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Les bonnes raisons de Sylvie Cazes (elle acquiert Château-Chauvin à Saint-Émilion)

Co-propriétaire de quelques-uns des fleurons de la Rive gauche, dont Lynch-Bages à Pauillac, elle est la première de la famille Cazes à acquérir un grand cru classé de la Rive droite. Elle explique son choix, la preuve par 9.

5 bonnes raisons d’avoir acheté château Chauvin ?
– « C’est une propriété superbe, de bonne taille pour Saint-Émilion (15 hectares) sur un terroir de qualité dans le secteur des Corbin. »
– « C’est un château de belle réputation et dont les vins sont bien notés, qui a fait ses preuves sur certains grands millésimes en particulier. »
– « Il a été très bien entretenu pendant 20 ans, pas toujours dans la facilité et sans beaucoup de moyens par les sœurs Ondet (Béatrice à la vigne, Marie-France au chai), qui l’avaient hérité de leur père. Elles y ont mis énormément de cœur, de soin et d’exigence. »
– « C’est un château que l’on peut faire progresser, un vin dont on peut améliorer la définition. J’ai confié la direction technique de la propriété à Philippe Moureau, un des meilleurs pros de Bordeaux, qui a travaillé avec moi à Pichon-Longueville Comtesse de Lalande et au château de Pez. L’équipe reste en place. »
– « C’est un château discret, à l’image des soeurs Ondet. Pas de maison de maître, pas de grand raout, pas de communication. Tout est dans le vin. Il faut lui donner la notoriété qu’il mérite, les marchés qui vont avec, étrangers notamment. Et là, je peux apporter ma vision ».

3 bonnes raisons d’avoir investi Rive droite ?
– « C’est complémentaire aux activités familiales Rive gauche où nous sommes propriétaires de Lynch Bages, Ormes de Pez et Villa Bel-Air. Mais Chauvin est indépendant des Domaines Jean-Michel Cazes. »
– « Je cherchais à Saint-Émilion depuis longtemps. Saint-Émilion possède un patrimoine exceptionnel et recèle encore des pépites. »
– « C’est un coup de cœur pour l’endroit. À Chauvin, on est au cœur de l’appellation. De là, on aperçoit les clochers de Saint-Émilion, Pomerol, Néac, Montagne…. »

1 bonne raison de se lancer « en solo », sans l’appui des Domaines Jean-Michel Cazes ?
– « Je prépare l’avenir. Mes deux fils Pierre et François, ma fille Julie et moi-même sommes co-propriétaires de Chauvin. Ma fille m’y rejoint – elle vient de passer sa thèse de doctorat en chirurgie dentaire mais a décidé de se consacrer à la viticulture – et c’est un immense plaisir pour moi. Deux femmes succèdent ainsi à deux femmes, ça me plaît. »

Propos recueillis par Anne Dupin

*Sylvie Cazes est co-propriétaire et présidente du conseil de surveillance des Domaines Jean-Michel Cazes, gère le restaurant Le Chapon Fin à Bordeaux et l’agence réceptive Bordeaux Saveurs. Elle est également présidente du Fonds de dotation de la Cité des Civilisations du Vin qui ouvrira à Bordeaux en 2016.

Millésime 2014,des nouvelles d'Australie

Les vendanges se sont achevées à la mi-avril dans les vignobles australiens de la Maison Chapoutier.
A l’heure où, dans les vignes, on prépare déjà 2015 par des apports de composts et des semis de céréales, les raisins de 2014, millésime plus généreux en rendement que ses prédécesseurs, commencent à livrer « leur étonnant potentiel. ».

Si l’hiver 2013 était dans la norme des cinq derniers millésimes, la pluviométrie a été différente selon les sites. Ainsi, au sortir de l’hiver, les réserves hydriques étaient correctement pourvues à Shays Flat et Malakoff, mais légèrement insuffisantes à Landsborough. Le doux début de printemps a permis un débourrement homogène des différents cépages et la grande vitalité des sols (bénéficiant d’abondants couverts hivernaux de céréales et de légumineuses) a assuré le développement rapide d’une surface foliaire efficace et une moindre compétition entre croissance et floraison. Quelques vagues de gel ont abîmé certaines parcelles, notamment dans les vignobles d’Heathcote (Lady’s Lane et La Pleiade), mais les pertes de rendements ont toutefois été toutefois limitées (environ 2% des surfaces). Le ralentissement de la pousse s’est traduit, jusqu’en fin de vendange, par un écart phénologique de l’ordre de 2 à 3 semaines entre les zones épargnées et les zones touchées.

La floraison s’est déroulée dans d’excellentes conditions climatiques, sèches et modérément chaudes, valorisant de façon optimale une sortie jugée plutôt généreuse. Un peu plus fraîche que la moyenne – mais peu arrosée – cette période allant de novembre à janvier a fait perdre un peu de l’avance phénologique, tout en entretenant des contraintes hydriques bénéfiques sur les baies en phase de croissance herbacée. « A ce stade, une bonne partie de la qualité du millésime était déjà acquise car la pousse précoce associée à des baies de taille réduite ne pouvait que faciliter la concentration. » Cette maturation dans des conditions thermiques plus tempérées que d’ordinaire et a contribué au bénéfice aromatique. Les faibles précipitations de l’été ont limité les absorptions de potassium, dont les schistes sont particulièrement pourvus, et ont permis le maintien de hautes acidités dans les moûts.

Commencées à Shays Flat le 10 mars et achevées à L-Block (Malakoff) à la mi-avril, les vendanges ont livré un millésime dense, particulièrement à Landsborough, et doté d’une grande fraîcheur aromatique et structurelle. « Les premiers décuvages ont livré des jus puissants, séveux et salins exprimant toute la race des syrahs sur schistes des vignobles des Pyrénées. Les fermentations malolactiques et les élevages viseront à patiner le grain sauvage aisément reconnaissable de ces crus continentaux. Les vins d’Heathcote ont pleinement bénéficié, d’un point de vue stylistique, du retard imposé par les épisodes de froid printanier et conservent à ce jour une texture grenue salivante, assez atypique de ces terroirs basaltiques qui engendrent d’ordinaire sous leur climat plus méridional des bouches sphériques, à la texture plus mate. Leur élevage permettra d’affiner cette spécificité du millésime. »

tournonchapoutier

Domaine Gourt de Mautens, commentaires de dégustations

Domaine Gourt de Mautens
IGP du Vaucluse, rosé, 2011
Une vraie recherche de personnalité signe ce flacon. Les arômes sont mûrs, sur des senteurs d’épices et d’airelle. La bouche repose sur des tannins fins et acidulés avec de la vinosité.


Domaine Gourt de Mautens
IGP du Vaucluse, blanc, 2011
Expression solaire et fumée sur des notes de caillou frotté, d’abricot et de fleur de sel. Bouche qui s’étire en longueur, de la pureté, beaucoup de tension et du salin en finale.


Domaine Gourt de Mautens
Rasteau, blanc, 2010
Grand vin intense, riche, charpenté, plus adapté à l’accompagnement d’un chapon de Bresse qu’à un poisson.


Domaine Gourt de Mautens
Rasteau, rosé, 2010
Cette nouveauté du domaine ne pouvait être un rosé comme les autres : voici un vin généreux et onctueux, à la persistance poivrée, à l’élevage en barrique présent mais harmonieux, à la longueur vineuse. Grand rosé de table.


Domaine Gourt de Mautens
Rasteau, rouge, 2009
Moins construit sur la puissance que les millésime d’autrefois mais toujours aussi généreux, ce 2009 ravit par son onctuosité et sa plénitude. Il faut encore l’oublier en cave quelques années.


Domaine Gourt de Mautens
IGP du Vaucluse, rouge, 2010
Voici un grand vin du Sud, civilisé, racé, avec de la noblesse. Cacao, cuir, essences de bois précieux impriment le nez avec classe. Matière profonde, infiniment soyeuse et au velouté délicat en bouche. Du grand art !


Jérôme Bressy, vigneron hors-norme

Ce jour-là, l’hiver est bleu, il est encore tôt, le brûloir dans les vignes, une fumée légère et blanche, c’est jour de taille au Domaine Gourt de Mautens. Jérôme Bressy, le patron, le vigneron, en est. Il travaille avec deux filles, taiseuses, concentrées. « Moi, vous savez, il me faut des gens de très bonne qualité, sinon on ne s’entend pas. » Tous les entrepreneurs, à des degrés divers, disent ça. On les comprend. Lui, en plus, il dit que c’est mieux de brûler les sarments que de les broyer. Ah bon ? « Déjà, si il y a de la maladie dans le bois, ça évite de remettre tout ça dans le sol. L’oïdium, une année de pression, si vous brûlez ça baisse d’un cran l’année d’après. Cette fumée porte quelque chose dans nos vignes. Et c’est bon pour nous, cette fumée nous met en contact avec les bois et on voit des choses, des formes. On ne se connaît pas encore, je ne peux pas tout vous expliquer. » Mais il dira qu’il tient à ce brûloir, que son grand-père l’avait bricolé, que c’est de l’attachement familial.

L’ambiance est installée. Jérôme Bressy n’est pas n’importe quel agriculteur. Il a du monde et de ses vignes une idée alternative et sensible. Il n’est pas un militant, mais il a des convictions « Je vais au monument au mort, mon grand-père y allait, la France et sa mémoire ne sont pas la propriété de quelques-uns. ». Quand il rejoint son père en 1989, il a 23 ans et lui dit à peu près ceci : « Papa, je veux faire un très, très grand vin, il faudrait qu’on commence la conversion en bio. » Son père, ce vigneron communiste dont le projet était de payer ses ouvriers plus cher, son père l’a suivi. Et sa mère soutenait son père qui le soutenait. Avec des parents comme ça, les obstacles s’estompent.

À l’époque, tout le raisin partait à la coopérative et lui, il voulait son étiquette. Elle arrivera en 1996, trois ans après la conversion en bio-dynamie. Sur le sujet, peu à peu, il parle et ce qu’il en dit est enthousiasmant, bien sûr. Comment dire le contraire, c’est la vie qui parle, c’est chaud, tonique et rassurant « C’est tellement beau de travailler comme ça, la chimie éloigne le vigneron de sa terre. Il faut avoir un regard sinon on fait de l’industrie. » Mais ces voisins ? « Je les plains, ils sont les victimes d’un système qui les terrorise. Ils reçoivent des sms dès qu’il pleut pour les pousser à traiter. C’est un système de secte. » Plus tard, on ira voir ces parcelles dans la campagne de Rasteau, la petite route qui monte et qui descend, le ciel de Provence, les bois de chênes verts et les oliviers, les vignes sur les pentes des combes mi-ombre mi-soleil. On s’attend toujours à voir débouler les sangliers, on a raison, il y en a plein.

Jérôme Bressy travaille son domaine de 13 hectares et ne veut pas s’agrandir, il veut continuer à faire ses petits rendements et son vin d’exception et pas plus. Il raconte son éviction de l’AOC sans amertume. Comme d’autres grands hommes de la région (Dürrbach, par exemple), son encépagement n’a plus convenu. Pourtant, tout ce qu’il a planté l’a été dans les règles avec toutes les autorisations et les validations requises et puis, un beau matin, ça n’allait plus, l’administration en charge a changé d’avis, pourquoi, on ne sait pas, on ne sait jamais. Comme il tient beaucoup à son portefeuille de cépages, il est sorti du jeu.

(…)

Grenache noir, blanc et gris, carignan, mourvèdre, counoise, vaccarèse, terret noir, cinsault, syrah, clairette, picardan, bourboulenc, picpoul gris et blanc, roussane, marsanne, un vrai catalogue de pépiniériste branché. Il a même un très vieux pied de muscardin, cent ans au moins, il nous montre « Je vais prendre des greffons et les mettre ici, le fait d’être sorti de l’appellation me laisse toute liberté. » Cela dit, il ne fait pas le malin, pas sûr qu’il trouve ça très drôle, il incrimine plus un système que des gens. D’ailleurs, il a de la tendresse pour quelques-uns de ses collègues de Rasteau, ils ne sont pas comme lui pourtant, mais quand même si, un peu. Il y a des souvenirs et une vie en commun, l’école d’avant, le village. Et il y a cet extraordinaire attachement au pays et à ses traditions. « Tailler en gobelet, c’est un art. J’ai vu des anciens qui venaient en 2 CV entretenir leurs ceps. Ils sont morts, les enfants ont vendu, aujourd’hui tout a été arraché. On avait le patrimoine qu’il fallait pour se défendre face au Nouveau monde. On l’a perdu pour des raisons productivistes absolument irréalistes » ou encore « Malgré la folie des contraintes, la France est encore debout, elle pousse. On se met des boulets aux pieds pour être sûr de ne pas y arriver, mais à la fin, on s’en sort. » Ici, dans les collines de Rasteau, on parle haut, on parle clair.

Et puis, on descend à la cave. En sous-sol, pour la gravité et la fraîcheur des températures dans un pays où il arrive qu’il fasse très chaud. Là, on est à la cuisine. Jérôme Bressy le dit « Les foudres, c’est comme une cocotte en fonte. » Il s’amuse, il laisse mijoter, il goûte tout le temps. Le vin passera en foudre ou en demi-muid selon le caractère de la parcelle dont il est issu, il continuera en béton pour finir dans l’inox juste avant la mise. « J’ai beaucoup évolué, je cherche tout le temps. Le premier grand moment, c’était en 2001. J’avais acheté cent barriques d’un an. En 2003, j’ai tout changé, des foudres et des demi-muids. En 2007, nouvelle évolution avec une vinification en vendange entière en cuves tronconiques en chêne. » Aujourd’hui, l’élevage dure 30 à 36 mois et, au bout du temps long, le vin est là, ce succès qu’on sait, les beaux prix, 20 000 bouteilles seulement que les grands amateurs s’arrachent. On se quittera à regret, on avait encore des choses à se dire, il y faudrait des jours. Ainsi va ce monde. Ce n’est pas le sien, mais « Je ne suis pas un arriéré, je veux juste conserver des méthodes, un mode de vie, des habitudes. Rien ne justifie qu’on se sépare de tout ça. » Normal qu’on l’aime.

Nicolas de Rouyn
Photos : Mathieu Garçon


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L'avis de Michel Bettane
L’avis de Michel Bettane

Mautens (mauvais temps) pour l'appellation

Un imbécile (il a de la chance, personne ne se soucie de savoir qui il est) a fait rayer de l’appellation Rasteau, pourtant toute neuve et ayant bien besoin de tous ses talents, le meilleur vin de son aire et contraint son producteur a rejoindre les rangs des vins de pays. Motif : avoir planté des cépages provençaux autorisés pour le meilleur cru du Vaucluse (Châteauneuf-du-Pape), mais oubliés par les ignares qui avaient rédigé le cahier des charges de Rasteau. Cette plantation, loin d’être un caprice d’excentrique, avait été longuement réfléchie : les picardans blancs apportent du nerf, de la tension et diminuent la richesse en alcool des grenaches qui flirtent avec les 16°. Les counoises donnent de l’épice et se marient parfaitement avec les mourvèdres. Jerôme Bressy, en fait, a eu le tort d’avoir trente ans d’avance sur certains de ses confrères et plus de 50 sur les experts locaux de l’l.N.A.O. Ses vins blancs, rosés et rouges n’ont jamais mieux exprimé la force et l’élégance des marnes de Rasteau qui font surgir l’eau des collines dans des « gourts » qui ont donné leur nom à son domaine.

Michel Bettane

Vues du paradis, les choses se compliquent

Je reviens d’un pays qui aime le vin depuis des siècles et qui a tout mis en œuvre pour nous faire plaisir. Un pays sans beaucoup de vigne, mais avec des amateurs, des vrais, des grands. Je reviens d’un pays qui compte les plus belles caves à vin du monde. Une sorte d’eden qui traite à égalité les grands pays producteurs et les petits, le New World et l’Ancien, le vin et les spiritueux, les grands connaisseurs et les newcomers. Un paradis de la culture œnophile où chaque caviste propose…lire la suite

« Ce n’est pas aux Bordelais de dénigrer leur propre production »

« Alors, ce 2013 ? » Sous les monumentales arches de pierre du CAPC (le musée d’art contemporain de Bordeaux, ancien entrepôt Lainé de denrées coloniales), les 500 invités du traditionnel dîner du ban du millésime, châteaux, négociants, courtiers, clients ont confronté leurs points de vue, dans toutes les langues, la veille de la clôture officielle de la Semaine des primeurs. Dans cette atmosphère très policée, Emmanuel Cruse, le grand maître de la Commanderie du Bontemps qui les réunissait ce 2 avril, s’est fait offensif en évoquant « un millésime déjà condamné depuis le mois de juin dernier… Ce n’est pas très sérieux ». Nous avons poursuivi la conversation.

Vous avez exprimé lors de votre discours votre agacement sur la façon dont le millésime avait été prématurément critiqué…

Pour être clair, ce n’est pas aux Bordelais de dénigrer leur propre production. Nous avons les plus importants acheteurs du monde entier qui se déplacent pendant la Semaine des primeurs, ce n’est pas le moment de les décourager 15 jours avant en écrivant ou en disant n’importe quoi. Autant 1992 était compliqué, autant 2013 a surpris tout le monde. Objectivement, moi-même je faisais grise mine à la fin des vendanges. Mais aux assemblages, nous avons constaté que les vins tenaient la route. Décourager les acheteurs avant même qu’ils n’arrivent dans une conjoncture économique difficile, je trouve ça aberrant. Qu’un négociant dise « je n’aime pas ce millésime, je n’achète pas », c’est son droit le plus strict. Mais que des consultants, journalistes, techniciens, alors qu’ils vivent de cette économie, s’expriment négativement, ça me semble hallucinant, je dis qu’il faut réfléchir avant de parler.

Vous visiez qui précisément ?

Il y a eu des articles, il y a eu des avis exprimés lors de dégustations… Chez Millesima, Patrick Bernard a cru bon de dire que ses clients ne voulaient pas acheter le 2013. Ce n’est pas très adroit. Qu’il s’en explique avec les propriétaires droit dans les yeux, parfait, nous aurons des arguments à lui retourner, mais qu’il le dise devant un  parterre de journalistes, non. Ce n’est pas à nous, place de Bordeaux, de dénigrer notre production. C’est comme si on disait que le Rafale est un avion de m… parce qu’on n’arrive pas à le vendre, alors que c’est peut-être le meilleur avion de combat du monde et que le problème réel n’est pas celui de sa qualité intrinsèque. 2013 n’est sans doute pas le millésime du siècle, mais c’est certainement bien supérieur à des 2007 ou des 2002. On va être tous amenés à faire des choix, le négoce ne pourra pas tout porter. Un exemple :  pour un cru bourgeois dont je m’occupe, j’ai 6 000 caisses en moins, donc je privilégierai les négociants qui me disent qu’ils aiment mon vin. Imaginons que 2014 soit grand, ils arriveront tous comme des morts de faim pour dire finalement « mais qu’est-ce qu’il est bon ce 2013 ». Alors, les grands effets de manche pour faire parler de soi…

Y a-t-il eu une baisse de fréquentation cette année ?

Oui, soyons objectifs, moins de gens se sont déplacés pour ce millésime que pour le précédent. Conjoncture économique, mauvaise impression générale du millésime bêtement relayée par certains acteurs de la place. Mais relativisons. Les années précédentes, les chiffres étaient extrêmement gonflés par nos amis chinois venus conquérir le nouvel eldorado bordelais. Cette année, ils sont moins nombreux. Par contre, j’ai revu avec intérêt des clients américains que je n’avais pas vus depuis deux ans. Cela veut dire qu’il y a un intérêt pour ce millésime qui ne sera peut-être pas acheté en primeurs, mais en livrable. Toute la problématique des propriétés, c’est que les négociants qui ne pourront pas porter la totalité des stocks vont attendre que nos clients veuillent bien les acheter au moment où ils seront  livrables, donc ce sera à nous, ayant moins de caisses à distribuer, d’ajuster le tir et de choisir  des négociants dont les positions financières sont suffisamment sérieuses pour ne pas retrouver sur le marché des vins bradés immédiatement. À toute chose, malheur est bon, ce millésime va peut-être redistribuer les cartes. C’est une supposition, car nous n’avons pas encore eu de mise en marché réelle, à part Pontet-Canet dont les volumes sont faibles et qui est de toute façon une marque que le négoce ne peut pas laisser passer.

Dans une situation critique, quel élément positif peut-on dégager ?

On a connu des situations bien plus critiques, 1992 par exemple. Je ne suis ni pessimiste ni optimiste. Les vins tiennent la route, les acheteurs internationaux sont là. Le ban du millésime où le négoce de Bordeaux réunit ses clients, est révélateur. Il a rassemblé 600 personnes dans les années 2009-2010, 500 personnes étaient présentes cette année, pour un millésime soi-disant catastrophique. Les gens goûtent les vins et se disent agréablement surpris par rapport à l’image qu’ils en avaient. Certes, les récoltes sont catastrophiquement faibles en volume. Mais le corollaire, c’est que la qualité intrinsèque est plutôt bonne. En 1992, on a souffert, mais c’était au siècle dernier. 1997, on a dû balancer 30% des raisins, même pas vérés. 2013, on a bénéficié de tous les progrès de l’œnologie et fait un énorme effort de sélection.

Donc, c’est dans des années comme celle-ci qu’on voit le travail, le talent du vigneron ?

Oui, certainement, mais la formule « une année de vigneron » a été galvaudée. En 2005, 2009, 2010, même un débutant ou un énarque aurait fait un grand vin, c’est la nature qui a tout fait. On a pourtant entendu l’expression. A contrario en 2013, l’acuité du chef de culture du vigneron, du maître de chai, même du consultant, a été primordiale.

Fallait-il reculer la date des primeurs pour présenter des vins plus aboutis ? C’est l’avis d’Alain Raynaud, le président du Grand Cercle, par exemple.

C’est un éternel débat. Je ne suis pas sûr que cela changerait grand-chose, si ce n’est de retarder d’autant la mise en marché. En 2010, certains ont ainsi voulu présenter ce millésime hyper tannique plus tard. Cette année, d’un point de vue purement technique, Alain Raynaud a vraisemblablement raison. Mais la Semaine des primeurs semble définitivement figée à la première semaine d’avril. Les vrais professionnels, ceux qui viennent depuis 20 ans, savent pondérer. Quant à ceux  qui viennent en touristes un an sur deux… Reste qu’on est encore loin des assemblages finaux, évidemment.

Comment réagissez-vous face à la décision de certains – ils sont très rares – de ne pas présenter, voire de ne pas millésimer ?

Ne pas présenter ses vins aux clients quand ils sont là, c’est dommage. Ne pas en produire, c’est une aberration, c’est mettre en avant ses propres incompétences. Encore une fois, on a connu des millésimes bien plus compliqués. Et vu ce qu’on goûte à l’heure actuelle, c’est une erreur. Le cas de château Malescasse est à part. Le nouveau propriétaire voulait sans doute démarrer avec un millésime porteur, c’est un choix marketing qui peut se défendre. Mais la force de Bordeaux, c’est de présenter tous les ans des vins différents, pas comme la Napa Valley où on a l’impression d’avoir le même produit chaque année.

Quelles conséquences pour Bordeaux en termes économiques et en termes d’image ?

En termes d’image, les clients vont repartir avec de bonnes impressions malgré tout et le millésime s’en sortira. Économiquement, vu les faibles rendements, certaines propriétés vont souffrir. Ce qui va se répercuter sur la filière. Pour être juste, je prends l’exemple du 2012. Millesima organise chaque année la dégustation du millésime précédent. Il y a deux semaines, tout le monde a donc pu le goûter à nouveau. Beaucoup de ceux qui l’avaient critiqué à l’époque disent aujourd’hui  « est-ce qu’on ne serait pas un peu passés à côté ? ». Moi-même, je suis plus fier aujourd’hui du 2006 que du 2005, car il nous a demandé plus d’effort. Alors on verra bien l’an prochain ce qu’on dira finalement du 2013. 

Votre analyse du millésime pour la Rive gauche ?

On a souffert de coulure sur les merlots et de millerandages sur les cabernets, les volumes sont donc en baisse, mais l’été a été favorable. Donc les grands terroirs, les bons terroirs s’en sortent très bien.

On dit que c’est une année pour les blancs ?

Je ne sais pas, je n’ai pas encore tout goûté. Peut-être les blancs tireront-ils les rouges, pour une fois, à Bordeaux.

Propos recueillis par Paz Biziberri

*La Commanderie du Bontemps de Médoc, des Graves, de Sauternes et de Barsac, l’une des plus anciennes et des plus importantes confréries viticoles françaises, réunit 350 membres, domaines et châteaux de la rive gauche de la Gironde, maisons de négoce et bureaux de courtage de la Place.

Le cruel métier de vigneron

C’est avec une tristesse infinie que nous apprenons le décès de Jean-François Izarn, le vigneron du domaine Borie-La-Vitarèle en appellation Saint-Chinian. Il est décédé accidentellement dans ses vignes lors d’une manœuvre avec son tracteur. Biodynamiste de longue date, d’une modestie et d’une humanité rare, d’une gentillesse exceptionnelle, il avait énormément œuvré pour son domaine et pour l’appellation. Il ne ratait jamais une occasion de magnifier ses vins remarquables et ceux de ses collègues par une cuisine de la plus haute volée, son autre passion. Nous adressons nos plus sincères condoléances à son adorable épouse Cathy et à sa fille Camille.

Photo : lisson.over-blog.com

Un pont à Saint-Emilion


Quatre jours de week-end en perspective, c’est quatre jours d’animations dans quatre appellations (saint-émilion, saint-émilion grand cru, lussac saint-émilion, puisseguin saint-émilion). Des initiations à la dégustation (par l’Ecole du vin), un dîner vigneron (samedi soir), ainsi que de nombreux ateliers, jeux, parcours dans les vignes ou expositions sont au programme de ces journées portes ouvertes qui débuteront jeudi. La liste des châteaux participants est. On peut se renseigner et réserver directement auprès de la Maison du vin de Saint-Emilion au 05 57 55 50 55 ou sur le site dédié à l’événement. Enfin, et surtout, il faut regarder cette bande-annonce.