des dirigeants et des familles d’investisseurs : « Plusieurs milliers de contacts personnels. Tous sont des clients naturels pour une entreprise comme Edmond de Rothschild Héritage ». Chaque jour, il fait ce qu’il appelle « de l’origination ». Comprendre qu’il dirige vers ses équipes qui les traitent des demandes et des mandats de vente dans ce qui constitue le registre patrimonial, vignobles, cliniques, hôtels, maisons de retraite, éco-investissements, immobilier, forêts. Bientôt vingt ans qu’il opère dans cet environnement sensible avec des familles françaises ou étrangères. « L’enjeu est de trouver

 

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